AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le 1 er décembre dernier, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture la présente proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse. Le texte reprend un amendement du Gouvernement déposé au Sénat le 27 septembre sur le projet de loi « Égalité et citoyenneté », qui n'avait pu être discuté pour des raisons de procédure. Pour l'examen de cette proposition de loi, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée.

Le périmètre de la proposition de loi désormais soumise à l'examen du Sénat est limité ; elle ne comporte qu'un seul article. Son objet est de compléter, pour l'adapter à l'évolution de notre société, les dispositions relatives au délit d'entrave à l'IVG créé par la loi du 27 janvier 1993 1 ( * ) .

I. LA NÉCESSITÉ D'ADAPTER LE RÉGIME JURIDIQUE DU DÉLIT D'ENTRAVE À L'IVG

A. L'ÉVOLUTION DU DÉLIT D'ENTRAVE À L'IVG

Conçue pour éviter les actions « commando » contre les centres pratiquant des IVG, la loi du 27 janvier 1993 définit le délit d'entrave comme le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher une IVG ou les actes préalables à celle-ci, soit en perturbant l'accès aux établissements où elle est pratiquée ou la libre circulation des personnes à l'intérieur de ceux-ci, soit en exerçant des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre des personnels de ces établissements ou des femmes venues y subir une IVG.

Depuis 1993, le champ du délit d'entrave a connu deux élargissements successifs, en particulier pour prendre en compte les pressions psychologiques qui peuvent s'exercer dans un but dissuasif sur les femmes et les professionnels concernés :

- la loi du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse précise ainsi que le délit s'étend au fait de perturber « de quelque manière que ce soit » les conditions de travail des personnels des établissements concernés ainsi qu'au fait d'exercer des « pressions morales et psychologiques » sur les femmes venues y subir une IVG ou « l'entourage de ces dernières » 2 ( * ) ;

- la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes 3 ( * ) élargit quant à elle le champ du délit au fait d'empêcher de « s'informer » sur une IVG ou les actes préalables à celle-ci au sein des structures pratiquant des IVG .

La définition du délit d'entrave à l'IVG selon le droit actuel

Selon le droit aujourd'hui en vigueur, le délit d'entrave à l'IVG inscrit à l'article L. 2223-2 du code de la santé publique est défini comme le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher de pratiquer ou de s'informer sur une IVG ou les actes préalables à celle-ci, par la voie de deux moyens alternatifs :

- soit par une entrave physique , c'est-à-dire le fait de perturber l'accès aux établissements habilités à pratiquer des IVG ou les conditions de travail des personnels médicaux et non-médicaux ;

- soit par une entrave psychologique , c'est-à-dire le fait d'exercer « des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre des personnels médicaux et non-médicaux travaillant dans ces établissements, des femmes venues subir ou s'informer sur une IVG ou de l'entourage de ces dernières ».

Ce délit est assorti d'une peine maximale de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

Selon les données communiquées par le ministère de la justice sur le nombre de condamnations, celles-ci sont peu nombreuses (moins de dix condamnations depuis la loi de 2001), ce qui indique que l'inscription du délit dans la loi donne lieu à des condamnations et revêt un caractère dissuasif.

Depuis quelques années, les pouvoirs publics ont fait le constat d'une évolution des pratiques d'entraves par pressions psychologiques, en particulier sous la forme d'une tendance à la désinformation par la voie d'Internet.

Chacune et chacun peut en effet constater que certains sites Internet, qui mettent en oeuvre une stratégie de référencement destinée à concurrencer les sites publics, se donnent l'apparence de sites institutionnels neutres alors que les informations qu'ils délivrent ne sont que partielles ou tronquées et donc de nature à induire en erreur les internautes. La présentation que font ces sites du recours à l'IVG est biaisée, elle comporte parfois des contre-vérités scientifiques et aucune mention n'est faite des modalités pratiques d'exercice du droit. La volonté des auteurs de ces sites de dissuader les femmes de recourir à l'IVG n'est jamais clairement affichée. Il s'agit de tentatives de dissuasion insidieuses. De plus, plusieurs de ces sites comportent un renvoi vers un numéro vert. Les témoignages sur le recours à ce numéro mettent en évidence des tentatives de dissuasion pouvant occasionner un retard dans la prise de décision, voire une perte de chance au sens médical de cette expression, étant donné les délais stricts dans lesquels l'IVG est possible. Cette situation a été étudiée et documentée par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH) 4 ( * ) . Par ailleurs, des témoignages relayés par les personnes auditionnées par votre rapporteure indiquent que des personnes ayant appelé le numéro vert de certains sites se voient rappeler, parfois même jusque dans la salle d'attente, et subissent ainsi des pressions psychologiques.

Dans ses travaux, le Haut Conseil souligne que « si les détracteurs du droit à l'avortement n'hésitaient pas par le passé à dire publiquement leur opposition frontale à ce droit des femmes, relevons que maintenant que la société française s'est très largement appropriée ce droit, les stratégies des anti-choix ont dû s'adapter. C'est ainsi que les organisations et militant-e-s anti-choix se sont progressivement concentrés sur le terrain de l'information en matière d'IVG sur Internet. Leur objectif est d'entraver indirectement le droit à l'avortement par une information qui, derrière l'apparence de la neutralité, cherche systématiquement à décourager les femmes d'exercer leur droit à l'avortement ».

Les constats du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes sur le risque d'entrave à l'IVG par la voie d'Internet

Les travaux du HCEFH permettent de formuler trois principaux constats s'agissant des enjeux soulevés par la nécessité de garantir à tous l'accès à une information objective sur l'IVG dans un contexte où se développent des sites Internet délivrant une information, soit biaisée, soit hostile à la pratique de l'IVG.

1. La place centrale d'Internet dans la recherche d'informations sur la santé

Le Haut Conseil rappelle tout d'abord que si un tiers de la population française a recours à Internet pour s'informer sur des questions relatives à la santé , « l'usage d'Internet dans la recherche d'information de santé est le plus fort pour les tranches d'âge ayant un taux de recours à l'IVG plus fort ». Il souligne que la qualité des informations disponibles sur Internet apparaît « très hétérogène, parcellaire, et parfois erronée ». Il émet l'hypothèse que l'usage d'Internet concernant l'IVG est encore plus fréquent dans la mesure où « la parole sociale sur le sujet demeure encore difficile ».

2. Des sites « anti-IVG » qui tirent parti d'une grande visibilité liée à de meilleurs référencements

Le HCEFH souligne en outre que « les sites Internet des organisations anti-IVG occupent notamment les premières places en termes de référencement dans les moteurs de recherche » et devancent ainsi notamment les sites institutionnels.

3. Des sites d'apparence neutre délivrant des informations fallacieuses

Il insiste enfin sur l'apparence quasi-institutionnelle de ces sites qui s'adressent à toutes les personnes en quête d'informations sur l'IVG et qui « donnent l'illusion d'un point de vue et d'une rédaction officiels ». Cette illusion est également entretenue par la présence d'un numéro vert renvoyant à l'existence d'un « centre national d'écoute anonyme et gratuit ». Il renvoie à la possibilité de mettre en évidence un faisceau d'indices indiquant un positionnement contre le droit à l'avortement, reflété dans l'iconographie et le champ lexical utilisés (nombreuses images de femmes inquiètes, utilisation de termes anxiogènes).

Il relève une utilisation des sources « de manière malhonnête » dans la mesure où « ces sites détournent les propos issus de sources scientifiques pour servir leur propre positionnement ».

Il indique qu'il n'y est généralement pas fait mention des adresses des centres IVG, ni de leurs coordonnées. « L'information la plus valorisée est basée sur les témoignages reçus, dont la tonalité affiche relativement clairement le positionnement du site ».

Enfin, le Haut Conseil s'inquiète des « moyens alloués significatifs » dont disposent ces sites soutenus par une « mobilisation militante ».


* 1 Article 37 de la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social.

* 2 Article 17 de la loi n° 2001-5882 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse.

* 3 Article 25 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

* 4 HCEFH, « Rapport relatif à l'accès à l'IVG » (volet 1 : Information sur l'avortement sur Internet ; volet 2 : Accès à l'IVG dans les territoires), 2013.

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