Rapport n° 183 (2016-2017) de Mme Stéphanie RIOCREUX , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 6 décembre 2016

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N° 183

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 décembre 2016

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , relative à l' extension du délit d' entrave à l' interruption volontaire de grossesse ,

Par Mme Stéphanie RIOCREUX,

Sénatrice.

(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon , président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; M. Gérard Dériot, Mmes Colette Giudicelli, Caroline Cayeux, M. Yves Daudigny, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Gérard Roche, Mme Laurence Cohen, M. Gilbert Barbier, Mme Aline Archimbaud , vice-présidents ; Mme Agnès Canayer, M. René-Paul Savary, Mme Michelle Meunier, M. Jean-Louis Tourenne, Mme Élisabeth Doineau , secrétaires ; M. Michel Amiel, Mme Nicole Bricq, MM. Olivier Cadic, Jean-Pierre Caffet, Mme Claire-Lise Campion, MM. Jean-Noël Cardoux, Daniel Chasseing, Olivier Cigolotti, Mmes Karine Claireaux, Annie David, Isabelle Debré, Catherine Deroche, M. Jean Desessard, Mme Chantal Deseyne, M. Jérôme Durain, Mmes Anne Émery-Dumas, Corinne Féret, MM. Michel Forissier, François Fortassin, Jean-Marc Gabouty, Mmes Françoise Gatel, Frédérique Gerbaud, M. Bruno Gilles, Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, MM. Éric Jeansannetas, Georges Labazée, Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Hermeline Malherbe, Brigitte Micouleau, Patricia Morhet-Richaud, MM. Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Mmes Catherine Procaccia, Stéphanie Riocreux, M. Didier Robert, Mme Patricia Schillinger, MM. Michel Vergoz, Dominique Watrin, Mme Évelyne Yonnet .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

4118 , 4245 et T.A. 848

Sénat :

174 et 184 (2016-2017)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Réunie le 6 décembre 2016 sous la présidence de M. Alain Milon , la commission des affaires sociales a examiné le rapport de Mme Stéphanie Riocreux sur la proposition de loi n° 184 (2016-2017), relative à l'extension du délit d'entrave à l'IVG.

La rapporteure a tout d'abord souligné que la proposition de loi a un périmètre limité. Elle ne comporte qu'un seul article dont l'objet est de compléter, pour l'adapter à l'évolution de notre société, le délit d'entrave créé par la loi du 27 janvier 1993.

La rapporteure a ensuite fait état de l'évolution, depuis quelques années, des pratiques d'entrave par pressions psychologiques, qui prennent notamment la forme d'une désinformation par la voie d'Internet et de tentatives insidieuses de dissuasion. Le droit actuel ne permet pas de prendre en compte cette évolution.

La rapporteure a souligné que la rédaction initiale de la proposition de loi pouvait cependant poser problème au regard du respect de la liberté d'expression dans la mesure où la caractérisation du délit était particulièrement large et imprécise. Les modifications apportées par l'Assemblée nationale font subsister un problème d'intelligibilité tout en ne permettant pas pleinement d'atteindre l'objectif poursuivi.

A l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté une nouvelle rédaction, plus recentrée, du dispositif. Le texte de la commission complète la définition du délit d'entrave par pressions morales et psychologiques, en précisant que celles-ci peuvent avoir été exercées par tout moyen à l'encontre des personnes cherchant à s'informer sur l'IVG. Le texte adopté s'en tient aussi aux termes juridiquement nécessaires pour caractériser le délit.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le 1 er décembre dernier, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture la présente proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse. Le texte reprend un amendement du Gouvernement déposé au Sénat le 27 septembre sur le projet de loi « Égalité et citoyenneté », qui n'avait pu être discuté pour des raisons de procédure. Pour l'examen de cette proposition de loi, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée.

Le périmètre de la proposition de loi désormais soumise à l'examen du Sénat est limité ; elle ne comporte qu'un seul article. Son objet est de compléter, pour l'adapter à l'évolution de notre société, les dispositions relatives au délit d'entrave à l'IVG créé par la loi du 27 janvier 1993 1 ( * ) .

I. LA NÉCESSITÉ D'ADAPTER LE RÉGIME JURIDIQUE DU DÉLIT D'ENTRAVE À L'IVG

A. L'ÉVOLUTION DU DÉLIT D'ENTRAVE À L'IVG

Conçue pour éviter les actions « commando » contre les centres pratiquant des IVG, la loi du 27 janvier 1993 définit le délit d'entrave comme le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher une IVG ou les actes préalables à celle-ci, soit en perturbant l'accès aux établissements où elle est pratiquée ou la libre circulation des personnes à l'intérieur de ceux-ci, soit en exerçant des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre des personnels de ces établissements ou des femmes venues y subir une IVG.

Depuis 1993, le champ du délit d'entrave a connu deux élargissements successifs, en particulier pour prendre en compte les pressions psychologiques qui peuvent s'exercer dans un but dissuasif sur les femmes et les professionnels concernés :

- la loi du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse précise ainsi que le délit s'étend au fait de perturber « de quelque manière que ce soit » les conditions de travail des personnels des établissements concernés ainsi qu'au fait d'exercer des « pressions morales et psychologiques » sur les femmes venues y subir une IVG ou « l'entourage de ces dernières » 2 ( * ) ;

- la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes 3 ( * ) élargit quant à elle le champ du délit au fait d'empêcher de « s'informer » sur une IVG ou les actes préalables à celle-ci au sein des structures pratiquant des IVG .

La définition du délit d'entrave à l'IVG selon le droit actuel

Selon le droit aujourd'hui en vigueur, le délit d'entrave à l'IVG inscrit à l'article L. 2223-2 du code de la santé publique est défini comme le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher de pratiquer ou de s'informer sur une IVG ou les actes préalables à celle-ci, par la voie de deux moyens alternatifs :

- soit par une entrave physique , c'est-à-dire le fait de perturber l'accès aux établissements habilités à pratiquer des IVG ou les conditions de travail des personnels médicaux et non-médicaux ;

- soit par une entrave psychologique , c'est-à-dire le fait d'exercer « des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre des personnels médicaux et non-médicaux travaillant dans ces établissements, des femmes venues subir ou s'informer sur une IVG ou de l'entourage de ces dernières ».

Ce délit est assorti d'une peine maximale de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

Selon les données communiquées par le ministère de la justice sur le nombre de condamnations, celles-ci sont peu nombreuses (moins de dix condamnations depuis la loi de 2001), ce qui indique que l'inscription du délit dans la loi donne lieu à des condamnations et revêt un caractère dissuasif.

Depuis quelques années, les pouvoirs publics ont fait le constat d'une évolution des pratiques d'entraves par pressions psychologiques, en particulier sous la forme d'une tendance à la désinformation par la voie d'Internet.

Chacune et chacun peut en effet constater que certains sites Internet, qui mettent en oeuvre une stratégie de référencement destinée à concurrencer les sites publics, se donnent l'apparence de sites institutionnels neutres alors que les informations qu'ils délivrent ne sont que partielles ou tronquées et donc de nature à induire en erreur les internautes. La présentation que font ces sites du recours à l'IVG est biaisée, elle comporte parfois des contre-vérités scientifiques et aucune mention n'est faite des modalités pratiques d'exercice du droit. La volonté des auteurs de ces sites de dissuader les femmes de recourir à l'IVG n'est jamais clairement affichée. Il s'agit de tentatives de dissuasion insidieuses. De plus, plusieurs de ces sites comportent un renvoi vers un numéro vert. Les témoignages sur le recours à ce numéro mettent en évidence des tentatives de dissuasion pouvant occasionner un retard dans la prise de décision, voire une perte de chance au sens médical de cette expression, étant donné les délais stricts dans lesquels l'IVG est possible. Cette situation a été étudiée et documentée par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH) 4 ( * ) . Par ailleurs, des témoignages relayés par les personnes auditionnées par votre rapporteure indiquent que des personnes ayant appelé le numéro vert de certains sites se voient rappeler, parfois même jusque dans la salle d'attente, et subissent ainsi des pressions psychologiques.

Dans ses travaux, le Haut Conseil souligne que « si les détracteurs du droit à l'avortement n'hésitaient pas par le passé à dire publiquement leur opposition frontale à ce droit des femmes, relevons que maintenant que la société française s'est très largement appropriée ce droit, les stratégies des anti-choix ont dû s'adapter. C'est ainsi que les organisations et militant-e-s anti-choix se sont progressivement concentrés sur le terrain de l'information en matière d'IVG sur Internet. Leur objectif est d'entraver indirectement le droit à l'avortement par une information qui, derrière l'apparence de la neutralité, cherche systématiquement à décourager les femmes d'exercer leur droit à l'avortement ».

Les constats du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes sur le risque d'entrave à l'IVG par la voie d'Internet

Les travaux du HCEFH permettent de formuler trois principaux constats s'agissant des enjeux soulevés par la nécessité de garantir à tous l'accès à une information objective sur l'IVG dans un contexte où se développent des sites Internet délivrant une information, soit biaisée, soit hostile à la pratique de l'IVG.

1. La place centrale d'Internet dans la recherche d'informations sur la santé

Le Haut Conseil rappelle tout d'abord que si un tiers de la population française a recours à Internet pour s'informer sur des questions relatives à la santé , « l'usage d'Internet dans la recherche d'information de santé est le plus fort pour les tranches d'âge ayant un taux de recours à l'IVG plus fort ». Il souligne que la qualité des informations disponibles sur Internet apparaît « très hétérogène, parcellaire, et parfois erronée ». Il émet l'hypothèse que l'usage d'Internet concernant l'IVG est encore plus fréquent dans la mesure où « la parole sociale sur le sujet demeure encore difficile ».

2. Des sites « anti-IVG » qui tirent parti d'une grande visibilité liée à de meilleurs référencements

Le HCEFH souligne en outre que « les sites Internet des organisations anti-IVG occupent notamment les premières places en termes de référencement dans les moteurs de recherche » et devancent ainsi notamment les sites institutionnels.

3. Des sites d'apparence neutre délivrant des informations fallacieuses

Il insiste enfin sur l'apparence quasi-institutionnelle de ces sites qui s'adressent à toutes les personnes en quête d'informations sur l'IVG et qui « donnent l'illusion d'un point de vue et d'une rédaction officiels ». Cette illusion est également entretenue par la présence d'un numéro vert renvoyant à l'existence d'un « centre national d'écoute anonyme et gratuit ». Il renvoie à la possibilité de mettre en évidence un faisceau d'indices indiquant un positionnement contre le droit à l'avortement, reflété dans l'iconographie et le champ lexical utilisés (nombreuses images de femmes inquiètes, utilisation de termes anxiogènes).

Il relève une utilisation des sources « de manière malhonnête » dans la mesure où « ces sites détournent les propos issus de sources scientifiques pour servir leur propre positionnement ».

Il indique qu'il n'y est généralement pas fait mention des adresses des centres IVG, ni de leurs coordonnées. « L'information la plus valorisée est basée sur les témoignages reçus, dont la tonalité affiche relativement clairement le positionnement du site ».

Enfin, le Haut Conseil s'inquiète des « moyens alloués significatifs » dont disposent ces sites soutenus par une « mobilisation militante ».

B. LA POSITION DE LA COMMISSION

La loi du 27 janvier 1993 a pour objet de réprimer les comportements dont l'objectif est d'empêcher les femmes d'accéder à ce qui est, depuis 1975, reconnu par la loi comme un droit. La proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave n'a pas pour objet d'assouplir cet encadrement mais de garantir que l'accès à ce droit soit respecté , en adaptant les dispositions existantes à l'évolution des modes de communication depuis vingt-ans et spécialement à la recherche d'informations sur Internet.

Bien qu'ayant un périmètre limité, la rédaction initiale de la proposition de loi pouvait poser problème au regard du respect de la liberté d'expression. La caractérisation du délit était en effet particulièrement large et imprécise. Il y était question de diffusion ou de transmission « par tout moyen, notamment par des moyens de communication au public par voie électronique ou de communication au public en ligne, des allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales » d'une IVG.

L'Assemblée nationale a apporté plusieurs modifications, visant notamment à éviter ce problème de constitutionnalité, en proposant une nouvelle rédaction du texte.

Cependant, cette rédaction revient à considérer que les pressions psychologiques peuvent constituer une entrave physique, ce qui peut nuire à l'intelligibilité de la disposition. Le travail parlementaire doit se poursuivre et atteindre l'objectif poursuivi par la proposition de loi ne nécessite en fait que très peu de changements par rapport au droit existant . C'est pourquoi la commission a adopté, à l'initiative de la rapporteure, un amendement qui complète les dispositions relatives au délit d'entrave par pressions morales et psychologiques, en précisant que celles-ci peuvent avoir été exercées par tout moyen à l'encontre des personnes cherchant à s'informer sur une IVG.

II. UN DISPOSITIF QUI FAIT PARTIE D'UNE POLITIQUE GLOBALE

Le développement des modes d'entrave à l'exercice du droit à l'IVG s'adapte à l'évolution des comportements en matière d'information sur la sexualité, la contraception et sur l'IVG. Il faut lutter contre les pressions psychologiques que peuvent exercer les sites Internet créés aux fins d'empêcher la réalisation de l'IVG ou l'information sur celle-ci ; mais il faut aussi continuer à agir positivement pour permettre l'information sur les droits des femmes et l'accès matériel aux moyens de prise en charge.

Ceci dépasse évidemment le cadre ponctuel de la proposition de loi. L'analyse des politiques publiques qui ont déjà été ou vont être mises en oeuvre est cependant nécessaire. Cette politique est aussi une politique de santé publique. En effet, par la loi du 4 juillet 2001 5 ( * ) , qui inscrit le droit à l'IVG dans le code de la santé publique, et celle du 9 août 2004 6 ( * ) , qui a inscrit le champ de la contraception et de l'IVG parmi les domaines de la santé publique, le législateur a positionné la question de l'IVG comme un enjeu sanitaire majeur .

Plusieurs personnes, notamment lors des auditions conduites par votre rapporteure, ont insisté sur le fait que l'accès à l'IVG est d'abord une question de moyens. A cet égard, il convient de souligner que des progrès importants ont été accomplis, notamment pour la diffusion de l'information officielle sur Internet.

A. LA MISE EN PLACE DU NUMÉRO VERT NATIONAL 0 800 08 11 11

Ainsi, le numéro vert national anonyme et gratuit dont la création était préconisée par la HCEFH a été mis en place en septembre 2015. Il permet d'informer les personnes sur la sexualité, la contraception et l'IVG. Au bout d'un an, ce dispositif a montré son intérêt, avec environ 2 000 appels par mois, en provenance majoritairement de femmes âgées de 18 à 36 ans.

La gestion de cette plateforme nationale a été confiée par le ministère au Mouvement français du planning familial (MFPF) qui y a intégré l'ensemble de ses plateformes régionales. L'articulation entre le niveau régional et le niveau national permet tout à la fois de fournir une amplitude horaire correspondant aux besoins et une information de proximité, adaptée aux réalités de l'organisation des soins sur le territoire.

Le suivi précis de l'activité du numéro vert par son comité de pilotage permet de savoir que, sur la période de janvier à octobre 2016, près d'un tiers des appels concernaient la contraception et 45 % l'IVG. Sur ce sujet, le cahier des charges mis en place par le MFPF pour garantir la qualité des plateformes régionales intégrant le numéro national consacre des principes éthiques. Ainsi, la qualité de l'information donnée est essentielle mais aucun appel ne doit dépasser vingt minutes et les personnes ayant appelé ne sont jamais rappelées. Toute interaction se fait à l'initiative de celles et ceux qui appellent. Les personnes dont le besoin d'information dépasse la capacité de réponse du numéro vert sont orientées, au-delà de vingt minutes, vers les entretiens personnels dans les structures adaptées. Surtout, l'information donnée porte sur les droits des personnes et les moyens mis en place par les pouvoirs publics pour leur exercice.

Le fonctionnement du numéro vert national est donc un point positif et il doit être renforcé . En effet, selon les régions, les ARS et les collectivités locales peuvent décider ou non d'appuyer les plateformes d'information dédiées ou se reposer simplement sur l'information donnée par les services hospitaliers. Or, aucun de ces services n'a fait la demande d'intégrer le numéro vert national, ce qui entraîne, pour ceux qui les appellent, un écart important en termes de qualité de la réponse donnée. La disparité des moyens alloués au planning familial soulève un problème à l'égard de l'égalité d'accès sur le territoire.

B. L'INFORMATION EN SANTÉ SUR INTERNET

Des progrès, incontestablement, ont donc été accomplis ; d'autres restent à accomplir. Cela est vrai de l'ensemble de l'information en matière de santé sur Internet. En effet, selon les dernières statistiques disponibles sur le recours au numéro vert national, 64 % des personnes ayant appelé le numéro en ont eu connaissance sur Internet. Plus largement, d'après le dernier baromètre santé de l'Inpes (2014), deux-tiers des Français consultent Internet pour des questions de santé avec des comportements qui peuvent sembler paradoxaux.

En effet, « seulement 32 % des internautes jugent l'information sur Internet « tout à fait crédible » en 2014, contre 18 % en 2010. 48 % déclarent ne pas savoir sur quel site ils ont trouvé de l'information lors de leur dernière recherche. 9 % citent un moteur de recherche, 26 % Doctissimo, 6 % Wikipedia, 6 % également les sites institutionnels, paradoxalement peu utilisés, mais jugés plus crédibles que les autres sites 7 ( * ) . » Cette situation renvoie plus globalement aux enjeux en termes d'éducation à l'usage d'Internet.

Dans ce contexte, le référencement des sites officiels par les moteurs de recherche est un enjeu de première importance pour tous les sujets liés à la santé . Au-delà du référencement dit « naturel » des sites publics, les acteurs institutionnels ont mis en place des stratégies actives d'optimisation du référencement qui les placent à égalité d'armes avec les acteurs privés cherchant à diffuser un autre message. La délégation à l'information et à la communication des ministères en charge des affaires sociales se trouve au coeur de ces problématiques. Le site www.ivg.gouv.fr lancé en 2013 à partir des informations contenues sur les sites publics pré-existants a déjà atteint la première place du référencement des sites en matière d'IVG par le moteur de recherche Google. Un autre site public se trouve en troisième position.

Les informations données à votre rapporteure tendent aussi à montrer que la présentation matérielle des informations sur les sites publics y compris les chartes graphiques - est en cours d'évolution pour être à la fois plus attractive et plus adaptée aux besoins des internautes.

La question d'une labellisation des sites diffusant des informations en matière de santé sur Internet a à nouveau été posée lors des auditions de votre rapporteure. Dans cette optique, elle a demandé à la Haute Autorité de santé (HAS), qui est en charge de ces questions, de faire le point sur ce sujet. Il en ressort qu'une labellisation serait très coûteuse, mais que son impact serait faible, compte tenu de la réalité des comportements de recherche sur Internet et de la facilité pour les sites non labellisés d'évoluer.

L'évolution de la politique publique en matière de certification des sites Internet en matière de santé : le rôle de la Haute Autorité de santé

1. La HAS a mis fin en 2013 au partenariat avec la fondation HON, estimant après quelques années d'expérience la certification peu utile aux Internautes

La loi du 13 août 2004 8 ( * ) créant la HAS lui a confié la mission d'établir la procédure de certification des sites Internet dédiés à la santé (article L. 161-38 du code de la sécurité sociale). De 2007 à 2013, la fondation HON (Health On the Net) a assuré pour le compte de la HAS la mission de certification des sites Internet français dans le domaine de la santé en vérifiant le respect des principes de transparence et de bonne pratique éditoriale. Ce partenariat n'a pas été reconduit parce que le principe de certification s'est avéré, après bilan, peu utile pour les internautes et parfois trompeur.

La certification était peu utile, tout d'abord, car peu connue. Après enquête, seulement quelques pourcents des internautes grand public et professionnels en avaient connaissance.

L'utilité de la certification était faible, ensuite, car elle ne jouait aucun rôle d'orientation pour la majorité des internautes. En pratique, ceux-ci croisent fréquemment les informations et cherchent des interlocuteurs dans la même situation qu'eux, mais font rarement reposer leurs décisions sur des labels qualité.

Enfin, le label pouvait s'avérer trompeur, les internautes pensant y voir une validation des contenus. Or, aucune certification ne peut donner de garanties sur la qualité du contenu des sites : les contenus sont nombreux, évolutifs, et pas forcément évaluables .

Il a donc paru préférable de renoncer à confier à la HAS un travail de labellisation de l'information sur Internet.

2. Le choix d'un service public d'information en santé pour apporter une autre forme de réponse à la problématique de l'information en santé sur Internet

L'article 88 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé marque un tournant. Il a placé la HAS au coeur de la mise en oeuvre d'un service public d'information en santé. L'article prévoit en effet que :

« Un service public, placé sous la responsabilité du ministre chargé de la santé, a pour mission la diffusion gratuite et la plus large des informations relatives à la santé et aux produits de santé, notamment à l'offre sanitaire, médico-sociale et sociale auprès du public. Les informations diffusées sont adaptées et accessibles aux personnes handicapées. Il est constitué avec le concours des caisses nationales d'assurance maladie, de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, des agences et des autorités compétentes dans le champ de la santé publique et des agences régionales de santé. »

Ce service public d'information en santé a en particulier pour ambition de proposer aux internautes une information en santé de référence, identifiable comme telle. La HAS met à disposition du service public d'information en santé ses contenus destinés au grand public et participe aux instances de gouvernance de ce projet piloté par le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales.

Plutôt que de tenter de labelliser l'information en santé sur Internet il s'agit de mettre à disposition des internautes des sources publiques fiables, identifiables et actualisées qui ont vocation à servir de référence.

C. L'ACCÈS À L'IVG

Outre la question de l'information, c'est la question des moyens mis en oeuvre qui doit être abordée. Le 16 janvier 2015, la ministre de la santé et la secrétaire d'Etat aux droits des femmes annonçaient un programme national d'action pour améliorer l'accès à l'IVG en France . Les mesures qu'il comporte s'inscrivent dans la lignée de l'amélioration continue de la prise en charge sociale et des mesures de recours au droit prises depuis plusieurs années. Le 15 janvier 2016, un premier bilan de ce programme a été présenté par la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Ce bilan a été l'occasion d'annoncer que « la prise en charge à 100 % de l'ensemble du parcours IVG (soit, outre l'acte en lui-même, déjà intégralement remboursé depuis 2013 : les consultations, les examens de biologie médicale et les échographies pré et post IVG) entrer(ait) en vigueur au 1 er avril 2016. »

Les axes du programme national d'action pour améliorer l'accès à l'IVG

Axe 1 - Mieux informer les femmes sur leurs droits

1. Un numéro national d'appel sur la sexualité, la contraception et l'IVG

2. Une campagne nationale d'information

Axe 2 - Simplifier et améliorer le parcours des femmes

3. Une amélioration de la prise en charge financière de l'IVG

4. La formalisation d'une procédure pour les IVG entre 10 et 12 semaines de grossesse

Axe 3 - Garantir une offre diversifiée sur tout le territoire

5. La formalisation d'un plan pour l'accès à l'avortement dans chaque région

6. La possibilité pour les centres de santé de réaliser des IVG instrumentales

7. Faciliter le recrutement des praticiens contractuels dans les établissements

8. Mettre en place une commission sur les données et la connaissance de l'IVG

La huitième mesure du programme prévoyait la mise en place d'une commission sur les données et les connaissances disponibles en matière d'IVG. Celle-ci a rendu son premier rapport le 27 juillet dernier. Elle constate que le nombre d'IVG est relativement stable en France depuis dix ans et que l'accès à l'IVG est dans l'ensemble satisfaisant mais que des difficultés persistent. Le déploiement par les ARS, en application de la loi de modernisation de notre système de santé, de plans d'actions régionaux dédiés devrait permettre de répondre à certaines de ces difficultés. En effet, l'article 38 de cette loi a inséré un article L. 1434-7 dans le code de la santé publique qui dispose que : « Dans chaque région, un plan d'action pour l'accès à l'interruption volontaire de grossesse est élaboré par l'agence régionale de santé, en prenant en compte les orientations nationales définies par le ministre chargé de la santé ». Ces programmes s'appuient pour partie sur des dispositifs existant comme le programme « Favoriser la réduction des inégalités d'accès à l'avortement » (FRIDA) élaboré par l'ARS Ile-de-France pour la période 2014-2017, à la suite d'un rapport réalisé en 2012. L'ensemble des programmes régionaux devrait être connu d'ici la fin de l'année. Votre commission sera particulièrement attentive aux moyens mis en oeuvre dans ce cadre.

Certaines pratiques contraires à la loi doivent être mieux identifiées et condamnées . Ainsi, à l'occasion de la journée mondiale du droit à l'avortement le 28 septembre dernier, une campagne de « testing » sur l'accès à l'IVG a été annoncée par le ministère. Elle devrait se dérouler actuellement.

Le « testing » en matière d'accès à l'IVG

Les opérations de « testing » annoncées le 28 septembre prendront la forme suivante : « dès le mois de décembre 2016, des opérations de seront réalisées afin d'identifier d'éventuelles difficultés d'accès à l'IVG : délais de recours, niveau d'information délivré aux femmes au moment de la prise de rendez-vous, accueil réservé. Des questionnaires anonymes viendront compléter cette enquête. Ces dispositifs permettront d'évaluer la réalité de l'accès à l'IVG en France et de mesurer l'efficacité des actions engagées dans le cadre du Programme national ».

Cette forme de « testing » n'est pas identique à celle qui est utilisée dans les procédures judiciaires en matière de discrimination. Après que la Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 11 juin 2002, les preuves établies par voie de testing, le législateur a consacré cette possibilité pour les délits en matière de discriminations, en introduisant 9 ( * ) dans le code pénal un article 225-3-1 qui dispose que : « Les délits prévus par la présente section sont constitués même s'ils sont commis à l'encontre d'une ou plusieurs personnes ayant sollicité l'un des biens, actes, services ou contrats mentionnés à l'article 225-2 dans le but de démontrer l'existence du comportement discriminatoire, dès lors que la preuve de ce comportement est établie ».

S'agissant des numéros verts auxquels renvoient les sites Internet non publics consacrés à l'IVG, plusieurs journalistes ont fait état des appels qu'ils ont pu passer et des pressions qui s'exercent à cette occasion sur les personnes qui appellent pour s'informer. La mise en place d'un dispositif de « testing » (au sens du droit pénal) de ces lignes d'appel pourrait être utile.

Par ailleurs, les pratiques doivent évoluer, comme le montrent les défauts de prise en charge de la douleur lors des IVG médicamenteuses pointés par une étude de la Fondation de l'Avenir publiée le 18 novembre 10 ( * ) à l'occasion de laquelle les déclarantes insistent sur une certaine solitude ressentie lors de cette intervention , voire une culpabilité pour certaines, ainsi qu'un manque d'information sur les effets secondaires liés au traitement comme l'intensité des saignements. Par ailleurs, les personnes auditionnées ont souligné que le droit des femmes à choisir leur méthode d'IVG n'est pas partout respecté et qu'elles se voient parfois imposer un choix par le médecin.

La question du droit des femmes à disposer de leur corps et celle de l'accès à l'IVG dépassent le cadre de la proposition de loi soumise à notre examen. Elle trouve cependant sa place au sein de ces enjeux toujours d'actualité en France comme en Europe et dans le monde.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique (art. L. 2223-2 du code de la santé publique) Extension du délit d'entrave à l'information sur l'IVG

Objet : Cet article élargit le délit d'entrave psychologique à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) au fait de communiquer, par tout moyen et dans un but dissuasif, des allégations sur les IVG ou leurs conséquences avec l'objectif d'induire intentionnellement en erreur.

I - Le dispositif proposé

L'article L. 2223-2 du code de la santé publique comporte trois alinéas.

Le premier alinéa définit le délit d'entrave à l'IVG comme le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher de pratiquer ou de s'informer sur une IVG ou les actes préalables à celles-ci par deux moyens alternatifs qui sont détaillés aux deux alinéas suivants :

- soit par une entrave physique (alinéa 2) : le fait de perturber « de quelque manière que ce soit l'accès aux établissements » habilités à pratiquer des IVG, « la libre circulation des personnes à l'intérieur de ces établissements ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux » ;

- soit par une entrave psychologique (alinéa 3) : le fait d'exercer « des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans ces établissements, des femmes venues y subir ou s'informer sur une interruption volontaire de grossesse ou de l'entourage de ces dernières ».

Dans les deux cas, la constitution du délit suppose l'existence d'une entrave dans le cadre de l'activité des établissements habilités à pratiquer des IVG.

Le délit est puni de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.

Le dispositif proposé par la proposition de loi, dans sa version initiale, complète l'article L. 2223-2 par un nouvel alinéa qui institue un troisième moyen alternatif permettant de sanctionner le délit d'entrave en dehors des établissements habilités à pratiquer des IVG : le délit d'entrave serait ainsi élargi au fait de diffuser ou de transmettre « par tout moyen » , c'est-à-dire y compris sur Internet , des allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales d'une interruption volontaire de grossesse ou à exercer des pressions psychologiques sur les femmes s'informant sur une interruption volontaire de grossesse ou sur l'entourage de ces dernières ».

II - Les modifications apportées par l'Assemblée nationale

A l'initiative de la rapporteure, notre collègue Catherine Coutelle, l'Assemblée nationale a intégralement réécrit, en commission puis en séance, l'article unique de la proposition de loi.

• Le dispositif adopté par la commission des affaires sociales consistait à compléter la définition de l'entrave psychologique prévue au dernier alinéa de l'article L. 2223-2. Le délit aurait ainsi été constitué par toute action visant à empêcher ou tenter d'empêcher de pratiquer ou de s'informer sur une IVG ou les actes préalables à celle-ci en exerçant des pressions, menaces ou intimidation à l'encontre des femmes venues subir une IVG dans les établissements concernés « par tout moyen de communication au public, y compris en diffusant ou en transmettant par voie électronique ou en ligne, des allégations, indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales » d'une IVG.

• La rédaction finalement adoptée en séance publique complète le premier alinéa de l'article L. 2223-2. Le délit d'entrave est ainsi défini comme « le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher de pratiquer ou de s'informer sur une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables prévus par les articles L. 2212-3 à L. 2212-8 par tout moyen, y compris en diffusant ou en transmettant par voie électronique ou en ligne, des allégations, indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d'une interruption volontaire de grossesse ».

III - La position de votre commission

Votre commission estime que le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale ne donne pas pleine satisfaction.

Il est en effet encore susceptible de soulever un problème d'intelligibilité . Les modifications adoptées en séance ont conduit à combiner dans une même phrase la précision sur l'intention des auteurs du délit et celle des moyens par lesquels ce délit peut être constitué. Or, dans un souci de clarté des dispositions législatives de caractère pénal, il convient de bien distinguer ces deux éléments. C'est d'ailleurs ce que fait l'article L. 2223-2 tel qu'il est aujourd'hui en vigueur.

La rédaction retenue par l'Assemblée nationale au premier alinéa de l'article L. 2223-2 a en outre pour conséquence d'introduire certaines redondances . Il y est, en particulier, fait référence au « but dissuasif » des allégations et indications diffusées ou transmises par voie électronique ou en ligne alors que ce même alinéa définit justement le délit d'entrave par le fait « d'empêcher ou de tenter d'empêcher de pratiquer ou de s'informer » sur une IVG.

De plus, la rédaction ne permet pas totalement d'atteindre l'objectif poursuivi . Elle vise uniquement les pressions s'exerçant sur les seules femmes s'informant dans les centres pratiquant des IVG et pas les autres.

L'énumération des moyens, conservée par l'Assemblée nationale, n'est pas nécessaire juridiquement . Comme toute énumération, elle court le risque soit de contradictions, soit d'oublis. L'expression « par tout moyen » apparaît suffisante pour permettre au juge de faire son travail d'appréciation en s'appuyant si nécessaire sur les débats parlementaires.

Votre commission considère que pour atteindre l'objectif poursuivi par la proposition de loi, peu de changements sont en fait à apporter à l'actuel article L. 2223-2. A l'initiative de sa rapporteure, elle a adopté l'amendement COM-4 qui ne change pas la définition du délit en ce qui concerne l'objectif poursuivi par les auteurs de l'infraction (« empêcher ou tenter d'empêcher de pratiquer ou de s'informer sur une IVG ») mais qui précise les moyens par lesquels peuvent s'exercer les pressions morales et psychologiques.

Le texte adopté complète ainsi le dernier alinéa de l'article L. 2223-2 de manière à préciser que le délit d'entrave peut être constitué « en exerçant, par tout moyen , des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre des personnes cherchant à s'informer sur une interruption volontaire de grossesse , des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les établissements mentionnés au même article L. 2212-2, des femmes venues y subir une interruption volontaire de grossesse ou de l'entourage de ces dernières ».

Cette rédaction permet d'écarter toute ambiguïté sur le fait que la communication par voie électronique fait bien partie intégrante des moyens par lesquels peuvent s'exercer des pressions psychologiques ou morales.

De plus, la rédaction permet de préciser que toute personne cherchant à s'informer sur l'IVG, notamment sur Internet, peut être reconnue victime de ces pressions. Il ne s'agit donc pas seulement des femmes venant s'informer dans les centres.

Enfin, la rédaction adoptée par la commission ne change pas les termes dans lesquels la liberté d'expression est aujourd'hui conciliée avec l'infraction. L'objet du délit ne change pas : il s'agit toujours d'empêcher ou de tenter d'empêcher la réalisation ou l'information sur une IVG.

Le texte adopté s'en tient aux termes juridiquement nécessaires pour caractériser le délit.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mardi 6 décembre 2016, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'examen du rapport sur la proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse.

M. Alain Milon , président . - Je salue la présence de Mme Frédérique Gerbaud, qui remplace Louis Pinton. Je lui souhaite la bienvenue au sein de notre commission. Le rapporteur pour avis de la commission des lois, M. Michel Mercier, et la présidente de la délégation aux droits des femmes, sont également parmi nous.

Mme Stéphanie Riocreux , rapporteure . - La proposition de loi qui nous est soumise a été déposée le 23 novembre dernier à l'Assemblée nationale, qui l'a adoptée en première lecture le 1 er décembre. Elle reprend un amendement gouvernemental déposé au Sénat le 27 septembre sur le projet de loi Égalité et citoyenneté, qui n'avait pu être discuté pour des raisons de procédure.

Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte. Le contexte pré-électoral a pu contribuer à tendre les débats dans les médias, puis à l'Assemblée nationale. La présente proposition de loi a pourtant un périmètre limité. Elle comporte un seul article. Son objet est de compléter, pour l'adapter à l'évolution de notre société, la disposition relative au délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), créé par la loi du 27 janvier 1993.

Afin de garantir aux femmes l'accès à ce droit fondamental, le cadre du délit d'entrave a évolué. Il a été renforcé par la loi du 4 juillet 2001, qui a ajouté la notion de pressions morales et psychologiques aux menaces et actes d'intimidation sanctionnés dès 1993 et en a alourdi la sanction. Il a été élargi par la loi du 4 août 2014, qui a sanctionné également les actions visant à empêcher l'accès à l'information au sein des structures pratiquant l'IVG. Ainsi, le délit d'entrave inscrit à l'article L. 2223-2 du code de la santé publique est défini comme le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher de pratiquer une IVG ou de s'informer sur celle-ci.

À ce titre, on distingue deux types d'entrave : d'une part l'entrave physique, c'est-à-dire le fait de perturber l'accès aux établissements habilités à pratiquer des IVG ou les conditions de travail des personnels médicaux et non-médicaux ; d'autre part l'entrave par pressions psychologiques, c'est-à-dire le fait d'exercer « des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre des personnels médicaux et non-médicaux travaillant dans ces établissements, des femmes venues y subir ou s'informer sur une IVG ou de l'entourage de ces dernières ». Ce délit est assorti d'une peine maximale de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

Ce que réprime le code de la santé publique, c'est bien le fait d'empêcher les femmes d'accéder à ce qui est reconnu par la loi comme un droit. Je me dois de rappeler qu'il s'agit d'un droit particulièrement encadré. Le texte soumis à notre examen n'a pas pour objet d'assouplir cet encadrement mais de garantir que l'accès à ce droit soit respecté. Il s'agit de trouver un point d'équilibre pour que la liberté de s'opposer à l'IVG n'entrave pas la liberté d'y recourir.

Depuis quelques années, une évolution des pratiques d'entraves par pressions psychologiques a été mise au jour. Aujourd'hui, ces pratiques prennent notamment la forme d'une désinformation par la voie d'Internet. Cette situation a été étudiée en particulier par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH). En 2013, sur saisine de la secrétaire d'État aux droits des femmes, le Conseil a dressé un état des lieux de l'accès à l'IVG sur le territoire, notamment de l'information dispensée sur Internet. Parmi les recommandations figurait la mise en place d'un site Internet institutionnel dédié ainsi que d'un numéro de téléphone national anonyme et gratuit. Ce fut chose faite en 2015 avec la création du site www.ivg.gouv.fr et la mise en service du numéro vert 0 800 08 11 11.

Certains sites Internet mettant en oeuvre une stratégie de référencement destinée à concurrencer les sites publics se donnent l'apparence de sites institutionnels neutres mais fournissent des informations partielles ou tronquées, donc de nature à induire en erreur les internautes. La présentation que ces sites font du recours à l'IVG est biaisée. Elle comporte parfois des contre-vérités scientifiques ; aucune mention n'y est faite des modalités pratiques d'exercice du droit. La volonté de dissuader les femmes de recourir à l'IVG n'est jamais clairement affichée. Il s'agit de tentatives de dissuasion insidieuses.

De plus, plusieurs de ces sites comportent un renvoi vers un numéro vert. Le coeur du problème est bien là. Naviguer sur différents sites Internet à la recherche d'informations est une chose, l'internaute ne peut être a priori considéré comme étant réellement « captif », même si l'étude menée par le HCE nous indique qu'Internet est souvent la première source d'information en matière de santé, particulièrement pour les plus jeunes. Parmi les 15-30 ans, plus de 57 % de femmes et 40 % d'hommes utilisent Internet pour se renseigner sur des questions relatives à la santé ; 80 % des jeunes qui y ont recours jugent crédibles les informations recueillies, sans vérifier l'origine des sites ni la fiabilité de ceux qui les  alimentent. La question de l'entrave se pose précisément lorsque l'internaute, alors qu'il  cherchait des renseignements sur un site d'apparence neutre, se trouve en contact individuel avec un interlocuteur à propos duquel des témoignages mettent en lumière des tentatives de dissuasion. Pour les femmes, celles-ci peuvent entraîner, à travers une perte de temps et avec des méthodes proches du harcèlement, une perte de chance au sens médical du terme, étant donné les délais stricts dans lesquels l'IVG est possible.

Bien qu'ayant un périmètre limité, la rédaction initiale de la proposition de loi a soulevé le problème du respect de la liberté d'expression. En effet, la caractérisation du délit était particulièrement large. Il y était question de diffusion ou de transmission « par tout moyen, notamment par des moyens de communication au public par voie électronique ou de communication au public en ligne, des allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales » d'une IVG.

L'Assemblée nationale a apporté plusieurs modifications, visant notamment à éviter ce problème de constitutionnalité, en proposant une nouvelle rédaction du texte. Toutefois, la version adoptée par les députés revient à considérer que les pressions psychologiques peuvent constituer une entrave physique, ce qui peut nuire à l'intelligibilité de la disposition.

À mon sens, pour atteindre le but visé à travers cette proposition de loi, très peu de changements sont, en fait, nécessaires par rapport au droit existant. La loi de 1993 a été conçue pour empêcher les actions « commando » menées à l'époque contre les centres pratiquant des IVG. Il nous revient d'adapter ces dispositions à l'évolution des modes de communication, en particulier à la recherche d'informations sur Internet. Je vous proposerai une rédaction plus recentrée : mon amendement tend simplement à compléter les dispositions relatives au délit d'entrave par pressions morales et psychologiques, en précisant que celles-ci peuvent avoir été exercées par tout moyen à l'encontre des personnes cherchant à s'informer sur une IVG.

J'entends ceux qui, notamment parmi les personnes que j'ai auditionnées, insistent sur le fait que l'accès à l'IVG reste d'abord une question de moyens. À cet égard, la dynamique des politiques de santé publique a permis des progrès très importants au cours de ces dernières années.

Les recommandations du Haut Conseil ont été pour la plupart mises en oeuvre, pour ce qui concerne la prévention et l'accès à l'information sur l'ensemble du territoire, ou la diffusion de l'information officielle sur Internet.

Le numéro vert national, dont la gestion a été confiée au Mouvement français du planning familial, permet de diffuser des informations objectives en s'appuyant sur l'ensemble des acteurs locaux au niveau régional afin de garantir aux personnes un parcours simplifié et fiable vers l'information et l'accès au droit.

Ces progrès, incontestablement, doivent être poursuivis pour améliorer le référencement des sites officiels sur les moteurs de recherche et pérenniser l'effort de communication au grand public.

Dans cette perspective, j'ai demandé à la Haute Autorité de santé (HAS), qui est en charge de ces questions, un bilan quant aux possibilités de recourir à la labellisation des sites Internet diffusant des informations en matière de santé. Il ressort de ce travail que l'impact d'une labellisation serait faible et particulièrement coûteuse compte tenu de la réalité des comportements de recherche sur Internet et de la facilité qu'ont les sites non labellisés à évoluer.

Le sujet qui nous occupe aujourd'hui porte sur un point juridique très précis, qui appelle de notre part une réponse législative.

M. Michel Mercier , rapporteur pour avis de la commission des lois . - Je le conçois, il peut sembler incongru qu'un homme s'exprime sur le sujet.

Mme Nicole Bricq . - Pas du tout !

Mme Catherine Génisson . - Pour faire un enfant, il faut être deux !

Mme Nicole Bricq . - C'est un sénateur de droite qui a fait voter la loi sur la contraception.

M. Michel Mercier , rapporteur pour avis . - Quoi qu'il en soit, je m'en tiendrai à des considérations d'ordre juridique. C'est la raison de la saisine pour avis de la commission des lois. La loi de 1975 a créé un droit individuel pour les femmes : la liberté de recourir ou non à l'IVG, dans des conditions clairement définies. Immédiatement, on a pu constater qu'il était difficile de rendre ce droit effectif. Il a fallu que la législation aille plus loin et, en 1993, le délit d'entrave à l'IVG a été créé ; il a été revu en 2001 et 2014.

Ce délit se caractérise par le fait que sa commission intervient en lien avec un établissement pratiquant l'IVG, par exemple des manifestations devant la porte d'entrée, empêchant les femmes d'accéder au service dans lequel elles se rendent. Par la suite, la définition a été élargie pour tenir compte des pressions morales ou psychologiques exercées sur les intéressées et sur leur entourage.

Le présent texte étend ce délit d'entrave aux publications sur Internet. Il s'agit d'une profonde innovation. Cette proposition de loi a une histoire, que Mme la rapporteure a fort bien rappelée et sur laquelle je n'insisterai pas. Je constate simplement que le résultat est, en définitive, difficile à comprendre. Il appelle tout d'abord deux grandes critiques d'ordre constitutionnel.

Premièrement, ce texte contrevient aux règles inhérentes au droit pénal général, qu'il s'agisse du principe d'intelligibilité de la loi ou du principe d'incrimination légale figurant dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Nullum crimen, nulla poena sine lege ; le principe de légalité n'est ici pas réellement respecté car les infractions ne sont pas définies de manière suffisamment claire pour exclure l'arbitraire. J'ajoute que la rédaction issue des débats en séance publique à l'Assemblée nationale - contrairement à la rédaction de sa commission - est particulièrement inintelligible ; elle porte atteinte au principe de clarté de la loi pénale. Elle pose problème enfin au regard de la nécessité et de la proportionnalité des peines : les sanctions qu'elle prévoit sont particulièrement lourdes et bien supérieures aux sanctions encourues pour incitation à la haine, par exemple.

Deuxièmement, ce texte contrevient à la liberté d'expression, laquelle est garantie par l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Je rappelle que la liberté d'expression ne peut connaître de limitation que lorsqu'elle met en cause l'ordre public. Je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel en date du 11 octobre 1984 : « La liberté d'expression est une liberté fondamentale d'autant plus précieuse que son exercice est l'une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés de la souveraineté nationale. Dès lors, la loi ne peut en réglementer l'exercice qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d'autres règles ou de principes de valeur constitutionnelle. Les atteintes nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi sont seules recevables. » Or, le délit d'entrave intellectuelle à l'IVG, tel qu'il est défini pour l'heure dans cette proposition de loi, ne semble viser aucun objectif ou traduire aucun principe de valeur constitutionnelle.

Au surplus, cette proposition de loi pose problème au regard du droit européen. L'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme précise bien que tous les points de vue peuvent être exprimés, même s'ils heurtent, choquent ou inquiètent. Je vous renvoie à la décision Observer et Guardian contre Royaume-Uni rendue par la Cour de Strasbourg en 1991. On a le droit de défendre une opinion, même fausse. En effet, la liberté d'expression est par définition globale et complète. Je le répète, le seul critère impératif en la matière est de ne pas porter atteinte à l'ordre public. En l'occurrence, nous sommes donc face à une forme d'ingérence de l'autorité publique. En définitive, le présent texte me paraît à la fois inconstitutionnel et inconventionnel.

Mme Chantal Jouanno , présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes . - Avant tout, je tiens à remercier M. le président de la commission d'avoir bien voulu saisir notre délégation de cette proposition de loi.

La délégation aux droits des femmes se penche régulièrement sur le sujet de l'IVG : en témoignent notre rapport relatif aux liens entre droits des femmes et laïcité, adopté en octobre 2016, et notre rapport relatif à la santé des femmes, adopté en 2015. Nous avons pu observer le grave problème des moyens alloués : 130 centres pratiquant l'IVG ont fermé en dix ans. Les IVG se concentrent désormais sur un nombre limité d'établissements : 5 % des centres pratiquent 27 % des IVG en France. De plus, nous avons observé le grave manque de moyens dont souffre la communication officielle.

Au début de l'année 2013 - le débat n'est donc pas récent - le Haut Conseil à l'égalité entre les hommes et les femmes s'est inquiété de l'émergence de sites Internet tendant à entraver l'exercice de l'IVG. Ces sites prennent soin d'avoir toute l'apparence de sites officiels. C'est là que réside la tromperie.

Au sein de la délégation, le constat de base a fait l'unanimité. Ces sites Internet d'apparence mensongère existent réellement, et ils posent véritablement problème. Parallèlement, les sites officiels souffrent à l'évidence d'un grave manque de moyens.

Mme Nicole Bricq . - C'est bien là la difficulté !

Mme Chantal Jouanno , présidente de la délégation . - En revanche, les avis ont été plus partagés quant à la traduction législative qu'il fallait apporter à cette préoccupation. Les uns estiment qu'il faut s'appuyer sur le droit en vigueur de la presse et la loi de 1881. Les autres considèrent qu'il vaut mieux s'appuyer sur le délit d'entrave à l'IVG. Je crois résumer nos positions de façon équilibrée...

Je le répète, nous admettons tout à fait le bien-fondé de l'objectif. Reste à trouver la bonne traduction législative. Je regrette que le Sénat ait été saisi trop tard de cette proposition de loi pour que nous puissions mener un travail réellement constructif. La délégation a dû se prononcer avant que ce texte soit examiné en séance publique par nos collègues députés. Il est indispensable de bénéficier de délais raisonnables.

M. Alain Milon , président . - Nous sommes bel et bien face à un problème de délais. Le présent texte a été modifié en commission le 23 novembre puis adopté par l'Assemblée nationale le 1 er décembre. Nous l'examinons en commission aujourd'hui, 6 décembre, en vue d'un débat en séance publique demain. Ce rythme s'apparente à une procédure non plus d'urgence mais d'extrême urgence !

Mme Catherine Génisson . - Quelquefois, nous parvenons à travailler malgré des délais très réduits !

M. Alain Milon , président . - Il s'agit là d'un sujet important. Peut-être aurait-il mieux valu que cette proposition de loi soit inscrite au titre de l'espace réservé du groupe socialiste et républicain de janvier 2017. Nous aurions ainsi pu travailler dans de meilleures conditions.

Mme la rapporteure l'a souligné avec raison, la labellisation proposée via cette proposition de loi, dans la rédaction qui nous a été transmise, serait « particulièrement coûteuse » pour un impact « faible ». C'est là un point essentiel. En 2013, M. Mézard et moi-même avons consacré un rapport d'information aux dérives sectaires dans le secteur de la santé. Nous avons pu constater qu'il était extrêmement difficile d'interdire les sites sectaires, ou même de faire en sorte que les sites gouvernementaux apparaissent en première position lors d'une recherche en ligne. En pratique, la labellisation ne fonctionne pas.

Mme Nicole Bricq . - Avant tout, je remercie Mme la rapporteure, qui a adopté le ton qui s'impose sur un sujet aussi grave. Je remercie également M. le rapporteur pour avis, qui a très bien résumé les problèmes de constitutionnalité et de conventionnalité soulevés. Enfin, je salue le propos très objectif et équilibré qu'a tenu Mme Jouanno au nom de la délégation aux droits des femmes.

Ces premières interventions augurent bien, je l'espère et le souhaite, d'un débat satisfaisant en séance publique. Puisse le Sénat ne pas imiter l'exemple qu'a donné l'Assemblée nationale, et qui n'était pas brillant ! Souvenons-nous que Lucien Neuwirth fit, dans notre assemblée, voter la loi sur la contraception ; et qu'en 1975 Mme Veil reçut le soutien de la gauche...

Bien sûr, il faut respecter la liberté d'expression. Peut-être, sur le fond, n'a-t-on pas trouvé le bon vecteur juridique. Mais ce qui l'emporte, c'est que nous devons adresser un signal fort pour dénoncer ces sites de désinformation. Les statistiques sont là : celles qui les fréquentent sont des jeunes filles en désarroi, exposées aux avortements les plus tardifs et en quête de n'importe quelle solution pour mettre un terme leur grossesse. Elles se tournent facilement vers Internet et sont très influençables.

Le site du planning familial, le site officiel du Gouvernement, ne sont pas suffisamment opérationnels. Peut-être aurions-nous pu éviter ces faux débats, si nous les avions améliorés. Je le répète : l'essentiel est d'envoyer un signal pour que les femmes cessent d'être victimes des sites de désinformation. Imaginez : lorsqu'elles appellent le numéro vert, elles tombent sur des gens qui leur racontent des horreurs. Il faut voter ce texte malgré les difficultés juridiques soulevées. Le Conseil constitutionnel se prononcera.

Mme Patricia Schillinger . - Il n'est pas facile de produire un rapport sur un sujet d'actualité aussi délicat. Je remercie Mme Riocreux, M. Mercier et Mme Jouanno de leurs précisions. M. Mercier a parlé d'une liberté d'expression aussi bien positive que négative, respectable ou exécrable. Autrement dit, les violences verbales faites aux femmes ne devraient pas non plus être pénalisées ?

Certains sites sont difficiles à contrôler car ils utilisent tous les codes des sites officiels, de sorte qu'on ne sait pas s'ils sont produits par des professionnels. En outre, dans certains départements, le manque de structures d'accueil et d'information est criant.

Nous devons lancer un signal et montrer que nous, législateurs, disposons d'un outil de pression et de pénalisation à opposer en cas de besoin. Car sur Internet, on peut dire tout et son contraire.

Mme Aline Archimbaud . - Je remercie les rapporteurs. Personne, ici, ne souhaite limiter la liberté d'expression. Certains sont hostiles à l'IVG : personne ne leur conteste ce droit, ni celui d'exprimer leur point de vue.

Le délit d'entrave à l'IVG n'est pas un problème abstrait. Les femmes qui y sont confrontées souffrent aussi, souvent, d'une situation de fragilité économique, psychologique et familiale. Elles sont souvent très isolées, de sorte qu'elles n'ont pas accès à l'information, ni au réseau qui aurait pu les aider. J'ai consulté les sites dont nous parlons. Tout dans leur présentation laisse à penser qu'il s'agit de sites officiels d'information neutre. La proposition de loi inscrit comme un délit le fait de publier des informations objectivement fausses sur, par exemple, les conséquences d'un IVG. Et ce, dans le but de protéger des femmes fragilisées.

Mme Évelyne Yonnet . - À mon tour de remercier les rapporteurs. J'ai entendu ce que vous avez pu dire sur la liberté d'expression et d'opinion. En tant que législateur, nous ne pouvons pas en rester là. Nous devons pouvoir contrôler l'information qui est diffusée sur ce genre de sujet, et cela plus encore lorsqu'elle est fausse.

Je pense à tous ces jeunes qui finissent par se tuer, tellement ils sont obnubilés par les jeux vidéo. C'est une autre dérive de l'Internet, comparable à la diffusion d'informations fausses, avec des conséquences redoutables.

Monsieur Mercier, je m'adresse à vous car vous êtes membre de la commission de lois. Peut-être faudrait-il légiférer plus largement sur ce que publient les sites Internet et les réseaux sociaux ?

Je pense aussi aux femmes qui accouchent dans l'anonymat, qui abandonnent leur bébé dans une poubelle. Sans parler de la montée des infanticides que Mme Jouanno mentionne dans son rapport. Notre commission doit favoriser la diffusion de la meilleure information possible à l'adresse de toutes ces femmes.

Comment légiférer sur l'information véhiculée par ces sites dont l'accès est ouvert à tous ? Le site du Gouvernement n'est pas encore au point. Une solution serait de signaler les sites qui diffusent des informations mensongères. Il faudrait aussi pouvoir les pénaliser car les réseaux sociaux sont une avancée, mais mal utilisés, ils sont destructeurs.

Mme Catherine Génisson . - Pour la grande majorité d'entre nous, pour ne pas dire tous, nous reconnaissons le droit à recourir l'IVG dans les meilleures conditions possibles.

Certains sites font circuler des informations mensongères, ce qui pose un problème juridique. Selon Michel Mercier, la liberté d'expression n'a pas de limites.

M. Michel Mercier , rapporteur pour avis . - Pas selon moi, mais selon le Conseil constitutionnel !

Mme Catherine Génisson . - Ne doit-on pas cependant considérer qu'elle en a, dès lors qu'on pervertit l'information en son nom ? C'est une chose de s'exprimer au nom d'une croyance religieuse. C'en est une autre de subtiliser le formatage de sites officiels pour diffuser ses idées. N'est-ce pas là ce qui définit le délit d'entrave ?

Mme Catherine Deroche . - Personne ne remet en question l'accès à l'IVG. La diffusion d'informations contradictoires sur Internet vaut pour bon nombre de sujets de santé, notamment les vaccins. Les juristes s'accordent à dire que le texte de l'Assemblée nationale est inacceptable d'un point de vue constitutionnel ou juridique.

Je ne suis pas d'accord avec Mme Bricq. Nous ne sommes pas là pour envoyer des signaux, pour faire de la communication ; nous sommes là pour faire la loi. Je suis incapable de me prononcer sur les amendements en l'état. Ce que je sais, c'est que les problèmes concernent surtout l'accès à l'IVG, le remboursement, etc. Je ne voterai pas ce texte, et ne prendrai pas part au vote sur les amendements.

Mme Françoise Gatel . - Je m'associe à mes collègues pour remercier les rapporteurs. La question de l'extension du délit d'entrave est apparue en septembre dernier lors de l'examen du projet de loi Égalité et citoyenneté par la commission spéciale, au détour d'un amendement que le Gouvernement a déposé par voie électronique, sans aucun contact direct avec la commission ni aucune explication. Le Gouvernement a invoqué « un phénomène grave en termes d'atteinte au droit » ainsi que des « conséquences quantitativement importantes ». Je m'interroge sur la découverte spontanée et soudaine de ce phénomène. On pourrait tout aussi bien s'attaquer à des sites contestables relatifs à la vaccination ou à d'autres questions de santé.

Considérer que le travail des assemblées consiste à donner des signaux, c'est porter une atteinte grave à la fonction du Parlement. Nous ne sommes pas des lanceurs d'alerte. Nous sommes des législateurs, censés échapper aux arguments fulgurants qui surgissent en période électorale, aux diabolisations et manipulations comme il s'en est produit en septembre dernier. Nous sommes aussi là pour écrire un droit qui puisse s'exercer, que le juge sera en mesure d'appliquer, ce qui suppose que nous l'écrivions bien.

Le texte tel qu'il nous arrive de l'Assemblée nationale pose un problème de proportionnalité de la peine car on situe les allégations destinées à dissuader le recours à l'IVG dans le champ pénal, alors que ce n'est le cas pour aucune autre forme de liberté d'expression. Les arguments développés par M. Mercier sur le respect de la Constitution et du droit européen ont leur poids.

Je m'interroge aussi sur ce que signifie le fait de dénoncer un délit d'entrave en matière d'information. Ne peut-on pas y voir un aveu du Gouvernement sur son incompétence en matière de communication ou du moins sur l'insuffisance de sa campagne d'information sur l'IVG ? Le droit à l'IVG n'est pas anodin. Il ne va pas sans vulnérabilité, ni fragilité. Si certains sites d'information sont plus efficaces que celui du Gouvernement, pourquoi le ministère ne s'attache-t-il pas les services d'une agence de communication performante ?

Le rapport du Haut Conseil indique que le Gouvernement a attendu 2014 pour mettre en place son numéro vert. La campagne d'information est confiée au planning familial, ce qui implique forcément une inégalité, dans la mesure où les moyens qui sont alloués à celui-ci varient selon les départements. Pourquoi le Gouvernement ne contraint-il pas les ARS à financer des cellules d'appels téléphoniques ?

On a dit que le Sénat avait subi la pression des lobbies sur ce sujet. Je n'ai jamais rencontré un seul de leurs représentants, ni reçu un seul mail. On dit aussi que nous développons des positions confuses, hostiles à l'IVG. Ce n'est pas le cas. La loi est la loi. Et pour reprendre ce que disait Simone Veil en 1974, « il faut faire preuve de beaucoup d'humilité ». Je me contenterai de déposer un amendement contre la diffusion d'informations de nature malveillante.

Mme Laurence Cohen . - Je remercie les rapporteurs. Je rassure Mme Jouanno : elle a fait preuve d'une parfaite objectivité sur les débats qui ont eu cours à la délégation aux droits des femmes.

Je ne polémiquerai pas sur la manière dont l'examen de ce texte a été engagé et je ne suis pas loin de partager les propos du président Milon. En revanche, le constat est là : le développement des réseaux sociaux et de l'Internet sont une donnée supplémentaire par rapport à l'époque où la loi de Simone Veil a été adoptée. Des adaptations ont été réalisées depuis 1974, notamment sur le délit d'entrave. Nous devons désormais prendre en compte la donnée nouvelle que constituent les sites qui véhiculent des informations mensongères sans dévoiler leur positionnement. Les femmes qui les consultent risquent de perdre du temps dans l'application de leur droit à l'IVG. Ce qui est d'autant plus grave qu'on n'a pas particulièrement développé les centres d'IVG au cours des dix dernières années.

Comment contrôler ces sites tout en respectant la liberté d'expression ? Tel est l'enjeu du texte. Mme Gatel ouvre des pistes de réflexion. Je ne la contredirai pas sur le manque de moyens dont souffrent les associations. Lorsqu'on tape « IVG » dans un moteur de recherche, ce n'est pas le site du ministère de la santé qui apparaît en premier. Est-ce que cette proposition de loi améliorera la situation ? En tout cas, il est important de faire savoir que certains sites aux apparences officielles, mentionnant un numéro vert, diffusent des informations dans l'intention de tromper. Et cela n'a rien à voir avec la liberté d'expression. Je soutiens cette proposition de loi et les amendements d'amélioration.

Mme Isabelle Debré . - Je viens de taper « IVG » sur mon Ipad et je suis tombée directement sur le site du Gouvernement.

Mme Laurence Cohen . - Tant mieux.

Mme Anne Émery-Dumas . - Mais cela ne durera pas ; ça va, ça vient...

M. Michel Mercier , rapporteur pour avis . - Si un site utilise les sigles de l'État, qu'il s'agisse du drapeau, de l'effigie de Marianne ou de la mention « République française », il tombe sous le coup de l'article 444-2 du code pénal. Peut-être faudrait-il creuser cette piste ?

Mme Catherine Génisson . - Cela vaut-il aussi pour la mention « Ministère de la santé » ?

M. Michel Mercier , rapporteur pour avis . - Oui, dès lors qu'elle est frauduleuse. La liberté d'expression est la première des libertés que le Conseil constitutionnel protège. Il y a quelque temps, M. Pillet a été fortement attaqué pour une position qu'il a défendue sur le projet de loi Égalité et citoyenneté. Les mêmes principes doivent s'appliquer à tous.

Il est possible que, faute de temps, nous n'ayons pu explorer toutes les pistes. Mais essayer de contrôler l'ensemble des moyens de communication serait contraire à notre Constitution et à la Convention européenne des droits de l'homme.

Mme Stéphanie Riocreux , rapporteure . - Il s'agit d'adapter le délit d'entrave, qui couvre déjà les pressions psychologiques sur les femmes souhaitant s'informer sur l'IVG car pour cela celles-ci ne se rendent plus seulement dans les centres, elles vont aussi sur Internet - qui n'existait pas en 1993. Mon amendement prend en compte les risques d'inconstitutionnalité et de non-conventionalité. L'objectif est de pénaliser non l'expression d'une opinion, mais le fait d'exercer une pression psychologique entravant le droit d'accès à l'IVG.

Le constat ne date pas d'hier : le Haut Conseil l'a déjà fait en 2013. La Chancellerie m'a indiqué que les moyens juridiques de lutter contre ces sites manquent. D'ailleurs, la difficulté d'accès à l'information et au droit a été pointée par le Mouvement français pour le planning familial lors des auditions - y compris dans le choix des méthodes, l'une d'elles pouvant être imposée par le médecin. Madame Deroche, il n'est question que de faire la loi et mon amendement n'a d'autre objet que de proposer une nouvelle rédaction de l'article unique.

Madame Gatel, le phénomène n'a pas été « découvert » à l'occasion de l'amendement déposé sur le projet de loi Égalité et citoyenneté, on en discutait depuis 2013. L'accès à l'IVG n'est pas une question de santé ordinaire. Le délit d'entrave existe depuis plus de vingt ans, ce qui n'est pas le cas pour la vaccination. L'incitation à la haine et à la violence est aussi pénalement répréhensible.

Nous sommes face à une problématique particulière, résultant de l'évolution de notre société et de l'expansion du champ du numérique. Il nous faut réfléchir ensemble à une solution adaptée pour empêcher que les femmes soient éloignées de l'information et privées de leur droit à l'IVG.

EXAMEN DES ARTICLES

M. Alain Milon , président . - Les membres du groupe Les Républicains ne prendront pas part au vote.

Article unique

Mme Stéphanie Riocreux , rapporteure . - Quoique l'Assemblée nationale ait fait un premier travail autour de ce texte, un problème d'intelligibilité demeure : les députés ont intégré dans une même phrase l'intention des auteurs du délit et les moyens par lesquels ce délit peut être constitué. Or, les règles du droit pénal voudraient que ces deux éléments soient bien distingués. De plus, la rédaction n'atteint pas totalement l'objectif poursuivi. Elle ne prend en compte que les pressions s'exerçant sur les femmes s'informant dans les centres pratiquant des IVG. Mon amendement COM-4 ne change pas la définition du délit - en fait, l'objectif poursuivi ne nécessite que peu de changements à l'actuel article L. 2223-2 - mais il vise « tout moyen » par lequel peuvent s'exercer les pressions morales et psychologiques, afin qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur le fait que la communication par voie électronique en fait partie. De plus, il précise que les personnes cherchant à s'informer sur l'IVG, notamment sur Internet, peuvent être reconnues victimes de ces pressions. Il ne s'agit donc pas seulement des femmes venant s'informer dans les centres.

L'énumération qui figure dans le texte de l'Assemblée nationale comporte un risque de contradiction ou d'oubli. Je vous propose d'en rester à l'expression « par tout moyen », suffisante pour permettre au juge de faire son travail d'appréciation  en s'appuyant si nécessaire sur le compte rendu des débats.

Mon amendement ne change pas les termes dans lesquels la liberté d'expression est aujourd'hui conciliée avec l'infraction. L'objet du délit ne change pas : il s'agit toujours d'empêcher ou de tenter d'empêcher la réalisation ou l'information sur une IVG. Bref, il propose un texte qui s'en tient aux termes juridiquement nécessaires pour caractériser le délit.

L'amendement COM-1 de Mme Gatel propose une nouvelle rédaction de l'article unique pour créer un régime distinct de mise en cause, dans le cadre de la responsabilité civile, s'agissant de la diffusion ou de la transmission d'allégations trompeuses en matière d'IVG. Nous souhaitons tous trouver une solution afin que le texte atteigne ses objectifs. Cependant, le dispositif proposé pose plusieurs problèmes.

Tout d'abord, il juxtapose deux régimes distincts pour des faits similaires d'entrave à l'information. L'article L. 2223-2 prévoit déjà une sanction pénale en cas de pressions morales et psychologiques exercées dans un but dissuasif sur les femmes cherchant à s'informer sur l'IVG dans les établissements concernés. On ne peut faire coexister deux dispositifs pour des faits aussi proches, car des personnes mises en cause pourraient être poursuivies sur les deux chefs d'accusation. D'ailleurs, la peine prévue par l'article L. 2223-2 est, comme toutes les peines pénales, une peine maximale qui est toujours modulée par le juge en fonction de la gravité des faits.

De plus, la formulation de l'amendement pose problème car la référence à l'intention malveillante n'est pas suffisamment définie. Les auteurs des allégations présenteront toujours celles-ci comme favorables aux personnes qui cherchent à s'informer. De même, la précision que les allégations induisent « manifestement » en erreur posera des difficultés d'interprétation. Enfin, les sanctions pourraient être plus importantes que ce que prévoit la proposition de loi : possibilité pour le juge de prescrire toute mesure en urgence, amende de 30 000 euros pour tous les co-responsables. De façon plus générale, le dispositif des amendes civiles n'est pas encore entré en vigueur et fait l'objet de critiques importantes, notamment parce qu'il n'offre pas les mêmes garanties en matière de droit de la défense. Je souhaite donc le retrait de l'amendement.

Mme Françoise Gatel . - Je suis stupéfaite par cette analyse et ne la partage aucunement. M. Mercier a bien distingué entre le délit d'entrave physique, déjà puni par la loi, et ce qui serait un délit d'allégations faussées ou mensongères, infraction d'une autre nature. On ne peut rapprocher les deux, et votre argumentation ne tient pas, car le délit que vous visez s'apparente à un délit d'opinion.

S'il y a urgence, pourquoi nous demande-t-on d'attendre un texte en préparation sur la responsabilité civile ? Notre solution est conforme au droit, mais vous la refusez. Vous dites que le juge serait embarrassé par l'adverbe « manifestement » mais que penser des mots « par tout moyen » ? Avouez plutôt que vous ne voulez pas de mon amendement car vous préférez conserver la rédaction du Gouvernement !

Mme Stéphanie Riocreux , rapporteure . - Je vous rappelle que les pressions morales et psychologiques peuvent déjà constituer une entrave selon le droit actuel.

Mme Françoise Gatel . - Alors, pourquoi réinventer ?

Mme Stéphanie Riocreux , rapporteure . - Précisément, je n'invente rien ! Quant à l'amendement COM-2 de Mme Jouanno, il crée un nouvel article du code de la santé publique pour étendre les sanctions prévues à l'article-L.-2223-2 aux présentations faussées ou volontairement trompeuses sur l'IVG. Cela fait sortir du délit d'entrave la communication d'informations faussées ou susceptibles d'induire en erreur sur l'IVG - avec cependant les mêmes sanctions. Il paraît plutôt nécessaire de clarifier la rédaction du délit d'entrave. Retrait, ou avis défavorable.

Mme Chantal Jouanno . - En effet, le délit d'entrave était auparavant circonscrit aux établissements où s'exerce l'IVG. Mon amendement prévoit donc un délit autonome.

M. Jean-Marc Gabouty . - Je suis perplexe sur ce texte et sur ces amendements. Le dispositif proposé est-il efficace ? Et que dire de la méthode ? D'abord, il n'y a pas d'opinion fausse, seulement des opinions libres et des opinions contraintes. Le problème s'est déjà posé pour les sites djihadistes, il pourrait se poser demain pour les sites qui publient des mensonges sur des produits alimentaires. Il relève donc d'une loi sur la presse et sur les réseaux sociaux et ne devrait pas être abordé secteur par secteur. C'est l'apparence trompeuse des sites qui nous préoccupe d'abord. Si je suis favorable, au fond, à ce texte, la méthode et les amendements me laissent perplexe, et je m'abstiendrai, au moins en commission.

M. Alain Milon , président . - Curieusement, on arrive à contrôler les sites pédophiles mais pas ceux qui relèvent des dérives sectaires...

Mme Aline Archimbaud . - La loi prévoit déjà deux types de délits clairement caractérisés : l'atteinte à la libre circulation des personnes et la pression morale et psychologique. Pourquoi ne pas y ajouter un délit de tromperie ? C'est bien de désinformation et de mensonge qu'il s'agit.

Mme Laurence Cohen . - Je partage l'opinion de M. Gabouty. Le législateur doit intervenir de manière globale sur les sites mensongers, quel que soit leur sujet. Le problème qui nous occupe n'existait pas il y a dix ans. Les amendements proposés visent une sortie par le haut de cette situation délicate - même celui de Mme Gatel. Celui de la rapporteure est en retrait par rapport au texte des députés puisqu'il ne nomme pas explicitement Internet. C'est pourtant bien le sujet, il faut le dire ! Je suis un peu perdue...

Mme Isabelle Debré . - Je suis perplexe, moi aussi. En somme, il faut une loi sur le numérique. Même parmi les sites pédophiles, certains échappent au contrôle. À quoi bon se focaliser sur un domaine particulier ? Cela cristallise les oppositions, et le Conseil constitutionnel a de bonnes chances de retoquer ce texte. Nous ne prenons pas le problème par le bon côté. Notre rôle est-il de distribuer des bons et des mauvais points aux différents sites ? La liberté d'expression est un droit fondamental. Moi aussi je me sens un peu perdue, par conséquent je ne participerai pas au vote. Et si nous adoptons l'amendement de la rapporteure, les autres seront présentés de nouveau en séance... Curieux !

Mme Françoise Gatel . - Il est vrai que la procédure accélérée ne favorise pas la qualité du travail législatif. Nous nous focalisons sur l'IVG. Pourtant, MM. Pillet et Richard ont présenté ensemble un rapport qui montrait bien que l'évolution des outils numériques nous dépasse lorsque nous voulons lutter contre la manipulation et l'intoxication. Nous avons soutenu l'amendement de M. Pillet ; on nous a alors traités de liberticides. Il faudra pourtant bien qu'on ose s'attaquer au problème des limites de la liberté d'expression, pour protéger les personnes vulnérables.

M. Jean-Louis Tourenne . - Il ne s'agit pas de porter atteinte à la liberté d'expression mais d'empêcher le harcèlement qui vient après une information tronquée. On peut considérer que le sujet peut attendre, mais il y a des urgences : des femmes sont victimes de drames qui durent toute leur vie pour avoir été mal informées ou culpabilisées. Nous avons la responsabilité de trancher.

Mme Catherine Génisson . - Oui, il y a urgence et la question n'est pas apparue avec l'amendement au projet de loi sur l'égalité et la citoyenneté. Nous reconnaissons tous la gravité du problème. Toutes les idées peuvent être exprimées. Celles qui posent problème, ce sont les informations « perverties », pour reprendre le terme employé par la délégation, celles qui figurent sur des sites qui prennent une apparence de site officiel. Bien sûr, nous ne trouverons pas la solution en quelques jours - et le sujet dépasse largement la question de l'IVG.

M. Gérard Roche . - En 1975, lorsque la loi de dépénalisation de l'avortement a été votée, les Françaises qui avortaient clandestinement étaient exposées à un risque sanitaire important. Aujourd'hui, les femmes qui se rendent sur ces sites sont culpabilisées, avec des conséquences psychologiques graves si elles choisissent quand même de se faire avorter. C'est aussi un problème de santé. Si nous votons ce texte, ces sites ne pourront-il échapper à la loi en se délocalisant ?

Mme Françoise Gatel . - Très bonne question !

M. Alain Milon , président . - Quelques-uns sont déjà établis hors d'Europe.

M. Yves Daudigny . - L'impossibilité de purger Internet des informations dangereuses, en particulier à destination des jeunes, ne doit pas nous empêcher de chercher une solution au problème de l'entrave à l'IVG. Moi qui connaissais mal le sujet avant notre réunion, j'en ai désormais une vue plus claire.

La rapporteure part du texte en vigueur, y ajoutant la mention « par tout moyen » pour inclure la communication des sites informatiques. Un des sites en cause, qui prétend révéler « huit erreurs communes sur l'IVG », se rend bien coupable de « pressions morales et psychologiques » sur des personnes cherchant à s'informer sur l'IVG. L'amendement de la rapporteure répond à cette situation, même s'il ne résout pas tous les problèmes. Je le voterai sans difficulté.

L'amendement n° COM-4 est adopté ; les amendements n os COM-1, COM-2 et COM-3 deviennent sans objet.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article unique - Extension du délit d'entrave psychologique à l'interruption volontaire de grossesse

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme RIOCREUX, rapporteure

4

Précision selon laquelle le délit d'entrave par pression psychologique peut être constitué par tout moyen à l'encontre de toute personne cherchant à s'informer sur l'interruption volontaire de grossesse.

Adopté

Mme GATEL

1

Nouvelle rédaction de la proposition de loi pour créer un régime de responsabilité civile et d'amende civile s'agissant de la diffusion ou de la transmission d'allégations trompeuses en matière d'interruption volontaire de grossesse.

Tombé

Mme JOUANNO

2

Nouvel article spécifique du code de la santé publique pour étendre les sanctions prévues à l'article L. 2223-2 aux présentations faussées ou volontairement trompeuses sur l'interruption volontaire de grossesse.

Tombé

Intitulé - Proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse

Mme GATEL

3

Modification de l'intitulé de la proposition de loi.

Tombé

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

___________

• Direction générale de la santé (DGS)

Patrick Ambroise , adjoint à la sous-directrice de la santé des populations et de la prévention des maladies chroniques

Dr Lionel Lavin , en charge du dossier santé des femmes, contraception et IVG

• Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH)

Françoise Laurant , ancienne présidente de la commission « Santé, droits sexuels et reproductifs »

Margaux Collet , responsable des études au sein du secrétariat général du HCE

• Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG)

Francis Le Gunehec , chef du bureau de l'exécution des peines et des grâces (BLPG)

Vincent Plumas , magistrat rédacteur au BLPG

• Mouvement français du Planning familial

Véronique Séhier , co-présidente

Dr Danielle Gaudry


* 1 Article 37 de la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social.

* 2 Article 17 de la loi n° 2001-5882 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse.

* 3 Article 25 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

* 4 HCEFH, « Rapport relatif à l'accès à l'IVG » (volet 1 : Information sur l'avortement sur Internet ; volet 2 : Accès à l'IVG dans les territoires), 2013.

* 5 Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

* 6 Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.

* 7 « Deux tiers des Francais consultent Internet aÌ des fins de santeì », Jean-Baptiste Richard , unité Addictions, Lucile Bluzat , unité Sante' sexuelle, Vie^t Nguyen-Thanh , unité Addictions, direction de la Prévention et de la Promotion de la sante', Sante' publique France.

La santé en action, Santé Publique France, n° 436, juin 2016.

* 8 Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie

* 9 Article 45 de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances.

* 10 http://www.fondationdelavenir.org/comprendre-douleur-ivg-medicamenteuse/

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