C. L'ABOUTISSEMENT DE LA RÉFLEXION À L'AUTOMNE 2016

Avant que le Gouvernement ne se saisisse à nouveau de la question des règles d'usage des armes en réponse aux manifestations de policiers organisées au cours de l'automne 2016, M. Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, avait confié en juin 2012 une mission sur la protection fonctionnelle des policiers et gendarmes à M. Mattias Guyomar, conseiller d'État. Dans les développements consacrés au cadre légal et jurisprudentiel de l'usage des armes de son rapport 28 ( * ) , la mission conduite par M. Guyomar concluait au maintien du statu quo en la matière, estimant notamment que « l'existence d'un cadre légal énumérant les cas matériels dans lesquels il peut être fait usage de la force armée est en effet (...) largement dépourvue d'effet », notamment sous la double influence conjuguée de la jurisprudence de la CEDH et de la Cour de cassation. Elle préconisait en revanche la codification, au niveau réglementaire, des conditions jurisprudentielles d'un usage légal des armes à feu, en l'occurrence d'actualité de la menace, d'absolue nécessité et de proportionnalité.

En réponse aux mouvements revendicatifs des policiers organisés après l'agression de Viry-Châtillon (Essonne), M. Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'intérieur, a confié le 26 octobre 2016 à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) une mission afin d'organiser « les conditions d'un dialogue avec les organisations syndicales de police et le Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG) », de « diriger un travail interministériel entre les ministères de la justice et de l'intérieur » et d'examiner « non seulement l'opportunité d'une évolution du cadre juridique d'usage des armes par les forces de sécurité mais encore les conditions de cette évolution ».

Le rapport 29 ( * ) a été rendu au ministre à la fin du mois de novembre 2016. À l'issue de ses travaux, qui se sont notamment appuyés sur quatre grandes séries d'auditions 30 ( * ) , la mission a préconisé :

- la création d'un « régime légal spécifique d'usage des armes pour les policiers, sous forme de quatre cas d'autorisation légale d'usage des armes, qui reprennent les hypothèses de l'article L. 2338-3 du code de la défense rodées par la pratique, et répondent à la réalité des menaces subies », rappelant très clairement toutefois que « l'autorisation de la loi de faire usage des armes ne crée pas une présomption de légalité du tir ». La mission s'est prononcée pour que ce régime soit applicable aux policiers, gendarmes, douaniers, militaires déployés sur le territoire national dans le cadre des opérations de sécurisation et aux militaires chargés de la protection des installations militaires situées sur le territoire national ;

- un aménagement des modalités du traitement procédural des policiers et gendarmes en cas d'usage de l'arme 31 ( * ) ;

- une spécialisation de magistrats référents et une formation ad hoc des magistrats pénalistes 32 ( * ) , tout en écartant explicitement la création d'une juridiction spécialisée, nationale ou régionale, à compétence exclusive pour instruire et juger les affaires d'usage des armes par les forces de sécurité ;

- enfin, dans le domaine de la formation, l'attribution d'une mission, confiée aux inspections générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale, pour « conduire un audit sur les formations de la police et de la gendarmerie nationales, afin d'anticiper l'évolution législative éventuellement envisagée, d'évaluer la qualité de la formation des policiers et gendarmes en matière d'usage des armes, tant au plan juridique qu'au plan des techniques d'intervention, et de les harmoniser ».

L'article 1 er du projet de loi soumis à l'examen du Sénat constitue donc une traduction, partielle dans la mesure où certaines préconisations de la mission n'ont pas été reprises, de ce travail de réflexion confié à Mme Hélène Cazaux-Charles conduit au cours du mois de novembre 2016.


* 28 Mission indépendante de réflexion sur la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes, qui a rendu son rapport au ministre de l'intérieur le 13 juillet 2012.

* 29 Rapport de la mission relative au cadre légal de l'usage des armes par les forces de sécurité, présidée par Mme Hélène Cazaux-Charles, directrice de l'INHESJ, novembre 2016.

* 30 Représentants du monde judiciaire, principaux acteurs accompagnant les policiers mis en cause, instances de contrôle et responsables de la formation des forces de sécurité et de la magistrature.

* 31 Diffusion d'une circulaire de politique pénale incitant les parquets à privilégier l'audition libre dans les affaires où des policiers et gendarmes ont dû faire usage de leur arme ; extension du bénéfice de la protection fonctionnelle à l'audition libre ; diffusion d'une instruction commune aux directions générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale, en lien avec les inspections, précisant les adaptations des modalités de garde à vue des policiers et gendarmes dans ces situations.

* 32 La mission préconisant notamment la création de magistrats référents, dans les parquets comme au sein des parquets généraux, chargés de traiter les affaires d'usage de l'arme par les membres des forces de l'ordre.

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