N° 500

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 avril 2017

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne, présentée par M. Joël LABBÉ et plusieurs de ses collègues en application de l'article 73 quinquies du Règlement, visant à limiter l' utilisation des produits phytosanitaires au sein de l' Union européenne ,

Par Mmes Pascale GRUNY et Patricia SCHILLINGER,

Sénateurs

et TEXTE DE LA COMMISSION

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Émorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, M. Claude Haut, Mmes Sophie Joissains, Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard et Alain Vasselle.

Voir le numéro :

Sénat :

477 (2016-2017)

AVANT-PROPOS

Le constat est connu et ancien : au sein de l'Union européenne, la France apparaît comme le second consommateur de pesticides, c'est-à-dire de substances chimiques destinées à repousser, détruire ou combattre les ravageurs et les espèces causant des dommages aux denrées et aux produits alimentaires. Plus précisément, il convient d'ailleurs d'employer ici le terme de produits phytosanitaires, qui désigne spécifiquement les utilisations végétales des pesticides, aussi bien dans le domaine agricole que non agricole, notamment, s'agissant de ce dernier, les jardins ou les espaces verts des collectivités publiques. La typologie de ces produits met en évidence, principalement, trois sous-catégories : les herbicides, les fongicides - destinés à lutter contre les champignons - et les insecticides.

Ce que l'on pourrait qualifier de « dépendance » de notre pays à l'égard des produits phytosanitaires est illustrée par des données statistiques récentes : « Concernant les quantités de substances actives vendues, la France est au deuxième rang européen avec 66 659 tonnes, après l'Espagne (69 587 tonnes) et devant l'Italie (49 011 tonnes). En termes d'utilisation, la France est [néanmoins] au 9 ème rang européen selon le nombre de kilogrammes de substances actives vendues rapporté à l'hectare, avec 2,3 kg/ha. » 1 ( * )

Les risques encourus, tant sur le plan de l'environnement que pour la santé de nos concitoyens, à commencer par celle de nos agriculteurs, sont avérés. Ces risques ont conduit à une prise de conscience, formulée à l'occasion du « Grenelle de l'environnement », en 2007. Depuis lors, les initiatives, tant nationales que locales, publiques ou privées, se sont multipliées afin de limiter le recours aux produits phytosanitaires et d'oeuvrer au changement des mentalités.

Le Sénat y a lui aussi contribué. Ce fut le cas, en particulier, avec les travaux, réalisés en 2012, par la mission commune d'information sur les pesticides et leur impact sur la santé : au terme de six mois de travail et de 95 auditions, le rapport 2 ( * ) de nos collègues avait formulé une centaine de propositions. Il importe de souligner que ces propositions furent adoptées à l'unanimité des vingt-sept sénateurs membres de la mission. Parmi celles-ci figurait « l'interdiction à terme de la vente de produits phytosanitaires aux particuliers, à l'exception de ceux autorisés en agriculture biologique ». Ce point fut ensuite retenu par notre collègue Joël Labbé lorsqu'il déposa sa proposition de loi, qui devint, après son adoption, la loi n° 2014-110 du 6 février 2014, visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national. Ce texte comportait un second axe consistant à interdire très largement aux personnes publiques l'utilisation des produits phytosanitaires pour leur domaine public et privé.

Au total, la loi précitée du 6 février 2014 avait pour objectif de n'aborder que ces deux aspects précis du problème, vaste et complexe, des produits phytosanitaires, en privilégiant une approche pragmatique.

Il convient également de souligner, d'emblée, que cette initiative ne visait en rien les usages professionnels desdits produits. Notre agriculture n'en serait donc ici nullement affectée : compte tenu des difficultés que chacun connaît, elle ne saurait aujourd'hui être fragilisée par des obligations supplémentaires.

L'examen des débats parlementaires, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, a mis en évidence, en dépit de certaines réserves techniques ou juridiques, un assez large accord sur ces dispositions qui a logiquement débouché sur leur adoption. Par là même, si de nombreux aspects de la question des produits phytosanitaires continuent à faire l'objet de vifs débats dans l'espace public, du moins peut-on en conclure que les deux axes de la loi n° 2014-110 du 6 février 2014 ont, quant à eux, été largement approuvés. En outre, la mise en oeuvre de ces deux ensembles de dispositions est désormais bien engagée.

Dans ce contexte, votre commission des affaires européennes est aujourd'hui saisie d'une proposition de résolution européenne déposée par notre collègue Joël Labbé et visant à promouvoir, au niveau européen, l'économie générale du dispositif législatif voté en France, à son initiative. Le présent rapport s'attachera, en conséquence, à rappeler, tout d'abord, l'ampleur des efforts menés au niveau national pour réduire l'utilisation des produits phytosanitaires et la place qu'y occupe la loi précitée du 6 février 2014, puis, dans un second temps, à évaluer l'apport que pourrait constituer cette initiative au niveau de l'Union européenne.

I. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DES EFFORTS MENÉS EN FRANCE POUR RÉDUIRE LE RECOURS AUX PRODUITS PHYTOSANITAIRES

A. RAPPEL DU CADRE LÉGISLATIF NATIONAL

Les rencontres politiques organisées entre septembre et décembre 2007, et communément appelées « Grenelle de l'environnement », ont donné lieu à une mobilisation des acteurs politiques, économiques et sociaux. La question des produits phytosanitaire fut naturellement abordée lors de ces échanges, conduisant à l'élaboration d'un plan Écophyto (I).

Depuis lors, quatre textes législatifs sont intervenus, à des titres divers, dans ce domaine :

- la loi précitée n° 2014-110 du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, adoptée à l'initiative de notre collègue Joël Labbé ;

- la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt ;

- la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ;

- ainsi que la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.


Précisions sur la définition des produits phytosanitaires : extrait de la note d'information n° 2012-46 de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l'Économie

« Les produits phytopharmaceutiques sont définis, à l'article 2 du Règlement n° 1107/2009 comme étant « les produits, sous la forme dans laquelle ils sont livrés à l'utilisateur, composés de substances actives, phytoprotecteurs ou synergistes, ou en contenant, et destinés à l'un des usages suivants :

a) protéger les végétaux ou les produits végétaux contre tous les organismes nuisibles ou prévenir l'action de ceux-ci, sauf si ces produits sont censés être utilisés principalement pour des raisons d'hygiène plutôt que pour la protection des végétaux ou des produits végétaux ;

b) exercer une action sur les processus vitaux des végétaux, telles les substances, autres que les substances nutritives, exerçant une action sur leur croissance ;

c) assurer la conservation des produits végétaux, pour autant que ces substances ou produits ne fassent pas l'objet de dispositions communautaires particulières concernant les agents conservateurs ;

d) détruire les végétaux ou les parties de végétaux indésirables, à l'exception des algues à moins que les produits ne soient appliqués sur le sol ou l'eau pour protéger les végétaux ;

e) freiner ou prévenir une croissance indésirable des végétaux, à l'exception des algues à moins que les produits ne soient appliqués sur le sol ou l'eau pour protéger les végétaux.

Ainsi, ces différents usages correspondent par exemple aux insecticides (a), fongicides (a), acaricides (a), nématicides (a), répulsifs (a) ; à certains stimulateurs de croissance (b) ou régulateurs de croissance (e) ; aux herbicides (d) et aux produits de traitement après récolte des grains, des agrumes, des ensilages (c).

Il est important de noter que le point commun des produits phytopharmaceutiques est leur action de protection des végétaux ou des produits végétaux contre des organismes qui leur sont nuisibles. Ce point commun les distingue notamment des produits biocides dont l'objectif est la lutte contre des organismes nuisibles à l'homme, ses activités, ses produits, les animaux ou l'environnement de manière générale. »

• La loi n° 2014-110 du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national

Le texte comprend pour l'essentiel deux articles.

L'article 1 er interdit aux personnes publiques, c'est-à-dire à l'État, aux régions, aux communes, aux départements, aux groupements ainsi qu'aux établissements publics propriétaires d'un domaine public ou privé, d'utiliser des produits phytopharmaceutiques, à l'exception des préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP), pour l'entretien des espaces verts, de forêts et de promenades. Cette interdiction était alors envisagée pour intervenir à compter du 1 er janvier 2020. Elle a été depuis avancée au 1 er janvier 2017.

Comme l'observait le rapporteur du texte pour le Sénat, à côté de l'agriculture et des usages professionnels, l'enjeu environnemental et sanitaire de l'utilisation des produits phytosanitaires dans les collectivités publiques est loin d'être négligeable : « Ne représentant que 5 à 10 % des usages à l'échelle nationale, ils provoqueraient des transferts vers l'eau de l'ordre de 10 à 40 % du produit épandu, contre 1 à 3 % pour les pertes agricoles. En outre, ces usages concernent des utilisateurs souvent mal formés et de bonne foi, convaincus de l'innocuité des produits qu'ils manipulent . » 3 ( * )

L'article 2 visait à interdire, à compter du 1 er janvier 2022, la mise sur le marché, la délivrance, l'utilisation et la détention de produits phytopharmaceutiques pour un usage non professionnel et à pénaliser le non-respect de cette interdiction. La date de cette interdiction a elle aussi été ensuite avancée au 1 er janvier 2019.

S'agissant de la vente des produits phytosanitaires aux particuliers, on rappellera que le rapport d'information de Mme Nicole Bonnefoy, fait au nom de la mission commune d'information du Sénat sur les pesticides, avait déjà préconisé, dès 2012, une telle interdiction. Ce sujet avait alors fait l'objet d'un assez large accord parmi les sénateurs.

L'encadrement de l'utilisation des produits phytosanitaires par les personnes publiques constitue, pour sa part, un apport de la loi n° 2014-110 du 6 février 2014. Ces dispositions ont été adoptées par le Sénat le 19 novembre 2013, les débats se concentrant pour l'essentiel sur quelques amendements de précision 4 ( * ) . L'Assemblée nationale adopta ensuite ne variatur , le 23 janvier 2014 5 ( * ) , la proposition de loi de M. Joël Labbé.

• La loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt

Les dispositions adoptées à l'initiative de notre collègue ont été ensuite prolongées, à plusieurs titres, par celles figurant dans la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.

Cette dernière a ainsi encouragé l'utilisation de techniques alternatives aux pesticides et notamment les produits de bio-contrôle, ou encore les préparations naturelles dites non préoccupantes. S'y sont ajoutés un encadrement de la publicité sur les produits phytopharmaceutiques, ainsi que la mise en place d'un dispositif de phytopharmacovigilance.

La loi précitée a aussi transféré à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) la délivrance des autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, des matières fertilisantes et des supports de culture. Un comité de suivi des autorisations a été mis en place. L'ANSES s'est vue confier l'obligation de publier un rapport d'activité rendant compte de son activité de gestion des risques en matière de produits phytopharmaceutiques.

La loi n° 2014-1170 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 a également promu les systèmes agro-écologiques 6 ( * ) et instauré plusieurs dispositifs innovants, à l'instar des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques.

On notera enfin que le Gouvernement a supprimé certaines dérogations pour les épandages aériens de produits phytopharmaceutiques, par un arrêté du 15 septembre 2014 7 ( * ) .

• La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte

S'agissant des produits phytosanitaires, la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte a avancé les dates d'entrée en vigueur initialement envisagées pour les interdictions définies par la loi n° 2014-110 du 6 février 2014 .

Depuis 1 er janvier 2017, l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements, ainsi que les établissements publics ne peuvent ainsi plus utiliser ou faire utiliser des produits phytopharmaceutiques pour l'entretien des espaces verts, des forêts, des voiries ou des promenades accessibles ou ouverts au public. Les produits de biocontrôle (c'est-à-dire ceux qui utilisent les mécanismes naturels), les produits qualifiés à faibles risques et ceux utilisables en agriculture biologique demeurent autorisés.

À compter de la date du 1 er janvier 2019, la vente et l'usage des pesticides chimiques seront également interdits aux particuliers. En cas de danger sanitaire, les traitements contre les organismes nuisibles pourront néanmoins être autorisés par arrêté ministériel ou préfectoral.

• La loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages

La loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a complété les dispositifs antérieurs sur deux points : en interdisant les substances néonicotinoïdes et en créant une sanction, et un délit pour le trafic de produits phytosanitaires en bande organisée.


* 1 Source : ministère de l'Agriculture et ministère de l'Environnement - Présentation du plan Ecophyto II - 20 octobre 2015.

* 2 « Pesticides : vers le risque zéro » - Rapport n° 42 (2012-2013) de Mme Nicole Bonnefoy, au nom de la mission commune d'information du Sénat sur les pesticides et leur impact pour la santé.

* 3 Rapport n° 124 du 6 novembre 2013 fait par M. Ronan Dantec au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire (session ordinaire 2013-2014) - page 7.

* 4 Voir compte rendu intégral des débats du Sénat - séance du 19 novembre 2013.

* 5 Voir compte-rendu de la première séance du jeudi 23 janvier 2014 de l'Assemblée nationale.

* 6 « L'agro-écologie est une façon de concevoir des systèmes de production qui s'appuient sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes. Elle les amplifie tout en visant à diminuer les pressions sur l'environnement (ex : réduire les émissions de gaz à effet de serre, limiter le recours aux produits phytosanitairess) et à préserver les ressources naturelles. Il s'agit d'utiliser au maximum la nature comme facteur de production en maintenant ses capacités de renouvellement. » (Source : site Internet du ministère de l'Agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt).

* 7 Arrêté du 15 septembre 2014 du ministre de l'Agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, relatif aux conditions d'épandage par voie aérienne des produits mentionnés à l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime (Référence NOR: AGRG1418650A).

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