II. LE COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « DÉVELOPPEMENT AGRICOLE ET RURAL »

A. EXÉCUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION EN 2016

La mission « Développement agricole et rural » correspond au compte d'affectation spéciale éponyme, dit « CAS-DAR » qui a été créé par la loi de finances pour 2006.

Elle a pour objet le financement d'opérations de développement agricole et rural orientées par les priorités du programme national de développement agricole et rural (PNDAR). Celui-ci, qui couvre actuellement les années 2014 à 2020, a pour priorité de « conforter le développement et la diffusion de systèmes de production innovants et performants à la fois du point de vue économique, environnemental et sanitaire » en s'inscrivant dans le cadre de « Projet agro-écologique pour la France » .

1. Le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural », deux programmes aux destinataires propres

La mission repose sur deux programmes : le programme 775 « Développement et transfert en agriculture » et le programme 776 « Recherche appliquée et innovation en agriculture ».

Les crédits du programme 775 (voir infra ) sont principalement destinés aux chambres d'agriculture et aux organismes nationaux à vocation agricole et rurale (ONVAR). Il s'agit de diffuser des bonnes pratiques et des connaissances .

Quant au programme 776 , davantage orienté vers la recherche appliquée 33 ( * ) , il finance des recherches réalisées par une pluralité d'acteurs, au premier rang desquels les instituts techniques agricoles et FranceAgriMer. Par ailleurs, le pilotage de la recherche passe aussi pour une proportion de 18 % par la procédure d'appel à projets.

Le schéma ci-dessous illustre l'emploi des ressources du CAS en 2015. Compte tenu de l'inertie de la gestion des interventions financées par le compte, il donne un aperçu fiable des dépenses de 2016.

On y observe que chaque programme est dirigé vers des partenaires propres et prépondérants : les chambres d'agriculture pour le programme 775 (près des deux tiers des dépenses) et les instituts techniques agricoles pour le programme 776 (55,4 % des crédits).

Dans les deux cas, FranceAgrimer se voit déléguer une partie des disponibilités de chaque programme.

Source : rapport d'activité du CASDAR pour 2015 ; ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la forêt et des affaires rurales

2. Les ressources du compte, des déconvenues par rapport aux prévisions de recettes mais une charge non négligeable pour les exploitants

Le CAS-DAR, alimenté jusqu'en 2015 par une fraction (85 %) du produit de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles, prévue à l'article 302 bis MB du code général des impôts en perçoit depuis la totalité.

De ce fait, en 2015, le CAS-DAR avait bénéficié de recettes en exécution (137,1 millions d'euros) supérieures à l'exécution 2014 (+ 20 millions d'euros).

Pour 2016, la prévision de recettes avait été établie à 147,5 millions d'euros. Finalement les recettes enregistrées au compte ont atteint le niveau de 130,8 millions d'euros, soit une moins-value de produits de 16,7 millions d'euros (- 11,4 %).

Par ailleurs, le CAS a pu bénéficier de reports de crédits de l'exercice 2015, pour 48,9 millions d'euros, soit près de 31 % des crédits ouverts en loi de finances initiale.

Exécution et prévision des recettes du CAS-DAR

(en millions d'euros)

Année

Recettes LFI

Recettes constatées

Exécution (CP)

Reports N-1

2006

134,46

145,96

99,70

-

2007

98,00

102,05

101,34

21,71

2008

102,50

106,30

98,47

22,41

2009

113,50

110,56

112,34

34,44

2010

114,50

104,89

111,21

41,44

2011

110,50

110,44

108,38

40,30

2012

110,50

116,76

114,35

42,37

2013

110,50

120,58

106,98

57,92

2014

125,50

117,10

132,40

43,20

2015

147,50

137,10

131,30

43,20

2016

147,5

130,8

129,2

48,9

Source : commission des finances du Sénat

Les moins-values de recettes en exécution sont expliquées par la dégradation du chiffre d'affaires des exploitants agricoles entre 2014 et 2015.

On rappelle que le paiement de la taxe intervient avec un an de décalage.

L'an dernier, vos rapporteurs spéciaux avaient alerté sur la perspective de « variations peu favorables à la bonne exécution du compte », compte tenu des « évolutions économiques très défavorables de 2015 » qui ne devaient pas manquer de se répercuter sur les recettes encaissées.

La programmation des recettes n'a pas tenu compte des observations de vos rapporteurs spéciaux qui, pourtant, se sont avérées en pratique.

Par ailleurs, l'interrogation sur les conditions de financement du CAS, la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles pouvant se révéler lourdement procyclique en raison de la volatilité des conditions économiques de l'activité agricole persiste.

Il en va de même pour les effets redistributifs des transferts abrités par le CAS qui ne sont pas clairement cernés, non plus d'ailleurs que ne le sont les conditions concrètes des recouvrements de la taxe.

3. Un taux de consommation des crédits peu satisfaisant

Dans ce contexte, la gestion des crédits de paiement peut être résumée comme suit pour 2016.

Dépense et gestion des crédits du CAS-DAR

Programme 775

Programme 776

Total

LFI

70,5

76,9

147,4

LFR

0

Reports

10,7

38,2

48,9

Crédits disponibles

81,2

115,1

196,3

Crédits consommés

62,4

66,8

129,2

Crédits non consommés

18,8

48,3

67,1

Source : ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt

Malgré la déconvenue sur l'évolution réelle des recettes, le compte confirme en 2016 le phénomène observé à plusieurs reprises par le passé de soldes positifs en exécution moyennant, cette année, une forte réduction du résultat.

L'an dernier l'excédent de recettes avait atteint 5,8 millions d'euros quand en 2016 il n'est plus que de 1,6 million d'euros.

Cette contraction intervient dans un contexte marqué pourtant une nouvelle fois par une faible exécution des crédits disponibles.

Hors crédits reportés, le taux de consommation des crédits n'a été que de 87,6 %. Une fois pris en compte les reports, le taux de consommation des crédits disponibles baisse considérablement. Il avoisine 65 %.

L'écart est particulièrement considérable pour le programme 776 pour lequel le taux de consommation des crédits se situe sous la barre des 60 %.

Il est vrai que la gestion des projets soutenus par le CAS implique, tout particulièrement pour ce programme, un dépassement de l'annualité budgétaire. Ils sont conduits sur une durée souvent supérieure à l'année et mobilisent une séquence de versements qui l'excèdent. Dans ce contexte, des reports et des restes à payer interviennent à chaque fin d'exercice.

C'est ainsi qu'à l'issue de l'exercice 2016, 30,8 millions d'euros d'engagements antérieurs à 2015 restaient à liquider. Combinés aux engagements de l'année 2016 non couverts par les paiements effectués en cours d'exercice les restes à liquider sur ce programme s'élevaient en fin d'année à 46,4 millions d'euros soit près de 66 % des dépenses effectuées.

4. Améliorer les informations sur les performances atteintes et recourir davantage aux appels à projets pour contrer la logique d'abonnement aux aides

La justification au premier euro des deux programmes du CASDAR présente, une fois de plus, un caractère lacunaire .

Pour le programme 775 , le rapport annuel de performances ne fournit pas d'information suffisamment détaillée sur l'utilisation des crédits destinés au réseau des chambres d'agriculture , à la fédération des coopératives agricoles et aux ONVAR .

L'indicateur utilisé consiste à suivre les effectifs desdits organismes consacrés par eux à atteindre les grands objectifs du programme national de développement agricole et rural. On se doute bien que là est leur pente naturelle et qu'il n'est pas très difficile de fournir au logiciel censé accueillir les déclarations des organismes les données permettant d'extérioriser des résultats probants.

Il résulte de ce manque d'information une impossibilité de savoir si les crédits du programme servent aux projets de développement plus qu'aux structures qui sont censées les porter .

Le ministère de l'agriculture indique procéder à des évaluations des actions financées par le truchement du compte mais, outre que cette évaluation paraît orientée plutôt vers un contrôle de conformité que vers une évaluation des impacts seule à même de fonder une appréciation de la valeur ajoutée des financements publics, le programme ne comporte aucun indicateur permettant d'en rendre compte .

Cette lacune doit être corrigée , objectif fixé par vos rapporteurs spéciaux d'autant plus aisément atteignable que le ministère de l'agriculture publie un compte rendu d'activité du CASDAR riche en informations sur les programmes soutenus mais qu'il conviendrait de compléter par l'adoption d'une démarche évaluative.

Vos rapporteurs spéciaux relèvent avec satisfaction l'orientation consistant à développer des « projets pilotes régionaux » faisant intervenir les partenaires de terrain et pouvant favoriser, de ce fait, un effet de levier susceptible de démultiplier les moyens consacrés à chaque projet. Cette évolution correspond par ailleurs à l'esprit même des interventions financées par le programme qui porte notamment sur la diffusion de bonnes pratiques à partir de pilotes.

Il restera à vérifier que l'émergence d'une matrice régionale débouchera effectivement sur un renforcement des ressources et qu'elle aboutira à la préservation des équilibres locaux d'intervention du CASDAR .

Quant au développement des conventions avec les ONVAR 34 ( * ) , présenté par le ministère de l'agriculture comme correspondant à l'émergence d'un « CASDAR-ONVAR », si l'on peut y voir une diversification bienvenue des partenariats mobilisés par le dispositif, il est regrettable que la communication du ministère aille jusqu'à suggérer qu'une sorte de droit de tirage automatique puisse lui être associé .

Enfin, vos rapporteurs spéciaux s'interrogent sur la portée des objectifs économiques affichés comme l'une des composantes du cadre d'intervention du CAS. Cet objectif est certainement stratégique d'autant qu'il s'agit de l'inscrire dans un processus de conciliation entre les contraintes économiques et écologiques. C'est la raison pour laquelle il convient de le prendre au sérieux, ce qui suppose mieux que de financer des interventions ponctuelles.

L'élaboration d'un véritable projet national d'optimisation agro-économique des exploitations agricoles doté des moyens et d'une gouvernance adaptée s'impose. Il faut aujourd'hui dissiper l'éclatement des actions entreprises en ce domaine dont témoigne l'agencement des ressources du ministère de l'agriculture avec une dispersion budgétaire trop forte des moyens et de leur gestion (voir, à ce propos, la superposition des crédits dans les différents programmes de la mission AAFAR et dans le CASDAR).

S'agissant du programme 776 , l'information est, là aussi, insuffisante.

Le RAP décrit insuffisamment les projets sélectionnés dans le cadre des procédures d'appel à projets et les actions d'accompagnement thématiques innovantes .

Pour le programme 776 , l'indicateur unique 35 ( * ) se décline en deux sous-indicateurs de moyen : le premier repose sur la « part des financements portant principalement sur des problématiques de développement durable pour la compétitivité de l'agriculture » et le second sur la « part de financements impliquant une unité mixte technologique (UMT) ou un réseau mixte thématique (RMT) » rapportés à l'ensemble des financements du programme.

Au regard des cibles, les résultats visés sont mieux qu'atteints en 2016 .

Néanmoins, la significativité du premier sous-indicateur n'est guère satisfaisante. Il n'est pas difficile de « verdir » des projets de recherche appliquée quand les objectifs du PNDAR sont énoncés en des termes tellement généraux que leur référentiel comporte une élasticité si forte qu'il est sans lisibilité autre que conjecturale.

Vos rapporteurs spéciaux attendent davantage de précisions dans l'énoncé et le suivi des objectifs poursuivis.

À l'heure où la thématique de l'agro-écologie oriente fortement les choix publics dans le domaine de l'agriculture, il est nécessaire de renforcer la programmation de la recherche, ce qui passe par une information plus satisfaisante du Parlement 36 ( * ) .

Dans le cadre du programme 776, la préconisation d'accroître la part des dépenses résultant de procédures d'appels à projets, déjà formulée par vos rapporteurs spéciaux et qui fait écho à celle de la Cour des comptes, est progressivement mise en oeuvre année après année. Les appels à projets ont mobilisé près de 20 % des crédits finalement disponibles. Ils permettent de mobiliser des partenaires diversifiés, en particulier les établissements universitaires ou de l'enseignement technique agricole, mais sans exclusive. Les entités institutionnelles du développement agricole n'en sont pas exclues comme en témoigne la part importante des appels à projets sollicitant FranceAgrimer (plus de la moitié de l'enveloppe de 2016).

Enfin, compte tenu de l'accompagnement par un riche dispositif de sélection et, dit-on, d'évaluation desdits projets, qui contraste avec une gouvernance nettement plus routinière des subventions accordées aux organismes soutenus par le CASDAR, ce n'est pas trop demander que le ministère de l'agriculture s'attache à restituer les résultats des recherches appliquées financées par les exploitations agricoles, qui, de leur côté, ont droit à cette information.


* 33 La recherche fondamentale financée sur fonds publics est principalement prise en charge par les dispositifs fiscaux ou budgétaires mis en oeuvre par le ministère de la recherche.

* 34 Il existe actuellement 20 ONVAR financés par le CASDAR, deux ONVAR étant présentés comme « non financés ».

* 35 L'indicateur « Part des financements correspondant aux priorités retenues pour l'évolution quantitative » correspond à la poursuite de l'objectif intitulé « Renforcer l'évolution qualitative des appels à projets et des programmes pluriannuels ».

* 36 À titre d'illustration, la mention que 2,38 millions d'euros d'autorisations d'engagement ont été consacrés au financement d'« actions d'accompagnement sur des thématiques d'actualité et innovantes » recèle une dimension énigmatique plus propre à susciter la curiosité qu'à la satisfaire.

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