C. UNE ÉTAPE VERS UNE RÉDUCTION PLUS PÉRENNE DES SUBVENTIONS AUX RÉGIMES SPÉCIAUX DE RETRAITE ?

Malgré une érosion des dépenses de la mission, les taux de subventionnement des régimes spéciaux demeurent élevés.

Néanmoins, l'exécution des crédits en 2016 peut être considérée comme une étape supplémentaire vers une réduction d'ampleur des dépenses d'équilibre des régimes spéciaux, moyennant toutefois un certain nombre d'incertitudes et le maintien d'une perspective d'appel aux contributions publiques pour couvrir un besoin de financement persistant, même à un horizon très long marqué par l'amplification des effets de rééquilibrage attendus d'une désindexation des pensions dont la soutenabilité au long cours peut susciter une certaine perplexité.

1. Les taux de subventionnement des régimes spéciaux par la mission demeurent élevés...

Taux de subventionnement des plus importants régimes spéciaux
par la mission

SNCF

RATP

Marins

Mines

Total

Subvention par la mission

(A)

3 266,50

636,6

824,8

1 263,70

5 991,60

Pensions

(B)

5 265,60

1 087,70

1 060,90

1 552,40

8 966,60

A/B

62,03 %

58,53 %

77,75 %

81,40 %

66,82 %

Source : commission des finances du Sénat d'après les données du rapport annuel de performances de la mission et des comptes provisoires de la sécurité sociale pour 2016

La contribution des crédits de la mission au financement des pensions servies par les régimes spéciaux de retraite est variable selon le régime considéré mais dépasse 50 % pour les plus grands de ces régimes.

Si l'on considère que la plupart des régimes spéciaux correspondent à des entreprises opérant sur des champs plus ou moins concurrentiels cette situation qui revient à subventionner par appel aux contribuables une partie des coûts sociaux de l'exploitation apporte une distorsion évidente au fonctionnement du marché et fait subir aux contribuables une charge dont, ainsi, il dispense l'usager.

En bref, comme toujours, les subventionnements publics conduisent à s'interroger sur leurs effets économiques et sociaux, la redistribution des revenus et des niveaux de vie à laquelle elles contribuent méritant une clarification que l'information donnée dans le cadre budgétaire n'apporte pas.

2. ...mais la baisse des charges de la mission devrait se prolonger...

Le compte général de l'État présente une projection à long terme (horizon 2050 et 2116) des besoins de financement cumulés, et actualisés, des principaux régimes spéciaux de retraite qui fait ressortir les montants d'engagements implicites correspondant à différentes hypothèses de taux d'intérêt.

La fourchette va de 346 milliards d'euros à 174 milliards d'euros en 2116 , et de 164 milliards d'euros à 121 milliards d'euros en 2050.

Les résultats de la projection ressortent comme très sensibles au choix du taux d'actualisation 242 ( * ) .

Projection à moyen terme des besoins de financement cumulé actualisé des grands régimes spéciaux de retraite financés par la mission

(en milliards d'euros de 2016)

Source : compte général de l'État en 2016

Ces résultats sont de nature à impressionner mais il convient de garder à l'esprit qu'ils expriment des besoins de financement cumulés à long, voire très long, terme 243 ( * ) , le haut de la fourchette étant au surplus fondé sur une hypothèse d'assez nette contraction de l'équilibre économique des régimes.

Même en ce cas, le graphique ci-dessous l'illustre, le besoin de financement des régimes spéciaux se réduirait très fortement en début de période pour connaître une relative stagnation après 2060 autour d'un besoin de financement de 1,5 milliard d'euros constants.

Les charges de la mission devraient ainsi subsister tout au long de la période de projection mais connaître une très nette diminution, de 4,8 milliards d'euros à terme, si bien que le poids de la mission se trouverait allégé de près de 80 %.

Financement des retraites des régimes spéciaux subventionnées (hors SEITA)

Source : compte général de l'État pour 2016

La lecture du graphique suggère que cette évolution résulterait d'un mouvement en ciseaux, les pensions se réduisant tandis que les recettes propres des régimes progresseraient. Cette dissociation des dynamiques des ressources et des charges est attribuable à des variables en volume mais également au choix d'une structure d'indexation qui suscite des interrogations.

Par ailleurs, la part prise par le besoin de financement des retraites de la SNCF dans le total des besoins de financement des régimes spéciaux doit être remarquée. Elle conduit à souligner l'influence de ce régime spécial sur la problématique d'ensemble des régimes spéciaux (du moins pour ceux couverts par la mission) et, de ce fait, les liens entre la santé économique de l'entreprise et sa charge en subventions publiques.

3. ... non sans susciter quelques interrogations sur son modèle

Dans ces évolutions l'application des réformes des retraites aux régimes spéciaux joue un rôle important malgré l'hypothèse d'un maintien des limites d'âge dérogatoires ménagées au profit des catégories non sédentaires des entreprises de transport.

Une modification des bornes d'âge de ces catégories accentuerait la baisse du besoin de financement des régimes mais elle supposerait sans doute des évolutions de toutes sortes comme l'expérience a pu le montrer dans un passé récent.

Dans ce cadre, l'impact du différentiel entre l'indexation des pensions et la dynamique économique pèse d'un poids particulier sur les résultats de la projection ainsi que l'illustrent les écarts entre les résultats de long terme selon l'hypothèse de croissance.

Tout comme pour le régime de la fonction publique d'État pris en charge par le compte d'affectation spéciale « Pensions » (voir ci-dessous), on peut s'interroger sur la soutenabilité d'un modèle d'équilibre des régimes de retraite basé sur un décrochage des revenus des pensionnés par rapport à celui des actifs .

Même si sa traduction en niveau de vie peut être tempérée par plusieurs facteurs (situations patrimoniale, familiale, charges diverses...), ce décrochage programmé revient à rompre avec un objectif traditionnel de parité, qui avait été atteint .

À ce titre, il mériterait d'être plus pleinement pris en compte dans le débat sur la répartition des revenus entre période d'activité et période d'inactivité.

Dans un tel modèle, l'attractivité des régimes obligatoires de retraite tend à se détériorer par rapport à des alternatives où les créances constituées par les épargnants se trouvent implicitement indexées sur le PIB.

On dira que la portée pratique d'une telle perte d'attractivité , qui en soi mérite d'être relativisée, que l'éventualité d'un « opting out » 244 ( * ) , qui n'est légalement pas ouvert, sont assez virtuelles compte tenu de la structure de financement des régimes spéciaux pour lesquels la subvention de l'État revient à élever le taux de rendement des cotisations supportés par les salariés que ce soit directement (les cotisations salariales) ou indirectement (les cotisations des employeurs) 245 ( * ) . Néanmoins, outre que la subvention versée par l'État pourrait être considérée comme un engagement irréfragable de sa part, insusceptible d'être concrètement révoqué, il conviendrait de disposer d'un panorama plus systématique sur la totalité des transferts publics dont bénéficie le système de retraite en France, en particulier à travers les avantages fiscaux accordés au patrimoine, quelle qu'en soit leurs vecteurs. Cette information permettrait de mesurer les impacts de la perte de rendement des systèmes de retraite de base.

Une dernière observation conduit à mettre en relief les disparités de rendements des régimes spéciaux de retraite entre les générations. En effet, pour la partie qui correspond au différentiel d'indexation des pensions et des assiettes contributives, la réduction du besoin de financement peut être lue comme recelant la perspective d'un allègement structurel des contributions des générations futures aux pensions des retraités sans pour autant que leurs droits soient modifiés.


* 242 Par ailleurs, compte tenu de l'isolement de ces régimes et du fait que certains d'entre eux concernent des entreprises (plus ou moins) soumises à la concurrence, les hypothèses économico-démographiques sur lesquelles reposent les projections apparaissent d'emblée affectées d'incertitudes qu'il serait utile d'illustrer par des projections établies en variantes. Cette recommandation s'impose d'autant plus que les hypothèses choisies pour réaliser les projections ne sont pas présentées avec un détail suffisant dans le cadre du compte général de l'État. On ne peut qu'ajouter quelques interrogations sur les effets de l'innovation technologique notamment sur les conditions de financement des régimes concernant les entreprises de transport où les progrès de productivité par tête pourraient aboutir à une reconsidération radicale des modalités de financement de la protection sociale dans l'hypothèse où ils seraient captés par le capital.

* 243 Ainsi, un besoin de financement de 346 milliards d'euros en 2016 équivaut grosso modo à un besoin de financement annuel moyen de 3,5 milliards d'euros, résultat à comparer avec les 6,3 milliards d'euros de dépenses de la mission en 2016.

* 244 L'« opting out » désigne l'option ouverte dans certains régimes d'assurances sociales de ne pas s'affilier au régime de base. La levée de l'option dépend d'une appréciation d'opportunité reposant sur une perception du bilan risque-rendement des différentes offres d'assurance.

* 245 Votre rapporteur spécial tend à considérer que cotisations salariales et cotisations employeurs sont également des éléments de rémunération différées des salariés.

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