LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

En seconde délibération, l'Assemblée nationale a adopté, avec l'avis favorable de sa commission des finances, un amendement du Gouvernement visant à majorer les crédits de la mission « Défense » de 10 093 901 euros afin de « tirer les conséquences sur la mission " Défense " des décisions annoncées lors du rendez-vous salarial du 18 juin 2018, concernant d'une part la revalorisation des indemnités kilométriques et d'autre part de la revalorisation des barèmes des frais de nuitée ». Cette majoration se répartit à hauteur de :

- 8 039 527 euros en AE comme en CP sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces » ;

- 2 054 374 euros en AE comme en CP sur le programme 212 « Soutien de la politique de la défense ».

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le jeudi 8 novembre 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Dominique de Legge, rapporteur spécial, sur la mission « Défense ».

M. Dominique de Legge , rapporteur spécial . - Le budget 2019 constitue la première année de mise en oeuvre de la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2019 à 2025, adoptée il y a quelques mois. Force est de constater que le montant des crédits de paiement, hors pensions, inscrits dans ce budget, 37,9 milliards d'euros, en hausse de 1,7 milliard d'euros par rapport à 2018, est conforme à la trajectoire fixée dans la LPM, dont je ne détaillerai pas ici les limites. Souvenons-nous simplement que l'effort prévu entre 2019 et 2023, qui est réel, est inégalement réparti, la marche la plus importante ne devant être gravie qu'en 2023, soit au début du prochain quinquennat et de la prochaine mandature !

Néanmoins, ne boudons pas notre plaisir, l'effort prévu pour 2019 est bel et bien au rendez-vous et l'augmentation des crédits est importante. Dès lors, ce budget est-il réellement « à hauteur d'homme », selon l'expression utilisée par la ministre ?

S'agissant des effectifs, les engagements sont tenus, avec la création de 450 emplois. La répartition de ces postes est également conforme aux dispositions de la LPM, la majorité d'entre eux étant consacrée au renseignement et à la cyberdéfense.

Face à l'enjeu de fidélisation du personnel et d'attractivité des métiers de la défense, plusieurs réponses sont apportées dans ce budget.

Des mesures de revalorisation salariale seront prises avec notamment la création d'une prime de lien au service, destinée à renforcer l'attractivité de certains métiers tels que celui de praticien du service de santé des armées, ou encore la reprise du protocole Parcours professionnels, carrières et rémunérations.

Si la question salariale est évidemment clé - 53 % des militaires estiment que leur engagement n'est pas suffisamment rémunéré -, elle ne constitue cependant pas l'unique réponse aux enjeux que je viens d'évoquer.

À cet égard, je ne peux que me féliciter de la montée en puissance du plan famille, lancé en octobre 2017 et qui sera doté de 57 millions d'euros en 2019 contre 22,5 millions d'euros en 2018. Ce plan, qui comporte 46 actions dans les domaines de l'hébergement, de la mobilité ou encore dans le champ du social, a suscité une véritable attente auprès des militaires. Il convient par conséquent que ses crédits soient effectivement sanctuarisés et que toutes les mesures puissent être menées à leur terme.

J'ajoute qu'alors que le plan famille fait de la question de l'amélioration des conditions de vie de nos militaires une priorité, il me semblerait paradoxal de poursuivre le projet de cession du Val-de-Grâce, dernière emprise parisienne à accueillir des militaires, qui contraindrait le ministère à héberger ses soldats hors de Paris, ce qui pose un enjeu majeur en termes de sécurité et de transport.

Les mesures que je viens de vous présenter, qui sont évidemment bienvenues, sont-elles suffisantes ? Probablement pas, si j'en crois l'incapacité du ministère à consommer l'intégralité de ses crédits de personnel. La sous-exécution des crédits du titre 2 devrait atteindre 155 millions d'euros en 2018. Cette situation préoccupante s'explique à la fois par un taux de non-renouvellement des contrats élevé et par une difficulté du ministère à recruter dans certains métiers.

Dans le rapport sur le parc immobilier des armées que j'ai établi en 2017, je faisais le constat d'une dégradation progressive de l'état des infrastructures de la défense et, en particulier, de celles du quotidien dédiées à l'hébergement, à la restauration ou à l'entraînement, la priorité étant accordée à l'accompagnement des grands programmes d'armement.

En 2019, les crédits consacrés à la maintenance progresseront de 7 % en autorisations d'engagement (AE) et de 12 % en crédits de paiement (CP) et les dépenses en faveur des logements et des établissements sociaux et médico-sociaux atteindront plus de 76 millions d'euros en AE et près de 74 millions d'euros en CP.

Sur la durée de la programmation, 13,5 milliards d'euros devraient être consacrés aux infrastructures. C'est un effort significatif. Pour autant, le ministère des armées estime à 1,5 milliard d'euros les besoins non satisfaits. Ce sujet constitue donc un point de vigilance auquel nous devrons être attentifs dans les années à venir.

S'agissant de l'entretien programmé des matériels, là encore, une hausse des crédits est prévue en 2019. En particulier, les AE progresseront de plus de 4,6 milliards d'euros par rapport à 2018 afin de permettre, notamment dans le cadre de la réforme mise en oeuvre cette année du maintien en condition opérationnelle aéronautique, la passation de contrats pluriannuels globaux. Cet effort mettra cependant du temps avant de porter ses fruits.

Enfin, ce budget permet-il de préparer l'avenir ? Il m'est difficile de me prononcer sur la conformité du calendrier de commandes et de livraisons par rapport aux objectifs de la LPM, dans la mesure où elle ne fixait que des objectifs finaux, sans les décliner par année... Pour autant, au cours des auditions que j'ai menées, il m'a été indiqué que les commandes et livraisons prévues en 2019 devraient répondre aux besoins de nos forces.

Au total, le budget qui nous est présenté m'apparaît plutôt positif et conforme aux engagements pris. Néanmoins, cette entrée en LPM est hypothéquée par la fin de gestion 2018, qui, pour reprendre expression de l'un de mes interlocuteurs, en constitue l'antichambre.

Or le projet de loi de finances rectificative pour 2018 déposé hier à l'Assemblée nationale est pour le moins inquiétant. Sur un montant total de surcoûts des opérations extérieures et intérieures s'élevant à près de 1,4 milliard d'euros, les restes à financer atteignent 580 millions d'euros et, à l'exception d'un montant de 40 millions d'euros de remboursements en provenance de l'ONU, il est prévu que l'intégralité de ce surcoût soit financée sous enveloppe par le ministère des armées. Ce serait la première fois depuis plusieurs années que le ministère devrait prendre en charge seul, sans solidarité interministérielle, ce surcoût, alors même que l'actuelle LPM fixe un principe très clair de répartition entre les différentes missions du budget de l'État.

Le projet de loi de finances rectificative prévoit ainsi une ouverture de plus de 400 millions d'euros sur le programme 178 « Préparation et emploi des forces » entièrement gagée par des annulations sur les autres programmes de la mission. En particulier, le programme 146 « Équipement des forces » sera fortement mis à contribution, à hauteur de 319 millions d'euros. Le reste sera financé par le titre 2, en lien avec les difficultés de recrutement que j'évoquais tout à l'heure.

En 2017-2018, nous avons déjà connu un épisode de ce type : on nous avait dit que l'annulation de crédits de 850 millions d'euros décidée en 2017 serait compensée en 2018.

À cet instant, trois scénarios se présentent à nous. Si les 250 millions d'euros encore gelés étaient in fine annulés, la bonne application de la LPM serait compromise. En effet, le manque à gagner atteindrait plus de 800 millions d'euros, ce qui remettrait fondamentalement en cause la parole donnée et la possibilité de respecter la LPM votée par le Parlement. Dans ce cas-là, je serais amené à vous proposer de rejeter les crédits de la mission. Si les crédits encore en réserve devaient être dégelés, nous limiterions les « dégâts », mais l'effort prévu par le budget 2019 serait amoindri. Dans cette hypothèse, je vous proposerais l'abstention. Enfin, si par extraordinaire une ouverture de crédits à venir, voire une minoration du montant de l'annulation, devait intervenir dès le stade de l'examen du projet de loi de finances rectificative, ma position pourrait être appelée à évoluer.

Devant ces incertitudes, je vous propose de différer notre vote sur les crédits de la mission « Défense » jusqu'à la réunion d'examen définitif des missions. Nous avons besoin de davantage d'informations et de garanties.

M. Roger Karoutchi . - Vous estimez, s'agissant du Val-de-Grâce, que le ministère des armées aurait intérêt à ne pas céder le site. La partie hospitalière est néanmoins déjà fermée et les autorités renvoient les patients vers d'autres hôpitaux militaires. Le Val-de-Grâce n'est désormais plus qu'un immeuble fantôme dont seuls les bâtiments de l'arrière sont encore occupés. Il semblerait, en outre, que des acheteurs potentiels se soient déjà manifestés et qu'un accord soit en cours avec la Ville de Paris pour ériger un nouveau quartier. Vous semble-t-il, dans ses conditions, encore possible de revenir en arrière ?

M. Éric Bocquet . - Vous nous avez présenté, en juillet dernier, un rapport édifiant sur les hélicoptères : sur 467 appareils, 300 étaient, dans mon souvenir, immobilisés pour défaut de maintenance. Dans le présent projet de loi de finances, les crédits de maintenance bénéficient d'une augmentation significative ; l'effort vous semble-t-il suffisant ? Par ailleurs, 7,1 milliards d'euros devraient être consacrés à l'achat de nouveaux matériels. Pourriez-vous nous préciser le détail des achats prévus et les fournisseurs concernés ?

M. Jérôme Bascher . - Le projet de loi de finances rectificative présenté hier en conseil des ministres prévoit-il une annulation de crédits pour le ministère des armées ?

M. Marc Laménie . - Le logiciel de paie Louvois a connu d'innombrables dysfonctionnements ayant entraîné, selon les estimations les plus pessimistes, des surcoûts à hauteur de 300 millions d'euros. À combien, selon les éléments dont vous disposez, s'élèvent précisément ces surcoûts ? Quels sont, par ailleurs, les moyens humains consacrés à l'opération Sentinelle pour la protection des lieux publics et quel est le coût du dispositif ? Enfin, les contrats de redynamisation des sites de défense, destinés à accompagner la suppression de casernes et de régiments, sont-ils toujours d'actualité ?

M. Thierry Carcenac . - Vos observations relatives à la politique immobilière du ministère des armées, particulièrement intéressantes, nous amènent à réfléchir à la gestion immobilière de l'État dans son ensemble. Dans le rapport spécial que j'ai eu l'honneur de vous présenter hier, j'ai rappelé que l'application des dispositions de la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement, dite Duflot, entraînerait de considérables coûts de décote - de l'ordre de 4 232 euros par mètre carré - dans le cadre de la vente des bâtiments sis dans l'îlot Saint-Germain. N'existe-t-il pas d'autres moyens de construire des logements sociaux que de brader le patrimoine de l'État à des coûts prohibitifs ? Veillons à ne pas reproduire la même erreur au Val-de-Grâce. D'autres pays ont choisi des options différentes : en Grande-Bretagne, par exemple, des baux emphytéotiques ont été conclus sur des sites prestigieux pour permettre à la fois de financer leur rénovation et de bénéficier des loyers versés. Enfin, dans la perspective de la création prochaine d'un service national universel, serait-il envisageable de loger les jeunes dans certaines casernes ?

M. Antoine Lefèvre . - Vous nous aviez livré, l'an passé, un récit alarmant de l'état de la base navale de Toulon, victime, notamment, de problèmes de plomberie. La situation s'est-elle, à votre connaissance, améliorée ? Quel budget a été, le cas échéant, consacré aux travaux de maintenance ? Je partage votre analyse : il convient d'attendre des précisions du Gouvernement pour voter sur les crédits de la présente mission. Le Président de la République a récemment évoqué la création d'une armée européenne. Quels financements pourraient y être alloués ? S'agissant enfin du service national universel, avez-vous connaissance d'un calendrier de mise en oeuvre et de modalités de financement ?

M. Philippe Dallier . - Je m'interroge également sur la création du service national universel, dont la première cohorte est annoncée en 2019. Quel sera le coût du dispositif et comment sera-t-il financé ? J'approuve votre décision de réserver notre vote sur les crédits de la mission « Défense » dans l'attente de plus amples informations. Je ne puis toutefois imaginer que le Gouvernement renonce à sa promesse d'une meilleure sincérité du financement des OPEX, comme l'évoque votre premier scénario.

M. Vincent Éblé , président . - Il ferait alors preuve d'une indéniable duplicité !

M. Dominique de Legge , rapporteur spécial . - Pour répondre à Roger Karoutchi, de nombreux militaires sont stationnés à Paris dans le cadre de l'opération Sentinelle. Pour les loger, des travaux sont réalisés dans des casernes de banlieue. Mais il leur est conseillé de ne pas prendre les transports en commun. Dès lors, au Fort de l'Est par exemple, ils peuvent difficilement sortir de leur baraquement. Il me semble donc préférable de conserver des capacités d'hébergement intra-muros .

À Éric Bocquet, je répondrai que l'augmentation annoncée des crédits destinés à la maintenance laisse espérer des améliorations, d'autant, même si un changement de structure ne suffit pas, que la réforme du maintien en condition opérationnelle (MCO) intervenue cette année en confiera la responsabilité à une direction placée sous l'autorité directe du chef d'état-major des armées. Alors que la maintenance d'un hélicoptère fait l'objet de multiples contrats applicables aux différentes pièces, un chef de file unique assurera leur cohérence. Cette amélioration, néanmoins, ne sera tangible qu'à compter de 2021 ou de 2022, à la condition supplémentaire que les matériels ne fassent pas l'objet d'une utilisation intensive et permanente. La liste des nouveaux équipements figure, par ailleurs, dans mon rapport, elle semble conforme aux annonces et satisfait les militaires.

J'indique à Jérôme Bascher qu'outre 155 millions d'euros sur le titre 2 d'économies de constatation, 320 millions d'euros sont annulés sur le programme 146 « Équipement des forces ». Dans la mesure où des autorisations d'engagement sont également supprimées, certains investissements s'en trouveront décalés.

Pour répondre à Marc Laménie, dans la perspective du remplacement du logiciel Louvois, le nouveau dispositif Source Solde sera prochainement testé dans la marine. Le fiasco de Louvois a effectivement entraîné des coûts faramineux. Récemment, l'État a ainsi renoncé à demander un trop perçu de 95 millions d'euros. L'opération Sentinelle mobilise actuellement 7 000 soldats, pour une mise à disposition maximum de 10 000 hommes. Le coût des missions intérieures s'établit à 150 millions d'euros. Quant à l'accompagnement de la fermeture des casernes, les programmes prévus se poursuivent.

Je partage l'analyse de Thierry Carcenac, sur les dérives du dispositif Duflot : il n'est pas possible de financer une politique du logement et des dépenses d'équipement des forces armées sur les mêmes crédits. Un amendement a été adopté sur la LPM, afin de réserver la décote dite Duflot lorsque le projet prévoit de réserver des logements sociaux pour les armées : j'y suis favorable. En matière d'immobilier, le ministère des armées fait figure d'exception, car il continue à percevoir des crédits au titre du paiement les loyers budgétaires, afin d'assurer le respect des engagements de la LPM.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur le service national universel. Je puis vous confirmer qu'aucun crédit n'est inscrit dans le budget 2019 à ce titre. Nous verrons l'année prochaine si d'aventure la première cohorte est effectivement lancée... Quant à l'hébergement de ces jeunes dans les casernes, je rappelle que nous rencontrons déjà des difficultés pour loger les militaires affectés aux opérations intérieures. En outre, les besoins en hébergement des jeunes du service national universel pourraient ne pas se trouver en adéquation avec les casernes disponibles.

Pour répondre à Antoine Lefèvre, la plomberie à Toulon fuit toujours, mais des crédits sont inscrits pour des travaux électriques en 2019.

Soyons prudents s'agissant de la création d'une armée européenne. Les États membres de l'Union européenne suivent des règles différentes pour l'engagement de leur armée : seules la France et la Grande-Bretagne peuvent agir sur la décision unilatérale du chef de l'État sans accord préalable du Parlement - la situation diffère ailleurs, notamment en Allemagne - et disposent de forces de projection, même si certains pays européens peuvent être amenés à accompagner logistiquement des OPEX. Certes, quelques initiatives industrielles, concernant en particulier l'avion et le char du futur, ont été engagées, mais la solidarité demeure fragile : la Belgique, récemment, a choisi d'acquérir des avions américains. La question est hautement politique et devrait faire l'objet d'un débat au printemps 2019. Même si les mentalités évoluent en faveur d'une meilleure coopération, n'oublions pas que de nombreux États membres estiment que leur sécurité dépend avant tout de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).

M. Vincent Éblé , président . - Le rapporteur spécial nous propose donc de réserver le vote sur les crédits de la mission « Défense » dans l'attente que les incertitudes qu'il a relevées soient levées par le Gouvernement.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de réserver sa position sur les crédits de la mission « Défense ».

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 22 novembre 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé , président, la commission des finances, après avoir pris acte des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, a décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat.

Page mise à jour le

Partager cette page