B. LES PERSONNES ÂGÉES ACCUEILLIES EN ÉTABLISSEMENT SONT PARTICULIÈREMENT EXPOSÉES AUX RUPTURES DE PARCOURS DU SOIN VISUEL

Il ressort des auditions menées par votre rapporteure le constat d'une négligence par les personnes âgées de leur santé visuelle, qui peut avoir plusieurs causes : l'apparition tardive de symptômes somatiques, l'absence de causalité immédiatement établie entre le trouble visuel et la perte d'autonomie, ou, le plus souvent, le résultat d'un renoncement au soin .

En raison du caractère incontournable de la prescription médicale, les vulnérabilités particulières des personnes âgées, qu'elles soient dues aux pathologies visuelles dont l'âge augmente la prévalence ou à l'inadéquation de leur équipement optique, trouvent en effet leur cause première dans la difficulté d'accès aux médecins spécialistes en ophtalmologie .

Cette difficulté d'accès est d'abord d' ordre géographique . L'inégale répartition des ophtalmologistes sur le territoire, cumulée à la dynamique démographique décroissante de la profession (155 places actuellement réservées à l'issue de l'examen de classement national des facultés de médecine alors que les départs annuels s'élèvent à environ 250), en concentre l'exercice dans les grands pôles urbains. Une étude de l'institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) parue en 2014 établissait qu'environ 45 % des patients obtiennent un premier rendez-vous dans des délais supérieurs à trois mois .

À ce titre, les assouplissements de la délégation d'actes médicaux de premier recours pris par la loi du 26 janvier 2016 n'ont pas encore porté leurs fruits. Malgré la possibilité ouverte par le décret du 5 décembre 2016, la Cour des comptes notait dans un rapport récent que « moins de 1 % des bilans visuels ont été effectués par un orthoptiste dans un cadre expérimental », en raison notamment de leur incapacité à les réaliser en-dehors d'une structure où est présent un médecin et non dans leur propre cabinet libéral. Il en découle pour les orthoptistes une forte dépendance d'implantation vis-à-vis des cabinets ou des services d'ophtalmologie, ce qui échoue à mieux répartir l'offre de soins visuels.

Délégation de tâche à l'orthoptiste et télémédecine : un hiatus à corriger

La montée en compétence clinique de l'orthoptiste, permise par la loi du 26 janvier 2016 et le décret du 5 décembre 2016, est un indéniable progrès mais souffre d'un important défaut de mise en oeuvre, qui lui fait manquer l'objectif de désenclavement.

En droit, une fois définies les compétences des différents professionnels de santé, rien ne s'oppose à ce que certaines prestations ou actes soient prescrits et exécutés par le biais de la télémédecine , pour autant que la participation d'au moins un médecin y soit garantie. Cette pratique médicale, dont la définition a été précisée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 5 ( * ) , a précisément pour objectif de permettre l'accomplissement de l'acte médical sans maintien d'une condition de proximité physique des acteurs .

Or le décret du 5 décembre 2016, qui définit le protocole organisationnel associant l'ophtalmologiste et l'orthoptiste et organisant la délégation de tâches, a pris soin de maintenir cette condition en disposant qu'il ne pouvait être conclu que dans les cas où l'orthoptiste exerce en cabinet médical ou en établissement de santé. En sont donc exclus les orthoptistes ayant fait le choix d'une activité libérale et seuls bénéficiaires d'une liberté d'implantation.

Ayant pu s'assurer du soutien des deux professions à l'approfondissement de la délégation de tâches, votre rapporteure souhaite donc que la possibilité de signature d'un protocole organisationnel soit ouverte aux orthoptistes libéraux, avec une pratique des actes délégués en télémédecine.

L'accès aux soins est par ailleurs compliqué par des coûts élevés . Plus d'un ophtalmologiste sur deux est désormais installé en secteur 2, avec une tendance à la hausse (les deux tiers des installations constatées sont en secteur 2). Il faut noter l'importance des dépassements d'honoraires qui atteignent en moyenne 57 % des tarifs opposables. La même étude de l'Irdes conclut ainsi que le renoncement au soin visuel, qui touche 30 % des patients, s'explique pour 17 % par la longueur des délais, pour 10 % par le coût trop élevé et pour 3 % par l'éloignement du médecin.

Ces trois facteurs de renoncement au soin visuel sont sensiblement aggravés dans le cas particulier des personnes âgées sur lesquelles les contraintes de temps, d'isolement géographique et de financement peuvent peser plus lourdement. Bien qu'on puisse légitimement s'attendre à ce que l'accompagnement thérapeutique assuré par l'Ehpad permette un accès facilité au soin visuel, le problème se maintient dans la situation de personnes âgées accueillies en établissement , spécifiquement visée par la présente proposition de loi, pour deux raisons principales :

-  alors que le code de la santé publique lui en reconnaît la faculté, le médecin traitant de la personne âgée se montre très souvent réticent à émettre une prescription médicale en matière ophtalmologique. L'extension du pouvoir de prescription au médecin coordonnateur de l'Ehpad, récemment consacrée à l'initiative du Sénat, ne manquera pas de se heurter à ce même obstacle ;

-  l'éloignement géographique de certains établissements, ainsi que la saturation des personnels assurant l'accompagnement des personnes âgées, ne permettent bien souvent pas à ces dernières de se rendre physiquement dans un cabinet d'ophtalmologie. Par ailleurs, le remboursement des frais de transport de l'assuré par l'assurance maladie étant étroitement encadré par les articles R. 322-10 et suivants du code de la sécurité sociale et limité aux cas d'hospitalisation ou d'affection de longue durée, le coût du transport pour la personne âgée incapable de se déplacer de façon autonome est un facteur aggravant du non-recours.


* 5 Loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018.

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