B. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOS RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. Une nouvelle utilisation de la dotation au bénéfice des fonds spéciaux

Trois mouvements de crédits en provenance du programme 552 ont majoré d'un total de 8,84 millions d'euros les crédits disponibles de la sous-action « Fonds spéciaux » du programme 129 « Coordination du travail intergouvernemental », de la mission « Direction de l'action du Gouvernement ».

Cet abondement s'inscrit dans une pratique systématique depuis 2008, comme le relève la Cour des comptes. 160 ( * ) Ce faisant, le programme 552 « Dépenses accidentelles et imprévisibles » est devenu une réserve de droit commun palliant les difficultés de gestion financière des opérations couvertes par les fonds spéciaux , malgré une budgétisation plus élevée ces deux dernières années, et le recours aux autres mesures en cours de gestion.

Origine et répartition des crédits alloués en exécution
à la sous-action « Fonds spéciaux »

(en millions d'euros)

Source : Cour des comptes, note d'analyse sur l'exécution budgétaire de la mission « Crédits non répartis » en 2018

Si le recours fréquent aux crédits non répartis se justifie compte tenu de l'imprévisibilité inhérente aux opérations financées par les fonds spéciaux, il suscite néanmoins plusieurs critiques de la Cour des comptes. Vos rapporteurs spéciaux partagent notamment sa réserve quant à la chronologie des abondements réalisés du programme 552 vers le programme 129.

Réalisés entre juin et novembre, ces transferts de crédits semblent contraires au critère de « dernier recours » de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles. Ils ont effectivement eu lieu après utilisation des mesures « classiques » de régulation (transfert d'un autre programme, dégel etc.), lesquelles sont survenues fin novembre.

2. Une répartition contestable de la dotation du programme 552 au bénéfice des programmes 105 et 336 du budget général

La spécificité et le caractère dérogatoire du programme 552 au principe de spécialité budgétaire ont été assortis d'une doctrine d'emploi précise , afin d'éviter d'éventuels recours à ce programme pour compenser des sous-budgétisations ou financer « des mesures nouvelles décidées de manière discrétionnaire en gestion », comme le rappellent les documents budgétaires. La dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles doit ainsi faire l'objet d' « un dernier recours quand tous les autres dispositifs permettant de faire face à des dépenses accidentelles ou imprévisibles ont été mobilisés », conformément au principe d'auto-assurance .

Ce principe, réaffirmé dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques pour 2018 à 2022, implique que chaque ouverture de crédits au sein d'une mission doit être d'abord compensée par des annulations de crédits au sein de la même mission, en puisant notamment sur les crédits mis en réserve.

Le seuil de mise en réserve des crédits a néanmoins été abaissé de 8 % à 3 %, dans un effort de sincérisation budgétaire à partir de 2018. Aussi les crédits du programme 552 en 2018 ont-ils été augmentés de 24 millions d'euros 161 ( * ) à 124 millions d'euros afin d'accompagner partiellement cette baisse du taux de mise en réserve.

Ces 100 millions d'euros supplémentaires n'ont manifestement pas suffi, puisque 104,5 millions d'euros ont été prélevés sur le programme 552 pour financer deux mesures de fin gestion. Ces mouvements sont par ailleurs contestables au regard de la doctrine d'emploi évoquée supra.

a) Un transfert au profit des dépenses de personnel du ministère des affaires étrangères, sujettes à une sous-budgétisation chronique

Les crédits de titre 2 du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » de la mission « Action extérieure de l'État » se sont révélés insuffisants en fin de gestion, alors que de la LFR pour 2018 était déjà promulguée. 4,5 millions d'euros en CP et AE ont donc été transférés par le décret n° 2018-1114 du 10 décembre 2018 du programme 552 vers le programme 105. Le rapport relatif à ce décret justifie ce mouvement en raison des opérations de pré-liquidation de la paie de décembre, qui n'ont pu être prévues au moment de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2018. Par ailleurs, un virement depuis un autre programme de la même mission n'a pu être réalisé car il aurait excédé le seuil de 2 % autorisé par l'article 12 de la LOLF.

Ce mouvement de fin gestion suscite plusieurs doutes quant à sa conformité avec les principes encadrant le recours à la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles. Nos collègues MM. Vincent Delahaye et Rémi Féraud, rapporteurs spéciaux de la mission « Action extérieure de l'État », soulignent en effet dans leur contribution 162 ( * ) que le titre 2 de cette même mission fait l'objet d'une surconsommation chronique depuis 2007 , à l'exception de l'année 2014, notamment du fait de de l'incidence du taux de change dans la rémunération des agents en poste à l'étranger et des agents de droit local.

Face à ce constat, l'imprévisibilité de ce besoin est donc à relativiser et le montant des dépenses de personnel aurait fort bien pu être réévalué en amont, notamment dans le projet de loi de finances rectificative pour 2018.

Par ailleurs, bien que la totalité des crédits du programme 552 soit concentrée sur le titre 3 à titre conservatoire , la régularité du transfert d'une partie de ces crédits pour abonder des crédits de titre 2 d'une autre mission se questionne au regard du principe de « fongibilité asymétrique » établi par l'article 12 de la LOLF 163 ( * ) . Il faut ajouter que la mission « Crédits non répartis » inclut par ailleurs une seconde dotation, le programme 551 « Provision relative aux rémunérations publiques » , destinée précisément à couvrir les dépenses de personnel dont la répartition par programme ne peut être déterminée au cours de la discussion du projet de loi de finances. Par définition, seuls des crédits de titre 2 peuvent être ouverts sur ce programme. Si cette dotation était nulle en 2018, il serait à l'avenir plus judicieux d'y inscrire en titre 2 une part du total des crédits de la mission plutôt que de les concentrer sur le titre 3 du programme 552 .

Une meilleure budgétisation des dépenses de personnel de la mission « Action extérieure de l'État » reste néanmoins préférable pour éviter la reproduction d'un tel mouvement, qui, d'ailleurs, a déjà eu lieu en 2007 et que votre rapporteur spécial de l'époque, M. Jean-Pierre Demerliat, avait dénoncé. 164 ( * )

b) Un abondement du programme 336 destiné à financer une mesure prévisible

Le programme 336 « Dotation du mécanisme européen de stabilité », de la mission « Engagements financiers de l'État » n'avait fait l'objet d'aucune dotation en LFI 2018. Le décret n° 2018-1241 du 26 décembre 2018 a permis d'ouvrir 100 millions d'euros de crédits en AE et CP sur ce programme tout en annulant un montant équivalent de la dotation « Dépenses accidentelles et imprévisibles ». Le rapport relatif à ce décret précise que cette ouverture était destinée au financement de la rétrocession par la France des intérêts négatifs perçus 165 ( * ) en 2018 sur la fraction du capital du mécanisme européen de stabilité (MES) placée à la Banque de France.

En effet, par un courrier du 10 mai 2017, le ministre de l'économie et des finances s'était engagé à rétrocéder les intérêts perçus sous la condition d'un engagement réciproque de l'Allemagne, du fait du placement de la fraction complémentaire du capital du MES à la Bundesbank. Le rapport poursuit en justifiant l'absence de dotation du programme 336, en LFI 2018 ou en LFR 2018 , l'engagement de l'Allemagne n'ayant été confirmé qu'après l'adoption du PLFR 2018.

Partageant l'analyse de la Cour des comptes, vos rapporteurs spéciaux contestent ce recours à un décret pour dépenses accidentelles et imprévisibles en vue de couvrir une dépense qui ne semblait ni accidentelle ni imprévisible .

En effet, lors de l'examen du projet de loi de règlement pour 2017, notre collègue Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial de la mission « Engagement financiers de l'État », 166 ( * ) avait déjà identifié une opération similaire de rétrocession, pour un total de 86,7 millions d'euros en crédits de paiement, alors que la budgétisation initiale était nulle . Cette consommation a été possible grâce à une inscription de ces crédits dès le dépôt du texte du second projet de LFR pour 2017, le 15 novembre 2017. À cette date, le PLF pour 2018 était encore en discussion et il était donc loisible au Gouvernement d'ouvrir sur le programme 336 un montant de crédits proche de la consommation réalisée en 2017. Une ouverture en cours de gestion aurait également pu avoir lieu dans le cadre du PLFR pour 2018 , compte tenu de de l'observation de la Cour des comptes préconisant, dès l'été 2018, une inscription de 100 millions d'euros de crédits 167 ( * ) .

***

En conclusion, vos rapporteurs spéciaux estiment que les règles d'utilisation de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles ont été contournées, sinon détournées, afin de compenser à la fois l'engagement du Gouvernement de ne plus avoir recours aux décrets d'avance et le raccourcissement du délai d'examen du PLFR 2018 168 ( * ) .

Il est pour le moins paradoxal que ces deux innovations mises en oeuvre à l'automne 2017 et destinées à améliorer la procédure budgétaire, notamment dans une visée plus respectueuse du débat parlementaire, ont finalement conduit à de tels mouvements de gestion sur lesquels le Parlement ne peut émettre aucun avis préalable.


* 160 Cour des comptes, note d'analyse sur l'exécution budgétaire de la mission « Crédits non répartis » en 2018.

* 161 Ces dernières années programme 552 était doté d'une vingtaine de millions d'euros afin de majorer en cours de gestion les crédits des fonds spéciaux. (voir supra)

* 162 Voir supra.

* 163 Le IV de cet article dispose en effet qu' « aucun virement ni transfert ne peut être effectué au profit du titre des dépenses de personnel à partir d'un autre titre ».

* 164 Contribution de M. Jean-Pierre Demerliat, rapporteur spécial, au rapport n° 433, tome II (2007-2008) de MM. Philippe Marini, sur le projet de loi de règlement des comptes pour l'année 2007 https://www.senat.fr/rap/l07-433-2/l07-433-2190.html#toc1820

* 165 Les taux d'intérêt à court terme de la Banque de France étant négatifs (- 0,4 %), c'est le déposant qui verse les intérêts à l'institution financière dépositaire des fonds. Or, afin de compenser l'érosion du capital du MES, la France s'est engagée à lui rétrocéder les intérêts perçus sur la fraction de capital déposé à la Banque de France.

* 166 Contribution de Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial, au rapport n° 628 (2017-2018) de M. Albéric de Montgolfier, sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2017. http://www.senat.fr/rap/l17-628-2/l17-628-256.html#toc883

* 167 Dans son rapport sur la situation et la perspective des finances publiques de 2018, la Cour des comptes constatait une sous-budgétisation du programme 336 et s'attendait à ce titre « à un dépassement de 0,1 milliard d'euros ».

* 168 Du fait de sa nouvelle configuration excluant les dispositions fiscales, le projet de loi de finances rectificative pour 2018 comprenait 8 articles. M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général estimait à ce titre que le « le PLFR de fin d'année retrouve ainsi son objectif d'origine en se concentrant sur les mesures ayant uniquement un impact sur l'année en cours » au cours de son examen en commission le 14 novembre 2018.

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