D. LA DÉLIVRANCE DES TITRES SÉCURISÉS, UNE INÉVITABLE NUMÉRISATION AUX BÉNÉFICES ENCORE PEU APPARENTS

Alors que, dans le cadre du plan préfectures nouvelle génération, la chaîne de délivrance des titres sécurisés a fait l'objet d'une réorganisation en profondeur censée tirer parti des progrès technologiques pour obtenir des gains de productivité, une amélioration du service et des progrès d'efficacité contre les fraudes et falsifications, certaines interrogations subsistent face au bilan de ces réformes.

1. La fermeture presque complète des guichets du réseau préfectoral et la cessation forcée d'un service de proximité rendu par les communes

La numérisation du processus de délivrance des titres sécurisés s'est accompagnée d'une importante réduction des points de contact avec les usagers. Dans un premier temps, limitée aux passeports biométriques, elle concerne désormais les autres titres sécurisés, dont la carte nationale d'identité.

La fermeture des guichets du réseau préfectoral a été concomitante avec le lancement des « centres d'expertise et de ressources titres » CERT.

Un redéploiement d'emplois massif concernant 1 786,35 ETPT affectés dans les CERT à la fin de juillet a été mis en oeuvre, en recourant largement aux emplois contractuels.

Le déploiement des CERT

27 CERT cartes nationales d'identité et passeports (CNI-PSP) : Hors sites pilotes, le déploiement de l'ensemble des CERT dédiés à l'instruction des demandes de carte nationale d'identité (CNI) et de passeports sécurisés a été réalisé entre le 21 février et le 29 mars 2017, à raison d'une à quatre régions par semaine. 21 CERT sont désormais opérationnels en plus de celui de la préfecture de police de Paris 15 ( * ) et des 5 CERT Outre-mer.

21 CERT Permis de conduire (PC) et 1 CERT dédié exclusivement aux permis internationaux et étrangers : L'ouverture des CERT PC est intervenue le 6 novembre 2017, excepté pour les deux CERT pilotes : celui de Cergy, pilote départemental, a démarré son activité le 15 mai 2017, et celui de Mulhouse, pilote régional, a ouvert le 6 juin 2017. Les dossiers d'échange de permis de conduire étrangers et de demande de permis de conduire internationaux (cas particuliers) ne sont pas dématérialisés et sont traités exclusivement par le CERT de Nantes, hors demandes parisiennes traitées par le CERT de Paris .

6 CERT certificat d'immatriculation des véhicules (CIV) : L'ouverture des CERT CIV est intervenue le 6 novembre 2017, excepté pour le CERT de Besançon qui a ouvert le 2 octobre 2017 en qualité de CERT pilote. Le CERT de la Préfecture de police de Paris est spécifique puisqu'il centralise les demandes liées aux immatriculations diplomatiques de l'ensemble du territoire et le traitement de l'ensemble des autres demandes pour les personnes résidant à Paris

3 CERT ultramarins mixtes : Les CERT CIV implantés en Outre-mer sont des CERT mixtes et traitent également les permis de conduire. Ils sont implantés en Guadeloupe, à la Réunion et à Mayotte.

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

Ce processus s'est accompagné de la fermeture de nombreux points d'accès auparavant accessibles dans les antennes du réseau préfectoral, mais surtout dans les communes, qui se sont trouvées forcées d'interrompre les services rendus à leurs administrés.

Dans ce contexte, un report de charges sur les usagers et certaines mairies est intervenu.

La mise en place du passeport biométrique, en 2009, s'est accompagnée du déploiement de dispositifs de recueil dans un nombre réduit de mairies, dans le réseau préfectoral et les postes consulaires ou diplomatiques. Un nombre de 3 500 dispositifs de recueil ont été installés par l'agence nationale des titres sécurisés, en 2009, auprès de 2 062 communes , de l'ensemble des préfectures et de certaines sous-préfectures, et de 212 postes diplomatiques de la France à l'étranger.

Ces dispositifs ont vocation à permettre le recueil de l'ensemble des pièces constituant la demande ainsi que son envoi dématérialisé aux services instructeurs mais également le recueil des données biométriques (empreintes digitales et photographie).

Le dépôt des demandes de passeports biométriques est régi par le principe de déterritorialisation si bien qu'il n'est pas nécessaire d'être résident de la commune pour présenter une demande à la mairie de celle-ci. C'est une solution naturellement recommandable sans laquelle seuls les résidents des communes dotées de dispositifs de recueil de données pourraient ambitionner d'accéder aux titres concernés par la numérisation. Mais, cette déterritorialisation pose bien entendu des difficultés sérieuses, tant aux usagers qu'aux communes qui assument la charge du nouveau dispositif.

Quant aux charges supportées par les communes gestionnaires des dispositifs nécessaires à la formulation des demandes, elles peuvent dépasser largement les compensations prévues selon les témoignages de nombreux responsables locaux.

Ces difficultés n'ont pas ralenti le processus de numérisation que le ministère a souhaité étendre à la carte nationale d'identité.

Désormais recueillies selon les mêmes modalités techniques que le passeport, les demandes de titres d'identité ne peuvent être déposées qu'auprès de mairies équipées d'un dispositif de recueil.

Dans ce contexte, l'inspection générale de l'administration a préconisé le déploiement de 228 dispositifs de recueils complémentaires , qui viennent s'ajouter au parc déjà existant.

Le déploiement effectif a concerné 278 nouveaux dispositifs de recueil auprès de communes déjà équipées et de communes souhaitant maintenir ce service aux usagers. Par ailleurs, 250 nouveaux dispositifs de recueil sont en cours de déploiement.

Au total, seules désormais 2 157 communes se trouvent équipées de 3 833 stations, chiffre en augmentation par rapport à 2013 où 3 522 stations étaient déployées dans 2 085 communes, mais, évidemment sans commune mesure avec les plus de 36 600 points d'entrée accessibles avant la dématérialisation de la chaîne de délivrance des titres d'identité.

L'éloignement des points d'entrée est le principal problème supporté par les usagers résidant dans les dizaines de milliers de communes non équipées, d'autant que le nouveau système peut être sensible à de menues perturbations.

Cet éloignement peut aller jusqu'à remettre en cause l'égale accessibilité aux droits, inquiétude formulée par votre rapporteur spécial l'an dernier et traduite dans le dernier rapport du Défenseur des droits.

Celui-ci se fondant sur « de nombreux appels reçus sur la plateforme téléphonique » indique avoir « pu percevoir que le transfert des compétences des préfectures vers l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) s'était traduit, dans certains départements, franciliens notamment, par une fermeture prématurée des guichets avec un stock de dossiers non traités et de multiples difficultés liées à l'informatique et aux ressources humaines ».

Il recommande que lorsqu'une procédure est dématérialisée, une voie alternative - papier, téléphonique ou humaine - soit à chaque fois proposée.

Cette recommandation paraît tomber sous le sens à votre rapporteur spécial qui la fait évidemment sienne.

S'agissant de l'indemnisation, il a été décidé de compléter l'indemnisation forfaitaire déjà versée pour les passeports biométriques par une indemnité forfaitaire par dispositif de recueil pour couvrir le traitement des demandes de CNI émanant des demandeurs non-résidents.

Longtemps mal compensées, les communes ont bénéficié de l'amélioration apportée par l'article 168 de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 qui a modifié le dispositif précédent et prévu une augmentation du montant de la dotation.

Selon les données transmises par le ministère, le total des compensations versées aux communes atteindrait 43,2  millions d'euros en 2019.

Évolution du régime des compensations financières
apportées aux communes disposant d'une station

(en euros)

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Montant unitaire de la dotation

5 030 € par station en fonction-nement au 1er janvier de l'année

5 030 € par station en fonction-nement au 1er janvier de l'année

5 030 € par station en fonction-nement au 1er janvier de l'année

5 030 € par station en fonction-nement au 1er janvier de l'année

5 030 € par station en fonction-nement au 1er janvier de l'année

8 580 € par station en fonctionnement au 1er janvier de l'année
et une majoration de

3 550 € par station ayant recueilli plus de 1 875 demandes de titres l'année précédant la répartition

8 580 € par station en fonctionnement au 1er janvier de l'année
et une majoration de
3 550 € par station ayant recueilli plus de 1 875 demandes de titres l'année précédant la répartition

Nombre de communes bénéficiaires

2 085

2 086

2 088

2 089

2 088

Nombre total de communes :

2 157 pour la dotation forfaitaire
dont 951 communes pour la majoration

Nombre total de communes :
2 292 pour la dotation forfaitaire
dont 1 317 communes pour la majoration

Nombre de stations

3 522

3 528

3 527

3 527

3 547

Nombre total de stations :

3 833 pour la dotation forfaitaire dont
1 772 pour la majoration

Nombre total de stations :

4 023 pour la dotation forfaitaire dont
2 433 pour la majoration

Montant total des crédits versés de la DTS

17 715 660

17 745 840

17 740 810

17 740 810

17 841 410

39 177 740

43 154 490

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

2. Des délais de délivrance des titres qui restent élevés, le développement d'un marché privé de délivrance des cartes grises

Le projet annuel de performances présente le raccourcissement du délai moyen de délivrance des titres (passeports biométriques, cartes nationales d'identité, permis de conduire) comme l'un des quatre objectifs les plus représentatifs de la mission.

Il est naturellement important que les titres permettant l'exercice de grandes libertés publiques et, tout simplement, l'existence quotidienne, puissent être remis aux demandeurs dans les meilleurs délais .

Force est de constater que les performances atteintes en la matière n'étaient généralement pas au niveau attendu.

Le ministère a modifié l'indicateur permettant de suivre l'atteinte de cet objectif, modification qui, outre une justification contestable, aboutit à une forte déperdition de l'information.

L'indicateur jusqu'à présent suivi permettait de mesurer la proportion de différents titres sécurisés délivrés dans des délais jugés « raisonnables » (15 jours pour les passeports biométriques et les cartes nationales d'identité, 19 jours pour les permis de conduire). Le ministère a remplacé ce suivi par celui des délais d'instruction des mêmes titres dans les CERT.

Cette substitution est justifiée par la préoccupation de ne restituer que les performances attribuables aux services ministériels, l'indicateur précédant incluant des délais considérés comme non imputables à ces derniers (dépôt en mairie, fabrication et acheminement du titre) 16 ( * ) .

Votre rapporteur spécial n'approuve pas ce changement. D'une part, il n'est pas judicieux de considérer que l'État n'a pas de responsabilité sur les opérations qui se trouvent exclues du champ de l'indicateur. Responsable de l'architecture de la délivrance des titres, il ne peut dégager sa responsabilité de quelques-uns de ces constituants. En particulier, les délais de fabrication et d'acheminement sont évidemment de la responsabilité de l'ANTS, dont il assure la tutelle. D'autre part, cette évolution tend à négliger la seule information qui compte vraiment pour les usagers, celle portant sur les délais que prend l'accès aux titres sécurisés nécessaires à leur vie professionnelle ou courante.

Il est assez peu probable que le ministère ait vraiment besoin de modifier l'indicateur publié dans le cadre de l'information budgétaire pour connaître les performances des CERT. Dans ces conditions, le changement d'indicateur semble ne ressortir que d'une intention de communication maladroite.

Si le ministère souhaite exposer les seuls résultats des activités qu'il considère comme relevant de sa seule responsabilité, rien ne l'empêche de continuer à informer les contribuables et les usagers sur les délais moyens auxquels ces derniers doivent s'attendre à être confrontés avant la satisfaction de leur demande.

Quoi qu'il en soit, le projet annuel de performances ne comporte plus aucune indication sur les délais de délivrance des titres constatés dans le passé.

Or, les opérations de délivrance des titres ont connu des dysfonctionnements réguliers.

Le projet annuel de performances pour 2019 avait exposé des objectifs plutôt peu ambitieux.

Les performances appréciées à partir du projet annuel de performances
pour 2019

Source : projet annuel de performances pour 2019

Pour l'année 2018, il tablait sur un pourcentage de seulement 85 % des titres concernés par l'indicateur délivrés sous les délais de référence.

En réalité, les réalisations ont été encore très inférieures à ces objectifs. Le rapport annuel de performances pour l'exercice 2018 en témoigne.

Les performances effectives mesurées par le rapport annuel
de performances pour 2018

Source : rapport annuel de performances pour 2018

Si les permis de conduire avaient été remis aux demandeurs dans des conditions satisfaisantes, ce dont il faut se réjouir, il n'en avait pas été de même pour les passeports et pour la carte d'identité. Dans les deux cas, les cibles avaient été manquées de beaucoup et le service rendu s'était considérablement dégradé par rapport à 2018.

Le ministère avait expliqué avoir été confronté à un flux de demandes dont l'importance n'avait pas été anticipé. Par ailleurs, sa précocité aurait surpris le ministère mis hors d'état de procéder aux recrutements des personnels vacataires qui sont embauchés pour fournir un appui aux services. D'ores et déjà, le ministère tendait à dégager sa responsabilité en indiquant que pour sa part les délais d'instruction moyen par les CERT étaient limités à 7,5 jours seulement en 2018.

Votre rapporteur prend acte de ces explications qui consistent à imputer à l'ANTS la responsabilité de retards d'autant plus étonnants que les procédés de fabrication des titres sont nécessairement très mécanisés. Il observe également que la performance des CERT aurait été supérieure à celle prévue pour 2019 et 2020 (10 et 9 jours d'instruction respectivement).

La dégradation de la performance attendue en 2019 est à nouveau motivée par un flux de demandes jugé important (+ 15 %) en lien avec le calendrier des renouvellements des cartes nationale d'identité.

Il faut espérer que cette dégradation des délais de la phase d'instruction ne sera pas amplifiée lors de la phase ultérieure de fabrication et d'acheminement des titres.

Par ailleurs, il faut tenir compte des importantes disparités territoriales qu'occulte la référence à une cible moyenne.

Elles avaient pu faire l'objet d'une présentation détaillée par département dans le rapport sur le projet de loi de finances pour 2018.

Rappel des constatations exposées en 2017

S'agissant des permis de conduire , pour le seul délai moyen de traitement des demandes de permis de conduire imputable à la préfecture (mesuré à partir du nombre de jours séparant la date de réception par le service instructeur de l'ensemble des éléments constitutifs du dossier et la date d'envoi au centre de traitement des numérisations des documents nécessaires à l'édition du titre), l'hétérogénéité est considérable. Pour une moyenne nationale en 2016 de 10,5 jours, le délai est de 1,5 jour dans le Jura et la Creuse mais de 45,4 jours en Corse du Sud (25 jours en Haute Corse). Si le flux des demandes peut jouer (ainsi, dans le Rhône, le délai est de 23 jours), il n'est manifestement pas un déterminant mécanique. En Essonne, le délai est de 3,1 jours, tandis qu'en Seine-et-Marne il atteint 21,9 jours.

De mêmes constats s'imposent en ce qui concerne la carte nationale d'identité . Pour un délai moyen de 7,9 jours en 2016 apprécié à partir d'une donnée incomplète (le nombre de jours séparant la date de réception de la demande par le service instructeur et la date d'envoi de la demande par ce service au centre de fabrication, qui n'incluent pas les délais imputables aux autres maillons de la chaîne - mairie, centre de fabrication, livraison...), on observe un délai effectif d'une journée dans le Territoire-de-Belfort, de 4,4 journées en Ardèche, mais de 39,8 jours dans le Rhône et 12,8 jours à Paris. Les performances là aussi ne semblent pas corrélées avec des données sociodémographiques, pas davantage d'ailleurs qu'avec les performances obtenues dans la délivrance d'autres titres.

Quant aux passeports biométriques , qui sont de longue date délivrés dans le cadre d'un processus de dématérialisation, l'inégale efficacité des traitements s'impose aussi comme un constat. Pour une moyenne nationale de 12,9 jours en 2016, le délai tel qu'il est suivi par le ministère était en 2016 de 30,5 jours en Auvergne-Rhône-Alpes pour 7,2 jours et 7,4 jours en Corse et dans les Hauts-de-France, respectivement.

Source : commission des finances du Sénat. Rapport sur la mission. Loi de finances pour 2018

L'an dernier le ministère avait indiqué ne plus suivre les performances du système au niveau du département du fait du déploiement des centres de ressources et expertises titres (CERT).

Votre rapporteur spécial avait déploré ce qui constituait un appauvrissement du suivi des performances et de leur restitution.

Si le suivi par département n'est plus accessible, l'information le demeure CERT par CERT, ce qui, pour avoir pour effet d'écraser les différences entre départements rappelées plus haut, permet, c'est le moins, de disposer d'une information moins agrégée que celle transmise dans la documentation budgétaire de base.

Les délais de mise à disposition des titres 17 ( * ) ressortent comme nettement dispersés.

Pour les permis de conduire , avec un délai moyen national de 14 jours, le délai va de 9 jours pour le CERT de Grasse, (14 CERT atteignant une performance égale ou meilleure que la moyenne) jusqu'à 24 jours à Lyon (21 jours à Paris), 9 CERT dépassant la moyenne nationale.

Pour la carte nationale d'identité , le délai national moyen est de 19,5 jours (hors recueil d'informations supplémentaires qui peuvent ajouter de nouveaux délais). Il s'étage entre 10,5 jours (CERT de Boulogne Billancourt) et 26,5 jours pour le CERT du Mans (les délais sont encore un peu supérieurs en Outre-Mer). Dans 11 CERT les délais sont inférieurs au délai national tandis qu'ils lui sont supérieurs dans 10 CERT.

Enfin, pour le passeport biométrique , le délai national moyen est de 18,5 jours (à nouveau hors recueil complémentaire) avec un délai minimal de 11 jours à nouveau à Boulogne Billancourt et un délai maximal de 24 jours pour le CERT de Bourges.

Pour les papiers d'identité, les CERT d'Île-de-France extériorisent de meilleurs résultats que les CERT traitant les demandes des régions, situation qui s'inverse et de beaucoup pour les permis de conduire.

Or, sauf vérification contraire, il n'y a pas lieu de supposer que les flux concernant ces titres soient hétérogènes de sorte que le calibrage des effectifs des CERT est probablement en cause.

Votre rapporteur spécial souhaite que les facteurs agissant sur la variété des performances soient identifiés et qu'il y soit remédié.

Mais, la situation la plus difficile a encore été celle des titres d'immatriculation des véhicules. La situation demeure très tendue.

Pour ces titres, les circuits de délivrance sont au nombre de trois.

Les demandes relatives aux certificats d'immatriculation sont transmises par télé-procédures, avec ou sans passage en CERT, ou réalisées directement par des professionnels dans le système d'immatriculation des véhicules (SIV).

La substitution des CERT aux guichets habituels a occasionné la constatation d'un délai moyen de 35 jours (allant même jusqu'à 38 jours pour le CERT de Poitiers) pour les demandes transitant par les CERT.

Au premier semestre 2019, ce délai atteint encore en moyenne nationale 35,7 jours (de 26,3 jours à Paris à 37,9 jours à Besançon). Le ministère nuance ces mauvais résultats en faisant ressortir que la phase d'instruction des demandes propre aux CERT se déroule dans des délais plus brefs : une moyenne nationale de 18 jours allant de 7 jours à Paris à 22 jours à Clermont-Ferrand. Les autres délais seraient imputables « à la dématérialisation (qui) induit des délais de réponse différés de l'usager, lorsque des pièces ou renseignements complémentaires lui sont demandés... ».

Comme l'indique le ministère, la numérisation et la dématérialisation des procédures ne constituent pas systématiquement un progrès d'efficacité. Ces processus sont peu adaptés dès lors que les opérations concernées sont soumises à des conditions complexes.

Incidemment, votre rapporteur spécial observe que les relations commerciales entre les consommateurs et des organismes professionnels qui inclinent à soumettre leurs clients aux fourches caudines de programmes informatiques inflexibles ont pour effet de déséquilibrer ces relations aux dépens systématique des consommateurs, évolution dont il conviendrait de se préoccuper au plus vite.

Quoi qu'il en soit, la responsabilité des délais insupportables des délivrances des titres passant par les CERT incombe au ministère de l'intérieur, qui, pour avoir mis en oeuvre des solutions plus ou moins fonctionnelles (voir infra ), doit mieux résoudre les difficultés rencontrées.

Il est heureux en toute hypothèse que la plupart des demandes puissent être traitées sans recours aux CERT : 85% des opérations réalisées sont effectuées directement dans le SIV par des professionnels, sans intervention du CERT. 10% des opérations sont traitées automatiquement par télé-procédures et ne passent donc pas en CERT (5% seulement des opérations, représentant les cas les plus sensibles ou complexes, sont instruites par télé-procédures en CERT).

Ces dernières procédures permettent de disposer d'un titre sous un délai moyen de 3,4 jours.

Votre rapporteur spécial observe toutefois que si le traitement des demandes est « gratuit » lorsque la demande est formulée auprès du service public, les conditions de tarification de la délivrance des CIV dans le circuit commercial sont libres. Interrogé sur les pratiques commerciales, le ministère n'a pas fourni d'indication complémentaire.

Il faut le regretter puisqu'aussi bien l'accès à ce marché aux intervenants commerciaux se fait sous contrôle du ministère de l'intérieur, ce dernier indiquant que le nombre des professionnels habilités est en augmentation significative. Lors de la mise en place du SIV en 2009, 14 295 professionnels ont été habilités à télétransmettre leurs opérations. Au 29 juillet 2019, on en dénombre 39 004 actifs.

Une consultation sur internet laisse supposer une facturation variable selon les commerçants mais qui n'est que rarement inférieure (hors promotion) à 30 euros. On rappelle que 13 millions de cartes grises seraient délivrées chaque années si bien que le marché correspondant pourrait représenter plus de 300 millions d'euros, soit davantage que le plafond de recettes fiscales affectées à l'ANTS pour financer son activité et un peu plus de la moitié des crédits demandés au titre de l'action n° 02 de la mission AGTE 18 ( * ) .

3. La diffusion de COMEDEC auprès des communes, une charge mal compensée

La loi de modernisation de la justice du XXI e siècle a rendu obligatoire (au 1 er novembre 2018) le dispositif COMEDEC pour les communes qui sont ou ont été siège d'une maternité. Elle contribue à la sécurisation de la chaîne de délivrance des titres sécurisés et ainsi à la lutte contre la fraude documentaire.

L'application COMEDEC est une plateforme informatique d'échanges de données d'état-civil, en production depuis le 1 er janvier 2014. Elle assure la transmission dématérialisée des actes de naissance entre les communes et les centres d'expertise et de ressources titres (CERT) chargés de l'instruction des demandes de cartes nationales d'identité et de passeports.

Or, celle-ci demeurait plutôt confidentielle puisqu'au 31 août 2017, seules 366 communes étaient raccordées à ce dispositif. La situation paraît avoir évolué dans le bon sens, mais demeurent des failles.

Au 21 août 2018, 636 communes étaient raccordées à ce dispositif. L'échéance réglementaire mentionnée plus haut a accéléré le déploiement de COMEDEC : 1 226 communes y sont désormais raccordées, dont 1 008 communes disposant ou ayant disposé d'une maternité dépositaires des actes de naissance et 218 communes volontaires, couvrant ainsi 89% de la population. Si l'ensemble des communes de naissance ne sont pas encore toutes raccordées à COMEDEC, plus de 200 communes supplémentaires le sont depuis le 1er novembre 2018.

6 000 études notariales connectées , soit l'essentiel de la profession, et depuis le début de l'année 2019, près de 6,2 millions de demandes ont été traitées via le dispositif COMEDEC, soit plus de 750 000 réponses par mois. L'application facilite les démarches des demandeurs puisque 87 % des demandeurs de passeport et carte nationale d'identité n'ont plus à fournir leur acte de naissance.

Pour les communes, la gestion de l'application suscite des coûts que le mécanisme d'accompagnement prévu par le décret n°2017-890 du 6 mai 2017 relatif à l'état civil ne permet de prendre en compte que restrictivement.

Les versements effectifs n'ont débuté qu'en octobre 2018. Ils auront nécessité des délais bien trop élevés. Par ailleurs, les conditions posées tendent à désinciter les communes présentant un moindre potentiel. En effet, les versements ne bénéficient qu'aux communes générant un plancher de réponses aux demandes des notaires. Au demeurant, les versements réalisés (2 millions d'euros au total, soit 1 700 euros en moyenne par commune) posent un problème d'équilibre. Ils sont très inférieurs aux produits attendus par l'ANTS qui devraient s'élever à 13,7 millions d'euros en 2019, les efforts des communes se traduisant par un gain net pour l'État de près de 11 millions d'euros. Enfin, l'on doit regretter que le versement soit affecté d'un terme puisqu'il devrait cesser au bout d'une période de 7 ans.

4. L'équilibre financier de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) reste, malgré certains progrès apparents, une source de perplexité

En plus des crédits de l'action n° 02 du programme 354 il faut prendre en compte les coûts de cette prestation pris en charge par l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS).

Celle-ci opère pour le compte de l'État, un certain nombre d'activités, de conception et de gestion de la fabrication et de l'acheminement des titres principalement, dont le financement n'est pas assuré par une subvention pour charges de service public, comme c'est souvent le cas, mais par l'attribution d'une partie d'un certain nombre de droits perçus auprès des usagers.

Le projet de loi de finances prévoit d'élever le plafond de l'affectation de la taxe sur les passeports pour permettre à l'ANTS de bénéficier d'une recette supplémentaire de 10 millions d'euros.

a) Le financement de l'ANTS repose sur des taxes affectées correspondant à une fraction des produits perçus par l'État à l'occasion de la mission de délivrance des titres sécurisés

Établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère de l'intérieur, l'ANTS a pour mission de développer et d'assurer la production de titres sécurisés . Initialement compétente pour les passeports électronique et biométrique, le certificat d'immatriculation des véhicules, le titre de séjour électronique, la carte nationale d'identité électronique (CNI) et le visa biométrique, l'Agence a vu ses attributions progressivement étendues à la plupart des documents officiels 19 ( * ) .

Le projet de loi de finances ne rend pas bien compte de la mobilisation des finances publiques au service de l'ANTS, non plus que de la productivité pour l'État de la gestion des titres sécurisés.

Le budget n'assure qu'une partie minoritaire des ressources de l'ANTS sous la forme du reversement à l'agence du produit de la redevance d'acheminement des certificats d'immatriculation des véhicules (32,6 millions d'euros pour 2020 comme en 2019, prévision établie sur la base de la délivrance de 11,8 millions de cartes grises).

Ces sommes suivent un circuit complexe qui mobilise la procédure d'attribution de produits rattachés au programme 354 puis une rétrocession à l'ANTS.

Surtout, le financement de l'agence sollicite les finances publiques au-delà de cette redevance puisqu'il repose sur des recettes affectées.

Le produit de ces droits affecté à l'ANTS est plafonné (en 2019 à 195 millions d'euros, pour un produit envisagé de 402 ,7 millions d'euros 20 ( * ) ) mais il s'élève à plus de 35 % des dotations en crédits du programme 354 consacrés à la délivrance des titres (17,2 % des crédits du programme).

Les taxes affectées et la redevance d'acheminement susmentionnée apporteraient, en 2019, 227,9 millions d'euros à l'agence .

Les produits affectés à l'ANTS ont été à peu près stabilisés ces dernières années en raison du plafonnement dont elles font l'objet. En revanche, les taxes perçues à raison de la délivrance des titres sécurisés ont été en forte croissance du fait de la hausse des tarifs appliqués et du volume des opérations, faisant de l'activité de délivrance des titres une source de recettes publiques dynamique.

Les taxes affectées à l'ANTS sont des droits de timbre acquittés lors de la délivrance de certains titres dont elle a la charge. La structure des produits affectés dépend des différents plafonds auxquels les affectations sont soumises.

La recette la plus productive provient du droit de timbre relatif à la délivrance des passeports biométriques (126,1 millions d'euros depuis 2017, soit plus de la moitié des recettes), sur la délivrance des certificats d'immatriculation des véhicules (36,2 millions d'euros depuis 2016). Les droits perçus sur la carte nationale d'identité (11,25 millions d'euros) arrivent loin derrière.

Les titres de séjour et de voyage des étrangers engendrent une somme très significative (14,5 millions d'euros) au vu du volume qui est le leur, nettement inférieur à celui impliqué par les autres opérations.

Les taxes affectées à l'ANTS entre 2015 et 2019

(en millions d'euros)

2015

2016

2017

2018

2019

Produit

Plafond

Produit

Plafond

Produit

Plafond

Produit

Plafond

Produit

Plafond

Total

357,17

193,19

379,17

187,69

372,2

195,00

396,00

195,00

402,7

195,00

Passeport

257,64

118,75

259,15

118,75

276,10

126,06

301,8

126,06

307,5

126,06

Certificat d'immatriculation- Taxe de gestion

50,64

38,70

50,02

36,20

47,20

36,20

46,1

36,20

46,4

36,20

Titres de séjour et de voyage (TSVE)

19,93

14,49

16,67

14,49

19,30

14,49

16,5

14,49

16,9

14,49

Carte nationale d'identité (CNI)

20,30

11,25

20,67

11,25

19,80

11,25

22,1

11,25

22,4

11,25

Permis de conduire

8,66

10,00

11,99

7,00

9,80

7,00

9,5

7,00

9,5

7,00

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

Le projet de loi de finances pour 2020 propose dans son article 27 d'élever le plafond au-delà duquel les droits perçus sur la délivrance des passeports biométriques sont versés au budget général, en le faisant passer à 137,06 millions d'euros. Les recettes affectées à l'ANTS se trouveraient ainsi augmentées de 5,6 % (+ 11 millions d'euros).

Comme on le constate dans le tableau ci-dessus, les produits affectés à l'agence ne rendent pas compte de la totalité des recettes que l'État se procure du fait de la délivrance des titres sécurisés.

En dehors des dépenses de l'ANTS revenant à la mission AGTE (voir infra ), il convient de tenir compte des produits de ces taxes reversés au budget général.

En effet, hormis pour la redevance d'acheminement, le produit des taxes attribuées à l'ANTS est plafonné comme c'est le cas général des taxes affectées dans le cadre des normes budgétaires appliquées aux opérateurs. En cas de recettes supérieures au plafond fixé chaque année en loi de finances, l'excédent est reversé au budget général de l'État.

L'information fournie par le document « Voies et moyens », annexé au projet de loi de finances relève la contribution des cinq taxes affectées à l'ANTS au financement du budget général.

Sur un produit total de 402,7 millions d'euros en 2019, l'ANTS soustrait 195 millions d'euros si bien que les taxes apportent 207,7 millions d'euros au budget général.

L'évolution des prélèvements correspondants n'est pas linéaire, dépendant du volume des opérations traitées chaque année, mais elle se caractérise par un dynamisme certain. Les recettes ont augmenté de 45,6 millions d'euros entre 2015 et 2019 (+ 12,7 %, soit environ 3 % de croissance annuelle).

Par ailleurs, l'agence dégage des ressources propres 21 ( * ) , en forte croissance mais pour un montant finalement peu significatif.

Évolution des ressources propres de l'ANTS entre 2015 et 2019

(en millions d'euros)

2015

(réalisé)

2016

(réalisé)

2017

(réalisé)

2018

(réalisé)

2019

(prévision)

Recettes diverses

2,19

7,65

7,27

8,38

16,67

Téléservices

0,09

0,12

3,21

7,15

14,30

Timbres dématérialisés

0,08

0,04

0,91

1,21

0,73

COMEDEC

0,01

0,08

2,3

5,94

13,57

Services de confiance

1,72

2,39

1,61

0,28

2,14

Innovation

0

1,92

0

0,49

0,1

Autres

0,38

3,22

0,7

0,46

0,22

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

La prévision pour 2019 ressort à 16,67 millions d'euros soit un septuplement par rapport à 2015 (+ 13,8 millions d'euros) et un quasi doublement par rapport à 2018 (+ 8,3 millions d'euros).

Même s'il n'entre pas dans la vocation d'un établissement public administratif de développer une activité commerciale, on pourrait se féliciter de cette augmentation s'il apparaissait qu'elle procédait d'une valorisation des savoir-faire de l'agence.

Or, tel ne paraît pas être la source de croissance desdits produits.

Votre rapporteur spécial souligne la contribution des téléservices à la dynamique de ces ressources. En 2018, ils ont produit 7 millions d'euros de recettes supplémentaires par rapport à 2015 et devraient apporter 7 millions d'euros de plus à l'ANTS en 2019 par rapport au réalisé de l'an dernier.

En bref, ce sont les recettes liées aux téléservices qui ont permis à l'ANTS de développer ses recettes propres.

Les prévisions pour 2019 intègrent la dynamique des produits de consultation de l'état civil dématérialisé à travers l'application COMEDEC par les notaires. L'incidence finale est sans doute reportée sur les clients, les charges notariales représentant pour eux une charge supplémentaire.

En outre, il faut remarquer que la fermeture de nombre de services assurés aux guichets des préfectures mais aussi, et surtout des mairies, s'accompagne d'une progression significative des appels téléphoniques adressés au centre de contact de l'ANTS, de la part des usagers mais aussi des mairies.

Il est précisé que la mise en place progressive de la dématérialisation de plusieurs nouveaux titres et de traitement des demandes via des CERT spécialisés s'est accompagnée d'un triplement des appels en 2017 auprès du centre de contact citoyens, progression confirmée lors du premier semestre 2018 et qui devrait se maintenir en 2019.

Ainsi, ont été comptabilisés en 2018 2 263 902 appels téléphoniques et 772 893 courriels, soit un volume d'activité si considérable que les capacités de réponse semblent avoir été débordées. Seuls 71 % des appels ont été traités (pour un taux de réponse de 71 %) tandis que 57 % des courriels ont reçu une réponse dans les 24 heures.

En 2017, la plupart des appels avaient porté sur les certificats immatriculation et les permis de conduire. La situation observée en 2018 reproduit cette structure.

L'inflation des appels a été une conséquence directe de la dématérialisation mise en oeuvre dans le cadre du PPNG.

Pour les certificats d'immatriculation, en 2017, les 4 500 appels et 2 000 courriels journaliers pouvaient être comparés aux 2 000 appels et 500 courriels avant la mise en oeuvre de PPNG ; pour les permis de conduire, les 650 courriels et 3 000 appels par jour contrastaient nettement avec la situation antérieure au PPNG (aucun appel).

Le ministère met en évidence la gratuité des communications correspondantes pour les usagers.

Il faut tempérer cet argument par deux considérations, celle du temps consacré souvent en vain par les usagers ; celle des coûts du dispositif pour l'ANTS, qui pour avoir été assumé par des redéploiements n'en compte pas moins comme une charge devant être couverte par des recettes affectées à l'ANTS et prélevées sur les demandeurs de titres sécurisés.

Délais d'attente des appels dirigés vers l'ANTS

Missions

Délai d'attente en minutes

Nombre d'appels traités

SIV

7:03

824 482

Permis

7:18

606 995

TES (passeports/CNI)

2:22

78 321

MSAP/PN

3:11

96 751

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

En 2018, les coûts des opérations correspondantes a dépassé 8 millions d'euros se répartissant comme suit :

- les dépenses de ressources humaines (6,4 millions d'euros), dont 3 873 540 euros au titre des dépenses d'intérim et 2 492 327 euros au titre des salaires versés aux téléconseillers de l'ANTS ;

- le coût de la prestation d'Intelcia 22 ( * ) : 1 544 006 euros ;

- le coût lié à la maintenance de l'outil de gestion de la relation clients : 277 013 euros.

b) Des charges difficiles à maîtriser

Les dépenses prévisionnelles de l'agence s'établissent à 242,5 millions d'euros en 2019 contre 235,9 millions d'euros pour 2018 soit une hausse de 2,8 % (+ 6,6 millions d'euros).

Les prévisions de charges traduisent un inversement de la tendance à la baisse (- 6 %) prévue en 2018.

Les charges de l'ANTS sont partiellement tributaires d'évolutions que l'agence ne maîtrise pas pleinement, qu'il s'agisse de son fait ou du contexte de son activité.

On rappelle que les charges de l'ANTS avaient connu une forte augmentation entre 2011 et 2014 (+ 32,5 %) liée principalement à la mise en oeuvre du nouveau permis de conduire au format européen ainsi qu'aux surcoûts dus à la maintenance du système d'immatriculation des véhicules (SIV), pour illustrer la volatilité des coûts qu'elle peut être conduit à supporter.

L'Europe réglemente les titres sécurisés nationaux

Le règlement (CE) No 2252/2004 du conseil du 13 décembre 2004 établissant des normes pour les éléments de sécurité et les éléments biométriques intégrés dans les passeports et les documents de voyage délivrés par les États membres modifié par le règlement (CE) 444/2009 du Parlement européen et du Conseil du 28 mai 2009 établit un ensemble de prescriptions s'imposant à la production des passeports.

L'influence des décisions européennes s'est à nouveau manifestée en 2019.

Cette sensibilité s'exerce notamment sur les investissements. Pour l'heure, la section d'investissement porte 20,2 millions d'euros de crédits de paiement en 2019, quasiment inchangée par rapport au budget précédent (mais en forte baisse par rapport à 2017, - 8 millions d'euros). Toutes dépenses confondues, les investissements occupent une place modérée dans l'ensemble avec moins de 10 % des engagements.

Le règlement n° 019/1157 du 20 juin 2019 du Parlement européen et du Conseil, prévoit l'instauration d'une carte nationale d'identité électronique (CNIe). Elle sera délivrée en France à partir de la mi-2021 (le règlement entre en vigueur le 2 août 2021). Il s'agit d'harmoniser les normes de sécurité applicables aux cartes d'identité délivrées par les États membres. Le règlement prévoit notamment un passage au format carte bancaire avec insertion d'un composant électronique.

On reconnaît là le retour d'un projet de carte nationale d'identité électronique, qui avait été abandonné, après avoir suscité d'importants coûts, à la suite de la censure partielle des dispositions de la loi n° 2012-410 du 27 mars 2012 relative à la protection de l'identité par le Conseil constitutionnel.

Celui-ci n'avait pas censuré le principe d'une CNI dotée d'un composant électronique contenant l'état-civil du titulaire avec sa photographie et ses empreintes digitales, mais les dispositions afférentes à la mise en place d'une base commune aux deux titres CNI et passeport, dotée d'une fonction d'identification du demandeur à partir de ses données biométriques.

L'ANTS assurera la maîtrise d'oeuvre de ce projet, l'Imprimerie nationale assurant la production de la carte. Le projet de spécifications techniques applicables au titre ne sera validé que d'ici la fin de l'année 2019. Mais, d'ores et déjà, le ministère indique que, lors d'une réunion interministérielle qui s'est tenue le 12 octobre 2018, le gouvernement a décidé que la CNIe constituerait le support d'une identité numérique de niveau élevé.

Il conviendra de suivre l'impact budgétaire des décisions évoquées qui trouvent déjà une traduction dans la hausse du plafond des recettes affectées à l'ANTS. Dans ce cadre, les modalités de passage de la carte d'identité actuelle à la nouvelle carte d'identité électronique appellent des précisions.

Au-delà, il conviendra de veiller à ce que les modalités de l'opération respectent les principes de droit consacrés par le Conseil constitutionnel. À cet égard, l'indication selon laquelle la mise en place de cette nouvelle carte d'identité nécessitera des évolutions de l'application « Titres électroniques sécurisés » suscite une certaine perplexité si l'on se souvient des motivations de la décision du Conseil constitutionnel.

Ce nouveau projet en quelque sorte « européen-contraint » n'est toutefois pas le seul à impacter les dépenses de l'ANTS. Cette dernière mentionne deux projets significatifs.

Deux projets significatifs en cours de définition

CAPSULE : simplification des démarches de cession d'un véhicule

Accompagnant les travaux de modernisation du SIV, Capsule est une application mobile, en cours de conception, permettant à deux particuliers de déclarer la cession d'un véhicule dans le système d'immatriculation des véhicules et de réaliser la demande de changement de titulaire d'un véhicule.

L'usage d'une application mobile permettra de réaliser ces opérations directement durant la vente du véhicule en apportant la garantie aux usagers que l'opération a bien été enregistrée auprès de l'administration.

Les usagers seront guidés tout au long de la procédure et l'application informera en temps réel de la situation administrative du véhicule.

Capsule est conçue pour permettre une mise à jour du système d'immatriculation des véhicules en temps réel.

MES PAPIERS

Dans le cadre des missions que lui confie le ministère de l'intérieur, l'ANTS a initié une réflexion sur l'usage des titres qu'elle produit. Une phase d'étude a permis de définir plusieurs cas d'usages possibles d'un titre dématérialisé : le partage entre particuliers pour donner procuration ou mandat, la déclaration de perte et de vol, la présentation d'une preuve d'identité aux forces de l'ordre, le partage des droits à conduire avec son employeur ou le prêt de véhicule entre particuliers. L'ANTS a conçu un prototype (un socle technique), permettant d'envisager ces cas d'usages, dans le strict respect des obligations du RGPD et des objectifs de sécurité et de confidentialité. À titre d'illustration, l'application Mes Papiers pourrait permettre aux usagers de disposer sur leur smartphone d'une preuve de détention d'un titre physique. Les titres concernés pourraient être: le passeport, la carte nationale d'identité, le titre de séjour, le permis de conduire et le certificat d'immatriculation.

Votre rapporteur spécial, sensible à des innovations qui peuvent faciliter la vie des Français appelle à envisager avec tout le soin nécessaire la transposition de la gestion des titres sécurisés dans les univers numériques ordinaires. La banalisation des supports ne doit pas contredire l'accent mis sur la détection des fraudes documentaires.

Dans le budget initial de l'opérateur pour 2019, les charges de fonctionnement sont largement prédominantes. Elles augmentent (233,4 millions d'euros en 2019 contre 208 millions d'euros en 2018) de 12 %, ce qui est considérable. L'alourdissement de ces dépenses correspond largement aux dysfonctionnements exposés plus haut.

Quant aux dépenses de personnel, elles s'élèvent à 7,7 millions d'euros contre 7,2 millions d'euros en 2018, soit une augmentation de près de 7 %, elle aussi très substantielle.

Le plafond d'emplois de l'ANTS baisse pourtant de 3 ETPT. Il compte 134 ETPT en 2020 contre 137 ETPT en 2019 mais les effets de l'augmentation des emplois constatée en 2019 pour faire face aux dysfonctionnements des systèmes numériques de délivrance des titres sécurisés pèsent encore en 2019.

Cette structure de dépenses traduit la fonction de l'ANTS qui, outre des missions de conception et de conduite de projets, exerce essentiellement un rôle de maître d'ouvrage et de plaque tournante de distribution de titres.

Au total, l'exercice 2019 se solderait par une perte de 4,6 millions d'euros, qui, combinée avec les besoins de financement des investissements se traduiraient par une baisse du fonds de roulement de l'ANTS de 7,1 millions d'euros.

Parmi les dépenses de l'ANTS, il convient de relever le poids de celles qui sont effectuées au bénéfice du programme 354 sous forme de fonds de concours.

Le premier d'entre eux correspond au remboursement annuel des dépenses liées à la production des cartes nationales d'identité (CNI) qui reste assurée par le centre national de production des titres (CNPT) du ministère. Pour 2018, son montant maximum est fixé à 18 millions d'euros.

Évolution des remboursements de l'ANTS en direction du programme 354

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Montant annuel remboursé en million d'euros (dépenses de fonctionnement hors rémunération)

18,85

20,96

22

17,94

16,87

19,00

18,00

Production annuelle (en million de titres)

5,87

5,78

4,64

4,24

4,42

4,50

4,81

L'ANTS était également partie versante d'un autre fonds de concours, dont le niveau n'est plus précisé par les annexes budgétaires, regrettable recul de l'information budgétaire.

Il s'agit du reversement par l'ANTS au ministère de 3 euros pour chaque titre de séjour (TSE) délivré. Le reversement est prévu par une convention de juillet 2014 dans la limite de 2,29 millions d'euros. Les sommes correspondantes étaient rattachées au programme 307 via le fonds de concours n° 138. Elles sont affectées au financement des coûts immobiliers et de conduite du changement induits dans les préfectures par la mise en oeuvre des dispositifs de gestion des titres de séjour et de voyage des étrangers. Le montant du reversement a atteint 2,67 millions d'euros en 2018.

c) Des problèmes structurels demeurent

Afin de rétablir son équilibre budgétaire, l'ANTS est engagée dans une démarche de maîtrise des dépenses qui passe notamment par la réduction du coût de production des titres.

Le nouveau contrat d'objectifs et de performance (COP) 2018-2020 signé le 6 juillet 2018 par le secrétaire général du ministère et le directeur de l'Agence fixe comme objectifs à l'agence d'améliorer la qualité du service rendu aux usagers, de renforcer l'action de l'ANTS en matière de sécurité des systèmes d'information, de protection des données et de lutte contre la fraude, d'innover dans la conceptions et la délivrance des titres et d'améliorer l'efficacité et le pilotage de l'action.

Ces objectifs ne sont assortis d'aucune perspective de renforcement des ressources de l'agence, ni d'aucune latitude nouvelle donnée à cette dernière.

Autant dire qu'ils ne sont pas financés.

Le précédent contrat (2015-2017) exigeait la diminution du coût de production du passeport de 5 % et du permis de conduire de 30 % d'ici 2017 .

Selon les données du tableau ci-dessous, qui récapitule les évolutions des coûts de production unitaire des titres produits par l'Imprimerie nationale tels qu'appréhendés par l'ANTS, ces objectifs, qui pèsent moins sur l'ANTS elle-même que sur ses partenaires, en particulier sur l'Imprimerie nationale, semblent avoir été à peu près tenus.

Néanmoins, certaines évolutions paraissent sans rapport avec les coûts qu'extérioriserait une comptabilité analytique rigoureuse puisqu'elles sont expliquées par des changements dans les conventions entre l'ANTS et l'Imprimerie nationale. Dans d'autres cas, les variations enregistrées correspondent à des modifications substantielles des cahiers des charges. Ainsi, en est-il allé pour le permis de conduire, le projet d'insertion d'une puce ayant été abandonné.

Au demeurant, le retour à une tendance haussière des coûts de production des titres amorcé en 2017 s'est installé en 2018. De 2017 à 2018, le coût de production des passeports biométriques a augmenté de 2,2 %, celui des certificats d'immatriculation de 3,7 %.

On relève la forte hétérogénéité des coûts de production des différents titres sécurisés en lien avec le niveau de sécurisation des titres mais aussi avec le volume des titres produits.

Le projet de carte nationale d'identité électronique se traduira par une nouvelle augmentation du coût de production des titres sécurisés.

Coûts de production des fournitures en titres par l'Imprimerie nationale entre 2012 et 2018

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Passeports (1)

13,30 €

13,24 €

13,47 €

13,06 €

11,94 €

12,07 €

12,34 €

Certificats d'immatriculation

0,74 €

1,04 €

1,06 €

1,06 €

1,07 €

1,07 €

1,11 €

Titres de séjour (1)

12,70 €

12,84 €

11,07 €

10,47 €

10,52 €

10,54 €

10,76 €

Visa (1)

0,80 €

0,83 €

0,83 €

0,66 €

0,66 €

0,66 €

0,68 €

Permis de conduire (2)

/

9,99 €

10,02 €

8,69 €

6,84 €

6,84 €

6,84 €

Cartes agent

/

11,59 €

11,62 €

11,58 €

11,58 €

11,58 €

11,58 €

Cartes d'accès sécurisé

/

9,39 €

9,44 €

9,41 €

9,44 €

9,50 €

9,65 €

Permis Bateau

/

/

3,19 €

3,20 €

3,19 €

3,19 €

3,19 €

Source : réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial

Globalement, la réduction des coûts de production des titres avait eu son pendant dans l'évolution des coûts de transport. Cependant, pour ces derniers aussi, une tension se produit en 2018, avec une aggravation du coût moyen de transport des passeports biométriques de plus de 10 %. Ces coûts sont sensibles à un effet de volume. Le transport des passeports, des titres de séjour, des cartes d'accès sécurisées et des cartes agent est assuré par colis. Si la production augmente, le nombre de titres par colis augmente et les coûts moyens unitaires diminuent.

Par ailleurs, les options d'acheminement peuvent être plus ou moins coûteuses.

Les enjeux d'une réduction du coût unitaire de production et d'acheminement des titres peuvent être appréhendés à partir des prévisions de production en volume.

Ainsi, d'ici 2030, 33 millions d'anciens permis de conduire vont devoir être renouvelés et remplacés par des permis de conduire au format européen. De même, les demandes de passeport biométrique sont en augmentation : 3,88 millions de passeports devraient être produits en 2015 contre 3,78 millions en 2013 et 3 millions en moyenne les années antérieures.

Il convient de rappeler que la réalisation des titres sécurisés est un monopole confié par la loi n° 93-1419 du 31 décembre 1993 à l'Imprimerie nationale, société anonyme détenue à 100 % par l'État. L'ANTS se trouve par conséquent dans une situation particulière qui ne lui permet pas de faire jouer la concurrence.

Votre rapporteur spécial relève que le ministère semble avoir pris en compte ces données.

Dans le cadre d'une volumétrie prévisionnelle moyenne annuelle de 3,5 millions de titres, une renégociation à la baisse du prix unitaire du passeport au-delà de ce seuil prévu dans la convention a été demandée à l'Imprimerie Nationale 23 ( * ) . Pour les certificats d'immatriculation, la renégociation de la convention, en juillet 2019 devrait, à volumétrie constante, permettre un gain achat en année pleine de 2,89 millions d'euros et de 1,1 million d'euros pour la seule année 2019.

Pour les visas, une convention a été établie en juillet 2019, limitant le surcoût unitaire à + 25% contre 40 % initialement annoncé et demandant à l'Imprimerie nationale à ce qu'une renégociation à la baisse des prix unitaires intervienne sous 24 mois.

La réduction des coûts de production aurait dû s'accompagner d'une réduction des droits acquittés par les usagers. Celle-ci ne s'est pas matérialisée.

Interrogé sur la comparaison des coûts de production des titres dans les pays européens, le ministère a fourni des indications sur les tarifs appliqués. On ne peut en déduire la réponse à la question posée du fait de différences institutionnelles.

On relèvera cependant que la France pratique des tarifs très coûteux pour les passeports (près de 45 % de plus qu'en Allemagne).

A l'inverse, la gratuité de la carte d'identité ressort comme une particularité française.

Tarifs de la carte d'identité et du passeport dans différents pays européens

France

Alle-magne

Grande-Bretagne

Estonie

Dane-mark

Pays-Bas

Belgi-que

Irlande

Luxem-bourg

Autri-che

Coût
CNI

gratuite

28.80€

Pas de CNI

25€

Pas de CNI

64.44€

À partir de 12€

Pas de CNI

14€

61.50€

Coût Passeport

86€

À partir de 59€

72.50£

40€

626DKK

50.40€

65€

80€

50€

75.9€

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

On peut mettre en rapport les coûts unitaires mentionnés plus haut avec le tarif des différents droits perçus par l'ANTS.

Les tarifs demandés aux usagers ressortent comme sensiblement supérieurs aux coûts , ce qui n'est pas juridiquement injustifiable, les taxes différant des redevances pour lesquelles une proportionnalité doit être respectée entre coûts et tarifs, mais mérite d'être mieux justifié d'autant que des phénomènes de péréquation paraissent à l'oeuvre .

Les taxes affectées acquittées par les usagers suivent les tarifs suivants pour la délivrance :

- du certificat d'immatriculation : 4 euros,

- du passeport : 86 euros pour un majeur, 42 euros pour un mineur de plus de 15 ans, 17 euros avant cet âge,

- de la carte nationale d'identité : gratuité ou 25 euros à la suite d'une perte ou d'un vol,

- du titre de séjour ou de voyage des étrangers : 19 euros,

- du permis de conduire à la suite d'une perte, d'un vol ou en cas de détérioration : 25 euros.

Le poids prépondérant des recettes associées au droit de timbre à la charge des demandeurs d'un passeport biométrique dans le financement de l'agence a été souligné ci-dessus (137,06 millions d'euros, soit 57 % des ressources de l'agence).

Votre rapporteur spécial s'interroge sur les conditions dans lesquelles sont fixés les tarifs des droits de timbre des différents titres développés par l'ANTS. Il observe qu'en dépit des informations transmises qui tendent à extérioriser une réduction des différents coûts unitaires supportés par l'ANTS, ses recettes, même si elles ont été globalement insuffisantes pour couvrir les charges de l'ANTS, ont connu une forte augmentation, en lien avec des volumes traités en expansion, dans un contexte où les tarifs unitaires ont eux-mêmes augmenté et laissent apparaître une forte discordance avec les coûts de chacun des titres concernés. Il convient en particulier de vérifier que les produits versés à l'ANTS par les ministères auxquels l'agence fournit des cartes agents couvrent convenablement les coûts d'une activité que l'agence entend développer considérablement.

Par ailleurs, il faut tenir compte d'un certain nombre de risques pesant sur l'ANTS.

À ce sujet, un rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA) a préconisé l'adoption d'une politique de maîtrise des risques plus complète et plus systématique dont les recommandations doivent donner lieu à des suites effectives.

Par ailleurs, dans le contexte des réorganisations en cours visant à ôter au réseau préfectoral son rôle dans la chaîne de traitement des titres, excepté pour les titres liés à la situation des étrangers, le risque d'un transfert de charges récurrent aux dépens de l'ANTS n'est pas négligeable.


* 15 Il ne relève pas du programme 354.

* 16 Votre rapporteur spécial rappelle que, d'ores et déjà, la computation des délais de référence ne recouvrait pas l'ensemble de la démarche entreprise par l'usager. Elle ne débutait qu'à partir de la réception de la demande au CERT.

* 17 Ils sont calculés à compter de la date de réception de la demande par le CERT, qui peut être plus ou moins éloignée de la date où l'usager envisage une démarche de demande et implique des délais supplémentaires entre la formulation de la demande et sa réception par les CERT.

* 18 Un remboursement des dépenses liées à l'exploitation et l'hébergement de l'application SIV (système d'immatriculation des véhicules) sur le réseau informatique du ministère est rattaché aux crédits de la mission. Le produit de ce remboursement avait été estimé au titre de 2018 était de 3 millions d'euros. Il n'a finalement rapporté que 1,67 million d'euros.

* 19 Décret n° 2014-512 du 20 mai 2014 modifiant le décret n° 2007-255 du 27 février 2007 fixant la liste des titres sécurisés relevant de l'Agence nationale des titres sécurisés.

* 20 Source : Voies et moyens pour 2020.

* 21 Ces recettes propres sont par exemple liées à la fabrication des cartes d'agents pour différents ministères ou à l'utilisation du système de transmission électronique des données d'état civil COMEDEC.

* 22 Prestataire extérieur auquel a été confiée la mission de répondre aux demandes des usagers.

* 23 Ce seuil sert, en effet, de base de calcul pour l'ensemble des frais fixes et des amortissements.

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