D. LE FINANCEMENT DES TGIR : UN BUDGET EN HAUSSE, DES CIRCUITS DE FINANCEMENT TOUJOURS AUSSI COMPLEXES

Les infrastructures de recherche sont des outils stratégiques qui utilisent des instruments de recherche à la frontière des connaissances technologiques et scientifiques pour permettre à la communauté scientifique de mener des programmes de recherche d'excellence .

La quatrième édition de la feuille de route nationale identifie 99 infrastructures aux formes et aux contenus extrêmement variés qui se répartissent en quatre catégories : les organisations internationales (OI), les très grandes infrastructures de recherche (TGIR), les infrastructures de recherche (IR) et les projets. Chaque catégorie présente un mode de gouvernance et de pilotage différencié , les OI et les TGIR faisant de plus l'objet d'un suivi individualisé des services de l'État.

Le coût de construction et d'exploitation de ces infrastructures est considérable . En effet, si ces infrastructures supposent un investissement initial conséquent, elles nécessitent également un effort budgétaire continu tout au long de leur cycle de vie , de l'ordre de 8 à 12  % de l'investissement initial par an. Par conséquent, nombre d'entre elles sont financées de manière partenariale, avec d'autres pays européens, voire extra européens.

1. Une nouvelle hausse des crédits dédiés aux TGIR financés par le programme 172

Au sein du programme 172, l'action 13 « Grandes infrastructures de recherche » centralise les crédits des grandes infrastructures de recherche, tandis que les crédits dédiés aux organisations internationales sont portés par les actions 15 « Recherches scientifiques et technologiques en sciences de la vie et de la santé », 17 « Recherches scientifiques et technologiques dans le domaine de l'énergie » et 18 « Recherches scientifiques et technologiques dans le domaine de l'environnement ».

Pendant de nombreuses années, les projets de loi de finances successifs ont procédé à des sous-budgétisations de ces programmes. Le budget pour 2018 a rompu avec cette pratique, en inscrivant dès le projet de loi de finances des montants conformes avec les contributions françaises attendues, dans un souci de plus grande sincérité budgétaire .

Cette démarche s'est traduite par une très forte augmentation des crédits alloués aux infrastructures de recherche en 2018 puis en 2019 . Cette hausse devrait se poursuivre en 2020, quoique dans une moindre mesure, le montant total des crédits alloués aux TGIR et OI progressant de 13,4 millions d'euros en AE et 19,5 millions d'euros en CP, soit 6,6 % de la hausse totale des crédits portés par la mission « Recherche ».

En pratique, les très grandes infrastructures de recherche (TGIR) au sens strict (crédits portés par le titre 3 de l'action 13) verraient leurs moyens diminuer de 7,6 millions d'euros, tandis que les crédits inscrits pour les organisations internationales augmenteraient de 27,0 millions d'euros, répartis comme suit (en CP) : + 24,9 millions d'euros pour l'action 17, + 0,6 million d'euros pour l'action 15 et + 1,5 million d'euros pour l'action 18.

Néanmoins, ces évolutions contrastées résulteraient avant tout de jeux d'écriture, le projet de loi de finances pour 2020 prévoyant le passage en titre 6 des TGIR XFEL et EGO-VIRGO, auparavant financées par le titre 3.

Évolution des crédits dédiés aux infrastructures de recherche
et aux organisations internationales (en CP)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

Cette hausse des crédits bénéficierait notamment à la flotte océanographique française, gérée par l'IFREMER , dont la subvention augmenterait de 7,3 millions d'euros afin d'assurer la modernisation des navires et de leurs équipements de recherche. Ayant alerté sur les besoins de financement à court et moyen terme de l'Ifremer dans son rapport spécial sur le budget 2019, votre rapporteur spécial ne peut que se féliciter de cette hausse, tant la flotte océanographique française constitue un élément essentiel de la capacité de projection de notre communauté scientifique sur les mers du globe (voir infra ).

En parallèle, 6,5 millions d'euros de crédits budgétaires seront consacrés au financement des infrastructures en biologie santé , auparavant financés par le biais des Programmes d'investissement d'avenir (PIA), tandis que les centres de calcul nationaux mutualisés se verront octroyer 1 million d'euros.

Le budget 2020 semble ainsi en mesure de prévenir les impasses budgétaires identifiées en 2019, ce dont votre rapporteur spécial se félicite .

2. Un pilotage et un financement largement perfectibles

Faisant le constat d'un suivi particulièrement ardu des crédits consacrés aux grandes infrastructures de recherche, votre rapporteur spécial a, en 2019, confié à la Cour des comptes le soin d'enquêter sur le pilotage et le financement de ces installations, afin de déterminer dans quelle mesure la stratégie et la gouvernance des TGIR mises en place par le ministère de la recherche permet la meilleure utilisation possible de ces instruments de recherche exceptionnels par les communautés scientifiques.

Dans un contexte marqué par une compétition européenne et internationale particulièrement intense, il s'agissait de s'assurer que les crédits consacrés par l'État aux TGIR sont dépensés de façon efficace et efficiente .

Or, il ressort des travaux menés par la Cour des comptes que le pilotage et le financement des TGIR demeurent largement perfectibles . Si votre rapporteur spécial a déjà eu l'occasion de s'exprimer sur les conclusions de la Cour 26 ( * ) , il n'en demeure pas moins que l'examen du projet de loi de finances pour 2020 met à nouveau en exergue le manque de lisibilité des moyens financiers dévolus aux TGIR , de même que l'absence regrettable de données exhaustives quant à l'évolution des besoins de financement à moyen-terme.

Votre rapporteur spécial prend acte des efforts d'ores et déjà engagés par le ministère pour uniformiser et rationaliser l'organisation et le fonctionnement de ces infrastructures. Lors de l'audition pour suites à donner au rapport de la Cour des comptes, organisée au Sénat le 17 juillet 2019, le directeur général de la recherche et de l'innovation a ainsi indiqué vouloir travailler à l'amélioration de la lisibilité et de la clarté du dispositif budgétaire des infrastructures de recherche , et proposer une évaluation de ces installations , pour réinterroger les processus de décision de l'État sur la création ou les évolutions de ces infrastructures.

En effet, comme l'a relevé la Cour des comptes, une multitude de paramètres entrent actuellement en ligne de compte dans la décision de contribuer à une TGIR (négociations politiques, capacité d'influence des opérateurs, qui disposent d'un poids particulier auprès du ministère, etc.) sans qu'une réunion interministérielle vienne valider chaque décision d'investissement.

Étant donné que la décision de contribuer à une organisation internationale ou une infrastructure de recherche engage l'État sur plusieurs années, pour des montants considérables , il parait indispensable de rationaliser le processus de décision, afin que les considérations d'ordre politique ou diplomatique ne priment pas, in fine , sur l'attention portée à l'intérêt scientifique du projet .

Cela est d'autant plus nécessaire que les montants alloués aux TGIR contraignent largement le budget du ministère de la recherche , représentant 48 % des crédits portés par le programme 172 et 27,7 % du budget des programmes « Recherche » en 2020. Ces investissements risquent donc de générer un effet d'éviction sur la subvention récurrente des opérateurs de recherche , qui voient leur budget au mieux stagner, au pire diminuer (voir infra ).

L'exemple de la contribution de la France à la construction du réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) à Cadarache (France), qui transite par les crédits d'intervention versés au Commissariat à l'Énergie Atomique (CEA), est à cet égard particulièrement emblématique . Ainsi, après être passée de 80,1 millions d'euros en 2014 à 152,8 millions d'euros en 2019, elle atteindrait 157,5 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2020 .

Au demeurant, selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial, les recommandations émises par la Cour des comptes seraient actuellement à l'étude, notamment dans le cadre des travaux préparatoires à la future loi de programmation pluriannuelle pour la recherche . À cet égard, le groupe de travail sur le financement de la recherche a articulé plusieurs pistes autour de la question des infrastructures de recherche :

- établir une nouvelle « feuille de route élargie » des infrastructures de recherche, sur la base des niveaux de mutualisation, internationaux, nationaux et régionaux ;

- resserrer la gouvernance de chaque infrastructure de recherche autour de ses principaux partenaires financeurs ;

- coupler les procédures d'obtention de l'usage d'une infrastructure de recherche et de financement pour le déroulement du projet scientifique ;

- mettre en place une évaluation régulière de chaque infrastructure de recherche par le HCERES, pour éclairer le pilotage par l'ensemble des acteurs concernés ;

- créer un fonds d'investissement dédié aux infrastructures de recherche de la feuille de route élargie, dans le cadre du PIA 4, pour le développement d'infrastructures nouvelles ou existantes dans des secteurs scientifiques à fort enjeu, en distinguant une enveloppe pour les infrastructures internationales et nationales et une enveloppe pour les infrastructures régionales ;

- doubler la capacité d'investir de Genci pour répondre aux besoins et garantir la place de la France dans le calcul intensif et dans le stockage des données.

Votre rapporteur spécial suivra donc avec un intérêt particulier les évolutions proposées dans le cadre de la loi de programmation .


* 26 Le pilotage et le financement des très grandes infrastructures de recherche, Rapport d'information de M. Jean-François RAPIN, fait au nom de la commission des finances n° 675 (2018-2019) - 17 juillet 2019.

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