ARTICLE 2 TER
HARMONISATION DU TRAITEMENT DES DEMANDES
D'INDEMNISATION DES VICTIMES
DES ESSAIS NUCLÉAIRES FRANÇAIS

Cet article, issu d'un amendement du rapporteur de l'Assemblée nationale, vise à préciser les conditions d'application dans le temps de dispositions de l'article 232 de la loi de finances pour 2019 , qui réservent l'indemnisation versée aux victimes des essais nucléaires français aux cas dans lesquels l'exposition à la radioactivité a été anormalement élevée. Il reprend une disposition déjà votée par le Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique.

La commission l'a adopté sans modification.

L'article 2 ter résulte de l'adoption en commission par l'Assemblée nationale d'un amendement présenté par le rapporteur, Guillaume Kasbarian, pour clarifier les conditions d'indemnisation des victimes des essais nucléaires français 153 ( * ) . Elle figurait dans le texte initial du Gouvernement sous la forme d'une habilitation à légiférer par voie d'ordonnance 154 ( * ) qui a été supprimée par coordination 155 ( * ) . Cette insertion directe dans le texte met en application une recommandation émise par le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi.

Cet article additionnel vise à permettre l'application rétroactive de l'article 232 de la loi de finances pour 2019 afin que la règle relative à la présomption de causalité qu'il fixe puisse être appliquée à toutes les demandes d'indemnisation en cours 156 ( * ) , quelle que soit leur date de dépôt, tout en excluant les décisions de justice déjà passées en force de chose jugée.

Cette disposition a déjà été votée par le Sénat , à l'initiative du Gouvernement, à l'occasion de l'examen en première lecture du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique 157 ( * ) . L'amendement gouvernemental adopté faisait suite à deux décisions rendues par le Conseil d'État le 27 janvier 2020 158 ( * ) qui a jugé que l'article 232 précité n'était pas applicable aux demandes déposées avant son entrée en vigueur, en l'absence de dispositions transitoires .

L'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 :
indemnisation des victimes des essais nucléaires et présomption de causalité

Le dispositif d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires résulte de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, dite «loi Morin», qui a posé le principe de la reconnaissance des victimes d'essais nucléaires français au Sahara algérien et en Polynésie française et de leur droit à indemnisation .

Les demandes individuelles d'indemnisation sont examinées par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), autorité administrative indépendante qui vérifie si les conditions de l'indemnisation, définies par la loi
- notamment lieu et date de séjour - sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie alors d'une présomption de causalité en application de l'article 4.

Selon le texte initial, cette présomption était réfragable si « au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires [pouvait] être considéré comme négligeable ». La loi EROM du 28 février 2017 159 ( * ) a supprimé cette mention qui aboutissait à un très faible nombre d'indemnisations, sans prévoir toutefois de nouvelles modalités de renversement de la présomption. Elle a en revanche créé une commission ad hoc chargée de proposer au Gouvernement des mesures destinées à « réserver l'indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires ». Par avis du 28 juin 2017 160 ( * ) , le Conseil d'État a estimé que sous l'empire de la loi EROM, la présomption restait simple et que l'administration pouvait établir que « la pathologie de l'intéressé résult[ait] exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements ».

Dans son rapport du 15 novembre 2018 161 ( * ) , la commission ad hoc a recommandé d'inscrire dans la loi une méthodologie appliquée par le CIVEN depuis janvier 2018. Sa présidente, la sénatrice Lana Tetuani, a déposé en conséquence un amendement dans le cadre de l'examen en séance de la loi de finances pour 2019 162 ( * ) .

L'article 232 qui en résulte précise désormais que la présomption de causalité peut être renversée s'il est établi que le demandeur a reçu une dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français inférieure à la limite de dose estimée admissible pour tout public , soit actuellement 1 millisievert par an 163 ( * ) .

L'article 2 ter tend à assurer le respect de la volonté initiale du législateur qui avait souhaité, en supprimant la référence au « risque négligeable » dans le cadre de la loi EROM de 2017, la remplacer par une méthode se conformant aux recommandations de la commission ad hoc, laquelle a finalement appelé à « consolider la méthodologie provisoire du CIVEN employée pour l'examen des dossiers d'indemnisation » 164 ( * ) . En harmonisant la question de la présomption de causalité qui a connu trois régimes successifs différents , il garantit par ailleurs une égalité de traitement des demandes soumises à l'examen du CIVEN - sans que le résultat ne dépende de la date de dépôt - selon une méthode jugée favorable aux demandeurs : « Entre le 1 er janvier et le 22 octobre 2018, 146 personnes ont fait l'objet d'une décision d'acceptation (dont 48 personnes résidentes de Polynésie française) alors qu'entre janvier 2010 et décembre 2017, 96 personnes ont reçu un avis favorable dont 11 personnes résidentes de Polynésie française » 165 ( * ) .

Dans ces conditions, le rapporteur a suivi l'avis du Conseil d'État et considéré que la rétroactivité proposée semblait poursuivre un but d'intérêt général suffisant de nature à la rendre compatible avec les exigences de l'article 6-1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales 166 ( * ) et l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 167 ( * ) .

La commission a adopté l'article 2 ter sans modification .


* 153 Amendement 165.

* 154 1° du I de l'article 2 du texte initial.

* 155 Amendement 166.

* 156 Le nombre de demandes restant à examiner par le CIVEN au 20 novembre 2019 était de 225 selon une réponse du ministère des outre-mer à la question écrite n° 10643 de M. Jean-Pierre Sueur, publiée dans le JO Sénat du 16/01/2020 - page 293.

* 157 Texte n° 74 (2019-2020) adopté par le Sénat le 5 mars 2020.

* 158 Décisions n° 429574 et 432578 du 27 janvier 2020.

* 159 Loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer (EROM).

* 160 Avis n° 409777 du 28 juin 2017.

* 161 Rapport de la commission de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 sur les mesures destinées à réserver l'indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires.

* 162 Amendement n° II-507.

* 163 Directive de l'Euratom et article R. 1333-1 du code de la santé publique.

* 164 Rapport susmentionné.

* 165 Rapport susmentionné.

* 166 CEDH, 28 octobre 1999, Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France.

* 167 Décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, Mme Vivianne L. [Loi dite « anti-Perruche »].

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