EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 27 mai 2020 sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a examiné le rapport de M. Jérôme BASCHER, rapporteur, sur la proposition de loi n° 312 (2019-2020) portant création d'un fonds d'urgence pour les Français de l'étranger victimes de catastrophes naturelles ou d'événements politiques majeurs présentée par M. Ronan LE GLEUT et plusieurs de ses collègues.

M. Vincent Éblé , président . - Nous examinons désormais le rapport de M. Jérôme Bascher sur la proposition de loi de notre collègue Ronan Le Gleut portant création d'un fonds d'urgence pour les Français de l'étranger victimes de catastrophes naturelles ou d'événements politiques majeurs.

M. Jérôme Bascher , rapporteur . - Cette proposition de loi s'inscrit dans la lignée de nombreuses autres propositions de loi ayant peu ou prou le même objet depuis plusieurs décennies, celui de soutenir les Français de l'étranger en cas de crise majeure. Très récemment encore, nos collègues Olivier Cadic et Joëlle Garriaud-Maylam ont déposé deux propositions de loi visant à instituer un fonds de solidarité en faveur des Français de l'étranger victimes d'événements graves.

Ce texte a toutefois la particularité, comme le précise l'exposé des motifs, de sortir de la « logique assurantielle » des fonds d'indemnisation et de choisir la voie du « secours », à travers un fonds d'urgence. La logique est différente. Il s'agit bien ici d'aider sans délai les Français de l'étranger à faire face à la menace à laquelle ils sont exposés ou à subvenir aux besoins essentiels auxquels ils ne peuvent plus répondre. Les aides sont soumises à des conditions de ressources.

Venir en aide immédiatement aux Français les plus démunis qui font face à une crise majeure, c'est ce que font déjà certains fonds existants, comme le fonds de secours pour l'outre-mer, instauré en 2012, qui aide financièrement les sinistrés ultramarins à la suite d'un événement naturel d'une intensité exceptionnelle, ou encore les secours d'extrême urgence aux victimes d'accident, de sinistre ou de catastrophe de grande ampleur, mobilisés lors du passage de l'ouragan Irma ou des inondations de l'Aude par exemple. Mais rien n'est en revanche prévu actuellement pour les Français de l'étranger se trouvant dans une situation similaire.

La crise sanitaire, économique et sociale actuelle en témoigne : face aux difficultés rencontrées par un certain nombre de Français de l'étranger, le Gouvernement a mis en place un plan de soutien de 240 millions d'euros, dont 50 millions d'aides d'urgence calquées sur le dispositif d'aides annoncé le 15 avril dernier pour les foyers les plus modestes en France, qui consiste à attribuer une aide de 150 euros par ménage et un supplément par enfant à charge de 100 euros.

Le fonds proposé permettrait de sortir de cette intervention au coup par coup et de déterminer une doctrine d'attribution d'aides d'urgence mobilisables lorsque les circonstances le nécessitent. Il permet également d'établir clairement la distinction entre les aides sociales existantes, qui ne dépendent pas du contexte socio-économique ou politique du pays, mais de difficultés personnelles des Français de l'étranger concernés - l'allocation mensuelle de solidarité inspirée de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), l'allocation « adulte handicapé » ou « enfant handicapé », ou les aides pour l'enfance en détresse - et les aides d'urgence liées à une crise touchant l'ensemble d'un territoire. Il n'a pas, espérons-le, vocation à être souvent mobilisé. C'est la raison pour laquelle les conséquences budgétaires de la création d'un tel fonds sont modestes.

Plutôt que de procéder par des redéploiements budgétaires dans l'urgence, l'inscription de ce fonds dans le budget aurait le mérite de renforcer la sincérité budgétaire, à laquelle nous sommes, comme la Cour des comptes, très attachés. Ses crédits pourraient être, pour partie, ouverts en loi de finances initiale et, pour partie, puisés dans la réserve de précaution du programme 151 dédié aux Français de l'étranger en cas de crise.

J'en viens maintenant à l'examen des deux articles de cette proposition de loi. Je ne m'étendrai pas sur l'article 2, qui gage financièrement l'article 1 er .

L'article 1 er institue un fonds d'urgence en faveur des Français résidant habituellement hors de France et régulièrement immatriculés auprès des autorités consulaires qui sont, dans leur pays de résidence, exposés à des menaces sanitaires graves ou sont victimes de catastrophes naturelles, de guerres civiles ou étrangères, de révolutions, d'émeutes ou d'autres faits analogues. Il prévoit que les crédits de ce fonds sont inscrits au budget général de l'État après consultation de l'Assemblée des Français de l'étranger.

Je ne vous propose que de préciser le dispositif et d'en restreindre légèrement le champ d'application pour limiter les risques juridiques liés à l'application de l'article 40 de la Constitution. En particulier, la liste des événements pouvant déclencher la mobilisation du fonds d'urgence est large. Si les menaces sanitaires graves, les catastrophes naturelles, les guerres - civiles ou étrangères - et les révolutions font l'objet de définitions assez communément admises, il n'en va pas de même des « émeutes et autres faits analogues ». Cette dernière catégorie d'événements fragiliserait juridiquement le dispositif en le soumettant à des questions d'interprétation et risquerait de le rendre trop large. C'est la raison pour laquelle je suis favorable à la suppression de cette dernière catégorie d'événements.

Les aides apportées par le fonds peuvent être financières ou matérielles, directes ou indirectes. Cette dernière mention renvoie à la distinction entre les aides directes, accordées par les conseils consulaires pour la protection et l'action sociale (CCPAS), et les aides indirectes, attribuées par les organismes locaux d'entraide et de solidarité (OLES). Cette distinction ne semble pas nécessaire. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement pour la supprimer, afin d'améliorer la rédaction du dispositif proposé et le rendre plus explicite.

Le troisième alinéa de l'article 1 er prévoit que l'État est subrogé dans les droits de tout bénéficiaire contre les éventuels responsables des dommages subis et qu'il peut engager toute action en responsabilité. Je vous proposerai de supprimer cet alinéa. Ce principe de subrogation serait, de facto , inopérant, compte tenu des dommages visés. L'État ne peut en effet exercer d'action récursoire à l'encontre d'un État ou personne privée de droit étranger en se substituant aux ayants droit que si les accords internationaux ou le droit local l'y autorisent. L'État français serait donc dans l'impossibilité d'exiger le remboursement de tout ou partie des dépenses qu'il a engagées en faveur de ressortissants français.

M. Vincent Éblé , président . - Conformément au vade-mecum sur l'application des irrecevabilités en application de l'article 45 de la Constitution adopté par la Conférence des présidents, en vue du dépôt des amendements de séance, le rapporteur nous propose par ailleurs de considérer qu'entrent dans le périmètre de la proposition de loi : la définition des Français de l'étranger bénéficiaires du fonds d'urgence créé ; le champ des événements entraînant la mobilisation du fonds d'urgence créé ; la nature des aides versées ; les modalités de calcul et d'attribution des aides versées, y compris les consultations préalables ; et la recherche de responsabilité contre les responsables des dommages.

Le périmètre de la proposition de loi est ainsi défini.

M. Ronan Le Gleut , auteur de la proposition de loi . - Comme l'a rappelé notre rapporteur, l'idée d'un tel fonds n'est pas neuve. Elle remonte au moins à la commission Bettencourt en 1974. On pourrait aussi mentionner les travaux de nos collègues Jacques Habert, Charles de Cuttoli, Paulette Brisepierre, Paul d'Ornano ou Xavier de Villepin, dans les années 1990. Plus récemment, Olivier Cadic et Joëlle Garriaud-Maylam ont aussi déposé des propositions de loi.

L'idée est juste. L'État doit être présent aux côtés de tous les Français, conformément à sa fonction régalienne, qu'ils habitent en métropole, en outre-mer ou à l'étranger. Contrairement aux idées reçues, les 3,4 millions de Français de l'étranger ne sont pas les abominables exilés fiscaux que l'on présente parfois : si la France comptait 3,4 millions de milliardaires en exil fiscal, cela se saurait ! La réalité est tout autre : il s'agit souvent de retraités qui vivent avec une retraite modeste et la précarisation des Français de l'étranger est réelle. Or, ils contribuent au rayonnement culturel, linguistique, diplomatique de la France, au travers de la francophonie par exemple. Les entrepreneurs contribuent aussi à développer nos exportations. Les Français de l'étranger font donc partie du dessein et du destin national. Beaucoup d'entre eux paient des impôts - il existe une direction des impôts des non-résidents - et leur contribution au budget de l'État est tout à fait substantielle.

En janvier dernier, lorsque l'épidémie est apparue à Wuhan et a commencé à se propager en Asie, j'ai été alerté sur la situation des Français qui vivent en Chine et en Extrême-Orient. Il est alors apparu nécessaire d'ajouter la dimension sanitaire aux cas visés par nos prédécesseurs : les coups d'État, les tsunamis, les catastrophes naturelles.

La baisse continue des moyens du Quai d'Orsay pèse sur les moyens des consulats et des ambassades. Lorsqu'il était ministre des affaires étrangères, Alain Juppé disait déjà que le budget du ministère était à l'os. Avec les baisses intervenues depuis lors, on doit être à la moelle aujourd'hui ! Les consulats, qui manquent de moyens, doivent faire appel aux réseaux associatifs pour venir en aide à des familles en difficulté, car l'État ne le fait plus. J'ai été président d'une association de Français de l'étranger pendant dix ans et j'ai été sollicité plusieurs fois pour cela. La crise du Covid-19 a été un révélateur de ce manque de moyens. Il a fallu intégrer un volet spécial pour les Français de l'étranger au plan global d'action pour faire face à la crise sanitaire, mais on a perdu du temps. Si le fonds d'urgence avait existé, les moyens auraient pu être mobilisés plus rapidement. Finalement, cette proposition de loi ne fait que pérenniser ce que le Gouvernement a dû mettre en oeuvre pour faire face à la crise actuelle.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je partage ces excellentes analyses !

Mme Nathalie Goulet . - Je remercie notre rapporteur et salue sa distinction - subtile - entre l'urgence et la solidarité. Mme Garriaud-Maylam avait déposé en 2008, puis en 2016, des textes visant à créer un fonds de solidarité. Victoire de l'optimisme sur les aléas parlementaires, ce projet revient : même si le mécanisme de la proposition de loi n'est pas tout à fait le même, l'idée est la même.

Ce fonds couvrirait les catastrophes naturelles, les pandémies, les événements politiques majeurs même si le rapporteur souhaite le restreindre légèrement, avec raison, je crois. Il est dommage que les deux textes n'aient pas pu être fusionnés. Le texte de Mme Garriaud-Maylam comportait en effet un volet sur l'entreprise et un mode de financement intéressant. Encore une fois, l'idée est la même, même si le contexte est différent. Comme l'a dit Ronan Le Gleut, si le fonds d'urgence avait existé, il aurait pu aider efficacement les Français de l'étranger. Mais on pourrait en dire autant du fonds de solidarité. J'espère que l'on pourra amender le texte dans les limites de l'article 45 de la Constitution pour le compléter en s'inspirant du mécanisme proposé par Mme Garriaud-Maylam.

M. Rémi Féraud . - Cette proposition de loi comble un manque, qui est apparu lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative. Notre collègue Jean-Yves Leconte nous avait alertés sur le manque de moyens pour mettre en place un plan d'urgence. Les ambassades et les consulats ont des moyens très limités pour aider les Français en difficulté. Il y a donc incontestablement un besoin. Cette proposition de loi y répond. Nous avons donc une approche bienveillante à son égard. Elle a toutefois un défaut, le même que la récente proposition de loi du groupe Les Républicains relative aux Français établis hors de France, dont Jérôme Bascher était déjà rapporteur pour la commission des finances, celui de ne pas contenir d'estimation chiffrée. On ne connaît pas son coût pour les finances publiques. Avez-vous des précisions à cet égard ? Nous sommes aussi très favorables à ce que les conseils consulaires soient associés à la distribution des aides.

M. Jérôme Bascher , rapporteur . - Madame Goulet, j'ai beaucoup échangé avec Mme Garriaud-Maylam. Les amendements que vous envisagez ne risquent pas tant de se heurter à l'article 45 qu'à l'article 40 de la Constitution. Je suis assez ouvert, mais nous devrons être vigilants à cet égard.

La réserve de précaution est plafonnée à 3 % des crédits. Le programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires » comporte 373 millions d'euros de crédits, dont 240 millions environ relevant du titre 2. La réserve de précaution sur le titre 2 n'est que de 0,5 %. On ne peut donc guère mobiliser que quelques millions au titre de la réserve de précaution, ce qui n'est pas à la hauteur des besoins. Il conviendrait alors peut-être d'augmenter les crédits du programme, quitte à les mettre en réserve pour ce fonds, afin de pouvoir dégager 20 à 25 millions d'euros de plus.

En 2020, l'État a créé une mission supplémentaire spécifique « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », permettant de dégager 50 millions d'euros dans l'immédiat. Pour les années suivantes, on pourrait envisager d'augmenter progressivement le programme 151 pour constituer une « sur-réserve » de précaution.

Enfin, je ne vois pas d'objection à associer les conseils consulaires à la distribution des aides, bien au contraire.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er

M. Jérôme Bascher , rapporteur . - L'amendement COM-1 rectifié de notre collègue Christophe-André Frassa précise que le fonds d'urgence est destiné à soutenir les Français résidant habituellement hors de France et régulièrement inscrits au registre des Français établis hors de France. Cette précision rédactionnelle constitue une invitation à s'inscrire sur ce registre. Il supprime également du champ du fonds les « émeutes et autres faits analogues ». J'y suis favorable.

L'amendement COM-1 rectifié est adopté.

M. Jérôme Bascher , rapporteur . - Outre une modification rédactionnelle, l'amendement COM-4 précise que les aides visées sont accordées sous condition de ressources, plutôt que de laisser cette précision au sein du dernier alinéa relatif au renvoi à un décret en Conseil d'État.

L'amendement COM-4 est adopté.

M. Jérôme Bascher , rapporteur . - L'amendement COM-5 que je vous présente prévoit une consultation des conseils consulaires lors de la procédure d'attribution des aides.

L'amendement COM-5 est adopté.

M. Jérôme Bascher , rapporteur . - Mon amendement COM-6 supprime l'alinéa relatif à la subrogation de l'État dans les droits des bénéficiaires du fonds contre les éventuels responsables des dommages.

L'amendement COM-6 est adopté.

M. Jérôme Bascher , rapporteur . - Le dernier amendement COM-7 est un amendement de coordination, qui cherche à alléger la rédaction du dernier alinéa. Le décret en Conseil d'État fixerait les modalités d'application du présent article et préciserait les conditions dans lesquelles sont accordées et calculées les aides, sans mention des conditions de ressources, qui apparaîtraient au deuxième alinéa.

L'amendement COM-7 est adopté.

L'article 1 er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article additionnel après l'article 1 er

M. Jérôme Bascher , rapporteur . - L'amendement COM-3 rectifié présenté par notre collègue Jacky Deromedi vise à ce que les conseils consulaires soient consultés pour avis sur les attributions d'aides sociales aux Français de l'étranger. Il est satisfait par l'amendement COM-5 que je vous ai proposé.

L'amendement COM-3 rectifié n'est pas adopté.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

TABLEAU DES SORTS

Article 1 er
Institution d'un fonds d'urgence en faveur des Français de l'étranger exposés à des menaces sanitaires graves ou victimes de catastrophes naturelles ou d'événements politiques majeurs

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. FRASSA

COM-1 rect.

Précision rédactionnelle et exclusion des émeutes du champ d'application du fonds

Adopté

M. BASCHER

COM-4

Précision rédactionnelle

Adopté

M. BASCHER

COM-5

Précision prévoyant une consultation des conseils consulaires

Adopté

M. BASCHER

COM-6

Suppression du principe de subrogation de l'État contre les éventuels responsables des dommages

Adopté

M. BASCHER

COM-7

Précision de coordination

Adopté

Article additionnel après l'article 1 er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme DEROMEDI

COM-3 rect

Précision prévoyant une consultation des conseils consulaires

Non adopté

Article 2

Compensation des conséquences financières par la création d'une taxe additionnelle

M. Vincent Éblé , président. - Je précise que, suite à un changement d'ordre du jour qui devrait être acté lors de la Conférence des Présidents cet après-midi, cette proposition de loi devrait être examinée en séance non plus la semaine qui vient, mais le 30 juin prochain.

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