III. AU-DELÀ DU TEXTE, LA COMMISSION APPELLE LE GOUVERNEMENT À PRENDRE PLUSIEURS MESURES AFIN DE RECONQUÉRIR NOTRE SOUVERAINETÉ AGRICOLE ET ALIMENTAIRE

A. NE PAS RATER LE VIRAGE DE L'INDEMNISATION

Accorder des dérogations ne suffira sans doute pas à rassurer les planteurs : quand un agriculteur perd plus de 1 000 € à l'hectare une année, il décidera de ne plus planter de betteraves l'année prochaine. C'est pourquoi un vaste plan d'indemnisation des planteurs, dans le respect du plafond des aides de minimis , de 20 000 € sur trois années (25 000 € selon les cas), a été annoncé par le Gouvernement au terme de la campagne de 2020 .

En raison de la surface moyenne des betteraviers français, le plafond des aides de minimis est trop bas, même pour une indemnisation partielle. Il apparaît donc nécessaire d'obtenir de la Commission européenne une augmentation exceptionnelle, pour faire face à la lutte contre un danger sanitaire aux effets majeurs, des aides de minimis pour la filière betterave, comme cela a été le cas durant la crise de la covid-19 3 ( * ).

De même, certaines sucreries, placées dans des régions très touchées, pourraient rencontrer des difficultés financières en raison du caractère exceptionnel de la campagne 2020. La commission appelle le Gouvernement à mobiliser les outils du plan de relance pour venir en aide à ces outils industriels essentiels à la survie de nos territoires ruraux .

B. INVESTIR DANS LA RECHERCHE D'ALTERNATIVES AUX NÉONICOTINOÏDES POUR LA RECONQUÊTE DE LA SOUVERAINETÉ AGRICOLE ET ALIMENTAIRE DE LA FRANCE

Au-delà du cas d'espèce, il convient de rappeler que nos agriculteurs sont des citoyens naturellement préoccupés par les questions environnementales, constatant tous les jours les effets du changement climatique dans leur environnement de travail.

Dans nos campagnes, la transition agroenvironnementale est en cours depuis de nombreuses années : il est incontestable que les pratiques d'aujourd'hui sont plus favorables à l'environnement que celles d'il y a 50 ans .

Toutefois, les citoyens veulent légitimement accélérer cette transition pour relever le défi climatique. Cela nécessite un soutien massif aux professions agricoles au plus près du terrain , sauf à accroître un découragement d'une profession confrontée à une stigmatisation croissante et des revenus insuffisants.

Laisser nos agriculteurs sans solution alternative à la fin des produits phytosanitaires revient à menacer la production agricole française , et, partant, prendre le risque de substituer à notre production, durable comme le rappellent des classements internationaux chaque année, des importations massives de produits agricoles qui ne respectent pas nos normes de production.

Cette tendance à l'accroissement des importations agricoles, manifestement incompatible avec l'objectif d'améliorer l'empreinte environnementale de l'alimentation des Français, est déjà à l'oeuvre, ce qui remet en cause la souveraineté alimentaire de la France, qui a, par exemple, constaté son premier déficit agricole avec l'Union européenne en 2019.

À l'inverse, pour relever ce défi environnemental rapidement, la politique agricole doit s'inspirer de trois principes directeurs :

1 - La transition écologique de l'agriculture doit s'appuyer sur la recherche et l'innovation ;

2 - Il convient de toujours proposer une alternative crédible en cas d'interdiction de substances en France ;

3 - En cas d'interdiction de produits phytopharmaceutiques, il faut assurer une lutte effective contre les importations de denrées traitées avec les produits interdits en France .

Pourtant, trop souvent, le champ est laissé à une autre politique : manque de moyens dévolus à la recherche agronomique dédiée à la recherche d'alternatives ; politique de l'interdiction à grands renforts médiatiques, sans étude préalable des conséquences économiques sur le terrain ; portes ouvertes aux produits importés traités par les mêmes produits interdits en France.

Dès lors, la commission appelle le Gouvernement à agir résolument sur deux leviers, au-delà du projet de loi .

1. Investir massivement dans la recherche d'alternatives en donnant des moyens aux scientifiques afin d'apporter des solutions viables aux autres filières qui sont dans des impasses techniques

Si une transition vers une agriculture plus respectueuse de l'environnement est souhaitable, celle-ci doit être accompagnée par les pouvoirs publics.

Dans cette perspective, le Gouvernement ne peut pas laisser des filières sans alternative à une interdiction d'un produit phytopharmaceutique.

Le seul moyen d'avancer en faveur d'une agriculture plus durable, avec moins d'intrants, est d'investir massivement dans la recherche . Or, à ce jour, trop de filières sont laissées sans solution, faute d'une mobilisation suffisante, en amont de l'interdiction, des organismes de recherche afin de trouver des alternatives.

L'exemple de la noisette face au balanin

Le « ver de la noisette » ou Balanin (Curculio nucum), coléoptère dont la larve phytophage s'attaque aux fruits, est le ravageur le plus préjudiciable pour la culture de la noisette, entraînant jusqu'à 80 % de pertes.

La filière a obtenu une dérogation pour utiliser des produits à base d'acétamipride jusqu'en 2020. Elle n'a aujourd'hui qu'une alternative chimique à base de lambda-cyhalothrine qui aurait un niveau d'efficacité faible, malgré des impacts sur des ravageurs secondaires. Selon un industriel questionné par le rapporteur, les prévisions de perte pour 2021 sont de l'ordre de 30 % et de 50 % la seconde année, rendant les exploitations et transformateurs, majoritairement situés dans le Sud-Ouest, non rentables.

Cette impasse apparaît malgré des années d'efforts de recherche sur des alternatives, dont une prometteuse en biocontrôle (par un mécanisme d'échange d'odeurs). Depuis 1995, les recherches ont été lancées pour trouver des produits de biocontrôle efficaces contre le balanin. Ces efforts ont été accélérés depuis 2016 avec plus de deux millions d'euros investis par la filière.

Le programme de recherche le plus prometteur, permettant d'utiliser des cocktails d'odeurs attractifs, des souches de nématodes ou des champignons entomopathogènes, ne devrait aboutir à l'apparition d'une solution qu'à horizon 2025-2030.

Dès lors, le risque serait que la filière connaisse, d'ici là, une chute importante de ses rendements, se traduisant mécaniquement par une hausse des importations alors que ses concurrents européens auront le droit de traiter leurs noisettes à raison de 4 à 8 traitements par récolte à base d'acétamipride, interdit en France.

Le seul moyen de trouver des solutions est d'augmenter et de diversifier le nombre de modules de recherche lorsque des impasses techniques sont connues.

À défaut, des filières disparaîtront de notre territoire, surtout si leurs concurrents étrangers peuvent utiliser des produits interdits en France. La réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques, déjà engagée depuis des années en France, va s'accélérer ces prochaines années : il faut s'y préparer aujourd'hui en mettant les moyens adéquats.

Un plan de recherches d'alternatives aux produits phytopharmaceutiques pour des filières dans l'impasse est un volet-clé dans le but d'assurer une transition environnementale crédible et de reconquérir notre souveraineté alimentaire.

Il passe par une mobilisation de tous les établissements de recherche et des instituts techniques concernés. La hausse des moyens publics comme privés est incontournable pour relever le défi de la transition écologique, et ne saurait concerner que la seule filière betterave.

Cette hausse des moyens aux instituts techniques ne semble pourtant pas être une priorité gouvernementale puisque, dans le projet de loi de finances pour l'année 2021, la diminution des recettes du CASDAR n'est pas compensée par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, ce qui se traduira par une réduction des budgets des instituts techniques.

La commission invite plutôt le Gouvernement à lancer un ambitieux plan de sortie des produits phytopharmaceutiques dans le cadre du plan de relance, prioritairement dans les filières connaissant des impasses techniques, dûment identifiées en amont par un travail gouvernemental. Ce plan doit mettre enfin les moyens sur des alternatives efficaces, tout en prenant en compte les impératifs économiques des agriculteurs.

2. Lutter contre les importations déloyales et renforcer ainsi notre souveraineté alimentaire

Il convient, a minima , et par souci de cohérence, de porter l'interdiction des néonicotinoïdes interdits en France au niveau européen afin de lutter contre les concurrences déloyales au sein du continent européen.

Cette lutte contre les importations déloyales doit être menée au niveau européen, avec une vraie harmonisation des pratiques en matière de produits phytopharmaceutiques, mais aussi, à défaut de réponse européenne, au niveau national en limitant les importations de produits où les normes imposées aux agriculteurs français ne sont pas respectées.

C'est le sens de l'article L. 236-1-A du code rural et de la pêche maritime, inséré par le Sénat à l'article 44 de la loi Egalim. Cet article dispose que « l'autorité administrative prend toutes mesures de nature à faire respecter l'interdiction ».

Malgré cette mission, il faut regretter que trop peu de clauses de sauvegarde soient aujourd'hui activées pour interdire la circulation en France de produits ayant été traités avec des produits phytopharmaceutiques dont l'utilisation est interdite par les agriculteurs nationaux, alors que ces clauses sont autorisées par le droit européen.


* 3 L'aide d'État maximale a été portée à 100 000 € par exploitation agricole, en complément des aides de minimis .

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