EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 10 novembre 2020, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de MM. Michel Canevet et Jean-Claude Requier, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Aide publique au développement » (et article 53) et le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

M. Claude Raynal , président . - Nous accueillons Hugues Saury et Rachid Témal, rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères sur le budget de l'aide publique au développement. S'ils le souhaitent, nous leur donnerons la parole à l'issue de la présentation.

M. Michel Canevet , rapporteur spécial . - L'aide publique au développement (APD) constitue une politique interministérielle, pour laquelle la mission « Aide publique au développement » représente environ les deux tiers des crédits budgétaires. On retrouve notamment une partie de l'APD dans les missions « Action extérieure de l'État », « Recherche et enseignement supérieur », « Immigration, asile, intégration ».

En 2021, les autorisations d'engagement de la mission s'élèveront à 5,1 milliards d'euros, soit une baisse de 30 %. Les crédits de paiement s'établiront à 4,9 milliards d'euros, soit une hausse de 50 %, sachant que le périmètre a évolué avec le nouveau programme 365 visant à renforcer les fonds propres de l'Agence française de développement (AFD) pour un montant de 953 millions d'euros.

Par ailleurs, le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » porte les crédits liés aux dotations en capital des banques de développement à l'étranger.

Le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » comprend les prêts du Trésor ou encore les opérations de traitements de dettes de certains pays. Enfin, il convient de relever que le Fonds de solidarité pour le développement (FSD) est alimenté par la taxe que nous avions instituée sur les billets d'avion, pour un montant de 210 millions d'euros, et par une part de la taxe sur les transactions financières pour un montant de 528 millions d'euros.

Pour ce qui concerne les crédits budgétaires, il y a trois programmes au sein de la mission « Aide publique au développement ». Le programme 110 est piloté par la direction générale du Trésor, au sein du ministère de l'économie, des finances et de la relance. Le programme 209 «  Solidarité à l'égard des pays en voie de développement » est piloté par la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Et je viens d'évoquer le programme 365.

Les orientations mises en oeuvre nous ont semblé conformes à celles qu'avait définies le comité interministériel de coopération internationale et de développement (CICID) du 8 février 2018. Ce CICID a défini une liste de pays prioritaires, ainsi que les priorités politiques de l'aide publique au développement, telles que, par exemple, le renforcement de notre aide en matière de protection de l'environnement. Il avait enfin été décidé de réorienter la politique vers une plus grande part de dons et de subventions, car la France se distingue depuis longtemps par une politique de l'aide publique au développement qui s'appuie essentiellement sur des prêts.

Pour la première fois, dans ce budget 2021, les dépenses liées à l'environnement ont été évaluées : elles sont estimées à 1,9 milliard d'euros. La mission budgétaire « Plan de relance » comporte, pour un montant de 50 millions d'euros, des crédits consacrés à la santé et au financement de la recherche d'un vaccin contre la Covid.

Le programme 110 concerne des fonds multilatéraux alimentés par prévisions triennales. Tous les trois ans, une autorisation d'engagement assez significative nous est demandée, qui se traduit ensuite par des crédits de paiement répartis sur les trois années suivantes.

On observe une stabilisation des crédits alloués de l'AFD pour bonifier les prêts à des États étrangers, avec 1 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 320 millions d'euros en crédits de paiement. Les taux bas font qu'il y a moins de bonifications de prêts.

Nous apprécions qu'on ne poursuive pas une politique de prêts tous azimuts, mais qu'on se concentre sur quelques actions fortes, notamment par des dons et subventions.

Nous avons noté une provision de 3 millions d'euros, qui a été réservée pour le fonctionnement d'une commission indépendante, liée au rapport Berville qui, en 2018, avait défini un certain nombre de propositions d'orientations pour la politique de développement, et qui devrait normalement trouver sa traduction dans un projet de loi à venir.

Et, dans le programme 365, 953 millions d'euros sont affectés au capital de l'AFD, car l'AFD, comme les autres établissements bancaires, doit avoir un ratio de solvabilité qui exige que ses fonds propres représentent près de 14 % des actifs pondérés par le risque. La réglementation prudentielle la conduit donc à renforcer ses fonds propres en fonction des engagements qu'elle a déjà réalisés. De plus, une évolution de la réglementation prudentielle exclut la ressource à condition spéciale dont bénéficie l'AFD du calcul de ses fonds propres pour le ratio dit « grands risques », ce qui nécessite d'augmenter ses fonds propres. Cette enveloppe de 953 millions d'euros sera-t-elle suffisante ? Nous n'en sommes pas sûrs.

Le programme 209 bénéficie d'une hausse en crédits de paiement de 388 millions d'euros par rapport à 2020, permettant, en partie, l'aide humanitaire. L'aide aux projets gérée par l'AFD augmente également de 339 millions d'euros. Et le ministère a aussi augmenté l'enveloppe qu'il destine au réseau consulaire : le Fonds de solidarité pour les projets innovants permettra, dès 2021, à hauteur de 70 millions d'euros, de financer des projets identifiés par les ambassadeurs. Le financement de ces projets ne devra toutefois pas dépasser un million d'euros tous les deux ans. Il s'agit donc de projets de taille modeste, mais cela donne au réseau consulaire une certaine réactivité pour financer des actions concrètes de développement.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - J'en viens désormais à l'appréciation de la politique d'aide publique au développement de la France mise en oeuvre depuis plusieurs années.

Comme l'a indiqué Michel Canevet, les crédits de la mission proposés pour 2021 poursuivent leur trajectoire haussière, conformément aux engagements pris en 2018 par le Président de la République. En réalité, l'aide publique au développement de la France a amorcé son augmentation en 2015, et elle a dépassé le montant de 10 milliards d'euros en 2017. En 2019, elle devrait atteindre 10,9 milliards d'euros.

Cette augmentation a permis à la France de maintenir son rang, à défaut d'améliorer son classement, parmi les principaux contributeurs de l'OCDE. Ainsi, en 2019, la France reste le cinquième pourvoyeur d'aide publique au développement en volume, après les États-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon. Toutefois, en termes de ratio d'aide publique au développement dans le revenu national brut (RNB), la France n'occupe que la neuvième place, alors que les pays de l'Europe du Nord, et notamment la Suède, sont largement en tête.

Comme je l'avais déjà souligné l'année dernière, le profil de l'aide publique au développement de la France continue de se caractériser par un recours important aux prêts, au regard du montant des dons, par opposition aux autres pays de l'OCDE. Cette spécialité française a été privilégiée au cours de la dernière décennie en raison de son moindre coût pour les finances publiques. Toutefois, les auditions ont rappelé qu'un rééquilibrage avait été initié, et la part des prêts devrait reculer en 2019 pour se limiter à 14 % de notre aide publique au développement.

Le pilotage de cette politique publique a fait l'objet de critiques nourries depuis quelques années, y compris devant notre commission. En effet, fortement interministérielle, la politique d'aide publique au développement paraît éclatée en raison des multiples instruments budgétaires et de l'intervention de plusieurs acteurs publics, tels que le ministère des affaires étrangères, le ministère de l'économie, et l'Agence française de développement.

Les auditions menées nous ont confortés dans l'idée que la recherche d'un meilleur pilotage était désormais une priorité des ministères en charge de ce budget.

Dans cette perspective, les conclusions du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de février 2018 ont permis de fixer les priorités politiques et géographiques de notre aide publique au développement. Ce cadrage était nécessaire, et il doit désormais être confirmé par une loi de programmation qui devra redéfinir l'architecture du pilotage de la politique de développement. Annoncé à plusieurs reprises, le projet de loi devrait être examiné par le Parlement d'ici quelques semaines - mais nous le qualifions, dans le rapport, d'Arlésienne...

Il nous reviendra de définir les dispositions législatives permettant d'encadrer de façon efficace le fonctionnement de cette politique publique, qui constitue un instrument incontournable de l'action extérieure de l'État et du rayonnement de la France. L'examen de ce projet de loi nous permettra également de nous interroger sur les priorités géographiques de notre aide publique au développement.

En effet, force est de constater qu'il existe un réel déséquilibre entre les dix-neuf pays désignés comme prioritaires par la France, dont dix-huit sont situés sur le continent africain - le dix-neuvième étant Haïti - et les principaux bénéficiaires de notre aide publique au développement. L'une des raisons de cette anomalie réside en partie dans l'appétence de la France pour les prêts, au détriment des dons, l'encourageant à investir dans des pays à revenus intermédiaires, qui pourront rembourser.

Plus généralement, ce constat nous conduit à nous interroger sur la stratégie mise en oeuvre à l'égard des très grands émergents, pour lesquels l'aide publique internationale n'apparaît plus comme une nécessité - comme la Turquie, ou la Chine. Il faut reconnaître que les critères de l'OCDE nous amènent à qualifier d'aide publique au développement des financements qui relèvent davantage de partenariats économiques... En tout état de cause, les interventions dans ces pays doivent s'inscrire en parfaite adéquation avec les priorités diplomatiques de la France, au risque de nuire à la cohérence de celle-ci.

La crise sanitaire a justifié le redéploiement de crédits, tant au niveau bilatéral, avec l'initiative « Santé en commun », qu'au niveau multilatéral, avec l'initiative de suspension du service de la dette. Face à l'urgence, l'accent a été mis sur les enjeux de santé en 2020, mais la crise n'a pas remis en cause les priorités de long terme de l'aide publique au développement, telles que le soutien au climat, à l'éducation, à la lutte contre les fragilités et les vulnérabilités de certains pays. Si la préservation d'un budget ambitieux pour l'aide publique au développement peut être saluée, la dégradation des finances publiques renforce néanmoins nos exigences en matière de transparence et d'évaluation de l'efficacité de cette politique publique. Ainsi, des dispositions permettant une évaluation indépendante devraient figurer dans le projet de loi à venir.

M. Michel Canevet , rapporteur spécial . - Les engagements de l'AFD devraient représenter 13,4 milliards d'euros d'engagement en 2020, contre 14,1 milliards d'euros en 2019. Elle compte 2 658 agents, avec 85 représentations dans le monde, dont sept sites parisiens et un centre de formation à Marseille. Elle intervient dans 110 pays.

Sa rémunération, de 105 millions d'euros, est déterminée selon une grille de prestations conventionnée qui nous a semblé cohérente avec l'évolution de l'activité - l'enveloppe de dons a été multipliée par 4,5 en 2019. Elle est aussi cohérente avec le respect de l'objectif, fixé dans le contrat d'objectifs et de moyens 2017-2019, de coefficient d'exploitation du groupe mesurant la part des frais généraux dans le produit net bancaire. Nous regrettons néanmoins que le contrat d'objectifs et de moyens 2020-2022 n'ait pas encore été signé entre l'État et l'AFD. L'AFD a un projet d'investissement immobilier, d'un coût non négligeable puisqu'il atteint 560 millions d'euros nets, pour regrouper ses services à Paris.

M. Vincent Delahaye . - Ils peuvent s'installer en banlieue !

M. Michel Canevet , rapporteur spécial . - Il nous semble nécessaire que l'AFD ait une bonne maîtrise de ses dépenses immobilières, et en particulier que le conseil d'administration, où siègent deux de nos collègues, examine attentivement la politique immobilière du groupe, pour s'assurer qu'on ne soit pas dans la démesure, mais dans la réalité des besoins. Le projet de loi de programmation prévoit la transformation de l'établissement public « Expertise France », qui a été créé en 2015, en société dont le capital serait détenu, au 1 er juillet 2021, par l'AFD. Enfin, sachez que l'AFD organise jeudi prochain un forum international réunissant 450 banques de développement à Paris, pour réfléchir sur le verdissement des politiques financières et de développement.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - J'en viens à l'examen de l'article 53 rattaché à la mission, qui autorise le ministre chargé de l'économie à souscrire à l'augmentation générale de capital de la Banque africaine de développement approuvée par le Conseil des gouverneurs de 2019. Cette augmentation de capital devrait permettre à la Banque africaine de développement de passer d'un volume annuel de prêts d'environ 7 milliards d'euros à 8 milliards d'euros en 2025, puis 10 milliards d'euros en 2030. Pour la France, qui est actionnaire à hauteur de 3,8 % du capital, cette souscription à l'augmentation de capital se traduirait par des versements annuels, entre 2021 et 2028, d'un montant de 28,1 millions d'euros. Elle présente deux intérêts majeurs. D'une part, elle permet à la France de maintenir son rang parmi les principaux actionnaires non africains de la Banque. D'autre part, elle est conforme aux priorités fixées par le CICID de 2018, qui prévoit de renforcer l'aide publique au développement destinée à l'Afrique. Toutefois, cette augmentation de capital n'est pas un chèque en blanc. À l'image des exigences accrues envers l'AFD, l'activité de la Banque africaine de développement devra faire l'objet d'un suivi particulier, et d'une évaluation critique de son action. Aussi recommandons-nous à la commission l'adoption sans modification de l'article rattaché à la mission « Aide publique au développement ».

M. Rachid Temal , rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - J'apporte à nos deux rapporteurs spéciaux une mauvaise nouvelle : le projet de loi de programmation qui devait être présenté aujourd'hui en conseil des ministres n'a pas été mis à l'ordre du jour. Pourtant, le ministre s'était engagé pour le mois de novembre. Il y a manifestement un décalage...

Vous avez parlé du fonds de solidarité pour le développement (FSD), qui a deux sources de financement. D'une part, la taxe sur les billets d'avion, qui est cette année en chute libre... En janvier, le manque à gagner sera de 120 millions d'euros. Une compensation est prévue pour cette année, mais il y a un risque aussi pour l'an prochain. D'autre part, la taxe sur les transactions financières, qui devrait rendre 1,7 milliard d'euros, a été pensée pour financer l'aide publique au développement, mais un plafonnement fait que seuls 520 millions d'euros y sont consacrés. Pourquoi ne pas déplafonner, ou au moins partager son produit en deux moitiés ?

M. Hugues Saury , rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - L'essentiel a été dit. La commission des affaires étrangères est globalement satisfaite de l'augmentation du budget de l'AFD, mais s'interroge sur son fonctionnement. Elle s'intéresse aux instances qui peuvent être mises en place pour mieux piloter sa stratégie et mieux contrôler son action. Cette année, plusieurs conseils ont été créés, mais l'espoir d'un projet de loi de programmation semble déçu. Nous sommes en tous cas favorables à ces crédits.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Merci pour ce rapport spécial présenté à deux voix, avec des avis partagés. Vous avez souligné les efforts que la France conduit en matière d'aide au développement, conformément aux objectifs annoncés au début du quinquennat. L'enquête réalisée par la Cour des comptes à la demande de notre commission montrait qu'il était difficile, pour le ministère des affaires étrangères, d'assurer la tutelle de l'AFD, dont l'autonomie fait parfois l'objet de critiques.

Par ailleurs, les crédits de l'AFD augmentent de façon continue et depuis plusieurs exercices.

Comment les relations entre cet opérateur et nos postes diplomatiques et consulaires s'organisent-elles ? Ne pensez-vous qu'il serait plus efficace pour notre pays d'augmenter ses contributions à des agences humanitaires des Nations unies, comme le Haut-Commissariat pour les réfugiés, plutôt que d'accroître notre aide humanitaire bilatérale ?

M. Patrice Joly . - Où en est la loi de programmation qui avait été annoncée l'année dernière ? La perspective d'attendre 0,55 % du PIB est atteinte - mais est-ce compte tenu de la recapitalisation de l'AFD ? La Cour des comptes se préoccupe de la lisibilité de nos interventions. Quelle est l'articulation entre les financements bilatéraux et multilatéraux ? Ces derniers ne diminuent-ils pas la lisibilité sur les actions de la France ? La crise sanitaire a-t-elle été l'occasion d'améliorations ? Il y a aussi la question de l'articulation des actions menées par l'AFD avec celles du ministère des affaires étrangères. La Cour des comptes a montré que la politique de rémunération était très généreuse. Les volumes financiers concernés sont importants : y a-t-il une perspective de création d'emplois ? Est-il question d'introduire un peu de mesure dans ces rémunérations ?

La crise a conduit à suspendre la charge de la dette de certains pays en développement. Le Président de la République avait annoncé qu'il fallait largement annuler la dette des pays les plus pauvres. Quelles sont les perspectives sur ce point ? L'extrême pauvreté augmente dans les pays en développement, ce qu'on n'avait pas connu au cours des vingt dernières années. Les crédits consacrés aux mesures des secteurs sociaux et sanitaires sont-ils suffisants au regard de cette crise ?

M. Marc Laménie . -La France consacre 10,9 milliards d'euros en 2019 à l'aide publique au développement. Cela concerne différents ministères, certainement. Comment les crédits sont-ils répartis ? De quels moyens humains l'AFD dispose-t-elle ? Comment sont-ils organisés ?

M. Albéric de Montgolfier . - Je partage les interrogations des rapporteurs spéciaux sur la pertinence d'une aide au développement pour les très grands émergents. Le sujet revient chaque année. La Chine est bénéficiaire de l'aide au développement, ce qui prête à sourire ! Sur les 121 millions d'euros d'aide publique bilatérale en cause, 67 millions d'euros correspondent aux frais d'écolage des étudiants chinois. Ne s'agit-il pas d'une forme d'affichage ou de gonflement des chiffres ? C'est mêler à l'aide publique au développement des choses qui n'ont rien à y faire... Je vois aussi que la moitié d'une enveloppe de 11 millions d'euros est consacrée à la lutte contre la déforestation en Amazonie. Que peut-on faire en la matière avec 5 ou 6 millions d'euros ? Je sais que les petits ruisseaux font les grandes rivières, mais, en l'espèce, je soupçonne plutôt de l'affichage.

M. Vincent Delahaye . - Ce budget augmente de façon très conséquente. Jusqu'où cela ira-t-il ? Quand cela s'arrêtera-t-il ? Surtout, à quel moment allons-nous évaluer avant de continuer à augmenter ? Voilà plusieurs années qu'on appelle à davantage d'évaluations. On ne voit toujours rien venir. Je partage aussi les interrogations d'Albéric de Montgolfier sur les très grands émergents. Nous avons dépassé l'objectif de 0,55 % du RNB, alors que nous devions simplement l'atteindre. Où s'arrête-t-on ?

Je partage totalement, aussi, les réticences exprimées sur le projet immobilier. Nous ne sommes pas dans une période où l'on peut faire des projets immobiliers à 560 millions d'euros. La recapitalisation nécessaire de l'AFD coûtera 953 millions d'euros. Ces 953 millions d'euros prennent-ils en compte les 560 millions d'euros du projet immobilier ? Il y aura peut-être de l'emprunt, certes... Toujours est-il que les frais de fonctionnement et les frais généraux de l'AFD continuent à augmenter de façon substantielle. Je suis effaré par cette gestion, et très surpris qu'on puisse gérer l'argent public de cette façon. Je voterai contre ce budget, contre son augmentation démentielle et décidée sans évaluation préalable.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - Vous nous interrogez sur les relations entre l'AFD et les postes consulaires et diplomatiques. Il y a des contacts permanents entre les antennes locales de l'AFD et les consulats ou les ambassades. Comme nous l'a dit l'ambassadeur au Tchad, les rapports, cela dépend des hommes et des femmes qui sont en poste !... Le Fonds de solidarité des projets innovants, géré par les ambassades, est passé de 60 à 70 millions d'euros cette année. Il s'agit d'une enveloppe directement à la main des ambassadeurs : on donne de l'argent aux ambassades pour qu'elles puissent intervenir sur de petits projets, dans un rôle d'amorçage. Ainsi, du campus franco-sénégalais, projet initié par ce Fonds avant que l'AFD ne prenne le relais après quelque mois : bon exemple de coopération entre l'AFD et les ambassades. En ce qui concerne la gouvernance, le projet de loi, qui semble quelque peu enlisé, mettra en place un conseil de coopération locale, qui sera piloté par l'ambassadeur.

Serait-il plus efficace d'augmenter nos contributions aux agences des Nations unies, comme le Haut-Commissariat pour les réfugiés, plutôt que d'augmenter l'aide humanitaire bilatérale ? Les deux leviers sont complémentaires. La présence de la France au sein des agences humanitaires de l'ONU permet d'orienter leur mobilisation et les financements. Pour répondre à des situations de crise ponctuelle, à l'inverse, l'aide humanitaire bilatérale est beaucoup plus souple et elle permet de répondre plus rapidement à des situations d'urgence, sur la base de remontées et de signalements des postes diplomatiques.

M. Michel Canevet , rapporteur spécial . - Patrice Joly et les rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères ont évoqué la loi de programmation qui devait être présentée au conseil des ministres aujourd'hui. Le projet de loi clarifiera le pilotage de l'aide publique au développement, mais aussi de la participation des collectivités territoriales à cette politique. Il devrait préciser le rôle de l'AFD et régler la question de l'intégration d'Expertise France. Il prévoit l'institution d'une commission d'évaluation indépendante, dont les contours restent à fixer, grâce à laquelle nous disposerons de tous les éléments d'information nécessaires pour procéder à une évaluation : pour l'heure, nous n'avons pas suffisamment d'éléments pour évaluer réellement la pertinence de notre politique d'aide au développement.

Vous avez évoqué la recapitalisation de l'AFD. Le renforcement des fonds propres passera par la conversion d'une ressource à condition spéciale dont bénéficie déjà l'AFD en fonds propres. L'AFD remboursera les montants associés à cette ressource - 953 millions d'euros - puis l'État recapitalisera à hauteur du même montant. L'enveloppe de 953 millions d'euros n'est pas destinée à payer l'investissement immobilier de l'AFD, mais à consolider les capitaux propres, sans imputation maastrichtienne effective, donc. Cela ne sera sans doute pas suffisant, et il faudra encore recapitaliser à l'avenir.

Patrice Joly a aussi évoqué la politique de rémunération, sujet qui a été évoqué aussi lors de l'examen de la mission précédente « Action extérieure de l'État ». Il y a une vraie différence entre les niveaux de rémunération en France, en administration centrale par exemple, et dans les réseaux.

Pour ce qui concerne la dette des pays en voie de développement, aucune annulation n'est aujourd'hui prévue, mais un rééchelonnement des paiements est envisagé, avec une suppression des paiements en 2021.

Les crédits aux secteurs sociaux et sanitaires seront-ils suffisants ? En tout cas, les enveloppes en dons et subventions sont réorientées pour accompagner la crise sanitaire, ce qui devrait permettre de répondre à un certain nombre de besoins. Dans le cadre du plan de relance, 50 millions d'euros sont consacrés, justement, aux questions sanitaires.

Marc Laménie a évoqué les moyens humains. Ils sont considérables pour l'AFD, qui dispose actuellement de 2 658 agents, sachant que ses effectifs ont beaucoup progressé ces dernières années. La direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international, au ministère, ne compte que 390 agents.

Albéric de Montgolfier a évoqué les très grands émergents, qui posent de vraies questions. Il nous semble important de veiller à la cohérence entre l'action diplomatique et l'action de développement. Le projet de loi prévoit justement une réunion périodique autour de l'ambassadeur pour y veiller : il ne faut pas que l'AFD intervienne sans que les ambassades soient au courant...

À l'occasion de l'examen de ce projet de loi de programmation pluriannuelle, nous devrons afficher des priorités d'action. Ce sera l'occasion de préciser, pour les années à venir, les pays et le type d'actions que nous souhaitons privilégier.

Vous avez évoqué la lutte contre la déforestation : je lisais ce matin que Jacques Rocher, président de la fondation Yves Rocher, se plaignait qu'il n'y ait pas assez d'actions contre la déforestation ! Certes, avec 11 millions d'euros, l'action de la France reste mineure. Nous avons aussi des besoins en la matière en Guyane.

Si l'on atteint l'objectif de 0,55 % du RNB dès cette année, c'est à cause du contexte, qui a fait baisser notre produit intérieur brut ! Les Britanniques, eux, ont diminué le montant de leur contribution pour qu'elle ne dépasse pas le ratio de 0,7 % qu'ils appliquent. Nous, nous avons décidé de maintenir, et même d'accroître, le montant de notre aide.

Sur les frais de fonctionnement et les frais généraux de l'AFD, il y a un travail à mener. Les membres du conseil d'administration de l'AFD doivent faire preuve d'une vigilance extrême, indépendamment de nos opérations de contrôle, pour que la gestion budgétaire de l'AFD reste aussi rigoureuse que possible.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - Pendant longtemps, les rapporteurs spéciaux du budget de l'AFD siégeaient au conseil d'administration de l'AFD. Pour qu'ils ne soient plus juges et parties, nous n'y siégeons plus.

M. Claude Raynal , président . - Je me rappelle y avoir siégé moi-même... Vous émettez donc tous les deux un avis favorable sur la mission, l'article qui lui est rattaché et le compte de concours financiers.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Aide publique au développement », ainsi que de l'article 53 rattaché.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

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Réunie à nouveau le jeudi 19 novembre 2020, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter sans modification les crédits de la mission, les crédits du compte de concours financiers ainsi que l'article 53.

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