B. UN DROIT QUE LE LÉGISLATEUR NATIONAL A CONSACRÉ SANS POUR AUTANT EN AVOIR GARANTI L'EFFECTIVITÉ

1. Malgré des dispositions législatives qui favorisent l'accès à l'eau pour tous...

Reconnu tardivement, par la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (dite « LEMA »), le droit autonome d'accès à l'eau prévoit que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».

Cette affirmation de portée générale a constitué depuis lors la base juridique pour la mise en oeuvre de l'ensemble des dispositifs visant à rendre effectif ce droit à l'eau, à l'instar de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 précitée qui a introduit la possibilité pour les collectivités compétentes de mettre en place des expérimentations « en vue de favoriser l'accès à l'eau et de mettre en oeuvre une tarification sociale de l'eau » et interdit les coupures d'eau ainsi que les réductions de débit par les distributeurs en cas de non-paiement des factures d'eau, et ce sans condition de ressources .

La loi n° 2011-156 du 7 février 2011 relative à la solidarité dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement, initiée par notre collègue Christian Cambon, a par ailleurs instauré un système d'aide au règlement des factures d'eau et d'assainissement en faveur des plus démunis 3 ( * ) , garantissant ainsi un accès continu à ces services vitaux.

Dispositions législatives relatives à la tarification sociale de l'eau

L'expérimentation de tarification sociale de l'eau a été pérennisée par la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, et généralisée pour toutes les collectivités volontaires, avec un panel de possibilités d'intervention laissées à l'initiative des collectivités :

- définition de tarifs tenant compte de la composition ou des revenus du foyer ;

- attribution d'une aide au paiement des factures d'eau ;

- aide à l'accès à l'eau ;

- accompagnement pour des mesures d'économie d'eau ;

- tarifs incitatifs définis en fonction de la quantité d'eau consommée.

Par ailleurs, cette même loi a introduit une disposition qui prévoit que « la tarification de l'eau potable aux abonnés domestiques peut tenir compte du caractère indispensable de l'eau potable et de l'assainissement pour les abonnés en situation particulière de vulnérabilité en prévoyant un tarif progressif pouvant inclure une première tranche de consommation gratuite » (article L. 2224-12- 4 du CGCT).

2. Un trop grand nombre de personnes ne bénéficiant toujours pas d'un accès à l'eau satisfaisant en France

Le droit à l'eau est une réalité pour la grande majorité de la population française. En effet, près de 99 % des personnes sont aujourd'hui raccordées à un réseau de distribution d'eau. Si le raccordement aux réseaux sanitaires et de distribution d'eau est assuré pour une très grande majorité de nos concitoyens, des catégories de citoyens ne bénéficient néanmoins toujours pas d'un accès à l'eau potable et à l'assainissement dans des conditions satisfaisantes .

a) La France compte toujours un grand nombre de personnes privées d'un accès permanent à l'eau

Le nombre des exclus de l'eau est toujours élevé en France : en 2013, l'Insee dénombrait 204 000 logements privés de confort sanitaire , c'est-à-dire d'eau courante, de W.C. intérieurs et d'installations sanitaires et l'Organisation mondiale de la santé estime que 1,4 million de Français métropolitains ne bénéficient pas en 2019 d'un accès à l'eau géré en toute sécurité.

Le 25 e rapport sur le mal-logement de la Fondation Abbé Pierre estime à 143 000 le nombre de personnes sans domicile fixe, 91 000 qui vivent dans des habitats de fortune en France, 16 000 personnes dans 497 bidonvilles, 208 000 gens du voyage mal logés et 24 000 personnes hébergées dans des foyers de migrants.

b) Les impayés de facture d'eau, un signe de précarité sociale qui ne trompe pas

La variabilité du prix de l'eau en France entraîne un taux d'effort budgétaire différent selon le lieu de résidence. Le prix de l'eau correspond à la somme du prix moyen de l'eau potable et du prix moyen de l'assainissement collectif. C'est le prix du service (prélèvement, traitement, distribution et entretien des réseaux idoines) qui est facturé à l'usager : il est fixé localement par la collectivité, la commune ou le syndicat d'eau potable ou d'assainissement auquel elle a confié l'organisation du service, le cas échéant en application d'un contrat de délégation de service à une société privée.

La variabilité du prix de l'eau en France

Selon une enquête portant sur 130 communes réalisée par l'association « 60 millions de consommateurs » publiée le 25 mars 2021, le prix de l'eau en France a augmenté de 10,7 % en moyenne depuis dix ans . De 2011 à 2020, la croissance moyenne du prix de l'eau a ainsi dépassé le rythme de l'inflation hors tabac. Le prix moyen du mètre cube d'eau présente des écarts allant du simple au quintuple selon les villes, de 1,45 euro/m 3 à Antibes à 8 euros à Mamoudzou (Mayotte).

En 2018, pour une consommation moyenne par ménage de 120 m, le prix de l'eau s'élève en moyenne à 4,08 € TTC par m 3 (contre 4,03 en 2017). Il se divise à part équivalente entre l'eau potable (2,05 €/m 3 ) et l'assainissement collectif (2,03 €/m 3 ), ce qui représente une facture moyenne de 489,60 € par an 4 ( * ) .

c) Les aides de plus en plus volontaristes des collectivités

Ainsi que l'indique le Conseil d'État dans son rapport sur « l'eau et son droit », pendant longtemps, « le droit d'accès à l'eau [a été réduit] à un droit à l'aide en cas d'impayé et à un encadrement de la coupure d'eau ». La prise en charge des factures d'eau impayées a initialement dépendu des politiques sociales locales, par l'intermédiaire des centres communaux d'action sociale (CCAS). Les mesures curatives, qui interviennent une fois la facture d'eau émise, visent essentiellement l' aide partielle ou la résorption ponctuelle des impayés d'eau des ménages demandeurs . Ces aides ne présentent pas de caractère automatique, elles sont attribuées à la demande des ménages, ce qui explique les taux de non-recours élevés.

Les lois « Brottes » et « Engagement et proximité » ont instauré des dispositifs d'aide préventive, avec notamment la possibilité de la tarification sociale de l'eau , d'abord sous forme d'une expérimentation, élargie en 2019 à l'ensemble des collectivités territoriales qui le souhaitent.

Les aides préventives prévoient soit une tarification intégrant une première tranche dite sociale universelle, comportant un volume d'eau donné à tarif réduit, soit une allocation eau.

Le rapport 2020 de l'expérimentation de la loi « Brottes » fournit des éléments de bilan quantitatif concernant les mesures préventives mises en oeuvre :

Ce même rapport indique que l' instauration de tarifs sociaux est néanmoins contrainte par l'existence de compteurs individuels Les montants moyens d'allocation eau attribués varient de 22 € à 78 € et concernent selon les territoires qui l'appliquent entre 500 et 19 000 bénéficiaires.

3. Une nécessité renforcée par la crise sanitaire

La situation sanitaire dégradée du fait de la pandémie de COVID-19 qui dure depuis mars 2020 a démontré l' importance vitale de l'assainissement et de l'hygiène, afin de prévenir et de contrôler les maladies. L'hygiène des mains est une recommandation récurrente des instances sanitaires mondiales et nationales : se laver les mains est l'une des manières les plus efficaces d'empêcher la propagation d'agents pathogènes et de prévenir les infections.

L'épidémie fait ressortir avec force la nécessité de l'accès à l'eau pour tous afin de respecter les gestes barrières et les préconisations en matière d'hygiène publique. Le droit effectif à l'eau est dans cette optique un moyen de sortir plus vite de la situation épidémique où nous nous trouvons.


* 3 Codifié à l'article L. 2224-12-3-1 du code général des collectivités territoriales.

* 4 La France reste toutefois un des pays européens où l'eau est la moins chère, avec ses 4,08 euros/m 3 en moyenne contre 5,21 euros en Allemagne et 6,61 euros au Danemark, selon les chiffres 2017 de l'Office international de l'eau.

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