EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 16 novembre 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Roger Karoutchi , rapporteur spécial de la mission « Médias, livres et industries culturelles » et du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » .

M. Roger Karoutchi , rapporteur spécial de la mission « Médias, livres et industries culturelles » et du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » . - Les crédits dédiés à la mission « Médias, livres et industries culturelles » devraient rester quasiment stables en 2022 à périmètre constant. Les crédits de paiement (CP) s'élèvent à 675,2 millions d'euros, soit une progression de plus de 11 % par rapport à 2021. Elle n'est en réalité que de 2 % à périmètre inchangé. À ces crédits s'ajoutent 140 millions d'euros au titre du Plan de relance.

Le budget 2022 répond donc plutôt aux attentes du secteur.

Les crédits relatifs à la presse et aux médias progressent fortement, à hauteur de 22 %. Cette majoration est due, pour l'essentiel, à une mesure de périmètre : le financement de l'aide au transport postal est en effet transféré au sein du programme. Ce transfert qui accompagne une refonte de l'aide à la distribution va dans le bon sens même si le Gouvernement ne se décide pas à remettre à plat la totalité du régime des aides à la presse. Le système, héritage de l'après-guerre et modifié à de nombreuses reprises depuis, ne fonctionne pas pleinement, car certains titres de la presse d'information politique et générale apparaissent favorisés. Or, ces avantages sont dépassés.

Il y a bien de timides avancées en faveur du développement du numérique, le Gouvernement consacrant quelques moyens à ce sujet. Ces sommes restent cependant plus faibles que celles consacrées au maintien de la presse imprimée, comme si l'avenir de la presse était dans le papier... Même si j'aime lire la presse papier, la plupart des journaux se développent en numérique. On est passé du lecteur au chercheur d'informations.

Je relève par ailleurs, que les organisations professionnelles du secteur limitent toute velléité de réforme ambitieuse. Dans ces conditions, toute tentative de lancement d'un nouveau média peut apparaître extrêmement difficile en raison de la défense des droits acquis. Il faudra vraiment remettre à plat les aides et revoir certains critères d'attribution. La direction générale des médias et des industries culturelles du ministère de la culture le reconnaît, mais elle retarde l'échéance d'une réforme à l'après-présidentielle.

La situation de l'Agence France-Presse (AFP), qui reçoit, de son côté, 40 % des aides à la presse, et qui connaissait de nombreuses difficultés depuis des années, s'est nettement améliorée. Je rappelle qu'elle était fortement endettée et que les correspondants locaux n'avaient pas de véritable statut, ce qu'ils contestaient devant les tribunaux. Depuis, l'AFP a bien évolué : elle est davantage présente numériquement, avec des vidéos, elle a conquis de nouveaux clients, et a réglé le problème des correspondants locaux.

Sur les crédits d'aide au livre et à la lecture, nous avons l'avantage et l'inconvénient de disposer d'un gros paquebot : la Bibliothèque nationale de France (BNF), reconnue par les chercheurs du monde entier, est un gouffre financier. Elle concentre 78 % des dépenses d'investissement des opérateurs du programme dédiés au livre et à la lecture. Les crédits sont donc insuffisants pour les autres établissements, qu'ils soient provinciaux ou franciliens. Je m'interroge d'ailleurs sur le maintien des crédits d'aide à la lecture au sein du programme 334, car ils ne s'élèvent qu'à 8 millions d'euros et que l'essentiel des actions en faveur de la lecture sont portées par d'autres programmes budgétaires.

Le Centre national de la musique (CNM) a bénéficié, de son côté, de nombreuses aides directes et indirectes grâce aux lois de finances rectificative adoptées en 2020 et au plan de relance. Les salles de spectacle, en difficulté, ont reçu des aides massives. Le Centre national de la musique espère désormais consommer les crédits de relance en 2022. Je les trouve un peu optimistes. La remontée épidémique rend ce rebond incertain. Il faudra sans doute plus de crédits pour faire face aux conséquences des réductions des jauges. Le plan de relance avait attribué  200 millions d'euros au CNM sur la période 2021-2022.

Le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) s'attend à percevoir, quant à lui, 694 millions d'euros de taxes - un montant considérable ! Il s'agit d'un retour à la normale après la crise. Il y a eu entretemps des aides massives pour les salles de cinéma et pour la production de films. La France est un grand pays de production. Le plan de relance a alloué 165 millions d'euros au secteur, mais il a servi en large partie à un maintien de l'activité et non à une relance ... Très peu de salles de cinéma ou de producteurs ont fermé. Les prévisions de recettes pour 2022 reposent sur une hypothèse de fréquentation relativement optimiste. Un rebond de l'épidémie sera-t-il amortissable sans injection de crédits publics ?

Si je vous proposerai donc, dans ces conditions, l'adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », en revanche, la coupe est pleine pour l'audiovisuel public. Cela suffit, le Gouvernement se moque du monde. La contribution à l'audiovisuel public (CAP) reste fixée à 138 euros en métropole et 88 euros en outre-mer, et devrait rapporter 3,7 milliards d'euros.

Depuis 2019, une trajectoire de réduction des ressources attribuées aux sociétés audiovisuelles publiques a été élaborée afin d'inciter celles-ci à diminuer leurs dépenses. Ainsi France télévisions se réorganise, avec une pseudo-baisse de ses effectifs, non totalement mise en oeuvre. Et si elle réalise des économies, on lui redonne des crédits via le plan de relance... Soyons clairs, le service audiovisuel public n'a quasiment pas perdu de moyens.

Dans le même temps, toutes nos demandes de réflexion sur le périmètre ou les missions de service public n'ont pas abouti. A-t-on besoin d'autant de chaînes de télévision et de radio ? La question de la viabilité de certaines d'entre elles se pose.

Quelle est la spécificité de France 2 par rapport aux chaînes privées, en termes d'émissions ou de films programmés ? On nous répond qu'il faut faire de l'audience, ce qui revient à avoir une vision concurrentielle des chaînes de service public. Or le contribuable paie pour avoir des émissions éducatives, culturelles - certes non soporifiques - sur le service public, et non pour regarder les mêmes films que sur TF1 ou M6. Or les dirigeants de France Télévisions sont heureux lorsqu'ils battent les chaînes privées... Ils raisonnent avec l'audimat et non uniquement selon leur mission de service public. Les plages de publicité avant 20 heures sont d'autant plus chères que la chaîne fait de l'audimat... A-t-on eu tort de supprimer la publicité après 20 heures ? Après tout, un réel service public ne devrait pas du tout dépendre de la publicité. Ce débat devra avoir lieu.

Contrairement à l'année dernière, j'émets donc un avis défavorable sur les crédits de ce compte de concours financiers. Durant les débats du PLF pour 2019, le Gouvernement s'était engagé à préciser avant juin 2019 les conditions de prélèvement de la redevance dans le contexte de suppression de la taxe d'habitation. Nous n'avons pas avancé d'un iota . La grande réforme de l'audiovisuel public n'a pas vu le jour. Résultat, il n'y a aucune priorité dans l'audiovisuel public ni de volonté de réorganisation avec une culture de service public.

Nous avions demandé comment faire pour que les stations locales de France 3 et France Bleu fusionnent. La solution du Gouvernement, c'est de laisser les deux réseaux et de créer de nouvelles chaînes localement... C'est fou !

En 2019, le Président de la République avait déclaré que la situation ne pouvait plus durer... Or il ne s'est rien passé depuis deux ans. On ne sait pas sur quoi la redevance sera adossée. Un rapport devait être remis au Parlement en septembre 2019. Nous l'attendons toujours. L'ancien ministre du budget, actuel ministre de l'intérieur, proposait de supprimer la CAP et de la budgétiser dans le budget de l'État. Ses successeurs ne sont pas sur la même ligne, mais ils ne sont sur aucune ligne... On ne sait pas comment sera financé l'audiovisuel.

L'année dernière, je vous avais présenté des amendements pour soutenir France Médias Monde, qui voit ses crédits rognés, alors qu'elle est une arme à l'international, C'est la société sur laquelle il faut concentrer des crédits. Le système français tourne sur lui-même, sans répondre à quoi que ce soit.

M. Jean-Raymond Hugonet , rapporteur pour avis de la commission de la culture . - Le discours du rapporteur spécial est conforme au rapport pour avis que je présenterai demain. Le budget général de l'audiovisuel public est en léger retrait. La trajectoire de réduction du personnel de France Télévisions et Radio France a été respectée.

Mais le Gouvernement a échoué à réformer l'audiovisuel. Il n'y a eu qu'une petite loi croupion dont j'ai été le rapporteur. En novembre 2017, le Président de la République s'était pourtant plaint devant les députés de la majorité : l'audiovisuel public serait une honte pour nos concitoyens. Nous attendions donc une grande réforme. Il y a eu trois ministres de la culture. Seul Franck Riester a porté le projet de réforme devant le Parlement - elle a été examinée par la commission de la culture de l'Assemblée nationale. Mais elle n'a pas suivi son cours, soi-disant en raison du coronavirus, alors qu'il aurait été possible de trouver un créneau pour l'examiner.

La taxe d'habitation, sur laquelle est adossée la CAP, sera, de son côté, supprimée en 2023 : les dirigeants de l'audiovisuel public sont donc incapables de faire des prévisions, or ils ne peuvent vivre éternellement dans l'incertitude.

Alors que les plateformes numériques sont l'avenir, et prévues dans les contrats d'objectifs et de moyens, France télévisions a investi dans la plateforme Salto, aux côtés de TF1 et M6, pour près de 45 millions d'euros. Elle démarre timidement. Que se passera-t-il en cas de fusion de TF1 et M6 dans dix-huit mois ? Salto bénéficiera d'un enterrement de première catégorie aux frais du contribuable français...

Le président de la République avait indiqué son souhait que France Médias Monde rayonne. Cette ambition est d'actualité avec la présidence française de l'Union européenne. Il est cependant malheureux de voir qu'elle reste le parent pauvre de l'audiovisuel public, alors qu'il est un instrument de rayonnement de notre culture et de nos valeurs pour un prix relativement modique. Or son budget est encore rogné. Je proposerai également à la commission de la culture de ne pas adopter les crédits du compte de concours financiers.

M. Roger Karoutchi , rapporteur spécial . - Comme Salto est géré pour un tiers par France Télévisions, un tiers par TF1 et un tiers par M6, en cas de fusion entre TF1 et M6, Salto sera géré principalement par une chaîne privée, le degré d'autonomie de France Télévisions au conseil d'administration étant réduit à la portion congrue.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Les réformes annoncées sur l'audiovisuel public n'ont jamais été mises en oeuvre - à moins que le Président de la République fasse des annonces, à l'instar de la somme de 1,9 milliard d'euros annoncée pour l'hydrogène... Nous avons jusqu'à Noël pour recevoir des cadeaux !

M. Marc Laménie . - Je remercie le rapporteur pour son rapport défendu avec talent et passion. De nombreux jeunes ne savent pas lire. Quels sont les liens des opérateurs de la lecture publique avec l'éducation nationale, et leur implication au sein des territoires locaux ?

M. Rémi Féraud . - Sans partager l'opinion du rapporteur spécial sur ce qu'il faudrait faire sur l'audiovisuel public, je suis d'accord avec lui sur un point : le Gouvernement a fait ce qu'il ne fallait pas faire. À ne pas choisir, il rabote chaque année les crédits, sans choix stratégique. Le budget de France Médias Monde est aberrant par rapport aux déclarations du Président de la République. Je suis rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'État. » À quoi sert de faire un réel effort sur l'enseignement français à l'étranger, si on ne soutient pas l'audiovisuel français à l'étranger ? Ce qui a été fait pendant cinq ans se poursuit dans ce PLF...

Le budget consacré au livre, aux médias et aux industries culturelles n'est pas catastrophique, car il a été abondé par le plan de relance, mais sans garantie pour l'avenir.

La production cinématographique a bénéficié de 165 millions d'euros en 2021 avec un engagement du Gouvernement de reconduire ce budget en 2022. Je n'en ai pas trouvé trace dans les documents budgétaires. Ces crédits sont-ils ailleurs, ou absents ? Manquent-ils, ou n'en a-t-on pas besoin ? Il faudrait vérifier qu'il n'y a pas de trou dans la raquette.

M. Arnaud Bazin . - Je ne voulais pas voter les crédits à l'audiovisuel public en raison de la situation à Radio France. Il est indispensable d'avoir une presse d'opinion - et nous le savons lorsque nous achetons Le Figaro , L'Humanité , Libération - à condition qu'elle soit financée par les acheteurs et les annonceurs. Les contribuables financent Radio France, dont les émissions sont souvent de qualité, mais avec un arrière-plan idéologique évident et permanent. Cela va bien au-delà des émissions politiques. La gouvernance de Radio France se défend en invoquant des choix éditoriaux, mais ce sont des choix politiques, presque de la propagande.

Quels fonds sont spécifiquement dédiés à Radio France ? L'établissement est habitué à cet état de fait. Daniel Cohn-Bendit, invité à la matinale de France Inter, a salué les journalistes d'un « Bonjour à Radio nostalgie socialisme » !

M. Didier Rambaud . - Sur l'audiovisuel public, je partage le constat de MM. Karoutchi et Hugonet, mais sans la tonalité politique. On peut regretter l'absence de grande loi sur l'audiovisuel, mais sur quelles bases l'écrire ? Ces dix dernières années, je n'ai jamais entendu - ni à droite ni à gauche - de propositions concrètes sur l'audiovisuel public de demain. Actuellement, les jeunes regardent Netflix, Amazon ou Disney +. Comment réguler ces plateformes ? Le téléviseur a été remplacé par les smartphones et les tablettes. Faut-il élargir l'assiette de la CAP à ces supports ? Bon courage...

M. Roger Karoutchi , rapporteur spécial . - Monsieur Laménie, ce n'est pas le rôle de la BNF d'apprendre à lire aux enfants. Elle mène une politique en faveur des éditeurs, des collectionneurs et des chercheurs. Il faudrait aller voir dans le budget de l'éducation nationale, car les liens sont ténus avec les bibliothèques et l'édition. Il n'y a pas de classes qui se rendent à la BNF.

Monsieur Féraud, le CNC avait effectivement demandé au Gouvernement de mettre le paquet en 2021 et en 2022, mais en versant la totalité des crédits en 2021 - ils ont tous été consommés... D'où le problème pour 2022. Si le secteur n'a pas de difficultés majeures, il pourra tenir. Sinon, les éventuels moyens supplémentaires ne sont pas budgétés...

Monsieur Bazin, je n'ai rien à rajouter sur l'idéologie de Radio  France. Le budget prévu en 2022 atteint 588,8 millions d'euros. La neutralité du service public est un élément dont on parle beaucoup, mais qui est peu pratiqué. Lorsque vous regardez Arte ou France 5, il y a des reportages intéressants avec un certain soubassement...

Monsieur Rambaud, il y a eu un projet de loi de réforme de l'audiovisuel, pour réorganiser le service public. Un débat parlementaire sur le périmètre et la définition des missions de service public était aussi prévu. On aurait pu faire avancer les choses, mais ce débat n'a jamais eu lieu.

En revanche, que fait-on pour la CAP ? Des propositions ont été faites soit pour maintenir l'assiette aux téléviseurs, soit pour l'élargir aux tablettes et portables. C'est au Gouvernement soit de faire des propositions, soit de débattre devant le Parlement.

Les acteurs de l'audiovisuel ont des idées, mais elles ne sont jamais débattues, donc jamais tranchées. On y va à l'aveugle...

M. Jean-Raymond Hugonet , rapporteur pour avis . - Le Sénat publie d'excellents rapports, notamment celui de MM. Jean-Pierre Leleux et André Gattolin de 2015 sur le modèle de financement de l'audiovisuel public, qui donne les grands axes de la réforme - le ministre Franck Riester s'en était inspiré pour son projet de loi.

La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

Elle a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».

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Réunie à nouveau le jeudi 18 novembre 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission, et de ne pas adopter les crédits du compte de concours financiers.

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