B. FAUTE DE RÉFORME D'ENSEMBLE, LE PILOTAGE A ÉTÉ LAISSÉ AUX SOCIÉTÉS DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC, AVEC DES RÉUSSITES DIVERSES

1. Arte : une réussite qui doit servir de référence

La dotation d'Arte prévue dans le cadre du présent projet de loi de finances devrait atteindre 278,6 millions d'euros en 2022, contre 279,1 millions d'euros en 2021.

Le contrat d'objectifs et de moyens (COM) pour la période 2020-2022 signé tardivement avec l'État le 19 mai dernier repose sur trois axes :

- la poursuite de « l'excellence éditoriale » et du déploiement numérique ;

- le développement européen, tant s'agissant de la nature de ses programmes que de ses implantations ;

- une image d'entreprise « responsable » et « innovante ».

Ce COM s'inscrit dans le cadre du projet de groupe 2017-2021 du groupe franco-allemand Arte (financé à parts égales par les deux gouvernements) et du futur COM 2021-2024 du groupe , en cours de négociation. Reste que cette vision commune souffre d'une forme d'asymétrie, la visibilité allemande sur le financement de la chaîne contrastant avec l'inconnue entourant l'avenir de la CAP en 2023. Chaine franco-allemande, Arte permet, en effet, de comparer la différence d'accès au financement public. L'audiovisuel public allemand se finance très majoritairement par une redevance mensuelle et, dans une moindre mesure, par la publicité . La redevance prend la forme depuis 2013 d'un forfait par unité d'habitation (résidence principale comme résidence secondaire) couvrant à la fois les particuliers et les entreprises. Chaque foyer est redevable de cette contribution, qu'il détienne ou non des appareils permettant de recevoir les programmes de l'audiovisuel public. Cette réforme de la contribution a entraîné une hausse des recettes de 1,16 milliard d'euros pour la période 2013-2016. Son montant a augmenté en 2021, passant de 17,50 euros à 19,34 euros, soit 232,08 euros par an.

Le volet français du groupe a, en tout état de cause, rempli tous les objectifs annuels négociés avec l'État  entre 2017 et 2022 : 85 millions d'euros ont été dédiés à la création audiovisuelle et 85 % des programmes sont européens. Le choix d'une réduction drastique des coûts de gestion, qu'il s'agisse de la masse salariale (la masse salariale représente 7,4 % des dépenses soit en deçà du ratio prévu par le COM : 7,77 %) ou des moyens technologiques (bascule en HD) a permis de dégager d'importantes marges de manoeuvres financières. La réduction des frais généraux a ainsi atteint un ratio de 33 % sur la période 2011-2019, le budget affecté aux programmes progressant de 25 % sur la période, lui permettant de mieux répondre encore à sa mission de service public. Chaîne de stocks et non de flux - peu d'émissions en direct -, Arte affecte 70 centimes à la production indépendante sur chaque euro qui lui est versé.

La stratégie numérique d'Arte doit également être mise en avant, à l'heure où France télévisions, via la plateforme SALTO, tente de développer, à perte, un modèle particulier (cf infra ). La plateforme arte.tv comprend ainsi des programmes en télévision de rattrapage, ainsi que des programmes produits ou acquis pour le numérique, disponibles de 30 à 60 jours, avec possibilité de téléchargement et de visionnage hors connexion. 65 % des programmes disponibles sur la plateforme ne constituent pas des rediffusions. Les programmes sont également disponibles sur des environnements tiers :

- plateformes vidéo ( YouTub e et Twitch) à travers des chaînes dédiées. La chaîne Youtube d'Arte a ainsi atteint deux millions d'abonnés début juillet 2021 ;

- sur les réseaux sociaux ( Instagram , Snapchat , Twitter , Faceboo k, TikTok ...).

Sur ces multiples supports, Arte a cumulé, entre janvier et avril 2021, en moyenne chaque mois 185,2 millions de vidéos vues, soit une progression de 36 % en un an. La plateforme arte.tv a notamment enregistré 60,8 millions de vidéos vues par mois, soit une hausse de 52 % par rapport à 2020. La plateforme se situe ainsi, en termes d'audience, en quatrième position derrière les géants américains Netflix, Amazon Prime Video et Disney+ . La logique de plateformisation poursuivie par Arte sert aujourd'hui de modèle pour les chaînes allemandes ARD et ZDF. La plateforme devrait servir de véhicule à une plus grande européanisation du groupe, avec une volonté d'ouverture aux publics anglais, espagnol, italien et polonais dans un premier temps (400 heures sur 8 000 heures de programmes sont déjà traduites)

Le service payant de vidéo à la demande (VàD) destiné au grand public (Arte VOD) propose, de son côté, un catalogue composé de 5 000 oeuvres (46 % de documentaires, 23 % de cinéma, 19 % de fiction et 11 % de magazines). Le chiffre d'affaires total du service s'est s'établi à 1,8 million d'euros en 2020, soit une croissance de 84 % par rapport à 2019.

Arte France investit par ailleurs dans le numérique via le financement des développements informatiques nécessaires à ses outils métier (gestion des programmes et gestion de l'entreprise). Ces investissements informatiques représentent entre 1,5 et 3 millions d'euros par an. Elle contribue également au financement des programmes spécifiquement numériques (12,06 millions d'euros en 2020).

2. Radio France : une réforme inachevée ?
a) 2022 sera marquée par la fin de la mise en oeuvre du projet stratégique et la livraison du chantier de la Maison de la Radio

Le projet de loi de finances pour 2022 prévoit, pour Radio France, une dotation de 588,8 millions d'euros, soit une baisse de 0,4 % par rapport aux crédits inscrits en loi de finances pour 2021.

2022 marque, par ailleurs, la fin de la mise en oeuvre du projet stratégique élaboré en 2019. Celui-ci prévoyait :

- d'axer prioritairement les moyens de la société sur les trois missions de service public suivantes : l'information, la proximité, et la culture ;

- de s'appuyer sur les formations musicales de Radio France (Orchestre national de France, Orchestre philharmonique de Radio France, Choeur et maîtrise de Radio France) à travers le renforcement de leur présence dans tout le pays et le développement de la visibilité de leurs concerts au bénéfice de nouveaux publics (télévision, cinéma, numérique) ;

- de créer une plateforme numérique rassemblant tous les contenus produits par les chaînes du groupe. Cette démarche s'inscrit dans la continuité du rajeunissement observé des audiences et de l'orientation vers plus de pédagogie de ses antennes, à l'instar de France culture.

L'équilibre du projet stratégique de Radio France reposait sur trois axes stratégiques de transformation :

- l'élaboration d'un plan d'évolution des compétences de ses salariés et d'adaptation de son cadre social, destiné à réaliser 25 millions d'euros d'économies. Il visait notamment à assouplir les règles en matière de temps de travail et devait déboucher sur un plan de départs concernant entre 270 et 390 salariés ;

- la réalisation d'économies sur ses charges de diffusion sur la période 2019-2022 à hauteur de 5 millions d'euros et la poursuite de la politique d'optimisation des achats et de maîtrise des dépenses de fonctionnement courant, afin de redéployer des moyens vers la production et la distribution numérique (10 millions d'euros d'économies attendues) ;

- une hausse de 20 millions d'euros de ses revenus liée à la progression de ses recettes publicitaires, consécutive à la hausse de ses audiences et à la montée en puissance de ses podcasts , la valorisation de son savoir-faire dans le domaine du son, via la commercialisation de prestations et de formats audio auprès de tiers ou la location ponctuelle de studios à des productions externes dans le cadre du projet « Studio Radio France », la croissance de ses recettes de billetterie et un soutien financier d'acteurs publics ou privés auprès de ses deux orchestres.

Une large partie des objectifs semble aujourd'hui atteints, dans un contexte marqué par la crise sanitaire. 70 % des départs prévus sont effectifs et 57 projets de réorganisation des unités de production ont été élaborés (une trentaine étant d'ores et déjà mis en oeuvre). Les charges de personnels devraient ainsi attendre 394 millions d'euros en 2022 contre 404 en 2020.

Les ressources propres ont, de leur côté, progressé ; Radio France tablant sur un montant de 76 millions d'euros en 2022 contre 63 millions d'euros deux ans plus tôt.

S'agissant de son développement numérique, Radio France a quasiment doublé les écoutes à la demande de ses programmes en deux ans, passant de 124,2 millions à 225 millions d'écoutes mensuelles en 2021. La plateforme unique reste en cours d'élaboration, une version beta étant néanmoins accessible.

2022 devrait également coïncider avec la fin du chantier de la Maison de la radio. La crise sanitaire n'a eu qu'un impact mesuré sur le coût du chantier (1,6 million d'euros), la livraison des travaux n'étant repoussée que de quelques semaines. Celui-ci devrait finalement atteindre 495,2 millions d'euros, le montant initialement prévu devant atteindre 510 millions d'euros. La clé de répartition des coûts mise en place depuis le début des travaux prévoit, en effet, que la société autofinance 30 % des coûts, l'État finançant le solde. La fin des travaux est envisagée au troisième trimestre 2022.

b) Une réduction des coûts qui aurait pu être plus ambitieuse

Si l'atteinte de ces objectifs doit être saluée, le rapporteur spécial s'interroge sur un relatif manque d'ambition s'agissant de la réduction des coûts. Une redéfinition du périmètre de Radio France aurait pu être opérée. Il s'agit notamment de réévaluer l'apport de deux de ces antennes : FIP, dont le succès relève plus de l'estime que de l'audience compte-tenu de sa faible diffusion et Mouv', dédiée à un auditoire de moins de 25 ans. Les missions de ces deux radios pourraient être largement reprises par les autres antennes du groupe. Le rapporteur spécial note que la vocation de FIP, dédiée notamment, à la découverte de nouveaux talents, est largement reprise dans les objectifs de programmation musicale des chaînes du groupe. Mouv' (0,8 % d'audience cumulée), dont une partie des programmes prend la forme de capsules accessibles en ligne, pourrait par ailleurs se limiter à ce format.

La question du coût du maintien de deux orchestres de taille et de niveau comparable est également posée. Le COM signé entre l'État et Radio France en mai 2021 pour la période 2020-2022 fait de la musique un objectif pour Radio France, le groupe devant proposer une offre qui se distingue des offres commerciales, développe son soutien aux nouveaux talents sur tout le territoire et accentuer la mise en valeur de la création musicale sur le numérique. C'est dans ce contexte que symboliquement la Maison de la radio a été rebaptisée Maison de la radio et de la musique.

Les deux orchestres ont dans ce cadre une mission spécifique qui leur est assignée, Radio France ayant pour ambition de rendre la musique symphonique accessible à tous. L'un ainsi est dédié au patrimoine (Orchestre national de France) et l'autre à la création contemporaine (Orchestre philharmonique de Radio France). Radio France indique que le taux d'occupation de l'auditorium de Radio France atteste de la vitalité de ces deux formations (95 % de spectateurs payants).

Nonobstant ce succès public, le rapporteur spécial relève que les recettes perçues ne permettent pas d'équilibrer le coût de ces deux formations.

Coût de la direction de la musique de Radio France en 2021

(en millions d'euros)

Dépenses de fonctionnement

11,2

Orchestre national de France

2,3

Orchestre philharmonique de Radio France

2,3

Maitrise

0,2

Choeur et activités lyriques

0,5

Direction

2,1

Dépenses de personnel

31,2

Recettes

-0,9

Mécenat

-0,2

Total Charges Musique

37

Total Charges Radio France

704,7

Source : Commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

L'accord Emploi 2022 signé le 1 er octobre 2020 entre la direction de Radio France et cinq des six organisations syndicales représentatives de son personnel prévoit déjà une révision à la baisse des effectifs permanents des formations musicales. Celle-ci vise principalement le choeur et la maîtrise de Radio France (- 30 ETP sur les 90 qu'il compte actuellement). Ce redimensionnement a été pensé de sorte qu'il soit toujours en capacité d'assurer la très grande majorité des répertoires Le choeur pourra en outre recourir à l'intermittence afin de compléter son effectif lorsque cela sera rendu nécessaire. L'accord prévoit, par ailleurs, des redimensionnements pour les deux orchestres, sans poser pour autant la question de l'inévitable suppression de l'un d'entre eux.

3. La stratégie de France télévisions en question
a) Un effort réel de maîtrise de certains coûts à périmètre constant

La non suppression de France 4 en raison de son succès durant la période de confinement conduit une nouvelle fois à s'interroger sur le périmètre et les missions du service public. Celui-ci a en effet été loué pour sa capacité à produire des émissions dédiées à la connaissance et non pour son aptitude à répondre à la concurrence, via un programme d'acquisition de films ou de jeux.

Les efforts financiers effectués en vue de la mise en avant d'une offre enrichie en théâtre, musique et spectacle vivant et en programmes jeunesse (augmentation des coûts liés au programme national de 21,2 millions d'euros) n'ont d'ailleurs pas remis en cause l'objectif affiché de maîtrise des coûts, en particulier celui de la grille. Celui-ci, établi à 2 103 millions d'euros en 2019 est ramené 2 035,5 millions à fin 2020, soit un niveau largement inférieur au coût affiché dans le projet de budget 2020 : 2 096 millions d'euros. Le coût de la grille fixé par le COM 2020-2022 pour l'année 2022 devrait d'ailleurs rester au même niveau que celui de 2020 (2 036,3 millions d'euros).

Il convient de relever que l'économie enregistrée en 2020 a été rendue en partie possible par la baisse d'activité enregistrée dans certains secteurs en raison de la crise sanitaire : information (- 15,2 millions d'euros), sport (- 23,4 millions d'euros) ou décrochages régionaux et ultra-marins (- 39,4 millions d'euros). La vigilance sera donc de mise en exécution 2021 et 2022 pour vérifier si cette trajectoire de réduction du coût de la grille peut être viable en année normale. Il est, en tout cas évident que l'enrichissement de l'offre ne peut se faire au détriment des missions historiques du groupe, qu'il s'agisse de l'information ou des déclinaisons régionales ou de l'accès à des événements sportifs considérés comme patrimoniaux. La priorité doit rester au financement de ces programmes et non dans l'acquisition de jeux et de films censés doper une audience.

La question du coût de la grille doit donc pousser le groupe à se recentrer sur ces émissions et celles dédiées à la promotion de la culture et à l'accès à la connaissance accessibles à toutes les générations. Le rapporteur spécial avait insisté sur ce point lors de sa mission de contrôle en 2018. Une réflexion sur le positionnement du groupe (rôle de France 2 notamment) et sa taille apparaît dans ce contexte plus que nécessaire.

Plus largement, le rapporteur spécial salue les efforts de réduction de la masse salariale. Les effectifs moyens annuels de France télévisions devraient ainsi passer de 9 618 ETP en 2018 à 9 021 ETP en 2021 (9 043 en 2020), soit une baisse de 6 %. La masse salariale (hors indemnités de départ en retraite et de licenciements et suppléments de cachets) passerait, dans le même temps, de 899,3 millions d'euros en 2018 à 876,2 millions d'euros en 2021, soit une baisse de 3 %.

Au total, les charges d'exploitation du diffuseur ont diminué de 56,1 millions d'euros entre 2018 et 2021, passant de 2 593,6 millions d'euros en 2018 à 2 537,5 millions d'euros en 2021, soit une baisse de 56,1 millions d'euros, diminution qui s'avère presque trois fois moins importante que la réduction du montant de la CAP attribué sur cette période (- 142 millions d'euros).

b) La participation incompréhensible à SALTO

L'année 2021 devrait se traduire, pour le groupe France Télévisions, par un déficit d'exploitation de 35,3 millions d'euros, qui succède à un résultat négatif en 2020 : - 10,6 millions d'euros.

Ces déficits d'exploitation intègrent les pertes prévisionnelles liées à la participation à la plateforme de programme à la demande SALTO, dont le groupe public possède un tiers du capital. Établies à 10,9 millions d'euros en 2020, elles atteindraient 31,1 millions d'euros en 2021. Le coût de cet investissement peut susciter une certaine réserve au regard des efforts de maîtrise observés par ailleurs.

Même si SALTO n'est en principe ni directement ni indirectement financée par la contribution à l'audiovisuel public mais par les recettes commerciales induites par son modèle économique, le rapporteur spécial s'interroge, une nouvelle fois, sur l'opportunité, pour le groupe public, de rejoindre SALTO, qui associe déjà les groupes TF1 et M6, sauf à vouloir se rapprocher d'eux, au risque de remettre en question un positionnement censé être plus exigeant.

Conçue comme un service de vidéo en direct et à la demande, payant par abonnement et sans engagement, la plateforme donne accès à une offre de contenus de plus de 10 000 heures de programmes et à des services enrichis (reprise du début d'un programme en cours de diffusion, recommandation personnalisée, accès sur tous les terminaux, reprise de lecture, etc.).

Le coût de l'abonnement de SALTO est proche de celui retenu par les fournisseurs américains, type Netflix et Amazon Prime Video , sans pour autant faire montre du même effet d'attraction faute d'un catalogue de contenus inédits suffisamment développé. Le nombre d'abonnés payants de la plateforme serait aujourd'hui compris entre 350 000 et 400 000. Le taux de pénétration était de son côté estimé à 2,4 % à fin septembre 2021, soit environ 700 000 personnes. Ce taux est à comparer à ceux enregistrés par Netflix (38 %), Amazon Prime Video (25 %) ou Disney + (16 %).

Une première lecture du catalogue fait apparaître des séries étrangères déjà accessibles sur d'autres plateformes ou des films ainsi que des séries françaises produites par et/ou pour France Télévisions. Le groupe public se trouvera donc en position de combler les pertes d'un service mettant en vente des séries produites pour le service public, en principe accessible à tous, et financées, à ce titre, par des ressources publiques .

S'agissant des modalités de participations de France Télévisions à SALTO, il a été indiqué au rapporteur spécial qu'au regard du caractère confidentiel des données financières de SALTO imposé par l'Autorité de la concurrence, et étant rappelé que France télévisions n'est pas l'éditeur des programmes de cette société, le Gouvernement ne disposait ni du détail des investissements de France télévisions dans les programmes et dans la plateforme technologique ni du détail de sa participation aux dépenses de fonctionnement de SALTO.

Au-delà de son nombre d'abonnés et de question de sa rentabilité de la plateforme, la perspective d'une fusion entre les deux groupes privés, annoncée en mai 2021, amoindrit considérablement les chances de survie à terme de SALTO. Le nouveau groupe une fois fusionné, entendrait accélérer le développement d'une plateforme nationale performante combinant une offre de rattrapage et de streaming (fondée sur MyTF1 et 6play) et une offre de vente par abonnement (SVOD). Cette fusion interroge également sur le degré d'autonomie de France télévisions au sein du conseil d'administration de la plateforme.

Au regard de ces éléments, une sortie de SALTO apparaît tout à la fois nécessaire et urgente, même si elle se traduit par une perte financière importante. A la lumière du succès Arte.tv, cette participation relève en tout état de cause d'une erreur de gestion manifeste qui témoigne d'une mauvaise appréhension des enjeux industriels et d'une confusion quant au rôle du service public.

4. L'absence d'ambition pour l'audiovisuel public extérieur

Le niveau de la dotation proposée pour France Médias Monde (FMM) dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022 conduit, une nouvelle fois, le rapporteur spécial à s'interroger sur les conditions d'exercice de cette indispensable mission de service public. La dotation s'établirait à 259,6 millions d'euros, soit 0,4 million d'euros de moins par rapport à 2021. Plus largement, la subvention accordée à France Médias Monde a diminué de 3,8 millions d'euros depuis 2018.

Une holding de trois chaines et une agence

La holding France Médias Monde, anciennement appelée Audiovisuel extérieur de la France (AEF) a été créée en avril 2008. Elle se compose aujourd'hui d'une chaîne de télévision et de deux radios :

- France 24, conçue comme une chaîne d'information en continu, qui émet en quatre langues (français, anglais, arabe et espagnol). Les quatre déclinaisons de France 24 produisent plus de 1 000 journaux télévisés et 74 magazines chaque semaine. 69,5% des programmes sont consacrés à l'information42 ( * ).

- Radio France International, qui émet en français et en treize autres langues ;

- Monte Carlo Doualiya (MCD), radio généraliste, émettant en langue arabe. L'antenne quotidienne de la chaîne est composée de 7h20 d'information, de 10h de magazines et de 6h40 de fil musical.

L'agence Canal France International (CFI), est, par ailleurs, devenue depuis le 27 juin 2017 une filiale de FMM. Créée en 1989, elle agit, dans le cadre de l'aide publique au développement, pour favoriser le développement des médias en Afrique, dans le monde arabe et en Asie du Sud-Est. CFI soutient ainsi les efforts de modernisation des médias audiovisuels et numériques publics et privés des pays en sortie de crise et en développement, en valorisant l'expertise française. 85 % de son budget est couvert par le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » de la mission « Aide publique au développement ». Le projet de loi de finances pour 2022 prévoit ainsi une subvention annuelle de 7,6 millions d'euros.

Source : commission des finances du Sénat

Cette réduction relativise la pertinence de l'objectif assigné à FMM dans le projet annuel de performances : « développer la présence française et francophone dans le paysage audiovisuel mondial ». Cette ambition ne se traduit pas par des moyens adaptés, alors même que la concurrence internationale s'avère de plus en plus aigüe. Les coups de rabot apportés à tous les budgets des sociétés d'audiovisuel public sans distinction dénotent, dans le cas des opérateurs dédiés à l'audiovisuel extérieur, une absence de vision à long terme et une réelle contradiction avec le discours ambitieux porté au plus haut niveau de l'État.

Le président de la République avait, pourtant, en mars 2018, insisté sur la nécessité de « rehausser notre ambition » en matière de promotion de la langue et des contenus français en s'appuyant sur la « puissance de feu médiatique » de l'« institution puissante » que représente France Médias Monde 43 ( * ) .

a) La « guerre froide des médias »

Le discours présidentiel s'inscrivait dans un contexte de véritable « guerre froide des médias », pour reprendre les termes de Mme Marie-Christine Saragosse, présidente-directrice-générale de FMM. Le concept résume bien les politiques d'influence développées par les grandes puissances (États-Unis, Russie ou Chine) mais aussi par nos partenaires européens (Allemagne, Grande-Bretagne).

Ainsi, aux États-Unis, l'agence gouvernementale United States Agency for Global Media (USAGM), anciennement Broadcasting board of governors , a vu ses missions confirmées au cours de la présidence Trump, en dépit des velléités isolationnistes de celle-ci. Le dispositif regroupe cinq réseaux de médias : les radios Voice of America , Radio Free Europe/Radio Liberty et Radio Free Asia , et les groupes audiovisuels Radio and TV Martí (Cuba) et Middle East Broadcasting Networks ( Alhurra TV et Radio Sawa ). La chaîne Current Affairs , en langue russe, a ainsi été lancée en 2017. La section africaine de Voice of Americ a a, dans le même temps, été redynamisée avec la mise en place d'une chaine en anglais et le déploiement de fréquences FM en français, l'objectif assumé étant de concurrencer France 24. Une plateforme comparable au site InfoMigrants mis en place par France Médias Monde a également été développée. L'USAGM revendique 345 millions de contacts hebdomadaires. Elle bénéficie d'une dotation annuelle de 719 millions d'euros.

Le lancement de Russia Today (RT) en français en 2017 a, de son côté, témoigné de la volonté russe de poursuivre l'approfondissement de sa présence en France mais aussi en Afrique francophone, concurrençant là encore France 24. RT développe également son réseau en Europe, en Amérique latine et aux États-Unis. La chaîne, créée en 2005, émet désormais en allemand, en anglais, en arabe et en espagnol. L'agence de presse multimédia internationale Sputnik , lancée en 2014, contribue également largement à la présence russe audiovisuelle dans le monde . Elle regroupe plus de 30 sites et ses rédactions travaillent dans plus de 30 langues.

L'audiovisuel extérieur chinois a vu son développement accéléré ces dernières années, via un investissement massif évalué à près de 10 milliards d'euros sur la période 2010-2020. China Media Group / Voice of China , regroupe notamment le réseau China Global Television Network , soit 5 chaînes d'information en continu (anglais, français, arabe, russe, chinois) diffusées dans 140 pays et qui emploient plus de 10 000 personnes, et China Radio International , qui émet en 65 langues depuis plus de 70 stations à l'étranger. Le groupe audiovisuel est placé sous le contrôle direct du Département central de la propagande du Parti. Voice of China planifie des opérations de promotion des intérêts chinois, destinées notamment à concurrencer les médias occidentaux. CGTN Africa émet ainsi en anglais depuis Nairobi et des stations de radio en langues locales ont été constituées . Voice of China a également renforcé sa présence en Europe, (CGTN Europe), via l'implantation d'un centre de production à Londres. 90 journalistes locaux ont été recrutés.

Nos partenaires européens ne sont pas en reste. BBC World service , soutenue par le ministère des affaires étrangères, revendique 319 millions de contacts hebdomadaires, contre 235 millions pour FMM. En 2020, le budget de BBC World Service (radio, numérique et chaînes TV en arabe et persan) s'élevait à 398 millions d'euros dont 298 millions d'euros de redevance et 100 millions d'euros de subventions de l'État sous forme d'aide au développement pour la modernisation du service et le lancement de nouvelles langues (financement de 341 millions d'euros échelonné sur 4 ans de 2016 à 2020). Outre des subventions, la chaine BBC World News , qui n'est pas intégrée au périmètre de BBC World Service , perçoit, de son côté, 57 millions d'euros de recettes commerciales.

La Deutsche Welle (DW) allemande bénéficie quant à elle d'un budget de 391 millions d'euros en 2021, soit une progression de 114 millions d'euros par rapport à 2013. DW approfondit sa présence au sein du monde arabe et en Turquie, de la zone Iran-Pakistan-Afghanistan, en Afrique subsaharienne et dans le monde slave. DW bénéficie d'une aide de 30 millions d'euros par an au titre de l'aide publique au développement. Elle revendique 162 millions de contacts hebdomadaires.

L'émergence des groupes pan-arabes n'est pas non plus à mésestimer :

- le groupe quatari Al Jazeera, compte 80 bureaux à travers le monde et émet ses programmes à partir de quatre centres (Doha, Londres, Washington et Kuala Lumpur) et mène une politique d'expansion en Afrique ;

- le groupe saoudien MBC, détient les chaînes d'information Al-Arabiya et Al-Hadath, et développe sa présence au Maghreb ;

- Al Mayadeen, chaîne d'information financée par l'Iran et Sky News Arabia basée à Abu Dhabi et adossée financièrement à l'émirat du même nom développent également leur présence au Proche et au Moyen-Orient.

La stratégie d'influence de ces différents acteurs s'inscrit de surcroît dans un contexte marqué par l'émergence des géants du secteur du numérique et par leur importance croissante dans le paysage médiatique.

b) Les pistes envisageables pour un renforcement du poids de l'audiovisuel public extérieur

Le rapporteur spécial avait préconisé un certain nombre de pistes de travail en vue d'un renforcement des moyens de FMM à l'occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2020. Elles n'ont pour l'heure trouvé aucune traduction concrète.

Un rapprochement de FMM avec l'Agence française de développement en faisait partie. Un fléchage des crédits de celle-ci doit permettre notamment de renforcer la présence de FMM en Afrique. Plus largement, le montant des actions menées par FMM et pouvant relever de l'aide au développement est estimé à une somme comprise entre 20 et 30 millions d'euros. Reste à adapter les critères d'éligibilité des projets en ce qui concerne l'audiovisuel. Les projets financés par l'AFD le sont dans le cadre d'une aide limitée à une durée de 4 ans, ce qui peut apparaître peu efficient s'agissant des investissements audiovisuels.

Le rapporteur spécial souhaitait également que soit sanctuarisé un pourcentage de la contribution à l'audiovisuel public, qui serait consacré à l'audiovisuel public. De la sorte, serait conforté le financement de missions permettant de renforcer la présence française dans le monde, face à une concurrence particulièrement agressive. Cette part réservée financerait uniquement des dépenses afférentes au renforcement de la présence française dans le monde et non des dépenses courantes de fonctionnement. Elle impliquerait un rapprochement des ministères chargés des affaires étrangères et de la culture en vue d'élaborer les priorités en la matière.

Cette refonte de la gouvernance et cet élargissement du financement impliquaient, dans le même temps, une amélioration des outils de suivi budgétaire, ciblant notamment l'utilisation, par zone géographique, des crédits affectés.


* 42 FMM a racheté, le 12 février 2009, l'intégralité des actions détenues par TF1 et France Télévisions. Les deux groupes disposaient chacun de 50 % du capital.

* 43 Discours du Président de la République à l'Institut de France pour la stratégie sur la langue française, 20 mars 2018.

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