III. DES POINTS DE VIGILANCE : PRÉSERVER L'ESSENCE EURO-ATLANTIQUE DE L'OTAN, RENFORCER LA DÉFENSE EUROPÉENNE

A. LE BLOCAGE DE LA TURQUIE N'A ÉTÉ SURMONTÉ QU'AU PRIX D'UN ACCORD TRIPARTITE QUI SUSCITE DES INTERROGATIONS

Dans l'accord qu'elles ont signé le 28 juin 2022 avec la Turquie, la Finlande et la Suède ont promis de soutenir davantage ce pays dans sa lutte contre le terrorisme , s'engageant à empêcher les activités non seulement du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), mais aussi du PYD et des YPG, qui combattent Daech en Syrie. Les deux pays candidats à l'OTAN se sont également engagés à améliorer les extraditions de ressortissants turcs accusés de terrorisme. Ils ont aussi promis de lever leur embargo sur la vente de certaines armes à Ankara, instauré depuis l'offensive de la Turquie dans le nord de la Syrie en octobre 2019. De leur côté, les États-Unis ne se sont pas engagés sur la reprise du programme F35 en Turquie, interrompu à la suite de l'acquisition de missiles S-400 russes par le pays. En revanche, ils pourraient accepter de moderniser les avions de combat F16 turcs.

Par ailleurs, la Suède et la Finlande se sont engagées à soutenir la participation de la Turquie aux initiatives de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), en particulier en ce qui concerne la coopération structurée permanente (CSP) « mobilité ». Les États-Unis, le Canada et la Norvège y avaient déjà été invités à l'initiative de l'Allemagne. La commission estime cependant qu'une telle participation de la Turquie ne va pas de soi étant donné ses relations actuelles avec la Grèce et Chypre, membres de l'Union européenne, en Méditerranée orientale . Comme l'a souligné le rapport d'information sur la « Boussole stratégique » européenne de Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret, cette participation « pose un problème de compatibilité de valeurs ». En outre, certains États membres estiment, à juste titre, que la participation d'États tiers devrait rester exceptionnelle afin d'éviter les situations dans lesquelles les bénéfices mutuels s'avèreraient déséquilibrés.

Il est donc impératif de veiller à ce que l'OTAN ne s'aligne pas sur un accord tripartite qui, par nature, ne doit pouvoir engager ni l'Alliance ni les Alliés , ne liant que ses trois signataires.

B. PRÉSERVER LE CARACTÈRE EURO-ATLANTIQUE DE L'OTAN, RENFORCER LA DÉFENSE EUROPÉENNE

L'entrée de la Suède et de la Finlande pourrait avoir des conséquences sur la politique de la « porte ouverte » de l'Organisation. Les candidats actuels à une adhésion sont l'Ukraine, la Géorgie et la Bosnie-Herzégovine. Ce sujet doit continuer à être abordé avec courage et lucidité. Chaque adhésion doit ainsi rester un processus individuel, lié à la mise à niveau de l'appareil de défense mais aussi à la situation politico-militaire de chaque candidat.

Par ailleurs, le sommet de Madrid a abouti à une révision du « Concept stratégique » de l'OTAN , avec une mention inédite du fait que les « ambitions et les politiques coercitives » de la Chine « remettent en cause nos intérêts, notre sécurité et nos valeurs ». En outre, à cette occasion, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle Zélande ont été pour la première fois invités à assister à un sommet de l'OTAN. Ceci pourrait sembler élargir l'organisation aux dimensions d'une alliance globale présente aussi bien dans l'espace euro-atlantique que dans l'espace indo-pacifique.

Parallèlement, il faut cependant se féliciter que la dimension essentiellement « euro-atlantique » de l'OTAN soit soulignée à plusieurs reprises au sein de ce nouveau concept stratégique. L'entrée dans l'OTAN de deux pays membres de l'Union, qui se sont d'ailleurs engagés à renforcer la coopération entre l'UE et l'OTAN, doit ainsi constituer un levier pour renforcer la dimension européenne de notre sécurité , loin d'une dilution dans une alliance globale.

Le soutien finlandais et suédois à la politique de sécurité et de défense commune (PSDC)

La Finlande est intéressée par les concepts d'autonomie et de Boussole stratégiques de l'UE. Le Président Niinistö est l'un des plus fervents demandeurs d'une PSDC commune de l'UE au-delà de sa politique de sanctions, une Europe de défense forte devant être vue comme un meilleur partenaire pour l'OTAN et non comme un concurrent. Le pays est fortement mobilisé en faveur du renforcement de l'Europe de la défense , à laquelle il contribue activement depuis son adhésion à l'Union. La Finlande participe à 11 des 15 missions et opérations de PSDC, avec 90 personnels, et est l'un des principaux contributeurs per capita aux missions de PSDC civiles. Elle a été le premier État membre à répondre à la demande d'assistance de la France au titre de l'article 42-7 du TUE, et a participé à renforcer l'opérationnalisation de ce dernier durant sa présidence du Conseil de l'Union, notamment en cas de menaces hybrides. Elle a créé en 2017 un Centre européen d'excellence dédié à ces dernières, auquel la France s'est associée, et qui vise à développer une « culture stratégique européenne commune » de lutte contre ces nouvelles menaces. Elle a également rejoint en novembre 2018 l'Initiative européenne d'intervention (IEI) et participe notamment aux groupes de travail sur le Sahel et la mer Baltique . La Suède prend part activement à l'élaboration de la PSDC dans le cadre européen, en particulier pour les aspects civils de la gestion des crises. Elle a été responsable de l'état-major de force de l'opération Atalante. De même, elle participe activement aux travaux de l'Agence européenne de défense. Suite aux attentats à Paris en 2015, et en réponse à la sollicitation française dans le cadre de l'article 42-7 du TUE, Stockholm avait proposé la poursuite des actions de formation en Irak (35 personnels à Erbil).

À cet égard, le fait que la Finlande et la Suède ont souhaité rejoindre l'OTAN alors même qu'ils sont, en tant qu'États membres de l'Union, couverts par la garantie de sécurité de l'article 42-7, montre que l'Union européenne a encore beaucoup à faire pour assurer la crédibilité de cette garantie de sécurité. Dans cette optique, il est nécessaire pour la France d'oeuvrer au sein de l'OTAN pour que ce nouvel essor profite au renforcement des capacités de défense propres aux pays européens .

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