LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mme Muriel Domenach , ambassadrice, représentante permanente de la France à l'OTAN.

ANNEXE -
AUDITION DE MME MURIEL DOMENACH

(13 juillet 2022)

M. Christian Cambon, président . - Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui l'ambassadrice Muriel Domenach, représentante permanente de la France au conseil de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), pour évoquer l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'Alliance.

Ces deux pays ont été invités à rejoindre l'OTAN lors du sommet de Madrid qui s'est tenu du 28 au 30 juin dernier, après avoir manifesté leur volonté d'y adhérer en mai dernier. Les pays membres ont signé les protocoles d'adhésion le 5 juillet, ouvrant la voie à une ratification rapide par chaque État. Le Sénat ayant été saisi en premier du projet de loi de ratification de ces deux adhésions, notre commission examinera ce texte le mercredi 20 juillet, avant une discussion en séance publique le 21 juillet.

L'adhésion de ces deux pays était presque inimaginable il y a moins d'un an. Elle mettra fin à une neutralité militaire que ces États avaient adoptée pour des raisons différentes, mais qui ne leur paraît plus tenable aujourd'hui face à un même événement : l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Tant la Suède que la Finlande estiment en effet que ce développement constitue un bouleversement stratégique majeur, et que leur sécurité serait désormais mieux assurée au sein de l'Alliance qu'en dehors.

Nous aimerions aborder ce matin avec vous cette double adhésion et ses conséquences pour l'Alliance.

S'agissant de l'adhésion elle-même, vous évoquerez sans doute les négociations qui ont eu lieu en amont, notamment entre la Turquie, dont la position a changé, et les deux pays candidats. Nous avons quelque inquiétude à cet égard. Par ailleurs, à quelle échéance peut-on s'attendre à ce que le processus d'adhésion soit bouclé ?

Ensuite, peut-on la replacer dans le cadre du nouveau concept stratégique adopté lors du sommet de Madrid, qui comprend un certain nombre d'innovations s'agissant de la posture de dissuasion et de défense de l'OTAN ?

Par ailleurs, quelle nouvelle contribution ces deux pays pourront-ils apporter à l'Alliance en termes militaires, sachant que de multiples mécanismes de coopération existent déjà de longue date entre eux et l'OTAN ? Est-il également envisagé de déployer de nouvelles positions militaires de l'Alliance dans ces deux pays ? Rappelons qu'à la suite de l'invasion russe, l'OTAN a déjà activé ses plans de défense et déployé des éléments de sa force de réaction à la suite de l'agression russe. L'Alliance a ainsi mis en place quatre groupements tactiques multinationaux en Bulgarie, Hongrie, Slovaquie et Roumanie, avec la France comme nation-cadre, ceci en plus des groupements déjà déployés dans les pays baltes et en Pologne.

Le président Poutine a indiqué qu'un déploiement supplémentaire en Suède et en Finlande entraînerait automatiquement une réaction de la part de la Russie ; on ignore de quel ordre.

Le deuxième aspect important que nous souhaiterions aborder est celui de la manière dont notre pays envisage ces deux candidatures, ainsi que la suite du processus d'adhésion. Notre position sur la Suède et la Finlande aura-t-elle également des conséquences sur la manière dont nous considérons les autres candidatures déjà déclarées, à savoir celles de l'Ukraine, de la Géorgie et de la Bosnie-Herzégovine ?

Que penser, enfin, de l'invitation faite au Japon, à la Corée du Sud et à la Nouvelle-Zélande, représentés pour la première fois lors d'un sommet de l'OTAN le 28 juin dernier à Madrid, en lien avec la mention de la Chine dans le nouveau concept stratégique ? Cette évolution correspond-elle à la vision de l'Alliance promue par la France ?

Mme Muriel Domenach, ambassadrice, représentante permanente de la France à l'OTAN . - J'ai signé les protocoles d'adhésion de la Finlande et de la Suède le 5 juillet. Nous avons connu un moment historique que nous ne pensions pas vivre. Nous nous étions entretenus avec les représentations nationales de Finlande et de Suède en 2021, mais ce débat n'était pas mûr et personne ne faisait pression en ce sens. Ces États étaient déjà les partenaires les plus proches de l'Alliance, dans le cadre du partenariat pour la paix depuis 1994, et avaient participé aux opérations au Kosovo, en Afghanistan et en Irak. Ils sont partenaires renforcés depuis 2014.

C'est bien la guerre en Ukraine et l'agression russe qui ont marqué une rupture vers l'adhésion. Le président finlandais a été reçu ici même, ses voeux de Nouvel An avaient frappé les observateurs tant ils annonçaient une évolution de la position de la Finlande, donc de la Suède. Le pays dont on s'attendait le moins qu'il le fasse, celui qui a toujours revendiqué le dialogue avec la Russie, a pris l'initiative.

Dès le déclenchement de l'invasion de l'Ukraine, le 25 février, l'OTAN a activé le mécanisme d'interactions renforcé, qui permet l'échange d'informations classifiées, et l'accès des alliés aux territoires et aux eaux territoriales suédois et finlandais. Ces pays réunissant les critères - ils sont démocratiques, leurs forces armées sont interopérables, ils apportent une contribution nette à la sécurité de l'Europe -, le processus d'adhésion a été très rapide. Dès le dépôt de leur candidature, mi-mai, nous avons préparé un calendrier accéléré en vue de leur participation comme invités au sommet de Madrid du 28 au 30 juin, ce qui signifiait que le protocole était signé. Celui-ci n'avait pu être finalisé avant Madrid, car M. Erdogan avait exprimé des objections, ce qui a suscité un flottement. Le secrétaire général, Jens Stoltenberg, s'est investi dans une mission de bons offices et a organisé une réunion trilatérale entre la Turquie, la Suède et la Finlande, qui a permis de signer un mémorandum levant l'objection turque. La signature des protocoles a pris place le 5 juin.

La Suède et la Finlande sont donc déjà invitées à nos réunions et nous sommes engagés dans le processus de ratification.

Vu de l'OTAN, dix des alliés ont déjà ratifié le protocole d'adhésion, parmi lesquels l'Allemagne, le Royaume-Uni, et les Pays-Bas. Les États-Unis le feront d'ici à août. Le calendrier de la plupart de nos alliés prévoit des ratifications avant septembre. Restent des points d'interrogation pour la Grèce, en raison d'élections anticipées, la Hongrie et la Turquie, car la Grande assemblée ne reprend ses travaux que début octobre. Nos partenaires suédois et finlandais attendent donc une ratification susceptible de les appuyer dans la perspective du processus turc, lequel s'annonce difficile.

M. Erdogan a ainsi indiqué que la Turquie attendait des témoignages de solidarité envers elle de la part de ses alliés. Elle demande ainsi des extraditions de militants depuis la Suède et la Finlande et la modernisation par les États-Unis de certains de ses F16. En effet, elle a été suspendue du programme F35 après avoir acheté des batteries antiaériennes russes et ne bénéficie donc pas d'avions de cinquième génération, alors que, en Méditerranée orientale, la Grèce bénéficiera de Rafale. La Turquie demande donc la cession de quarante F16 et la modernisation de quatre-vingts autres. Ces demandes sont à l'examen auprès du Congrès des États-Unis.

Il y aura donc une conversation difficile avec la Turquie ; en évitant autant que possible la confrontation, nous, démocraties européennes, avons intérêt à faire poids du côté de la Suède et de la Finlande.

Quant aux apports de la Suède et de la Finlande à l'OTAN, ils se résument en trois points. D'abord, l'interopérabilité des forces suédoises et finlandaises avec celles des alliés est déjà très élevée. Par exemple, la semaine dernière, l'armée de l'air française a conduit des exercices avec les forces aériennes finlandaises.

Ensuite, la Suède et la Finlande ont des forces armées, des budgets et des industries de défense conséquents. La Finlande bénéficie d'un dispositif dit « de résilience ». Elle dispose de 280 000 personnels et d'une capacité de mobilisation allant jusqu'à 870 000 réservistes, ce qui en fait l'une des armées européennes les plus importantes. Son budget de défense la place au quinzième rang parmi les alliés de l'OTAN, pour une population réduite, et devrait augmenter à 2 % du PIB dès 2022.

La Suède a une armée plus réduite, qu'elle a prévu de renforcer, en élevant son budget de défense à 2 % du PIB d'ici à 2028. Elle se trouve actuellement au treizième rang parmi les alliés de l'OTAN et elle dispose d'une industrie de défense importante.

Sur le plan stratégique, ces deux pays apportent la profondeur stratégique dont nous avons besoin pour renforcer la posture de défense et de dissuasion de l'OTAN sur le flanc oriental, comme le prévoit le concept stratégique adopté à Madrid. Dans ce contexte, la France est présente en Estonie aux côtés des Britanniques, elle a endossé un rôle de nation-cadre en Roumanie et le Président de la République a annoncé qu'elle se tenait prête à augmenter son dispositif jusqu'à l'équivalent du niveau brigade, en cas de besoin. Elle dispose en outre de capacités de défense aérienne, notamment autour du port de Constanza, en Roumanie. Nous veillons à ne pas fixer inutilement les forces dont nous avons besoin. Si une présence sur le flanc oriental est nécessaire, la profondeur stratégique est un enjeu encore plus important, de sorte que l'adhésion de la Finlande et de la Suède est indispensable pour améliorer la défense des pays baltes et plus largement celle du front oriental.

Enfin, ces deux États sont des partenaires engagés en faveur de la défense européenne. Ils ont contribué à la task force Takuba et ont marqué leur intention de favoriser le renforcement de la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne dans leur lettre d'adhésion.

Quant à la Russie, le risque qu'elle les déstabilise reste limité, notamment en raison de l'engagement des forces de la région militaire nord dans les combats en Ukraine, où elles ont connu des pertes importantes.

De plus, la Suède et la Finlande ont d'ores et déjà reçu des réassurances en matière de sécurité de la part des Alliés, dont la France.

Enfin, la rhétorique du pouvoir russe semble avoir évolué : alors que le ministre des affaires étrangères russe s'était initialement montré menaçant, le président Poutine est revenu, le 29 juin dernier, à un discours bien plus apaisé, laissant entendre que si les deux pays voulaient rejoindre l'OTAN, ils n'avaient qu'à le faire.

La position de la France à l'OTAN a consisté à soutenir ces deux démocraties européennes qui contribuent à la sécurité de l'Europe et sont des membres actifs de l'Union européenne, dont la Suède prendra la présidence à l'issue du mandat tchèque.

M. Gilbert Roger . - Je suis favorable à l'entrée de ces deux pays dans l'OTAN. Il n'est sans doute pas très diplomatique de parler de « chantage turc ». Toutefois, une communauté kurde importante se trouve en Finlande et en Suède. Quelle contrepartie exigera donc Erdogan ? De plus, a-t-on des informations sur ce que les États-Unis donneront à la Turquie, en particulier en ce qui concerne les F16 ?

M. Pierre Laurent . - Nous nous opposerons à la ratification, car nous considérons qu'elle est trop rapide et qu'il faudrait d'abord ouvrir un débat politique approfondi sur la nature globale du document stratégique de l'OTAN adopté à Madrid, car l'enjeu n'est pas seulement celui de l'adhésion de la Suède et de la Finlande.

Cette demande d'adhésion est motivée par un désir de protection qui s'est accru en très peu de temps, dans l'opinion publique, en Finlande et en Suède. Toutefois, si elle se réalisait, l'adhésion ferait de la frontière russo-finlandaise le front oriental de la confrontation entre l'OTAN et la Russie, avec des conséquences inconnues à ce jour. Le document stratégique de l'OTAN mentionne qu'il faut intensifier la présence de l'OTAN dans les pays géographiquement limitrophes. Derrière l'adhésion de la Finlande et de la Suède, se profile donc l'installation de bases de l'OTAN tout le long de la frontière avec la Russie. Pourriez-vous préciser la nature du projet en la matière ?

Concernant la Turquie, vous avez mentionné les extraditions des démocrates kurdes. Erdogan propose de les enfermer à vie, comme des milliers d'autres le sont déjà dans les prisons turques. Qu'en est-il également de la possibilité d'une nouvelle offensive turque dans le nord de la Syrie ? Ce point fait-il partie des marchandages en cours avec Erdogan dans le cadre des discussions à l'OTAN ?

Mme Marie-Arlette Carlotti . - Je me réjouis que les trente États membres de l'OTAN soient parvenus à un accord à Madrid pour permettre à la Suède et à la Finlande de les rejoindre. Cette addition de deux pays neutres de l'Union européenne est à saluer, même si l'on aurait pu s'épargner la défiance de la Turquie, qui tourne maintenant au chantage.

L'adhésion de ces deux pays envoie un signal nouveau sur l'échiquier de la sécurité européenne. Quel devenir envisager pour la stratégie de l'Alliance atlantique, particulièrement au carrefour stratégique que constitue la Méditerranée ? Les tensions en mer Égée, déclenchées par la Turquie, sont très inquiétantes, de même que les potentielles intentions de Poutine qui, loin de se concentrer sur le Donbass, semble vouloir étouffer économiquement l'Ukraine en contrôlant une partie de la Méditerranée.

L'adhésion de la Suède et de la Finlande, si elle est ratifiée, ouvrira-t-elle une nouvelle stratégie d'alliance, dirigée davantage vers le Nord que vers le Sud ? Comment la France oeuvrera-t-elle pour que la position stratégique de l'OTAN en Méditerranée perdure ?

M. Philippe Folliot . - Il n'y aura pas de ratification, car il faut l'unanimité. D'un point de vue politique, le signal n'en sera pas moins désastreux à certains égards. Dans quelle mesure prend-on cela en compte ?

En outre, quid de cet élargissement de l'OTAN par rapport au concept stratégique et aux perspectives concernant le Japon et la Corée ? L'Alliance est-elle appelée à changer complètement de nature, passant d'un cadre euro-atlantique à une alliance des démocraties à l'échelle mondiale, avec toutes les conséquences que cela pourra entraîner ? Quelles perspectives envisager, notamment au regard de l'alliance Aukus qui a été mise en place il y a quelques mois ?

M. Hugues Saury . - Je suis favorable à cette adhésion, mais je m'interroge sur les conséquences qu'elle aura sur l'Europe de la défense. À plusieurs reprises, le Président de la République a qualifié l'OTAN d'organisation « en état de mort cérébrale ». Il me semble que l'agression russe a entraîné un retour à la vie de l'Alliance. Toutefois, ce nouveau dynamisme que confirme cette double adhésion ne condamne-t-il pas, en dernier ressort, le développement d'une Europe de la défense ?

M. Jacques Le Nay . - Quid de la posture de l'OTAN concernant l'enclave de Kaliningrad ?

M. Guillaume Gontard . - Je comprends la volonté finlandaise et suédoise de rejoindre l'OTAN, mais je m'interroge sur la rapidité de cette ratification et sur les conséquences qu'elle pourrait avoir quant à l'escalade des tensions, en particulier avec la Russie.

De plus, je partage les interrogations de mes collègues : n'est-ce pas là une condamnation de l'Europe de la défense ? Il faudrait sans doute revoir cette question géopolitique, car la place de l'Europe me paraît importante.

Un point nous inquiète particulièrement : il semblerait que M. Erdogan ait obtenu, en échange de la levée de son veto, que la Finlande et la Suède s'engagent à lutter contre ce qu'il appelle « le terrorisme » avec détermination et résolution, et qu'elles traitent notamment de manière rapide la demande d'extradition portant sur trente-trois individus. Ce point très précis laisse entendre qu'il y aurait une coopération renforcée pour réprimer la minorité kurde partout où cela est possible, ce qui nous semble très inquiétant. Avez-vous des précisions sur ce sujet ?

Mme Nicole Duranton . - Alors que Vladimir Poutine semble avoir mis en pause ses menaces de représailles en cas d'adhésion suédo-finlandaise à l'OTAN, le principal obstacle intervient désormais à l'intérieur de l'Alliance atlantique. Des consultations ont eu lieu, mercredi dernier, au sein du Conseil atlantique pour tenter de lever l'opposition de la Turquie au lancement du processus. Comment l'action de la Russie peut-elle remettre en cause ces adhésions et quelles conséquences celles-ci peuvent-elles avoir sur la protection de l'Union européenne contre d'éventuelles tentatives d'agression russes ?

L'adhésion de la Suède et de la Finlande, en matière d'achats d'armements stratégiques, ne profitera-t-elle pas d'abord aux États-Unis ? Dans quelle mesure pourra-t-elle bénéficier aux fournisseurs d'armement européens ?

M. Mickaël Vallet . - D'un point de vue strictement franco-français, quel intérêt représente l'adhésion de ces deux pays à l'OTAN ?

Pour nuancer quelque peu l'enthousiasme général, ne faudrait-il pas s'interroger sur les risques qu'implique la fin de la finlandisation et de la zone tampon ? Il n'est pas neutre pour l'Alliance atlantique que s'établisse une frontière de 1 300 kilomètres avec la Russie. Qu'avons-nous à y perdre et comment compenser d'éventuels inconvénients ?

Mes collègues ont déjà évoqué le paradoxe qu'il y a à approfondir l'Alliance atlantique, d'un côté, et à développer, de l'autre, l'idée d'une défense européenne. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, pour l'instant, l'OTAN ne semble pas prévoir de déployer des forces supplémentaires en Suède et en Finlande. Quelle visibilité avons-nous en la matière et jusqu'à quand cette position vaudra-t-elle ?

M. Joël Guerriau . - Le budget de l'OTAN représente près de 2,5 milliards d'euros. La contribution qu'apporteront la Finlande et la Suède s'ajoutera-t-elle à ces 2,5 milliards d'euros ou bien y sera-t-elle intégrée, de sorte que la participation française, qui avoisine les 12 %, pourra être réduite ?

De plus, est-ce leur contribution à l'OTAN qui conduit la Finlande et la Suède à augmenter leur budget de défense jusqu'à 2 % du PIB ?

Enfin, quelles conséquences leur contribution aura-t-elle sur les efforts que nous menons pour la création d'un fonds de défense européen ?

M. Pascal Allizard, président . - Madame l'ambassadrice, nous suspendons ici la captation de cette réunion pour vous permettre d'aborder dans vos réponses certains points nécessitant le huis clos.

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