B. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Des moyens consacrés aux universités qui doivent être rapportés aux évolutions démographiques en cours

Pour le rapporteur spécial, l'effort consenti en termes de créations de places à l'université (+ 83 000 entre 2018 et 2022) doit être apprécié au regard de l'évolution de la démographie étudiante sur la période.

Au total, 2,99 millions d'étudiants, y compris BTS en apprentissage, devraient être inscrits à la rentrée 2022 dans l'enseignement supérieur, effectif en progression de +0,9 % par rapport à l'année précédente, soit 25 500 étudiants supplémentaires.

Évolution des effectifs d'étudiants

(en milliers)

2019-2020

2020-2021

2021-2022

2022-2023

Évolution 2022-2023 (en %)

Prévision

2023-2024

Évolution annuelle

2023-2024 (en %)

Université y compris IUT

1 635,4

1 650,0

1 657,0

1 653,0

- 0,2

1 650,7

- 0,1

dont IUT

121,7

121,7

115,9

113,1

- 2,4

127,4

+ 12,7

CPGE

85,1

84,9

83,4

81,2

- 2,6

80,3

- 1,1

STS scolaires et assimilés (hors apprentis)

262,5

267,4

252,0

233,8

- 7,2

228,8

- 2,1

STS apprentis

79,2

109,5

156,8

181,7

+15,8

189,2

+4,2

Formations d'ingénieurs (hors université)

148,0

154,6

158,0

160,1

+1,3

160,1

0,0

Écoles de commerce, gestion et vente

190,2

211,7

230,2

243,5

+5,8

251,9

+3,5

Grands établissements

43,6

44,0

44,2

44,1

- 0,2

44,2

+0,3

Établissements d'enseignement universitaire privés

32,4

35,3

39,0

42,2

+8,1

44,3

+5,0

Autres formations

328,2

337,1

348,2

354,8

+1,9

358,9

+1,1

Total

2 804,5

2 894,5

2 968,9

2 994,4

+ 0,9

3 008,5

+ 0,5

Source : commission des finances d'après le MESR-SIES, Note Flash n°28 - Octobre 2022

Ces chiffres traduisent une stabilisation après les fortes hausses d'effectifs des dernières années. L'enseignement supérieur accueille 14 200 néo-bacheliers de moins en 2022 par rapport à 2021 (- 2,6 %). Ce chiffre devrait rebondir ensuite aux rentrées 2023 (+ 9 500, soit + 1,8 %) et 2024 (+ 2 800, soit + 0,5 %)

Évolution du nombre d'étudiants et de la dépense moyenne par étudiant (universités et IUT uniquement)

(en euros et en millions d'étudiants)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des réponses au questionnaire budgétaire

S'agissant des comparaisons internationales, la France consacre 17 420 $ en parité de pouvoir d'achat (PPA) par étudiant, soit légèrement plus que la moyenne des pays de l'OCDE (17 070 $PPA). Sa dépense est supérieure à celle de l'Espagne ou de l'Italie, mais inférieure à celle du Japon, de l'Allemagne, ou de la Belgique.

Dépenses annuelles des établissements d'enseignement supérieur par étudiant en 2018 dans l'OCDE

(en $ en parité de pouvoir d'achat)

Source : OCE, Regards sur l'éducation 2021

Si donc, en théorie, les ouvertures de places permettent d'absorber la hausse du nombre d'étudiants, la situation est en réalité plus contrastée qu'il n'y parait : le différentiel quantitatif global ne rend pas compte des tensions persistantes dans certaines disciplines, et l'offre de places n'est pas toujours en adéquation avec la demande.

La hausse tendancielle du nombre d'étudiants s'est également traduite par une érosion progressive de la dépense moyenne par étudiant, qui a chuté de 11 560 euros en 2014 à 10 110 euros en 2019, avant de se rétablir à 11 580 euros en 2020. Cette question est d'autant plus préoccupante qu'après une relative période d'accalmie entre 2022 et 2023, la démographie étudiante devrait à nouveau progresser fortement à partir de 2024 et jusqu'en 2031, selon les prévisions du Mesri.

Il convient de relever qu'un sursis a été donné aux établissements d'enseignement supérieur entre 2020 et 2022, l'effet conjugué de la loi ORE et du plan de relance permettant d'inverser la tendance et d'accroître la dépense moyenne par étudiant. Ainsi, entre 2020 et 2021, la subvention pour charges de service public par étudiant passerait de 8 458 euros à près de 8 600 euros (+ 1,7 %).

Au cours des deux dernières années, des places supplémentaires ont été financées dans le cadre du plan de relance : chaque place supplémentaire a été financée sur une base forfaitaire d'environ 2 000 euros dans le cadre de la loi ORE, complétée par l'octroi d'une dotation au titre du plan de relance, pouvant aller jusqu'à 1 000 euros par place.

Le plan de relance a ainsi contribué à financer 18 000 places supplémentaires en 2020, et 34 000 places supplémentaires en 2021 , dont 26 000 dans les établissements d'enseignement supérieur relevant du Mesri, 5 000 dans les classes de Brevets de technicien supérieur (BTS) et 2 500 dans les Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI).

En 2023, 49,5 millions d'euros sont prévus pour la pérennisation des places créées sur le plan de relance, ce qui répond à une interrogation formulée par le rapporteur spécial l'année précédente. En outre, 6,8 millions d'euros sont prévus pour la création de places supplémentaires dans certaines filières.

2. Dans le contexte de crise énergétique, un enjeu crucial : la transition du bâti universitaire
a) Un impact très important de la hausse des coûts de l'énergie sur le budget des établissements qui sera en grande partie compensé en 2023

Du fait de la taille de leur patrimoine immobilier et des infrastructures de recherche qu'ils hébergent, les établissements d'enseignement supérieur sont particulièrement touchés par la crise énergétique qui a commencé en 2022 et devrait s'amplifier en 2023 et par les surcoûts liés à l'augmentation des tarifs de l'énergie qui en découlent.

Sur l'année 2022, le ministère estime que le coût de l'énergie et des fluides serait de 330 millions d'euros pour les universités . Par rapport à 2021, qui constitue l'année de référence pour le ministère, l'augmentation 2022 serait de 40 à 50 %.

A l'échelle du programme 150, le surcoût 2022 est donc estimé à environ 100 millions d'euros (et 40 millions d'euros supplémentaires pour les autres programmes de la MIRES).

Le ministère a d'ores et déjà annoncé que ces dépenses ne seraient pas compensées en gestion et que les universités devraient mobiliser leurs fonds de roulement pour tenir compte de ces hausses .

Les fonds de roulement des universités : des indicateurs de bonne santé budgétaire à préserver

Le fonds de roulement s'élève en 2022 à 11,8 milliards d'euros pour l'ensemble des universités, même si ces données demeurent prévisionnelles dans l'attente du compte financier. Signe de gestion budgétaire saine, le fonds de roulement a largement augmenté au cours des dernières années (+ 10 % entre 2018 et 2022).

Ces ressources sont essentiellement préemptées par les opérations pluriannuelles d'investissement (699 millions d'euros en 2021, dernière année pour laquelle les données sont consolidées), les fonds de roulement des structures autonomes (162 millions d'euros), les provisions pour risques et charges (194 millions d'euros), les emprunts et dettes assimilées (113 millions d'euros), les excédents relatifs à la formation continue (64 millions d'euros) et les créances non provisionnées supérieures à deux ans (21 millions d'euros).

Evolution des fonds de roulement des universités

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Outre la réserve de précaution, qui doit permettre au minimum 15 jours de fonctionnement, le fonds de roulement comprend un grand nombre de crédits fléchés sur des projets. La part non fléchée s'élèverait d'après les données transmises au rapporteur spécial à 1,6 milliard d'euros. Afin de préserver la capacité des établissements d'enseignement supérieur à mener à bien les projets et investissements en cours, il convient de s'assurer que la compensation des hausses de prix et du point d'indice en 2022 ne s'effectuent pas sur la part « projet », mais uniquement sur la part de charges mobilisables.

Concernant 2023, l'évaluation des surcoûts potentiels est un exercice délicat.

D'après les estimations de France universités, le surcoût énergétique s'élèverait en 2023 à 420 millions d'euros par rapport à 2022 pour les seules universités, et à 480 millions d'euros pour l'ensemble des établissements du programme 150. Le ministère aboutit à des évaluations légèrement inférieures, le surcoût s'élevant à 500 millions d'euros pour les universités par rapport à 2021, et donc à 400 millions d'euros par rapport à 2022 .

La ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche a donc annoncé le jeudi 27 octobre la mise en place d'un « fonds de compensation du surcoût de l'énergie » , dont les crédits en projet de loi de finances rectificative pour 2022 devaient s'élever à 275 millions d'euros . Ce fonds ne concernera que les surcoûts constatés sur 2023 pour l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur et de recherche.

L'aide devrait être versée au prorata des surcoûts aux opérateurs en fonction de la situation financière particulière de chacun d'entre eux, du poids relatif de l'énergie dans leurs dépenses et des surcoûts effectivement constatés.

Le rapporteur spécial se félicite de la mise en place de ce fonds mais indique que beaucoup d'inconnues persistent . Il conviendra d'y être attentif dans les prochains mois. Seuls 150 millions d'euros de nouveaux crédits sont en réalité ouverts par ce PLFR. Il semblerait que les 125 millions complémentaires soient pris, d'une part sur les crédits de la réserve de précaution des opérateurs de recherche et, d'autre part, sur les crédits dégagés par la baisse du nombre d'étudiants boursiers.

En outre, les universités pourront bénéficier, en tant qu'établissements publics, du mécanisme général, appelé « amortisseur électricité » . Le rapporteur spécial considère que cette aide est bienvenue, même si là encore, les modalités concrètes de déploiement du dispositif restent encore à établir.

b) Un investissement de grande ampleur en faveur de l'immobilier universitaire qui ne peut être repoussé

Si les dispositifs mentionnés plus haut permettent de limiter l'impact de la hausse des coûts de l'électricité sur les établissements, ils relèvent uniquement d'une gestion de l'urgence. Dans le contexte actuel d'incitation à la sobriété énergétique, le rapporteur spécial ne peut que réitérer les constats qu'il a mis en avant dans son précédent rapport budgétaire ainsi que lors d'un travail de contrôle dédié 6 ( * ) .

Dans un environnement international extrêmement concurrentiel, la modernisation des campus universitaires français est désormais incontournable : développement de l'enseignement à distance, renouvellement des pratiques pédagogiques, mais aussi et surtout remise à niveau du bâti universitaire.

Ces bâtiments - qui appartiennent à l'État mais dont la gestion est confiée aux universités - représentent près de 18,75 millions de mètres carrés de surface hors oeuvre nette (SHON) que se partagent 138 établissements sur un foncier de l'ordre de 5 300 hectares. Or, ce parc immobilier présente un caractère vieillissant, vétuste et énergivore. Ainsi, 38 % des surfaces universitaires sont classées en étiquette énergie D, tandis que 21 % du bâti est considéré comme étant très énergivore (avec une étiquette énergie E, F ou G) .

Dans ce contexte, non seulement le parc immobilier universitaire se caractérise par des coûts d'entretien et d'exploitation particulièrement élevés, mais en plus, les universités ne disposent pas, en règle générale, d'un budget suffisant pour enrayer la dégradation de leur patrimoine immobilier. A fortiori , très peu d'établissements sont en mesure d'investir en faveur de la rénovation énergétique de leurs locaux.

À cet égard, le lancement, dans le contexte du plan de relance, d'un appel à projets pour financer la rénovation énergétique des bâtiments publics constituait une opportunité unique , que les établissements d'enseignement supérieur ont pleinement réussi à saisir .

En PLF 2023, 30 millions d'euros supplémentaires sont consacrés à l'immobilier universitaire. Pour le rapporteur spécial, force est cependant de constater que cet effort ponctuel demeure insuffisant , et ne permettra pas à la France de respecter les objectifs ambitieux qu'elle s'est fixés en matière de transition énergétique .

Par ailleurs, sur le plan national, en application du décret tertiaire 7 ( * ) , les locaux universitaires courants sont tenus de réduire leur consommation énergétique de 40 % d'ici à 2030 8 ( * ) , 50 % d'ici 2040 et 60 % d'ici 2050 .

Des opérations de très grande ampleur seront nécessaires pour garantir le respect de ces engagements. Or, le financement de ces travaux ne pourra être assuré par les établissements, étant donné l'équation budgétaire dans laquelle s'inscrit la gestion immobilière, si bien que le lancement d'un vaste plan de rénovation globale du bâti universitaire parait indispensable. Le rapporteur spécial insiste en particulier sur la nécessité pour les universités de non seulement réduire leur consommation énergétique, mais également de développer des mécanismes de production et d'autoconsommation . A ce titre, l'intérêt du recours à des mécanismes de financement par des tiers publics, mais aussi privés, ne fait pas de doute.

Le rapporteur spécial réaffirme ici ce qu'il a eu l'occasion de mettre en avant à plusieurs reprises : en matière d'immobilier comme de transition énergétique, l'inaction a un coût : plus les investissements sont différés, plus :

- ils seront onére ux pour les finances publiques ;

- la réduction des coûts de consommation énergétique sera différée ;

- la valeur d'actif du bâti non décarboné se dégradera.

Le rapport de la Cour des comptes d'octobre 2022 partage les constats du rapporteur spécial

La Cour des comptes a consacré très récemment une analyse au patrimoine immobilier universitaire 9 ( * ) .

Second poste budgétaire des universités après la masse salariale, le patrimoine immobilier est un facteur stratégique de première importance pour l'insertion des universités dans leur territoire, et un élément central pour l'accueil des étudiants et l'exécution des objectifs scientifiques. Il est également au coeur de la question de l'autonomie des universités. Pour l'État, l'enjeu n'est pas moindre, puisqu'il reste très majoritairement propriétaire de ces biens immobiliers (82% de l'ensemble). Toutefois, il doit, comme les universités, faire face à l'indispensable remise à niveau de ce patrimoine - représentant 18 millions de m2 de locaux, dont 78% sont consacrés aux activités d'enseignement ou sportives -, dont un tiers est dans un état peu ou pas satisfaisant et qui ne répond que rarement aux besoins de sobriété énergétique.

La Cour souligne notamment « des résultats épars », « des financements multiples qui ne répondent pas au besoin global ».

Les universités ne disposent pas des moyens de remplir leur obligation
d'entretien, tant le financement de l'immobilier universitaire reste défaillant. Les moyens accordés pour l'entretien courant, comme pour le gros entretien renouvellement (GER), sont inférieurs au niveau requis pour maintenir le patrimoine en état.

Le ministère chargé de l'enseignement supérieur estime à 7 milliards d'euros le coût de réhabilitations du patrimoine universitaire, dont 75 % serait en lien avec la transition énergétique et environnementale. France Universités, pour sa part, porte cette estimation à 15 milliards d'euros.

Source : Cour des comptes


* 6 Optimisation de la gestion de l'immobilier universitaire à l'heure de la nécessaire transition écologique et du déploiement de l'enseignement à distance ; rapport d'information de Mme Vanina PAOLI-GAGIN, fait au nom de la commission des finances n° 842 (2020-2021) - 22 septembre 2021.

* 7 Décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d'actions de réduction de la consommation d'énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire.

* 8 Base 2010.

* 9 L'immobilier universitaire, du défi de la croissance à celui du transfert de propriété, Rapport public thématique Octobre 2022.

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