N° 464

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 mars 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement ,

Par M. Gérard LONGUET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 16 ème législ.) :

671 , 808 et T.A. 78

Sénat :

341 et 465 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

• Première lecture

Réunie le 29 mars 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Gérard Longuet sur le projet de loi n° 341 (2022-2023) visant à protéger le groupe EDF d'un démembrement, déposée à l'Assemblée nationale le 27 décembre 2022 par le député Philippe Brun. Cette proposition de loi a été examinée par la commission des finances de l'Assemblée nationale et adoptée en séance publique le 9 février 2023.

La commission a adopté cinq amendements :

• l'amendement COM-4 supprime l'article 1 er , qui vise à la nationalisation d'électricité de France. En effet, une offre publique d'achat simplifiée étant déjà en cours, une telle disposition est inutile dans son objet et potentiellement nocive dans ses effets en menaçant la sécurité juridique de l'opération de marché. Par conséquent, l'amendement COM-6 supprime l'article 3 relatif à la commission administrative nationale d'évaluation ;

• l'amendement COM-5 , sous amendé ( COM-9 ) par M. Victorin Lurel et le groupe socialiste, procède à la réécriture de l'article 2. En effet, plutôt que de figer les activités d'EDF en créant un groupe public unifié, il est proposé d'inscrire dans la loi la détention par l'État de l'entreprise, et de maintenir une part d'actionnariat salarié. Par ailleurs, l'amendement précise que l'activité d'EDF s'exerce conformément au code de l'énergie, et s'inscrit ainsi dans un corpus juridique complexe, issu du droit national et européen. Enfin, le sous-amendement vise à indiquer que la société anonyme est « d'intérêt national » ;

• l'amendement COM-7 prévoit l'extension des tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe) à l'ensemble des TPE et des petites communes sans considération de puissance électrique souscrite ;

• l'amendement COM-8 supprime les gages prévus par l'auteur de la proposition de loi. En effet, la proposition n'ayant aucun coût pour les finances publiques, ceux-ci sont superflus.

I. L'ILLUSION D'UN RETOUR À LA NATIONALISATION DE 1946, AU RISQUE D'EMPÊCHER LES ÉVOLUTIONS INDISPENSABLES DE L'ENTREPRISE ÉLECTRICITÉ DE FRANCE

A. LA NATIONALISATION D'EDF, UNE MESURE D'AFFICHAGE

Appliquant sur ce point le programme national de la résistance , l'article 1 er de la loi n°46-628 du 8 avril 1946 disposait que sont « nationalisés : la production, le transport, la distribution, l'importation et l'exportation de l'électricité . » À cette occasion est créé « Électricité de France », établissement public industriel et commercial (EPIC) qui ne deviendra une société anonyme (SA) que bien plus tard, en 2005.

La transformation de l'EPIC en société trouve alors plusieurs explications. D'abord, sur le fondement du cadre européen des aides d'État, la Commission européenne avait alors demandé à la France de supprimer « la garantie illimitée dont bénéficie EDF sur tous ses engagements en vertu de son statut d'EPIC » 1 ( * ) cette évolution permet d'écarter les risques liés au contentieux des aides d'État. Elle permet également à l'entreprise de diversifier les leviers de financement de l'entreprise, en lui ouvrant la possibilité d'augmentations de capital pour financer son développement. Enfin, le passage à une société anonyme émancipe EDF du principe de spécialité de l'EPIC et lui ouvre la faculté de diversifier son offre de services, à l'heure où la concurrence sur le marché de la fourniture d'électricité se développe .

Cependant, la santé financière de l'entreprise s'est très nettement dégradée depuis l'ouverture de son capital. Ainsi, en 2022, les activités de production et de commercialisation d'électricité d'EDF ont connu un EBITDA 2 ( * ) négatif de 23 milliards d'euros. D'après le rapport annuel de l'entreprise, « le recul de la production nucléaire, essentiellement lié aux contrôles et réparations de la corrosion sous contrainte, a un impact estimé à - 29,1 milliards d'euros en EBITDA ». Alors que l'EBITDA de l'ensemble des activités d'EDF est redressé par les résultats positifs de filiales (pour se situer à - 5 milliards d'euros) l'endettement financier net d'EDF était de 64,5 milliards d'euros en fin d'exercice 2022.

C'est dans ce contexte de grande difficulté que le Gouvernement a fait le choix d'engager une offre publique d'achat simplifiée (OPAS), portant sur les actions et obligations convertibles échangeables en actions nouvelles ou existantes (Oceane). Annoncée en juillet 2022, cette OPAS a été ouverte en novembre dernier, grâce au vote des crédits nécessaires en loi de finances rectificative pour 2022. D'après le Gouvernement « l'urgence climatique et la situation géopolitique imposent des décisions fortes pour assurer l'indépendance et la souveraineté énergétique de la France, dont celle de pouvoir planifier et investir sur le très long terme les moyens de production, de transport et de distribution d'électricité » 3 ( * ) .

En tout état de cause, l'OPAS en cours rend inutile la mention d'une nationalisation. En effet, hormis la dimension symbolique de l'opération, la mention d'une nationalisation est inutile dans son objet, et potentiellement nocive dans ses effets. En effet, si la présente proposition de loi entrait en vigueur avant le terme de la procédure d'OPAS initiée par le Gouvernement et la procédure de retrait obligatoire, celle-ci ne serait plus conforme au procédé choisi par le législateur. Les dispositions prévues par la présente proposition de loi auraient des conséquences très incertaines sur la procédure en cours.

Ainsi, plutôt que de mettre inutilement en cause l'opération de marché, l'amendement COM-5 à l'article 2 vise à garantir la détention par l'État d'EDF au 1 er janvier 2024 sans imposer de moyen au Gouvernement. Parvenant ainsi au même résultat que l'article 1 er , le rapporteur propose de supprimer celui-ci par l'amendement COM-4 .

B. LA CRÉATION D'UN GROUPE PUBLIC UNIFIÉ EST PORTEUSE DE DAVANTAGE D'INCERTITUDES QUE DE VÉRITABLES SOLUTIONS

Alors que le droit national et européen fixe des règles exigeantes en matière d'organisation du groupe EDF, la solution retenue par la proposition de loi visant à définir les contours d'un « groupe public unifié » est très insatisfaisante .

En effet, il n'est aucunement souhaitable de rigidifier le cadre d'action d'EDF et d'interdire à l'entreprise de céder des participations dans l'ensemble de ses filiales intervenant dans « la production, le transport, la distribution, l'importation [...] l'exportation d'électricité, le développement, la construction, l'exploitation et la maintenance des sources d'énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique [ou encore] la prestation de services énergétiques ». Cette énumération porte une contrainte disproportionnée sur les évolutions de l'entreprise : il est absolument vital pour EDF de pouvoir céder certaines de ses filiales, réaliser des montages capitalistiques pour accompagner la mise en oeuvre de projets d'infrastructures, ou encore retrouver des marges de manoeuvre financières pour garantir le financement d'une électricité bon marché et décarbonée dans une économie ouverte et compétitive.

Ainsi, l'amendement COM-5 propose de maintenir EDF sous forme de société anonyme et d'augmenter du niveau minimal de détention par l'État dans l'entreprise EDF, de plus de 70 % à 100 %, afin de garantir l'intervention du Parlement en cas de projet de réouverture de son capital. Sans avoir pour objectif de figer définitivement la structure capitalistique d'EDF, la détermination par la loi d'une participation de l'État à hauteur de 100 % impose au Gouvernement de saisir le Parlement de toute nouvelle évolution de la participation publique au capital de la société.

L'amendement permet également le maintien d'une part d'actionnaires salariés : il est nécessaire que l'État montre lui-même l'exemple en maintenant au sein d'EDF la possibilité pour les salariés d'être actionnaires de leur entreprise. De plus, la présence d'un actionnariat salarié permet de pondérer le rôle de l'État, dont les principales décisions depuis une décennie ont considérablement affaibli EDF.

Enfin, l'amendement dispose que l'entreprise EDF doit exercer ses activités conformément aux dispositions du code de l'énergie. Plutôt qu'une énumération équivoque des activités d'EDF, cette disposition inscrit l'entreprise dans le corpus juridique développé et exigeant, issu du droit national et du droit de l'Union européenne. En particulier, l' organisation des filiales de transport et de distribution résulte d'un équilibre juridique complexe, permettant de garantir la structuration concurrentielle du marché . La proposition de loi, qui n'aborde pas la question essentielle de l'organisation du marché, fait donc l'impasse sur le coeur du sujet et risque uniquement de pénaliser l'entreprise publique. Enfin, le sous-amendement COM-9 , adopté à l'initiative de M. Victorin Lurel et du groupe socialiste, vise à indiquer que la société anonyme EDF est « d'intérêt national ».

II. LA NÉCESSITÉ D'ÉTENDRE L'ÉLIGIBILITÉ DES TARIFS RÉGLEMENTÉS DE VENTE D'ÉLECTRICITÉ (TRVE) À L'ENSEMBLE DES TPE POUR LES PROTÉGER DES FLUCTUATIONS DES PRIX DE L'ÉLECTRICITÉ

A. LES LEÇONS TIRÉES DE LA CRISE DES PRIX DE L'ÉLECTRICITÉ IMPOSENT D'ÉLARGIR LES TRVE À L'ENSEMBLE DES TPE

Sans que cette condition soit requise par le droit de l'Union européenne , le bénéfice des tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe) est limité aux TPE et aux petites communes qui disposent d'un compteur électrique d'une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères (kVA). Cette condition exclut notamment une grande majorité de boulangers, de restaurateurs, de fleuristes et d'autres secteurs économiques dont les activités supposent une forte consommation d'électricité. Ces TPE non éligibles aux TRVe sont bien souvent celles qui animent la vie locale de proximité . Elles jouent un rôle fondamental de lien social et contribuent très directement à l'intérêt général. Les boulangers en sont l'archétype.

Les TPE non éligibles aux TRVe et, par voie de conséquence, à la protection apportée par le bouclier tarifaire, ont été particulièrement exposées à la hausse des prix de l'électricité , en particulier celles qui ont dû renouveler leur contrat en 2022. Pour elles, le dispositif de « sur-amortisseur », décidé en urgence en février dernier , doit leur garantir un prix ne pouvant dépasser 280 euros/MWh en moyenne sur l'année 2023.

Il convient de tirer les leçons de cette crise en protégeant de façon structurelle l'ensemble des TPE des fluctuations intempestives des marchés européen de l'énergie. Pour ce faire, l'amendement COM-7 propose d'étendre de façon pérenne l'éligibilité des TRVe à l'ensemble des TPE en supprimant la condition limitative relative à la puissance d'électricité souscrite dans leur contrat. L'intérêt de cette évolution est partagé tant par la CRE que par EDF . Il est regrettable que le Gouvernement n'ait pas suivi les conseils du régulateur de l'énergie qui, dès l'automne dernier, lui avait suggéré cette solution. Si cette extension avait été anticipée, de nombreuses TPE aujourd'hui en grande difficulté n'auraient pas été si exposées à la crise des prix de l'électricité et les mesures improvisées en urgence au mois de février dernier, et qui commencent tout juste à produire leurs effets, n'auraient pas été nécessaires .

B. PLUSIEURS DISPOSITIONS ACTUELLES DE L'ARTICLE 3 BIS, INOPÉRANTES ET JURIDIQUEMENT PROBLÉMATIQUES, DOIVENT ÊTRE ÉCARTÉES

Dans sa version actuelle, l'article 3 bis présente plusieurs difficultés d'ordre juridique que l'amendement COM-7 propose de résoudre :

- premièrement , l'extension , même pour la seule année 2023, du bénéfice des TRVe à l'ensemble des entreprises jusqu'aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) est contraire au droit de l'Union européenne et ne pourrait être appliquée ;

- deuxièmement , la disposition prévoyant que les offres aux TRVe devraient se substituer aux contrats en cours pourrait être frappée d' inconstitutionnalité en ce qu'elle porterait une atteinte disproportionnée au principe de liberté contractuelle. En toute hypothèse, cette disposition ferait l'objet de contentieux et les fournisseurs se verraient allouer des indemnités par les consommateurs ou la puissance publique.

Par ailleurs, cette disposition ne serait pas opérationnelle puisque, d'une part la construction par la CRE des nouveaux TRVe prendra plusieurs mois et, d'autre part, à très court terme, sans application du bouclier tarifaire, ces nouveaux TRVe ne seraient pas plus intéressants que les dispositifs d'aide existants.

En effet, les analyses juridiques convergent pour considérer que sauf à adopter une interprétation très extensive de la loi de finances pour 2023, le dispositif de bouclier tarifaire ne pourrait pas s'appliquer à l'extension de TRVe prévue à l'article 3 bis . C'est d'ailleurs ce qui a permis d'assurer sa recevabilité financière au regard des dispositions de l'article 40 de la Constitution. Et quand bien même une interprétation extensive autoriserait l'application du bouclier, le Gouvernement , selon les dispositions de la loi de finances pour 2023, conserverait un pouvoir discrétionnaire et ne serait en rien tenu d'étendre le bouclier au bénéfice de ces nouveaux tarifs ;

- troisièmement , l'article prévoit que l'ensemble des fournisseurs d'électricité , et non plus seulement EDF et les entreprises locales de distribution (ELD), proposent des TRVe . Cette mission, qui s'accompagne d'obligations de service public prévues par l'article 121-5 du code de l'énergie, comme celle de jouer le rôle de fournisseur en dernier ressort, ne peut pas être imposée à l'ensemble des fournisseurs .

Il ressort de ces analyses et de l'opérationnalité matérielle de la création de nouveaux TRVe, qu'à très court terme, un soutien opérationnel et concret aux TPE et aux PME ne peut passer que par une accélération de la mise en oeuvre et/ou un renforcement des dispositifs d'amortisseur et de « sur-amortisseur ».


* 1 Lettre du 16 octobre 2002 de M. Mario Monti, commissaire européen, à M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, citée par M. Jean-Claude LENOIR, député, dans son rapport fait au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire sur le projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz aux entreprises électriques et gazières, 8 juin 2004.

* 2 Earnings before interest, taxes, depreciation and amortization (EBITDA), soit le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement.

* 3 Note d'information de l'État français sur l'offre publique d'achat sur les actions et Oceane de l'entreprise EDF.

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