EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 29 novembre 2023, la commission a examiné le rapport de M. Jacques Fernique sur la proposition de loi n° 923 (2022-2023) visant à favoriser le réemploi des véhicules, au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires.

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, avant de commencer nos travaux, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de notre collègue, Mme Jocelyne Antoine, du fait du décès de son père.

Par ailleurs, je tiens à vous remercier pour le travail accompli dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2024. Il est difficile d'être toujours présent dans l'hémicycle, mais chacun d'entre vous a pris ses responsabilités au moment de défendre les amendements de notre commission, y compris quand il n'en partageait ni le fond ni les valeurs. L'intérêt de la commission a toujours prévalu, et je vous en remercie ; notre travail en commun est un bien précieux.

Nous sommes réunis ce matin pour examiner la proposition de loi visant à favoriser le réemploi des véhicules, au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires, présentée par notre ancien collègue Joël Labbé, et notre collègue Guillaume Gontard et plusieurs de leurs collègues. Le 18 octobre dernier, Jacques Fernique a été désigné rapporteur sur cette proposition de loi, et je le remercie d'avoir conduit des travaux approfondis dans un délai limité.

La proposition de loi vise à autoriser les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) à réemployer les véhicules éligibles à la prime à la conversion (PAC) les moins polluants, afin qu'ils puissent être mis à disposition des ménages en situation de précarité, via des services de location à prix modiques. Les véhicules éligibles seraient remis à la collectivité territoriale volontaire, en lieu et place de leur mise au rebut dans le cadre de la PAC. Les collectivités pourraient alors développer des services de location, ou s'appuyer sur des acteurs associatifs, plus particulièrement sur des garages solidaires développant des services de location solidaire. L'éligibilité des véhicules serait définie après avis de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), en fonction de leur niveau de pollution et de leur état de fonctionnement.

En outre, le texte prévoit la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement. Celui-ci porte sur des mesures permettant le développement du rétrofit, afin de favoriser la mise en place de services de mobilité solidaire via l'intervention d'associations. Cette opération consiste à retirer le moteur thermique ainsi que le réservoir du véhicule, et à les remplacer par un moteur électrique.

La proposition de loi, inscrite à l'ordre du jour dans l'espace réservé au groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, sera examinée dans les conditions du gentleman's agreement, avec l'objectif de préserver l'initiative sénatoriale. Les groupes minoritaires ou d'opposition ont le droit à l'examen, jusqu'à leur terme, des textes dont ils sont les auteurs, inscrits dans leur espace réservé. Sauf accord du groupe auteur de la demande d'inscription, la commission ne peut donc modifier le texte de la proposition de loi ; à défaut, elle ne peut que le rejeter afin de permettre son examen, article par article, en séance publique. En outre, la commission et les sénateurs s'abstiennent de déposer des motions.

Le délai limite pour le dépôt des amendements de séance a été fixé par la Conférence des présidents au vendredi 8 décembre à 12 heures, et la commission se réunira pour examiner les amendements de séance dans la matinée du mercredi 13 décembre ; l'examen en séance publique aura lieu le même jour à partir de 16 heures 30.

L'auteur de cette proposition de loi, Joël Labbé, n'étant plus sénateur, je laisse le soin à notre collègue Ronan Dantec, cosignataire du texte, d'en évoquer les objectifs. Notre rapporteur, Jacques Fernique, pourra ensuite nous présenter les principaux axes de son rapport ainsi que ses amendements.

M. Ronan Dantec, cosignataire de la proposition de loi. - Cette proposition de loi est à la fois un outil de justice sociale, au service de la mobilité des ménages les plus défavorisés, notamment dans les zones rurales, et un ensemble de mesures au service du réemploi et de la dépollution du parc automobile français. En 2021, lors de l'examen de la loi Climat et résilience, Joël Labbé avait déposé un amendement, adopté en séance publique, insérant un article additionnel qui donnait la possibilité aux AOM de créer un service de location des véhicules les moins polluants issus de la PAC, au bénéfice de personnes socialement défavorisées. Malheureusement, l'article a été supprimé lors de l'examen du texte en commission mixte paritaire (CMP). Au vu de son intérêt pour favoriser la mobilité de millions de nos concitoyens, il nous a paru important de présenter de nouveau ce texte.

Deux articles constituent cette proposition de loi. L'article 1er tend à créer une nouvelle disposition afin d'autoriser les AOM à réemployer les véhicules éligibles à la prime à la conversion (PAC) les moins polluants. Ces derniers pourront bénéficier aux ménages défavorisés grâce à des systèmes de location à prix modiques. Il est prévu que les véhicules éligibles soient remis par les concessionnaires à la collectivité territoriale volontaire, en lieu et place de leur destruction dans le cadre de la PAC. Les collectivités pourront alors développer des services de location, ou s'appuyer sur des acteurs associatifs développant des systèmes de location solidaire.

Le texte prévoyait initialement que l'éligibilité des véhicules serait définie après avis de l'Ademe, mais le rapporteur proposera de clarifier ce point.

Ce dispositif vise à repousser de quelques années la destruction de véhicules. Pour tenir compte de l'impact environnemental et sanitaire des véhicules concernés, leur utilisation devra être limitée à une durée définie.

L'article 2 prévoit, quant à lui, la remise d'un rapport au Parlement, avec des mesures permettant le développement du rétrofit au sein des garages solidaires et associations de mobilité solidaire.

L'intérêt de cette proposition de loi tient d'abord à son caractère d'inclusion sociale, favorable à des millions de nos concitoyens entravés au quotidien dans leurs déplacements. Le baromètre des mobilités du quotidien de l'association Wimoov et de la Fondation pour la nature et l'homme (FNH) indique que 13 millions de Français se trouvent en situation de précarité mobilité, c'est-à-dire qu'elles pâtissent de fortes difficultés dans leur mobilité, et ce malgré le droit à la mobilité rappelé dans la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM).

En outre, 4 millions de Français ne disposent d'aucun accès à un mode de transport individuel ou collectif, et beaucoup dépendent de la voiture sans avoir les capacités de payer le carburant ou de financer le véhicule. L'étude rappelle que 28 % des demandeurs d'emploi ont renoncé au moins une fois à un emploi au cours des cinq dernières années, par manque de moyens pour se déplacer. Aussi, l'ambition première de ce texte est d'éviter l'exclusion par les difficultés de mobilité.

Cette proposition de loi répond à un problème d'ordre économique. Avec l'inflation, la demande de véhicules à prix modérés dépasse l'offre disponible dans les garages solidaires. Il convient donc de renforcer cette offre, tout en veillant à ce qu'elle gagne en qualité environnementale. Une étude de 2018, menée par le réseau Agil'ess avec le soutien de l'Ademe, a mis en évidence les difficultés rencontrées par les garages solidaires pour trouver des véhicules.

Parmi les 1,5 million de véhicules mis à la casse chaque année, certains sont en état de fonctionnement. En parallèle, les garages et les loueurs sociaux et solidaires sont freinés dans leur développement par la difficulté de recevoir des dons de véhicules. Aujourd'hui, les véhicules récupérés par les garages solidaires ont souvent plus de dix ans d'âge.

Du point de vue économique et environnemental, il s'agit donc d'accompagner les bénéficiaires de ces véhicules dans un parcours de mobilité adapté. Nous avons souhaité associer les réseaux d'associations de mobilité solidaire à ce dispositif afin que ceux-ci puissent assurer la mise à disposition des véhicules en lien avec les AOM.

Cette proposition de loi porte également un intérêt environnemental. En termes d'analyse du cycle de vie des voitures, il peut être plus intéressant de réemployer un véhicule ancien, dans la mesure où il présente une motorisation relativement récente, que de favoriser l'achat ou la location d'un véhicule neuf, a fortiori si celui-ci est produit à l'autre bout du monde.

Une étude de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) montre que, en changeant souvent de véhicule, même en améliorant à chaque fois la motorisation, on annule le gain carbone par le coût de construction du véhicule.

Aujourd'hui, le parc de garages solidaires propose des véhicules très anciens et très polluants. La mise en place des zones à faibles émissions (ZFE) va également provoquer un afflux de véhicules éligibles vers la PAC ; ces derniers seront de moins en moins polluants et, pour un certain nombre, beaucoup moins polluants que les véhicules proposés actuellement par les garages solidaires. Dès lors, il semble intéressant qu'une partie de ces véhicules soit proposée à des ménages en situation précaire ; ainsi, soit ces personnes pourront disposer d'un véhicule, soit elles pourront en changer, en prenant un véhicule plus récent, donc moins polluant. Naturellement, il s'agit de bien encadrer cela, et le rapporteur doit s'exprimer en ce sens.

Enfin, ce dispositif est complémentaire du leasing social du Gouvernement qui concerne plutôt les ménages modestes susceptibles de s'engager dans une location de véhicule pendant trois ans auprès d'un loueur conventionné. Nos mesures, quant à elles, permettront à des personnes en situation de grande précarité de renouer avec la mobilité en faisant appel à des acteurs spécialisés dans l'accompagnement social. Cette proposition de loi peut avoir des impacts sociaux et environnementaux très bénéfiques, même si cela peut paraître contre-intuitif de voir un groupe écologiste proposer une loi allongeant la durée de vie de véhicules ; j'espère vous avoir convaincu qu'avec ce texte, nous étions bien en phase avec nos convictions.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui s'inspire d'un article additionnel inséré au Sénat sur l'initiative de notre ancien collègue M. Joël Labbé, et qui avait reçu un avis de sagesse de notre rapporteur, M. Philippe Tabarot, dans cadre de l'examen du projet de loi Climat et résilience. Cet article, malheureusement, n'a pas survécu au passage du texte en commission mixte paritaire.

Si le dispositif prévu par le texte a été légèrement retravaillé depuis lors, son objectif reste inchangé ; il vise à ce que certains véhicules aujourd'hui mis au rebut dans le cadre du dispositif de la PAC soient remis à titre gracieux aux AOM volontaires, afin que celles-ci puissent mettre en place des services de location solidaire au profit des ménages modestes, notamment ceux ayant difficilement accès à des solutions de mobilité alternatives à la voiture.

Avant de revenir plus précisément sur le contenu du texte, je souhaite partager avec vous deux observations.

Ma première observation concerne la PAC. Chaque année, celle-ci conduit à envoyer à la casse un nombre considérable de véhicules encore en état de fonctionner. La PAC a été créée dans le but de renouveler le parc automobile avec des véhicules plus récents et moins polluants. Au sein du secteur des transports, qui représente 30 % des émissions de gaz à effet de serre dans notre pays, une part prépondérante est imputable au transport routier, notamment aux véhicules particuliers. Le transport routier est, en outre, l'un des principaux émetteurs de polluants atmosphériques.

Dans ce contexte, afin de respecter nos objectifs de décarbonation, la PAC soutient les particuliers et les professionnels dans l'achat d'un véhicule neuf ou d'occasion, en contrepartie du retrait de la circulation d'un véhicule considéré comme obsolète. Les modalités actuelles du dispositif, qui font régulièrement l'objet d'évolutions réglementaires, permettent notamment aux particuliers de se voir verser une aide allant jusqu'à 9 000 euros pour acquérir un véhicule peu polluant - classé Crit'Air 0 ou 1 -, en échange de la mise au rebut d'un véhicule plus polluant - classé Crit'Air 3, 4, 5 ou non classé.

De manière plus concrète, et peut-être un peu schématique, un particulier souhaitant bénéficier de la PAC doit remettre le véhicule qu'il souhaite remplacer à un centre de traitement de véhicules hors d'usage (VHU) agréé - il en existe 1 600 sur le territoire. Le particulier peut le faire directement, ou par l'intermédiaire d'un concessionnaire automobile. Le centre VHU agréé réalise les opérations de dépollution du véhicule - démontage des pneumatiques, dépose de la batterie, récupération des huiles usagées et filtres, etc. -, puis le démontage de certaines pièces ou matières. La carcasse est ensuite transmise aux broyeurs, avant de procéder à la séparation des différentes matières restantes, avec l'objectif de les recycler et de les valoriser.

La PAC, quant à elle, est versée au particulier, soit par le biais du concessionnaire, soit directement par l'Agence de services et de paiement (ASP), et ce sur présentation d'un certificat pour cession de destruction, délivré par le centre VHU agréé. Il existe donc un lien automatique entre la destruction d'un véhicule et le versement de la PAC, sous réserve de l'éligibilité du véhicule mis au rebut et du nouveau véhicule acquis dans ce cadre.

Comme l'indique le bilan économique et environnemental dressé par le Commissariat général au développement durable (CGDD) en septembre 2022, la PAC a fait ses preuves. Sur l'année 2021, le CGDD estime que le bilan de la PAC est positif. À titre d'illustration, 45 tonnes d'émissions de particules fines et 160 000 tonnes de CO2 ont ainsi pu être évitées grâce au dispositif de la PAC, ce qui représente plusieurs dizaines de millions d'euros. Selon le CGDD, le bilan est également positif pour l'usager, grâce aux économies de carburant réalisées et à la réduction des frais d'entretien du véhicule.

Sans remettre en cause la logique vertueuse de la PAC, un certain nombre de véhicules mis à la casse de façon systématique dans le cadre de ce dispositif sont encore en bon état de fonctionnement. Certains d'entre eux, sous réserve de respecter des niveaux d'émissions de polluants, pourraient ainsi voir leur durée de vie prolongée. La destruction automatique de l'ensemble des véhicules faisant l'objet d'un remplacement par un nouveau véhicule ne va pas de soi.

Hors zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m), dans lesquelles certaines catégories de véhicules ne peuvent ou ne pourront plus circuler, une part considérable des véhicules mis au rebut dans le cadre de la PAC s'avère aussi moins polluante qu'une partie du parc automobile roulant. Ainsi, 59 % des véhicules mis au rebut dans le cadre de la PAC pour l'année 2022 étaient classés Crit'Air 3 ; cette proportion est à mettre en regard de la composition du parc automobile national, qui comprend 32 % de voitures particulières classées Crit'Air 3, 4, 5 ou non classé.

Ma deuxième observation concerne les services de location solidaire ; ces derniers se développent, mais pâtissent d'un cadre juridique lacunaire et de moyens souvent limités. En 2022, selon le baromètre des mobilités du quotidien de l'association Wimoov et de la FNH, plus de 13 millions de Français sont en situation de précarité mobilité, c'est-à-dire qu'ils rencontrent des difficultés d'accès à la mobilité. En outre, 4,3 millions de Français ne disposent d'aucun équipement individuel de mobilité ou abonnement de transport collectif.

Sans surprise, ces difficultés touchent en particulier les ménages les plus modestes, qui ont un taux de motorisation inférieur à la moyenne nationale, du fait principalement des coûts liés à l'acquisition d'un véhicule et à l'achat de carburant. Selon l'enquête dédiée à la mobilité des personnes sur la période 2018-2019, réalisée par le Service des données et études statistiques (Sdes), près de 40 % des ménages du premier quartile de revenus ne disposent pas d'un véhicule, contre environ 20 % dans la moyenne nationale. En outre, le parc des véhicules des ménages modestes - pour ceux qui disposent d'un véhicule - se distingue par une surreprésentation des véhicules d'occasion, roulant au diesel et plus âgés que le reste du parc.

Face à ces inégalités sociales, la LOM a renforcé le droit à la mobilité, en confiant aux AOM un rôle en matière d'organisation de services de mobilité solidaire. Certaines d'entre elles ont d'ores et déjà mis en place de tels services ; lors des auditions, j'ai notamment échangé avec des représentants d'une communauté de communes du département de la Manche, qui propose la location de véhicules à prix modiques à des personnes en situation d'insertion professionnelle.

Faute d'un cadre législatif précis auquel se référer, ces initiatives se déploient en ordre dispersé, selon une diversité de modalités et, naturellement, en tenant compte des besoins de chaque territoire.

Un réseau d'acteurs est au coeur de la plupart de ces dispositifs, celui des garages solidaires. Ces structures associatives proposent un panel de services afin de favoriser l'accès des publics les plus fragiles à la mobilité, comme la vente de véhicules d'occasion à prix modique, la location ou encore les réparations solidaires. J'ai rencontré des représentants des trois principaux réseaux de garages solidaires opérant dans notre pays : Agil'ess, Solidarauto et Mob'In. Le parc de véhicules de ces garages comporte une part importante de véhicules d'occasion, avec une assez forte représentation de véhicules diesel et anciens, classés Crit'Air 4 ou 5 ou non classés.

Compte tenu de la modicité des prix pratiqués par ces structures, leur activité repose sur un modèle économique fragile, qui dépend essentiellement des dons de véhicules. Je n'ai pu recueillir de données consolidées sur le parc de véhicules détenu par les garages, concernant la mise en oeuvre de services de location solidaire. Toutefois, si l'on additionne les parcs de location respectifs des réseaux Agil'ess et Solidarauto, on parvient aujourd'hui à un total d'un peu moins de 900 voitures et d'une centaine de scooters. Ces chiffres sont encourageants, mais sans commune mesure par rapport aux besoins.

Si les services de location solidaire mis en place par les garages solidaires disposent de marges de développement, ils n'ont pas vocation à absorber à eux seuls la demande des millions de Français en situation de précarité mobilité. Néanmoins, il me semble que ce texte permettrait, de manière opportune, d'élargir le gisement de véhicules disponibles pour ces garages au bénéfice des plus fragiles.

D'un côté, nous avons un dispositif de destruction systématique des véhicules, alors même que certains d'entre eux, sous plusieurs réserves, pourraient voir leur durée de vie rallongée ; et, de l'autre, un grand nombre de nos concitoyens se trouvent en situation de précarité mobilité et rencontrent des obstacles dans leurs déplacements. Le texte que nous examinons aujourd'hui entend lier ces deux sujets, en donnant la possibilité aux AOM volontaires de se voir remettre, à titre gratuit, des véhicules destinés à la destruction dans le cadre de la PAC, afin de déployer des services de location solidaire pour les personnes en situation de précarité, en interne - directement par les AOM - ou par l'intermédiaire d'associations. L'éligibilité des véhicules serait déterminée par voie réglementaire en fonction de critères de pollution et d'état de fonctionnement, définis après l'avis de l'Ademe.

Si ce texte permet de réels bénéfices sociaux, plusieurs acteurs interrogés dans le cadre de mes travaux préparatoires se sont inquiétés du fait que l'article 1er ouvre une possibilité assez large de récupération de véhicules, avec des risques pour l'environnement et la qualité de l'air. Je souhaite nuancer ces inquiétudes : d'une part, il existe un gisement important de véhicules classés Crit'Air 3 - à motorisation essence - qui sont les moins polluants des véhicules mis au rebut et qui, de façon pragmatique, semblent moins polluants que la plupart des véhicules utilisés actuellement par les garages solidaires et les ménages modestes ; d'autre part, ce dispositif permettrait d'éviter la mise à la casse systématique de véhicules en état de fonctionnement.

Cela étant dit, je suis conscient des limites de ce dispositif et des inquiétudes qu'il peut susciter. Afin de lui donner toute sa chance et de renforcer sa pertinence, je vous propose l'adoption de neuf amendements, suivant deux axes principaux.

D'une part, plusieurs amendements visent à mieux encadrer le mécanisme prévu par la proposition de loi, afin de tenir compte des impératifs de décarbonation et d'amélioration de la qualité de l'air. Un amendement permet notamment de restreindre le dispositif aux véhicules essence classés Crit'Air 3. Je vous propose également de mieux encadrer la durée de réutilisation des véhicules et d'assurer leur traçabilité, en cantonnant le dispositif à la location de ces véhicules et en garantissant que seules les AOM pourront en conserver la propriété.

D'autre part, des amendements tendent à renforcer le caractère opérationnel du texte. Dans ce cadre, un amendement précise que, pour la durée de l'utilisation des véhicules concernés dans le cadre de services de mobilité solidaire, ces derniers ne soient pas considérés comme des déchets ; cela entraînerait d'importantes difficultés de mise en oeuvre pour les AOM et serait susceptible d'entamer l'intérêt du dispositif. Un autre prévoit la conclusion, au niveau local, d'une convention associant tous les acteurs volontaires - AOM, départements, associations, centres VHU agréés, concessionnaires automobiles - afin de préciser les responsabilités entre les différentes parties prenantes du dispositif.

M. Stéphane Demilly. - Cette proposition de loi est vertueuse sur le plan de la solidarité. Plus de 13 millions de personnes sont actuellement en situation de précarité mobilité en France et, parmi elles, plus de la moitié vit dans les territoires périurbains, c'est-à-dire des zones particulièrement dépendantes de la voiture individuelle.

Concernant l'approche environnementale, Ronan Dantec a évoqué des véhicules anciens avec des motorisations récentes, ce qui me semble un oxymore. Quelle est la tarification envisagée pour ces locations low cost ?

Par ailleurs, les collectivités locales ont-elles été impliquées dans l'élaboration de cette proposition de loi ? Je pense, notamment, à l'Association des maires de France.

Mme Marta de Cidrac. - Ce texte tient-il compte des spécificités de nos territoires ultramarins ? On connaît la difficulté, pour les habitants de ces territoires, de renouveler leur véhicule, et même de se déplacer en voiture.

M. Didier Mandelli. - Il s'agit d'une proposition de loi de bon sens. La prime à la conversion, qui peut paraître une aberration pour certains véhicules, a également asséché le marché des véhicules d'occasion, notamment pour les jeunes. Les prix du marché d'occasion pour les premiers véhicules accessibles ont été multipliés par deux ou trois. Cette proposition de loi permettra de résoudre en partie cette difficulté d'accès à la mobilité pour un grand nombre de nos jeunes concitoyens qui vivent en milieu rural et n'ont pas d'autre moyen de transport que la voiture.

M. Alexandre Ouizille. - Le groupe socialiste soutient cette proposition de loi. Il s'agit d'optimiser la fin de vie du cycle des véhicules thermiques et de permettre que, dans le parc social, l'on remplace des voitures âgées et moins sûres par des voitures thermiques moins polluantes et moins anciennes. À changer trop fréquemment de voiture, on ne contribue pas à la baisse des émissions de CO2, dans la mesure où un tiers des émissions est liée à la production du véhicule.

Cette proposition de loi incarne une forme d'écologie populaire. Elle montre aux classes populaires de notre pays que la transition écologique n'est pas leur ennemi, mais que celle-ci contribue à l'amélioration de leurs conditions de vie.

Tout en soutenant ce texte, il convient d'être vigilant sur son articulation avec le dispositif gouvernemental de location de voitures électriques à bas prix.

M. Éric Gold. - Le groupe « Rassemblement Démocratique et Social Européen » (RDSE) soutient cette proposition de loi transversale, qui favorise l'insertion des plus fragiles sans négliger l'environnement, tout en prévoyant une offre de déplacement dans les territoires isolés.

M. Philippe Tabarot. - La mise en place, à marche forcée, des ZFE-m entraîne des difficultés sociales. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé au Gouvernement de desserrer le calendrier de mise en oeuvre et de développer des mesures d'accompagnement pour les usagers. Sachant, par ailleurs, la lenteur de la mise en place du fameux leasing social, des mesures doivent aider nos compatriotes les plus défavorisés, afin qu'ils puissent bénéficier d'une offre de mobilité individuelle quand les transports en commun ne sont pas disponibles.

Il s'agit d'une proposition de loi pragmatique. Celle-ci répond à des attentes sociales, mais semble en-deçà, au niveau environnemental, des habituelles propositions du groupe écologiste. En cohérence avec mon avis de sagesse formulé lors de la loi « Climat et résilience », je soutiens ce texte.

M. Olivier Jacquin. - En travaillant sur la proposition de loi de notre ancien collègue Joël Labbé, j'ai entendu une chronique assez géniale sur France Culture concernant le fameux spot publicitaire de l'Ademe sur les « dévendeurs », qui avait entraîné une polémique au moment du Black Friday. À l'heure des ZFE-m et de la mise en place, très lente, du leasing social avec une promesse de véhicule à 100 euros par mois, cette proposition de loi de Joël Labbé est très intéressante. Je salue le travail du rapporteur, car les amendements proposés enrichissent le texte initial de manière pragmatique et pertinente.

M. Clément Pernot. - Je souhaite avoir des précisions sur le modèle économique de ce dispositif. J'ai compris que vous souhaitiez impliquer les collectivités locales et territoriales. Étant encore président d'un département, je me méfie toujours quand arrivent de nouveaux dispositifs sociaux ; les financements, en général peu assurés, finissent à la charge des départements. Les expériences de garages solidaires, notamment dans les territoires ruraux, ne sont pas particulièrement concluantes. Des acteurs sont prêts à s'investir dans les territoires, mais sous réserve de disposer d'un modèle économique cohérent et visible.

M. Cédric Chevalier. - Je m'interroge sur la capacité des acteurs à faire vivre un tel dispositif, notamment dans les territoires ruraux où les difficultés liées à la mobilité sont prégnantes et où les acteurs susceptibles de le mettre en oeuvre peuvent manquer.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - Pour la location des garages solidaires, la tarification correspond à quelques dizaines d'euros. Le dispositif s'adresse à des publics précaires ; d'autres dispositifs existent pour aider ces publics, notamment le microcrédit ou le prêt à taux zéro pour l'acquisition de véhicule léger peu polluant dans les agglomérations ayant mis en place des ZFE-m. Or, le plus souvent, ces publics font face à des besoins urgents, comme par exemple le démarrage d'un intérim ; les garages solidaires ont une souplesse de traitement adaptée à ces publics.

Au-delà de réparer les véhicules et de signer des contrats de location ou de mise à disposition, les garages solidaires effectuent un travail d'accompagnement, en lien avec les prescripteurs sociaux. Pour ce qui concerne l'éligibilité, on ne peut donc pas se contenter de définir un seuil de revenus ; un travail d'accompagnement des bénéficiaires est nécessaire d'où l'importance des dispositifs associatifs.

On sait que les difficultés de mobilité, sans offre alternative à la voiture, concernent surtout les zones rurales. Les garages solidaires actuels sont principalement implantés en zones rurales ; on en trouve au moins un dans chaque département. Cette proposition de loi offre un cadre sécurisant à ces garages solidaires et leur permettrait de se développer.

La filière à responsabilité élargie des producteurs (REP) impose des contraintes. Pour les véhicules qui arrivent en centres VHU agréés, le dispositif de récupération, de recyclage et de traitement des déchets fonctionne bien. Mais un nombre important de véhicules - 500 000 au total - continuent à alimenter la filière illégale chaque année ; en outre-mer notamment, les véhicules abandonnés sont un vrai problème.

Dans les territoires ultramarins, il existe déjà des garages solidaires, comme à Saint-Martin et en Martinique. Avec cette proposition de loi, nous laissons beaucoup de choses à la main des AOM volontaires, afin que celles-ci puissent adapter le dispositif aux spécificités des territoires. Un amendement prévoit notamment un système de convention permettant de régler certains détails, par exemple le traitement des contraventions.

Nous avons auditionné les collectivités territoriales par l'intermédiaire du Groupement des autorités responsables de transport (Gart), porte-voix des AOM, tout à fait favorable au dispositif.

Vous avez évoqué l'articulation entre les mesures de la proposition de loi et le leasing social. Ce dernier doit encore se mettre en place ; le ministère évoque entre 15 000 et 20 000 ménages bénéficiaires cette année. Selon l'Ademe, le dispositif vise principalement les personnes ayant un emploi, et plutôt les déciles de 3 à 5 concernant les revenus. Cette proposition de loi, mieux adaptée aux publics précaires, s'avère donc complémentaire. Certaines plateformes de mobilité solidaire indiquent confier des véhicules pour de courtes durées, correspondant à des parcours professionnels compliqués.

Pour répondre à Philippe Tabarot, il est possible d'envisager une écologie populaire pragmatique. Cette proposition de loi montre que l'on peut sortir du discours doctrinal sur le sujet.

Quel est le modèle économique actuel des garages solidaires ? Il repose sur la participation, même modique, des bénéficiaires, sur les aides à l'insertion concernant les équivalents temps plein (ETP), et enfin sur les dons de véhicules. Ces derniers s'assèchent, notamment car il est plus pratique et intéressant pour nos concitoyens de se débarrasser de leur véhicule par le biais de la prime à la conversion. Par ailleurs, les collectivités publiques et les parcs d'entreprise préfèrent aujourd'hui développer la location plutôt que donner à des garages solidaires. Cette proposition de loi s'avère donc une manière de sécuriser un modèle économique qui fonctionne déjà.

Concernant le périmètre du texte en application de l'article 45 de la Constitution, je propose de retenir les dispositions relatives à la mise en place de services de mobilité solidaire, aux compétences des AOM en matière de mobilité solidaire, aux conditions de réemploi de véhicules destinés à être retirés de la circulation aux fins de favoriser le droit à la mobilité, et aux modalités de soutien du rétrofit en faveur du déploiement de services de mobilité solidaire.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-1 a pour objet de déplacer les dispositions introduites par l'article 1er de la proposition de loi du code de la route au code des transports, et plus particulièrement au sein du chapitre sur le droit à la mobilité. Cela semble plus pertinent au regard de l'objectif du texte : la création de services de mobilité solidaire au bénéfice des ménages modestes.

L'amendement COM-1 est adopté.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-2 précise que, durant leur période d'utilisation dans le cadre de services de mobilité solidaire, les véhicules ne sont pas assimilés à des déchets. D'un point de vue opérationnel, il s'agit d'une problématique centrale. En effet, lorsqu'un véhicule acquiert le statut de déchet, il est difficile de l'en faire sortir pour le remettre en circulation ; cela pourrait donc dissuader un certain nombre d'AOM de s'engager dans ces démarches. Je propose donc de créer, durant la période de location, un régime transitoire pour ces véhicules.

L'amendement COM-2 est adopté.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise à restreindre les types de véhicules éligibles au dispositif prévu par la proposition de loi aux véhicules à essence classés au moins Crit'Air 3, sachant les risques pour l'environnement et la qualité de l'air que pourrait entraîner l'allongement de la durée de vie des véhicules classés Crit'Air 4, 5 ou non classés.

Compte tenu de l'impossibilité technique pour l'Ademe de définir précisément des niveaux de pollution et d'état de fonctionnement qui permettraient de faire le tri entre les véhicules, cette limitation aux seuls véhicules à essence classés Crit'Air 3 constitue un premier garde-fou. En outre, l'amendement prévoit une consultation de l'Ademe dans le cadre du projet de décret qui précisera les conditions d'éligibilité.

L'amendement COM-3 est adopté.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - Dans un souci de lisibilité, l'amendement COM-4 simplifie les références aux différents types d'AOM. En outre, il supprime l'alinéa 7 de la proposition de loi, satisfait par le reste du texte.

L'amendement COM-4 est adopté.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-5 prévoit d'inscrire dans les plans de mobilité mis en place par la LOM les modalités d'action et de coordination encadrant les services de mobilité solidaire. Le cas échéant, il permet de les préciser dans le cadre des plans d'action communs en matière de mobilité solidaire.

L'amendement COM-5 est adopté.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-6 précise le champ des services mis en oeuvre en application de la proposition de loi : il le limite à la location, de manière à exclure toute possibilité d'achat de ces véhicules. Cette précision est nécessaire pour encadrer l'utilisation des véhicules mis à disposition des bénéficiaires et assurer leur traçabilité.

En outre, l'amendement procède à une harmonisation terminologique par rapport au code des transports, afin que les services de location solidaire visent « les personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale ».

L'amendement COM-6 est adopté.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-7 clarifie la répartition des responsabilités entre l'AOM volontaire et les autres parties prenantes. Il prévoit la conclusion d'une convention, au niveau local, entre l'AOM, le ou les départements, les associations concernées, les concessionnaires automobiles volontaires et, le cas échéant, les centres VHU volontaires. Cette convention permettra notamment de préciser les modalités de collecte et de remise des véhicules, ainsi que leurs conditions de retrait de la circulation et de destruction.

L'amendement COM-7 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 1er

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement COM-9 prévoit une évaluation du dispositif après trois ans de mise en oeuvre, afin d'en évaluer l'impact sanitaire et environnemental, et d'en revoir, le cas échéant, les critères d'éligibilité et les modalités de mise en oeuvre.

L'amendement COM-9 est adopté.

Article 2

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement rédactionnel COM-8 reformule le contenu de la demande de rapport prévu à l'article 2. Le rapport déterminera les mesures permettant de soutenir le développement du rétrofit en faveur de dispositifs de location solidaire, par le biais d'associations reconnues d'utilité publique et non pas, comme dans le texte initial, au bénéfice de ces associations ; en effet, la rédaction prêtait à confusion quant à l'objectif du dispositif.

L'amendement rédactionnel COM-8 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de loi est adoptée à l'unanimité dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article 1er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. FERNIQUE, rapporteur

1

Changement du point d'impact des nouvelles dispositions introduites

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

2

Précision sur le statut juridique des véhicules éligibles au dispositif

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

3

Clarification des modalités de mise en oeuvre du dispositif

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

4

Clarification et simplification rédactionnelle

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

5

Inscription des services de mobilité solidaire dans les plans de mobilité et les plans d'action communs en matière de mobilité solidaire

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

6

Clarification de la destination des véhicules utilisés dans le cadre de services de mobilité solidaire en application du dispositif

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

7

Élaboration de conventions locales pour clarifier la répartition des responsabilités dans la mise en oeuvre de services de location solidaire

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 1er

M. FERNIQUE, rapporteur

9

Institution d'une évaluation du dispositif après trois ans de mise en oeuvre

Adopté

Article 2

M. FERNIQUE, rapporteur

8

Amendement de précision rédactionnelle

Adopté

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