N° 587
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 mai 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population,
Par M. François BONHOMME,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de :
Mme Muriel Jourda, présidente ;
M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La
Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain,
Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman,
MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset,
vice-présidents ; M. André Reichardt,
Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier
Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine
Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie
Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer,
MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco,
Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende,
MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier,
Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte,
Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul
Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia,
M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva
Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis
Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel,
Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Sénat : |
54 et 588 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
La proposition de loi n° 54 (2024-2025) tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population a été déposée le 17 octobre 2024 par Corine Narassiguin et plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste, écologiste et républicain et inscrite à l'ordre du jour réservé de ce dernier. Elle vise à renforcer l'encadrement des contrôles d'identité, dans un souci de prévention des risques de discriminations. Ses quatre articles tendent ainsi à réaffirmer l'exigence de motivation des contrôles d'identité ainsi que leur caractère non discriminatoire, à restreindre les conditions dans lesquelles les forces de l'ordre peuvent y procéder - en particulier dans un cadre de police administrative -, à créer un dispositif de récépissé permettant d'en assurer la traçabilité ainsi qu'à prévoir l'activation systématique des caméras piétons des agents y procédant.
La commission des lois n'a pas adopté cette proposition de loi, considérant qu'elle n'était ni nécessaire, ni opportune.
Elle n'est tout d'abord pas nécessaire, dans la mesure où le droit existant apporte déjà de solides garanties pour prévenir le risque de contrôles discrétionnaires, discriminatoires ou dont les conditions de réalisation seraient contraires au principe de dignité des personnes. La réaffirmation proposée de l'exigence de motivation des contrôles d'identité ainsi que de leur caractère non discriminatoire est donc redondante (article 1er).
Cette proposition de loi n'est pas non plus opportune, en ce qu'elle restreindrait excessivement le recours à un procédé indéniablement utile aux forces de l'ordre pour l'exercice de leurs missions, aussi bien au titre des enquêtes pénales que de la prévention des troubles à l'ordre public. La commission ne partage en effet pas la philosophie sous-jacente de la proposition de loi remettant en cause l'efficacité des contrôles d'identité, voire les présumant discriminatoires. Si le volume de contrôles d'identité réalisés en France est certes important, les signalements recueillis en la matière demeurent en effet particulièrement modestes. Le Conseil d'État a du reste écarté le raisonnement attribuant un caractère « systémique » à ces contrôles discriminatoires qui, sans nier leur existence, demeurent heureusement l'exception0F1(*). Dans ce contexte, la réduction du nombre de contrôle d'identité ne saurait être une fin en soi et la commission s'est opposée à la limitation de leurs fondements légaux (article 2).
La création d'un dispositif de récépissé ne présente pas non plus de plus-value évidente, y compris pour les personnes contrôlées (article 3). Elle se traduirait a contrario par une charge administrative nouvelle pour les agents, au risque de les détourner du bon exercice de leurs missions, et ce dans des contextes souvent marqués par l'urgence. Si la commission ne remet pas en cause l'objectif d'une meilleure traçabilité des contrôles d'identité, elle invite néanmoins à privilégier les pistes d'aménagements techniques existant aujourd'hui, lesquelles ne requièrent pas l'intervention du législateur et seraient potentiellement plus efficaces.
L'activation systématique des caméras piétons des agents procédant à un contrôle d'identité n'apparaît enfin pas plus pertinente (article 4). D'une part, la jurisprudence constitutionnelle tend davantage à encadrer les hypothèses de captation qu'à les systématiser. D'autre part, elle se heurterait à des contraintes matérielles difficilement surmontables, en particulier s'agissant des capacités de stockage requises.
I. LE CONTRÔLE D'IDENTITÉ : UN OUTIL INDÉNIABLEMENT UTILE AUX FORCES DE L'ORDRE
Juridiquement, les contrôles d'identité trouvent leur fondement dans les articles 78-1 et suivants du code de procédure pénale, celui-ci disposant que « toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d'identité effectué dans les conditions et par les autorités de police » habilitées par la loi. Ces contrôles peuvent être réalisés soit dans un cadre judiciaire, pour la recherche de l'auteur d'une infraction, soit dans un cadre administratif, aux fins de prévenir une atteinte à l'ordre public.
Les contrôles d'identité sont des outils indéniablement utiles aux forces de l'ordre dans l'exercice de leurs missions, comme cela a été rappelé avec force par les directions générales de la police et de la gendarmerie nationales lors de leurs auditions. La Cour des comptes a également souligné, dans un rapport de décembre 2023 commandé par la Défenseure des droits1F2(*), que cette pratique occupe une « place centrale dans les actions de la police et de la gendarmerie nationales relevant de la sécurité publique ». En termes de volume, la Cour a dénombré, pour l'année 2021, près de 47 millions de contrôles d'identité, soit en moyenne neuf contrôles par patrouille et par jour. Dans le détail, 27 millions d'entre eux ont été menés par la police nationale - dont 6,6 millions de contrôles routiers - et 20 millions par la gendarmerie nationale - dont 8,3 millions de contrôles routiers.
Des critiques récurrentes sont néanmoins émises dans le débat public sur le caractère supposément « généralisé » des contrôles d'identité, mettant en doute l'efficacité d'une telle pratique. En réalité, les termes de ce débat sont mal posés. En effet, le contrôle d'identité ne constitue pas une fin en soi, mais simplement un moyen d'action qui s'inscrit dans le cadre plus large de l'exercice de missions de police judiciaire ou administrative.
Dès lors, interroger l'efficacité
des contrôles d'identité en tant que pratique isolée n'est
pas pertinent, car c'est l'efficacité de l'opération dans son
ensemble qu'il convient d'évaluer. Or, celle-ci ne repose
jamais sur la mesure du seul volume de contrôles d'identité
réalisés, mais s'apprécie à l'aune de ses
résultats (volume de stupéfiants saisis, nombre de
délinquants interpellés etc.). À titre d'exemple,
les données communiquées au rapporteur
par la gendarmerie
nationale indiquent qu'en 2024 les 25,8 millions de consultations du
fichier des personnes recherchées réalisées2F3(*) ont permis la découverte
de 34 408 personnes.
* 1 Conseil d'État, sect, Amnesty International France et autres, n° 454836, 11 octobre 2023.
* 2 Voir la rubrique « Pour en savoir + ».
* 3 Qui résultent principalement mais pas exclusivement de contrôles d'identité.