II. LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS LIÉES AUX CONTRÔLES D'IDENTITÉ : LA NÉCESSITÉ D'UNE APPROCHE NUANCÉE

Comme la présente proposition de loi en témoigne, la pratique des contrôles d'identité, et en particulier les risques de discriminations qui leur sont associées (« contrôle au faciès »), cristallisent des tensions importantes dans le débat public. Les travaux du rapporteur ont mis en évidence la nécessité d'adopter une approche nuancée en ce domaine.

S'il est indéniable que les contrôles d'identité peuvent être l'occasion de pratiques discriminatoires, il convient tout d'abord de ne pas exagérer l'ampleur du phénomène en pratique. D'après les données communiquées au rapporteur, sur les 4 856 signalements reçus par l'inspection générale de la police nationale en 2024, seuls 29 dénonçaient des propos discriminatoires tenus au cours de contrôles d'identité ou routiers. De même, sur les 4 000 signalements reçus par l'inspection générale de la gendarmerie nationale, seuls 8 allèguent une discrimination et 72 un manquement lié aux conditions d'interpellation ou de contrôle. Dans son rapport annuel d'activité pour l'année 2024, la Défenseure des droits ne cite quant à elle qu'une seule décision concluant au caractère discriminatoire de contrôles d'identité3F4(*). Ces données rapportées au total de contrôles réalisés tendent ainsi à démontrer que la part des contrôles problématiques demeure infime, quand bien même il est probable qu'un phénomène de non-recours existe. Du reste, le Conseil d'État a explicitement écarté en 2023 le raisonnement attribuant aux contrôles d'identité discriminatoires, dont il admet l'existence, un caractère « généralisé » ou « systémique »4F5(*).

Ces dérives ne sauraient ensuite être imputées au cadre juridique, qui apporte toutes les garanties nécessaires en la matière. En particulier, les réserves d'interprétation posées par le Conseil constitutionnel prohibent toute pratique de contrôles d'identité « généralisés et discrétionnaires »5F6(*) ou discriminatoires6F7(*). De surcroît, le code de déontologie commun à la police et à la gendarmerie nationale prévoit expressément que, « lorsque la loi l'autorise à procéder à un contrôle d'identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s'il dispose d'un signalement précis motivant le contrôle », et que « le contrôle d'identité se déroule sans qu'il soit porté atteinte à la dignité de la personne qui en fait l'objet »7F8(*).

Ainsi, la lutte contre les discriminations liées aux contrôles d'identité suppose un changement des pratiques plutôt que de la loi. La Cour des comptes a formulé à cet égard plusieurs recommandations pratiques tendant notamment à préciser la doctrine d'emploi des contrôles et les conditions de leur mise oeuvre opérationnelle ainsi qu'à renforcer la formation des agents - qui intègre déjà fortement ces enjeux, avec le concours d'associations spécialisées (Licra, Dilcrah, Flag ! etc.). Dans le cadre de leurs auditions, les services de police et de gendarmerie nationales ont également indiqué souscrire pleinement à ces propositions et avoir amorcé leur mise en oeuvre. La commission, qui n'a pas établi de nécessité ni d'opportunité de légiférer en l'espèce, soutient donc cette approche pragmatique et opérationnelle.


* 4 Défenseur des droits, décision n° 2024-019 du 15 février 2024.

* 5 Conseil d'État, sect, Amnesty International France et autres, n° 454836, 11 octobre 2023, cons. 24 : « l'ensemble des témoignages et rapports produits, notamment les études réalisées par le Défenseur des droits, permet de tenir pour suffisamment établie l'existence d'une pratique de contrôles d'identité motivés par les caractéristiques physiques, associées à une origine réelle ou supposée, des personnes contrôlées, qui ne peut être regardée comme se réduisant à des cas isolés » ; cette pratique « ne [revêt] pas de caractère “systémique” ou “généralisé”».

* 6 Conseil constitutionnel, décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, cons. 9.

* 7 Conseil constitutionnel, décision n° 2022-1025 QPC du 25 novembre 2022, cons. 20.

* 8 Article R. 434-16 du code de la sécurité intérieure.

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