EXAMEN EN COMMISSION
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Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population, présentée par Corinne Narassiguin, Jérôme Durain et plusieurs de leurs collègues.
M. François Bonhomme, rapporteur. - La proposition de loi déposée par Corinne Narassiguin et le groupe SER tendant à rétablir le lien de confiance entre la police et la population comprend quatre articles, qui visent à renforcer l'encadrement des contrôles d'identité.
Je ne ferai pas durer le suspens, je vous proposerai de rejeter cette proposition de loi, qui me semble problématique à plusieurs égards.
Tout d'abord, je ne partage pas certains des postulats qui ont présidé à la rédaction de cette proposition de loi. Je ne crois pas, comme le suggère son intitulé, qu'un quelconque « lien de confiance » ait besoin d'être « rétabli » entre les forces de l'ordre et la population en France. Dans leur grande majorité, nos concitoyens soutiennent l'action de nos policiers et gendarmes, au service de leur sécurité.
De nombreuses études le corroborent. Selon une étude de l'Institut français d'opinion publique (Ifop) de septembre 2024, 71 % des Français ont confiance ou éprouvent de la sympathie pour les forces de l'ordre ; 79 % d'entre eux ont une bonne opinion des policiers et 85 % ont une bonne opinion des gendarmes. C'est moins que pour les soignants, mais légèrement plus que pour les enseignants !
En tout état de cause, il me paraît particulièrement réducteur de subordonner l'enjeu complexe du lien de confiance entre les forces de l'ordre et la population, qui est si essentiel en démocratie, à la seule question des contrôles d'identité.
Sur le fond, je ne partage pas non plus la philosophie sous-jacente de cette proposition de loi : d'une part, elle remet en cause l'efficacité des contrôles d'identité ; d'autre part, elle établit une forme de présomption de discrimination à leur encontre. Je considère au contraire que les contrôles d'identité sont un instrument utile aux forces de l'ordre, que ce soit dans un cadre judiciaire, pour rechercher l'auteur d'une infraction, ou dans un cadre administratif, aux fins de prévenir une atteinte à l'ordre public.
La Cour des comptes a elle-même conclu, dans un rapport commandé par la Défenseure des droits, à la « place centrale des contrôles d'identité dans les actions de la police et de la gendarmerie nationales relevant de la sécurité publique ».
De plus, cela n'a pas grand sens d'interroger de manière isolée l'efficacité de chaque contrôle. Il convient plutôt d'évaluer l'efficacité des opérations dans leur ensemble. Celle-ci ne repose pas sur le seul volume de contrôles réalisés ; elle doit s'apprécier à l'aune des résultats obtenus, par exemple en matière de saisies de stupéfiants ou d'interpellations de délinquants.
Autrement dit, la réduction du nombre de contrôles d'identité qui semble souhaitée par les auteurs de la proposition de loi ne me semble pas constituer, en elle-même, un objectif pertinent.
En ce qui concerne le caractère discriminatoire des contrôles d'identité, il me semble très exagéré de considérer que cette pratique, évidemment illégale, serait « généralisée » ou « systémique », comme le sous-entend cette proposition de loi. Les chiffres sont sans appel : rapporté aux 47 millions de contrôles d'identité recensés par la Cour des comptes en 2021, le nombre de signalements transmis aux inspections générales de la police nationale (IGPN) ou de la gendarmerie nationale (IGGN) ainsi qu'à la Défenseure des droits est tout à fait infime.
En effet, en 2024, vingt-neuf signalements ont été transmis l'IGPN, tandis que quatre-vingts l'ont été à l'IGGN. En outre, seuls huit de ces signalements alléguaient une discrimination, les autres portant sur les conditions de l'interpellation. Quant au rapport annuel d'activité de la Défenseure des droits pour 2024, il ne mentionne qu'un seul cas...
J'ajoute que le Conseil d'État, après avoir été saisi par un groupement d'associations, dont Amnesty International, a explicitement écarté, en 2023 le raisonnement constituant à attribuer un caractère généralisé ou systémique aux contrôles d'identité discriminatoires, dont il admet par ailleurs l'existence.
Je ne peux donc aucunement souscrire à la philosophie de cette proposition de loi. Il ne s'agit évidemment pas de nier le fait que des contrôles discriminatoires peuvent ponctuellement intervenir. Chacun en convient et ils doivent alors être sanctionnés avec la plus grande sévérité, sur le plan disciplinaire comme sur le plan pénal. En revanche, il me semble à la fois problématique et quelque peu indélicat à l'égard de nos forces de l'ordre de considérer les contrôles discriminatoires comme systémiques. C'est d'autant plus vrai que la police comme la gendarmerie sont d'ores et déjà pleinement engagées dans la lutte contre ces dérives. Le sujet fait l'objet d'une attention particulière dans la formation initiale et continue des agents, avec le concours d'associations spécialisées, mais également des services de la Défenseure des droits.
Plutôt que de rétablir un lien de confiance supposément brisé entre la police et la population, nous risquerions donc plutôt d'alimenter encore une fois un regrettable climat de suspicion et de défiance.
Au-delà de cette divergence d'approche, le contenu même de la proposition de loi me semble a minima sujet à caution. Certaines dispositions sont déjà satisfaites par le droit, tandis que d'autres restreindraient de manière préjudiciable la faculté des forces de l'ordre de procéder à des contrôles d'identité. Si je ne remets évidemment pas en cause la nécessité de lutter contre les quelques contrôles discriminatoires qui peuvent survenir, la solution réside, selon moi, dans une modification des pratiques bien plus que de la législation.
À cet égard, la Cour des comptes a formulé plusieurs recommandations concrètes que nous gagnerions à mettre rapidement en oeuvre. Je note que le ministère de l'intérieur s'y est montré tout à fait favorable au cours des auditions.
J'en viens au détail des quatre articles que comprend cette proposition de loi.
L'article 1er réaffirme, à l'article 78-1 du code de procédure pénale, l'exigence de motivation des contrôles d'identité, leur caractère non discriminatoire, l'impératif du respect de la dignité des personnes contrôlées, ainsi que leur droit au recours. Ces exigences étant déjà garanties en l'état du droit, cette mesure serait purement symbolique.
L'article 2 conditionne la conduite de contrôles d'identité judiciaires, c'est-à-dire réalisés sur réquisition du procureur de la République, à une demande préalable du préfet. Dans le même temps, il restreint significativement le champ des contrôles d'identité dits administratifs, en autorisant les forces de l'ordre à les mener aux seules fins d'assurer la sécurité de grands événements particulièrement exposés à des risques de sécurité.
Cet article pose des difficultés juridiques et opérationnelles importantes : d'une part, il crée une confusion entre les cadres judiciaire et administratif ; d'autre part, il induit une restriction excessive de l'action des forces de l'ordre.
Afin de renforcer la traçabilité des contrôles d'identité, l'article 3 prévoit la remise systématique d'une attestation à la personne ayant fait l'objet d'un tel contrôle. Il s'agit là du fameux récépissé, qui fut, à une époque, défendu par le gouvernement de François Hollande, avant que celui-ci n'abandonne cette idée. Je reprendrai à mon compte les arguments avancés à l'époque par Bernard Cazeneuve pour justifier cette décision, car ils sont toujours valables.
D'un point de vue opérationnel, la délivrance systématique d'un récépissé alourdirait la procédure de contrôle, alors que la plus-value de ce document pour la personne contrôlée n'est pas évidente. De fait, la possession d'un tel récépissé n'exonérerait en rien son détenteur de contrôles postérieurs, ne serait-ce que parce qu'il faudrait alors vérifier la concordance entre son identité et celle figurant sur l'attestation.
Par ailleurs, la multiplication des contrôles dans un temps et un lieu donnés n'est pas nécessairement illégitime. Elle peut tout à fait être dictée par les nécessités d'une enquête judiciaire ou par des impératifs en matière de maintien de l'ordre public.
De surcroît, d'un point de vue technique, l'instauration d'un récépissé supposerait nécessairement la création d'un fichier de masse, dont la proportionnalité interroge au regard de l'objectif recherché.
Compte tenu de ces éléments, il me semble plus pertinent de privilégier les pistes d'aménagements techniques existantes, notamment la modification de l'architecture du fichier des personnes recherchées. Il s'agirait d'introduire une fonctionnalité pour préciser, lors de chaque consultation effectuée en mobilité, si celle-ci est opérée dans le cadre d'un contrôle d'identité ou non. Cela permettrait de systématiser la traçabilité des contrôles et de fiabiliser les remontées statistiques.
Enfin, l'article 4, qui prévoit une activation systématique du dispositif de caméras-piétons lors des contrôles d'identité, ne me semble pas pertinent pour deux raisons. Premièrement, la jurisprudence constitutionnelle invite davantage à encadrer les hypothèses de captation qu'à les systématiser. Deuxièmement, il se heurterait à des contraintes matérielles difficilement surmontables, en particulier s'agissant du nombre de caméras nécessaires et des capacités de stockage requises.
Mes chers collègues, vous l'aurez compris, je ne partage ni l'esprit ni les mesures de cette proposition de loi. Je vous propose donc de ne pas l'adopter. Conformément au gentlemen's agreement qui prévaut pour les espaces réservés, si vous suivez ma position, c'est donc le texte initial qui sera soumis à la discussion en séance.
M. Jérôme Durain. - Ce texte important pose de nombreuses questions et je remercie Corinne Narassiguin de l'avoir déposé.
Y a-t-il du « gras » dans les effectifs policiers ? Chacun sait que non. Pouvons-nous nous permettre que des actions policières ne contribuant pas à l'amélioration de la sécurité de nos concitoyens soient menées ? Nous répondons que non. Savons-nous à quoi servent les contrôles d'identité ? La réponse est non. Existe-t-il des discriminations lors de ces contrôles ? La réponse est oui.
Les réflexions que nous formulons ne se fondent
pas sur une opinion. Nous avons trouvé dans la littérature du
ministère de l'intérieur des éléments justifiant
tout l'intérêt de notre démarche. Je pense notamment
à la mission qu'Éric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin ont
confié à Christian Vigouroux sur la lutte contre les
discriminations dans l'action des forces de sécurité. Vous
reconnaîtrez qu'il ne s'agit pas de radicaux qui considéreraient
que la police est discriminante par nature. De même, une instance du
ministère de
l'intérieur, le Comité
d'évaluation de la déontologie policière (CEDPN), s'est
interrogé sur l'efficacité, les réalités, les
usages et la traçabilité des contrôles d'identité.
Nous posons les mêmes questions.
Monsieur le rapporteur, je respecte votre travail, mais de notre point de vue, dans un contexte de défiance vis-à-vis de l'autorité de l'État, le fait d'engager une réflexion sur les contrôles d'identité grandit la police nationale et renforce la transparence et la légitimité de son action. Cela répond à des questions qui sont posées au coeur du ministère de l'intérieur et de la police nationale : ce que nous faisons est-il utile ? Notre action contribue-t-elle à apaiser la relation entre la police et la population ? Est-elle porteuse de discriminations ? Les réponses à cette dernière question sont toujours positives.
Si nous nous en tenons aux faits, les questions que nous posons sont bel et bien légitimes.
Le rapporteur se dit défavorable aux diverses mesures de ce texte. Pourtant, le rapport du CEDPN, qui dépend de l'IGPN, comporte plusieurs recommandations.
Tout d'abord, il nous invite à réfléchir à un dispositif d'évaluation de l'efficacité des contrôles d'identité ; c'est ce que nous proposons.
Ensuite, il recommande d'instaurer un dispositif de traçabilité des contrôles d'identité, car si nous savons à quoi servent les 15 millions de contrôles routiers, ce n'est pas le cas des 32 millions d'autres contrôles. Nous adoptons simplement une posture d'évaluation de l'action de nos fonctionnaires. L'institution policière le demande elle-même.
Enfin, il préconise de rendre systématique l'activation d'une caméra-piéton lorsqu'est réalisé un contrôle d'identité.
Comme vous le voyez, nous tenons compte des réflexions les plus récentes de ceux qui, au sein de l'institution policière et du ministère de l'intérieur, réfléchissent à l'efficacité de l'action policière et aux questions de déontologie. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui est nécessaire et accompagne de manière utile ces réflexions.
La commission des lois du Sénat est bien placée pour savoir que certaines formes de criminalité nécessitent beaucoup de temps policier. Nous n'avons pas de temps à perdre avec des actions qui ne contribuent pas à la sécurité de nos concitoyens !
Mme Corinne Narassiguin, auteure de la proposition de loi. - Je vous remercie de votre analyse, monsieur le rapporteur. Dans la continuité de l'intervention de Jérôme Durain, permettez-moi d'expliquer pourquoi j'ai choisi de lier le contrôle d'identité et la relation entre la police et la population.
J'ai participé activement aux travaux de la mission d'information qui a été conduite par François-Noël Buffet sur les émeutes de juin 2023. Celle-ci a établi la nouveauté que constituait à la fois le caractère contagieux de la violence qui s'est répandue sur tout le territoire et le fait que celle-ci soit à ce point et explicitement dirigée contre les forces de l'ordre. Nous avons tous été choqués par le niveau de violence qui a été atteint. En Seine-Saint-Denis, les commissariats de police ont été systématiquement attaqués.
Les catalyseurs des émeutes de 2005 et de 2023 ne sont pas les mêmes : les premières sont parties de la peur d'un contrôle d'identité, tandis que les secondes ont été déclenchées par un refus d'obtempérer. Toutefois, ces questions sont liées et la comparaison me semble utile.
En effet, il est apparu au cours des auditions qu'entre ces deux vagues d'émeutes, la relation entre la police et une partie de la population s'était fortement détériorée et que le contrôle d'identité cristallisait une grande partie des tensions. La partie de la population dont il est question, ce sont de jeunes hommes qui ont l'air étrangers, c'est-à-dire noirs ou d'origine nord-africaine et, par extension, leurs proches, leurs voisins, ceux avec qui ils partagent une vie sociale.
J'aurais aimé élaborer une proposition de loi plus complète sur les liens entre police et population, mais, comme vous le savez, le cadre des niches parlementaires est contraint. Voilà pourquoi j'ai choisi de me concentrer sur la question du contrôle d'identité.
Il est vrai que les gendarmes réalisent également des contrôles d'identité, mais la méfiance et la défiance portent avant tout sur les policiers. Un engrenage vicieux s'est enclenché : les citoyens contrôlés étant plus agressifs, les policiers le sont parfois également. Nous devons donc le remplacer par un cercle vertueux en nous assurant que tous les contrôles d'identité soient dûment motivés et traçables.
Les personnes contrôlées auraient ainsi la preuve qu'elles ont été contrôlées. Cela limiterait le nombre de contrôles, puisque certaines personnes sont contrôlées plusieurs fois dans la même semaine, voire dans la même journée par des policiers qui connaissent très bien leur identité. De plus, cela leur donnerait les moyens de porter plainte s'ils le jugent nécessaire. En effet, l'absence de plaintes ne signifie pas qu'il n'y a pas de problèmes.
Par ailleurs, il convient de démontrer l'efficacité des contrôles d'identité qui sont effectués. Le code de procédure pénale prévoit la possibilité de procéder à un contrôle, quel que soit le comportement de la personne. C'est une porte ouverte à l'arbitraire, et donc à la discrimination.
Je ne remets absolument pas en cause la
nécessité de réaliser des contrôles
d'identité, mais j'estime qu'ils doivent être dûment
motivés. Des contrôles peuvent être effectués par
réquisition, à condition d'être mieux encadrés. Il
est nécessaire de réaliser des rapports pour évaluer
l'efficacité de
ces contrôles par rapport aux objectifs.
Quant aux contrôles administratifs, ils devraient se limiter aux
nécessités afférentes au maintien de l'ordre et à
la prévention de troubles graves à l'ordre public lors de grands
événements.
En ce qui concerne les caméras-piétons, la preuve qu'elles confèrent protège à la fois la population et les policiers. Lorsque ces derniers ont bien fait leur travail, ils doivent pouvoir le démontrer.
Pour que notre police soit utile à nos concitoyens et assure effectivement leur sécurité, elle doit pouvoir se rendre partout dans nos quartiers et faire son travail dans de bonnes conditions. Cela suppose un lien positif avec la population : si elle est mieux reçue, elle pourra effectuer un meilleur travail de proximité et de renseignement, que ce soit pour prévenir les prochaines émeutes ou lutter, par exemple, contre le narcotrafic.
De nombreux policiers et gendarmes s'interrogent sur le sens de leur mission. Près de 40 % d'entre eux se posent des questions sur l'utilité des contrôles d'identité. Une ancienne directrice de l'IGPN estime nécessaire de clarifier le droit relatif aux contrôles d'identité, car le droit en vigueur met en danger les policiers - nous ne pouvons y rester insensibles.
Les habitants eux-mêmes sont demandeurs d'une police efficace, qui réalise des opérations utiles dans leur quartier, plutôt que de voir des policiers passer leurs journées à contrôler des jeunes qui n'ont rien à se reprocher. Voilà pourquoi j'estime nécessaire de réformer les contrôles d'identité.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Cela n'étonnera personne, je ne suis absolument pas en accord avec les deux orateurs précédents.
Monsieur le rapporteur, je vous remercie de vos propos. Comme vous, le titre de cette proposition de loi me gêne. Personnellement, je ne perçois aucun problème de confiance entre la police et la population ; il ne faut pas généraliser ! Précisons les choses : de qui est-il question ? Des délinquants, de ceux qui ne respectent pas la loi, qui polluent et font souffrir les quartiers populaires au quotidien !
La France de 2023 n'est plus celle de 2005. Les policiers sont confrontés à une violence terrible. Ils sont attaqués parce qu'ils dérangent. Et ils ne dérangent pas la majorité des jeunes, qui respectent la limite, la règle et l'autorité - une expression qu'il faudrait peut-être répéter tous les jours -, avec qui le lien de confiance n'a jamais été rompu. Ceux qu'ils dérangent sont ceux que les contrôles gênent.
Corinne Narassiguin nous a expliqué que les personnes contrôlées n'allaient pas porter plainte : évidemment ! Ils n'ont probablement pas envie d'expliquer ce qu'ils faisaient et qui a justifié le contrôle... Ne perdons pas de vue le principe de réalité. Je suis moi aussi élue de banlieue et, à mon sens, ce texte conforte une forme de suspicion envers la police, la gendarmerie et la police municipale, dont il est également question. Il est donc malvenu.
Je m'étonne qu'après avoir unanimement adopté la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, défendue de manière exceptionnelle par Jérôme Durain, qui confère des outils à la police et à la justice, on nous soumette un texte remettant en cause la place et le rôle de la police dans notre pays. Cela me semble quelque peu contradictoire.
Je partage donc l'analyse de notre rapporteur : il convient de rejeter cette proposition de loi.
M. Guy Benarroche. - La loi sur le narcotrafic accroît les capacités des forces de l'ordre, du renseignement et de la justice pour lutter contre une délinquance organisée qui pollue notre pays. A l'inverse, les contrôles d'identité touchent l'ensemble de la population et non les seuls délinquants. Ceux qui vivent dans des endroits où les contrôles d'identité « au faciès » sont quotidiens savent très bien que ceux-ci visent en majorité des personnes qui n'ont rien à voir avec la délinquance.
Les contrôles d'identité ne sont pas un outil essentiel pour lutter contre la délinquance. Le fait de refuser de voir qu'il y a un problème de lien entre une partie de la population et la police conduit à affaiblir cette dernière. La police doit être au service de la totalité de la population française, et pas seulement au vôtre ou au mien. Cette proposition de loi a vocation à réparer des liens qui ont été abîmés et dont la qualité est une garantie de notre République, tant pour la police que pour la population.
Le rôle de l'IGPN est important. Aussi avons-nous demandé moult fois que le fonctionnement et la composition de l'organisme qui surveille la police soient réformés. Comme nous n'avons pas été entendus, nous déposerons de nouveau une proposition de loi en ce sens.
Par ailleurs, les contrôles abusifs ne sont pas la seule cause de l'érosion des liens entre la police et la population. De nombreux autres sujets mériteraient d'être traités pour que, demain, la confiance soit restaurée de part et d'autre.
M. Henri Leroy. - Monsieur le rapporteur, je vous remercie de cette présentation remarquable. Heureusement qu'il n'y a pas de policiers ou de gendarmes dans cette salle, car leur relation avec les élus en serait sortie abîmée...
Les sondages montrent que la population soutient à une large majorité les forces de sécurité. Si le climat se dégrade, c'est uniquement avec les délinquants, qui ne cessent d'agresser la population et les forces de sécurité, en utilisant parfois du matériel de guerre. Nous devons, en tant qu'élus, dénoncer ces comportements de voyous !
Je ne peux en aucun cas défendre une telle proposition de loi, qui me semble peu respectueuse de l'uniforme de la République. Nous devons la rejeter avec perte et fracas !
Il est impensable d'entendre de tels raisonnements. J'ai l'impression d'être dans un monde où l'on défend les délinquants contre les forces de sécurité, où l'on crache sur l'uniforme de la République et où l'on dénigre les lois de la République, que nous faisons !
Mme Isabelle Florennes. - J'apporte également tout mon soutien au rapporteur pour quatre raisons.
Premièrement, j'ai moi aussi suivi les travaux de la mission d'information sur les émeutes de juin 2023. Les sondages publiés après les émeutes ont montré que 77 % des Français ont une bonne image de la police. C'est un chiffre susceptible de faire rêver de nombreux hommes et femmes politiques ! Le lien de confiance ne me semble donc pas rompu.
Deuxièmement, les éventuels abus doivent évidemment être sanctionnés. Le contrôle « au faciès » est illégal, et c'est le rôle des inspections générales que de prendre les mesures nécessaires dans ce cas, y compris des sanctions. Notre système et notre État de droit garantissent que ces abus ne restent pas sans conséquence.
Troisièmement, plusieurs mesures législatives sur le contrôle des policiers ont été prises par les deux chambres à la demande de ces derniers, pour les protéger. Nous savons qu'ils ont été soumis ces dernières années à de rudes épreuves.
Quatrièmement, mes chers collègues socialistes, je préférerais que nous en restions à la belle unanimité que nous avons partagée en adoptant le texte sur le narcotrafic. Nous avons alors fait oeuvre commune et je trouve dommage d'examiner une telle proposition de loi aujourd'hui.
M. Éric Kerrouche. - Manifestement, ce sujet est épidermique. Sur le fond, je ne vois pas en quoi il serait contradictoire de défendre ce texte et la police.
Nous avons tous voté le texte sur le narcotrafic, défendu notamment par Jérôme Durain, parce qu'il était nécessaire et concernait tout le territoire national. Cela n'enlève rien au fait qu'il existe un problème de confiance entre la police et une partie de la population. Peut-être que certains refusent de voir la réalité des faits, mais l'ensemble des études menées depuis plus de vingt ans en la matière montre qu'il existe des discriminations.
Pour renouer le lien entre les forces de l'ordre et la population, il faut veiller aux bonnes pratiques de la police pour éviter qu'une défiance ne s'installe de manière systémique. Cette proposition de loi ne dit rien de plus.
Les études montrent qu'une personne noire ou d'origine maghrébine a quatorze fois plus de chances d'être contrôlée qu'une personne blanche : cela montre bien le biais qui existe, qu'on le veuille ou non ! La partie de la population qui est davantage contrôlée que le reste n'est pas délinquante dans son ensemble. Il convient de faire attention à la façon dont nous interprétons les choses.
Il ne s'agit ni d'excuser la délinquance ni de remettre en cause la lutte contre celle-ci. Il s'agit de se rendre compte que certaines pratiques policières éloignent une partie non négligeable des jeunes de ce pays des rapports de confiance qu'ils pourraient entretenir avec la police. Il n'est pas question de défendre les uns au détriment des autres. Nous souhaitons simplement pacifier des rapports qui se sont détériorés au fil du temps. C'est un fait objectif et ce n'est pas faire injure à la police et à la gendarmerie, qui font leur travail au quotidien, que de le dire.
M. Jérôme Durain. - Permettez-moi de formuler un petit point d'ordre : nous défendons la police ! Dire que nous crachons sur la police parce que nous nous interrogeons sur le fonctionnement de l'administration est quelque peu grossier. On ne manque pas de respect aux médecins lorsque l'on s'interroge sur le régime de l'installation, et on ne manque pas de respect aux élus lorsque que l'on s'interroge sur le degré de contrôle de leur activité !
Je regrette les propos qui viennent d'être tenus. J'aurais aimé que ceux qui les ont formulés aient été à mes côtés lorsque j'accompagnais la brigade anticriminalité (BAC) dans les rues de Paris et que nous prenions des pavés sur le coin de la figure... Nous ne visitons pas moins souvent les commissariats et les gendarmeries que les élus d'autres groupes politiques et nous ne contribuons pas moins qu'eux à l'intérêt des policiers et des gendarmes : nous avons pris une part active à la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et nous travaillons au sein de missions d'information sur la police.
Nous aimons la police, nous aimons la République et nous aimons la police de la République ! Nous posons des questions légitimes pour des parlementaires qui s'intéressent au fonctionnement de nos institutions.
M. François Bonhomme, rapporteur. - Monsieur Durain, je ne doute pas de votre volonté de défendre la police. Je regrette simplement que cette proposition de loi ne soit pas fondée sur une analyse plus approfondie des moyens de contrôle et d'encadrement du contrôle d'identité existants.
Je rappelle que, sur le territoire national, toute personne qui y est sommée doit se soumettre à un contrôle d'identité. Ce contrôle ne peut être effectué que par des agents des forces de l'ordre, dûment formés. Au-delà de leur formation initiale, les forces de l'ordre suivent une formation continue et bénéficient d'interventions extérieures permanentes au sujet de la lutte contre les discriminations.
De plus, il existe des contrôles internes et externes, y compris le contrôle hiérarchique, et, en bout de chaîne, le procureur peut décider de poursuivre un agent en cas de plainte.
L'encadrement est déjà très strict et je trouve préjudiciable que cette proposition de loi n'en tienne pas suffisamment compte.
Les chiffres que nous ont communiqués la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et la direction générale de la police nationale (DGPN) sont éloquents. L'IGPN a reçu 4 856 signalements, dont seuls 29 portaient sur les conditions dans lesquelles a été réalisé un contrôle d'identité. Je rappelle que 47 millions de contrôles d'identités sont réalisés chaque année. L'IGGN a reçu 4 000 signalements, dont 72 sont liés à des contrôles d'identité. Et encore, il conviendrait d'analyser de manière fine la nature des signalements effectués au sujet de ces contrôles d'identité.
Surtout, cette proposition de loi, et en particulier son article 3, affaiblirait les capacités opérationnelles des forces de police. Monsieur Benarroche, les contrôles d'identité sont un moyen majeur de maintien de l'ordre et de prévention de la délinquance !
Contrairement à ce qui a été dit, le CDPEN s'oppose officiellement au récépissé.
Concernant le contexte de défiance qui prévaudrait, j'estime que nous avons déjà fait d'énormes efforts pour le prévenir. La Défenseure des droits dispose de 630 délégués territoriaux, auprès desquels quarante à cinquante personnes se sont plaintes en un an de leurs relations avec la police. Une seule plainte relative à un contrôle « au faciès » a donné lieu à une décision de cette autorité indépendante établissant un manquement au devoir de déontologie.
Par la fragilisation des capacités opérationnelles qu'elles induisent, les mesures que vous proposez sont donc disproportionnées par rapport à la réalité de la situation.
Madame Narassiguin, l'exposé des motifs de cette proposition de loi mentionne un « poison » qui « met à mal notre vivre-ensemble ». Or le vivre-ensemble implique de se soumettre, dans les conditions requises et de manière encadrée, à des contrôles d'identité qui oeuvrent à la sécurité publique. C'est d'autant plus vrai que la formation sur la façon de procéder ne cesse de s'améliorer.
Par ailleurs, l'article 2 prévoit que le ministère de la justice établit un rapport annuel indiquant notamment « le nombre de réquisitions prononcées et refusées, les périmètres retenus, les périodes de temps déterminées ». Non seulement ce serait source de lourdeur administrative, mais cela nous exposerait à livrer des informations sensibles à des personnes qui pourraient les utiliser à des fins répréhensibles.
Monsieur Benarroche, le contrôle d'identité permet de lever des doutes dans le cadre de la prévention ou de la lutte contre la délinquance. Nous devons faire confiance à l'appréciation et au discernement des forces de l'ordre. Les réponses figurant dans cette proposition de loi seraient contreproductives et le fait de jeter la suspicion sur les actions de la police détériore le lien entre la police et la population davantage qu'il ne le répare.
Je suis d'accord avec Jacqueline Eustache-Brinio et Henri Leroy sur le caractère indispensable du dispositif encadrant le contrôle d'identité.
Madame Florennes, je partage l'idée que les sondages attestent de l'appréciation générale favorable qu'ont les Français vis-à-vis du travail des forces de sécurité. S'il existait une réelle difficulté, elle transparaîtrait dans les sondages. Il appartient aux écoles de formation de traiter le sujet de la reconnaissance du vécu des personnes contrôlées.
Quant aux émeutes de 2005, qui ont été déclenchées par l'histoire tragique de Zyed Benna et Bouna Traoré, il faut déterminer pourquoi ces jeunes avaient une telle crainte des forces de police. En tout état de cause, le fait d'appuyer un discours mettant en cause de manière systémique les forces de sécurité alimente cette crainte, me semble-t-il infondée, de manière irrationnelle et purement émotionnelle.
Monsieur Kerrouche, je ne doute pas de vos intentions, mais nous ne partageons pas la même analyse sur le postulat de départ. Vous ne remettez pas en cause le contrôle d'identité - tant mieux ! -, mais vous dites vouloir en modifier les pratiques. Nous reprenons des recommandations de la Cour des comptes sur les bonnes pratiques policières dans le cadre de ce rapport et j'espère que vous soutiendrez cette démarche. Nous partageons la même volonté que vous.
Mme Muriel Jourda, présidente. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous appartient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi. Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives au régime juridique et aux conditions de mise en oeuvre des contrôles d'identité.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
Articles 1er, 2, 3 et 4
Les articles 1er, 2, 3 et 4 ne sont pas adoptés.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.