EXAMEN EN COMMISSION

I. AUDITION DE MME ASTRID PANOSYAN-BOUVET, MINISTRE AUPRÈS DE LA MINISTRE DU TRAVAIL, DE LA SANTÉ, DE LA SOLIDARITÉ ET DES FAMILLES, CHARGÉE DU TRAVAIL ET DE L'EMPLOI

(mercredi 21 mai 2025)

M. Philippe Mouiller, président. - Nous allons entendre à présent Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi, sur le projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels (ANI) en faveur de l'emploi des salariés expérimentés et relatif à l'évolution du dialogue social.

Ce texte, dont Anne-Marie Nédélec et Frédérique Puissat sont les rapporteures, est inscrit à l'ordre du jour de la séance publique le 4 juin prochain. Il sera examiné en commission la semaine prochaine, mercredi 28 mai.

Je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.

Madame la ministre, je vous remercie d'avoir accepté l'invitation de la commission des affaires sociales afin de nous présenter ce projet de loi. Vous savez l'importance que nous attachons à la fois au sujet de l'emploi des seniors et au respect des négociations entre les partenaires sociaux. Nous serons donc attentifs au contenu des mesures proposées, mais aussi à leur fidélité aux conclusions du dialogue social. Après votre propos liminaire, les commissaires qui le souhaiteront, à commencer par nos deux rapporteures, pourront vous interroger.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. - C'est un plaisir de vous retrouver aujourd'hui pour présenter le projet de loi portant transposition des ANI signés par les partenaires sociaux le 14 novembre dernier. Ce texte traite de sujets importants, en particulier l'emploi des seniors, qui faisait partie de la négociation « Pacte de la vie au travail », processus qui n'avait pu aboutir au printemps 2024. Il comprend également des mesures issues de la négociation sur l'assurance chômage, qui n'avaient pas été agréées par le gouvernement d'alors et que le Premier ministre Michel Barnier - je tiens à le saluer ici - avait souhaité relancer, car, comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, il croit au dialogue social.

En relançant ce dialogue social, le Gouvernement a fait le choix de la démocratie sociale. Un triple accord a ainsi été conclu le 14 novembre 2024, comprenant deux accords nationaux interprofessionnels, l'un portant sur les travailleurs expérimentés, l'autre sur le dialogue social, sujet qui ne figurait pas dans la feuille de route initiale - mais il arrive parfois que les partenaires sociaux aient l'envie spontanée de se saisir de ces sujets de manière conclusive -, ainsi qu'un avenant au protocole d'accord sur l'assurance chômage de novembre 2023.

L'accord concernant l'emploi et le travail des salariés expérimentés a été signé par les trois organisations patronales et par quatre des cinq organisations syndicales représentatives, la Confédération générale du travail (CGT) faisant exception.

L'ANI relatif au dialogue social a été signé par toutes les organisations syndicales et par deux des trois organisations patronales, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) faisant exception.

L'avenant au protocole sur l'assurance chômage a été signé par les trois organisations patronales et par trois organisations syndicales, la CGT et la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) faisant exception.

Comme je l'ai dit aux partenaires sociaux, je tiens à remercier toutes les organisations, y compris celles qui n'ont pas signé, car les accords sont le fruit de négociations : même quand on ne signe pas, on contribue au texte final.

Sans recueillir l'unanimité, ces trois textes ont suscité un très large accord. Il appartient maintenant au Parlement, et en premier lieu au Sénat, d'en assurer la transposition législative sur la base d'un projet de loi qui, je le rappelle, a fait l'objet de très nombreux échanges avec les partenaires sociaux, y compris les non-signataires, depuis plusieurs mois.

Concernant les travailleurs expérimentés, nous avons largement discuté des enjeux macroéconomiques et humains qui sont derrière cet immense gâchis de compétences et d'envie de travailler. Ce projet de loi s'inscrit donc dans une ambition plus large : changer la loi, mais aussi changer les regards et les pratiques, pour en finir avec le sous-emploi des plus de 50 ans dans notre pays.

Changer la loi, nous allons le faire ensemble ; mais tout ne passe pas par la loi, fort heureusement. L'âge demeure, comme l'a rappelé la Défenseure des droits, le premier motif de discrimination sur le marché du travail, une réalité à laquelle s'ajoutent d'autres formes de discrimination fondées sur le genre, la domiciliation ou l'origine supposée. Les plus de 50 ans ont ainsi trois fois moins de chances d'être recrutés, trois fois moins de chances d'être convoqués à un entretien et deux fois moins de chances, lorsqu'ils occupent un poste dans une entreprise, de bénéficier d'une formation. Ces chiffres sont solidement étayés.

Changer les pratiques, cela passe par un travail de fond. Nous l'avons entamé fin avril en réunissant toutes les parties prenantes : des entreprises, des collectifs d'entreprises, les trois organisations patronales, l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), France Travail, l'Association pour l'emploi des cadres (Apec), le groupement d'intérêt public (GIP) Les entreprises s'engagent. Pour le premier rendez-vous, nous avons réuni 300 DRH au ministère du travail, et nous conclurons cette grande initiative fin juin, lors du séminaire de l'ANDRH à Vannes, où 600 entreprises seront présentes.

Changer les pratiques nécessite aussi un changement de regard. Ce point est extrêmement important eu égard aux nombreux préjugés infondés entourant les travailleurs expérimentés. D'où une campagne de communication déployée à la radio et sur les réseaux sociaux, pour nous inciter à faire le pari de l'expérience.

J'en viens désormais au projet de loi proprement dit.

Nous favorisons le dialogue social en imposant aux branches professionnelles et aux entreprises d'au moins 300 salariés de mener tous les quatre ans des négociations spécifiques. Il est en effet important que le dialogue social, à tous les niveaux, s'approprie les enjeux liés au recrutement, au maintien en emploi, à la santé, à la formation, à la transmission des compétences, ainsi qu'à la gestion de la fin de carrière, qu'il convient d'envisager en France de manière plus flexible. Il s'agit de construire un véritable continuum entre l'activité et le départ à la retraite.

Nous introduisons également un dispositif important : le rendez-vous de mi-carrière, autour de 45 ans. Il associera la visite médicale, qui est déjà obligatoire, à un nouvel entretien professionnel. Ces deux obligations combinées permettront non seulement de mieux prendre en compte les enjeux de santé au travail, mais aussi d'envisager plus globalement les questions de compétences et de qualifications, et ainsi d'aborder plus sereinement la deuxième partie de carrière. L'un des enseignements majeurs tirés de l'expérience des pays d'Europe du Nord, engagés sur la question de l'emploi des seniors depuis les années 2000, est clairement que, pour travailler plus longtemps, il faut s'y prendre plus tôt.

Ce projet de loi apporte aussi une réponse en matière de recrutement des travailleurs expérimentés, en prévoyant, pour cinq ans, l'expérimentation d'un contrat de valorisation de l'expérience destiné aux demandeurs d'emploi de 60 ans et plus. Il s'agit de lever un frein identifié à l'embauche des travailleurs expérimentés âgés de 58 à 60 ans.

En contrepartie de ce contrat à durée indéterminée spécifique dont bénéficieront les salariés, les entreprises disposeront de deux garanties : d'une part, l`assurance de savoir que le salarié partira à la retraite lorsqu'il aura atteint l'âge légal de départ à taux plein ; d'autre part, un avantage financier concret : l'exonération de cotisations sur l'indemnité de mise à la retraite.

Cette mesure, très attendue par les organisations patronales, répond au manque de lisibilité concernant la date de départ à la retraite, perçu comme un obstacle à l'embauche. Bien entendu, si les deux parties, employeur et salarié, souhaitent poursuivre le contrat au-delà de cette date, rien ne les en empêchera.

Ce texte facilite aussi les aménagements de fin de carrière. Derrière les bonnes performances de la Suède ou du Danemark en matière de taux d'emploi des 60-64 ans, il est à relever des taux de temps partiel importants. Cela s'explique par le développement de dispositifs de retraite progressive ou de cumul emploi-retraite. Il est temps de sortir de cette vision très binaire, encore trop présente en France, selon laquelle on serait soit à 100 % en activité soit à 100 % à la retraite.

Nous simplifions le dispositif de retraite progressive sur le plan administratif et nous permettons d'y accéder plus tôt : quatre ans avant l'âge légal de départ à la retraite - c'est-à-dire à 60 ans -, contre deux ans avant actuellement - 62 ans.

Le texte prévoit par ailleurs la possibilité, pour l'employeur d'un salarié qui décide de réduire son temps de travail, de lui verser de manière anticipée tout ou partie de son indemnité de départ à la retraite, afin de compenser partiellement la perte de rémunération.

Enfin, il est proposé d'obliger les entreprises à motiver plus précisément les refus qu'elles sont en droit d'opposer aux demandes de passage à temps partiel dans le cadre d'une retraite progressive. Il ne s'agit pas d'en faire un droit opposable, mais les entreprises devront désormais justifier beaucoup plus rigoureusement leurs refus de recours à ce dispositif.

La retraite progressive reste aujourd'hui très peu utilisé : seules 30 000 personnes en bénéficient, sur 700 000 à 750 000 départs à la retraite chaque année. La publication prochaine du décret simplifiant le dispositif permettra une entrée en vigueur au 1er septembre 2025.

Je précise que la retraite progressive - c'est un point très important, car je sais combien vous y êtes attachés - sera accessible aux salariés du secteur privé comme aux agents des trois fonctions publiques. Et, le cas échéant, l'employeur devra aussi motiver son refus.

Pour ce qui est du dialogue social, le projet de loi retranscrit l'accord dans la loi, notamment en supprimant la limite du nombre de mandats successifs pour les membres élus siégeant dans les comités sociaux et économiques (CSE).

Le cumul des mandats dans le temps, qu'il soit politique ou social, suscite des débats, dans la mesure où l'arbitrage entre liberté de choix et renouvellement, entre continuité et efficacité, est délicat à effectuer. L'idée, qui semblait bonne, de limiter ce cumul, introduite par les ordonnances de 2017, posait aussi des questions très opérationnelles au sein des entreprises - étroitesse des viviers, plans de succession à bâtir pour les responsables syndicaux. Les partenaires sociaux ont trouvé un accord très large pour écarter cette limite.

Concernant l'assurance chômage, les circonstances sont un peu différentes.

Les partenaires sociaux étaient parvenus à un accord en novembre 2023, mais le Gouvernement ne l'avait pas agréé. En octobre 2024, Michel Barnier a demandé aux partenaires sociaux de reprendre la négociation, qui a abouti à un nouvel accord. La convention Unédic a été agréée par le Gouvernement via un décret du 20 décembre 2024 dont la mise en oeuvre va permettre, en régime de croisière, de réaliser 1,5 milliard d'euros d'économies par an - je rappelle que nous avions demandé 400 millions d'euros d'économies supplémentaires par an, sachant que, de surcroît, cet accord améliore les droits des saisonniers et des primo-entrants.

Les chiffres du chômage publiés par l'Insee vendredi dernier montrent une baisse de 0,1 point du taux de chômage sur un an, ainsi qu'une augmentation de 0,1 point sur le dernier trimestre. La situation reste fragile, et les primo-arrivants, qui sont à 65 % des jeunes, se retrouvent particulièrement exposés lorsque les conditions se durcissent. L'abaissement de la durée d'affiliation requise, de six mois à cinq mois, pour les personnes s'inscrivant pour la première fois à l'assurance chômage, permettra de mieux sécuriser leur situation et de mieux les accompagner. Cette mesure est intégrée au projet de loi, car une disposition législative était nécessaire pour l'inclure dans la convention d'assurance chômage.

J'en viens au dernier point, et non des moindres : l'article 10, qui concerne les transitions professionnelles. Avec la ministre Catherine Vautrin, nous avons adressé une lettre aux partenaires sociaux, afin de relancer les négociations sur les dispositifs de transition et de reconversion. Cette question avait fait l'objet d'un accord très partiel au printemps 2024, dans le cadre de la négociation « Pacte de la vie au travail ». Ces dispositions sont extrêmement importantes, compte tenu du contexte économique actuel et des limites des dispositifs existants, qui demeurent trop complexes, insuffisamment lisibles et très perfectibles. De plus, ils sont insuffisamment mobilisés, surtout en période de crise, s'agissant de faire face aux restructurations industrielles ou de mieux répondre à l'usure professionnelle.

C'était une demande forte des partenaires sociaux, tant du côté patronal que du côté syndical. Aujourd'hui, les organisations représentatives sont de nouveau réunies autour de la table, avec la volonté de parvenir à un accord dans des délais raisonnables. Si un tel accord devait être conclu, il pourrait être intégré à ce projet de loi, dans le respect de l'esprit de la transposition et du dialogue avec le Parlement.

Cet article 10 donnera au Parlement la possibilité de débattre sur ce sujet et, s'il le juge nécessaire, d'amender le dispositif pour tenir compte d'un éventuel accord. Le Gouvernement, je le dis ici devant vous, s'engage à déposer un amendement, dans le respect total de l'accord, si celui-ci intervient. En l'absence d'accord, cette disposition d'habilitation sera supprimée.

Nous avons réussi à revitaliser le dialogue social, ce qui est une avancée remarquable. Je sais que le Sénat a une certaine expérience dans cet exercice particulier qu'est la transposition des ANI.

Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Merci, madame la ministre, pour ces échanges et pour votre écoute tout au long de nos travaux.

Lors des auditions que nous avons menées, les partenaires sociaux se sont montrés satisfaits de la transcription fidèle de leurs accords dans le projet du Gouvernement. Telle est la ligne que nous comptons suivre, même si un petit sujet reste pendant - je veux parler de l'article 10.

Les organisations syndicales placent beaucoup d'espoir dans les deux premiers articles, qui concernent la négociation obligatoire sur l'emploi et le travail des salariés expérimentés. Il s'agit d'un vrai levier pour la diffusion des dispositifs de retraite progressive et de temps partiel en entreprise, avec pour objectif le maintien dans l'emploi. À ce propos, nous avons noté une réelle prise de conscience des réalités démographiques et une réelle volonté d'avancer - or là où il y a une volonté, en principe, il y a un chemin...

Pour autant, l'ambition du Gouvernement d'augmenter de 26 points le taux d'emploi des 60-64 ans à l'horizon 2030 est-elle réaliste ? Et comment l'État peut-il accompagner les branches et les entreprises sans interférer dans leurs négociations ?

L'article 9 vise à appliquer l'unique mesure de la convention d'assurance chômage du 15 novembre 2024 qui n'a pu être agréée, faute de base légale : l'assouplissement des conditions d'affiliation pour les demandeurs n'ayant jamais bénéficié d'une ouverture de droits au cours des vingt dernières années, c'est-à-dire les primo-arrivants - essentiellement des jeunes, mais aussi certains seniors récemment licenciés. La convention prévoit un dispositif similaire pour les travailleurs saisonniers, indispensables à nos territoires, notamment dans les secteurs agricole et touristique. Mais certains contournent le système en alternant volontairement périodes d'activité et d'inactivité, au détriment de la collectivité. Vos services reconnaissent que ces excès ne sont pas anecdotiques. Quelles actions sont envisagées pour y remédier ? La règle est-elle amenée à évoluer ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Je rejoins entièrement Anne-Marie Nédélec sur les enseignements tirés de nos travaux. Je poserai simplement trois questions.

La première est plutôt un clin d'oeil à notre ancien collègue René-Paul Savary, qui avait beaucoup bataillé pour défendre le « CDI senior » lors de l'examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023. À l'époque, le Gouvernement avait rejeté ce dispositif, avançant un coût estimé à 800 millions d'euros.

Dans le présent texte, il est question d'un contrat de valorisation de l'expérience, qui n'est pas tout à fait identique au « CDI senior ». Or l'étude d'impact ne fournit aucun chiffrage de ce nouveau contrat. A-t-on surestimé le coût à l'époque ? Celui-ci ne coûtera-t-il rien ? Ou est-il difficile à évaluer ? Quoi qu'il en soit, je tiens à rendre hommage au travail de notre ancien collègue en faveur d'un contrat qui n'avait pas vu le jour, puisqu'il avait été censuré par le Conseil constitutionnel comme cavalier social...

Ma deuxième question porte sur l'article 3, qui articule la visite médicale de mi-carrière et l'entretien professionnel, à 45 ans, et prévoit également l'organisation d'un entretien professionnel deux ans avant le soixantième anniversaire du salarié. Ces dispositifs sont intéressants, mais, lors de nos auditions, il nous a été fait part, d'une part, de la pénurie de médecins du travail, et, d'autre part, du fait que certains employeurs n'organisent pas systématiquement les entretiens. Ce très bon article pourra-t-il réellement être opérationnel dans ce contexte ?

Ma troisième question a trait à l'article 10, qui soulève deux problèmes.

D'une part, il autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnance, ce qui dépossède le Parlement de ses prérogatives.

D'autre part, ce projet de loi vise à retranscrire des accords nationaux interprofessionnels : nous vous croyons sur parole lorsque vous nous dites qu'un tel ANI va intervenir sur le sujet visé à l'article 10. Mais le calendrier soulève une difficulté. Le texte sera examiné au Sénat le 4 juin, avant d'être transmis à l'Assemblée nationale, tandis que les partenaires sociaux se sont engagés à conclure un accord d'ici au 15 juin. Or vous avez indiqué, madame la ministre, que l'article 10 serait remplacé par la transcription de cet accord. Cela signifie qu'elle serait faite par amendement à l'Assemblée nationale et que le Sénat ne se sera pas prononcé sur ce point, ce qui pose problème.

Nous souhaitions donc vous exposer notre position : nous ne voulons pas freiner la dynamique du dialogue social, surtout dans un contexte politique tendu. Néanmoins, chacun comprendra qu'on ne saurait ni déposséder le Parlement de ses prérogatives, en procédant par ordonnance, ni priver le Sénat de sa capacité à examiner une réforme importante.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Malgré tout, il y a de bonnes nouvelles : le taux d'activité et le taux d'emploi des seniors, notamment des 60-64 ans, sont en progression ; nous sommes désormais dans la moyenne européenne pour les 50-64 ans et un point au-dessus pour les 55-59 ans. Le taux d'emploi des 55-64 ans s'établit à 61,5 % selon les derniers chiffres consolidés par l'Insee la semaine dernière, en progression de 1,9 point sur un an.

Autrement dit, les choses avancent, notamment grâce aux réformes de 2010 et de 2023 et par l'effet « horizon » lié au recul de l'âge de départ à la retraite, mais aussi aux nouvelles réalités démographiques : les entreprises veulent travailler plus activement sur le maintien en emploi des seniors, selon de nombreux témoignages à ce sujet. Nous travaillons sur le dialogue au niveau des branches et de l'entreprise, et sur l'engagement à organiser un entretien à mi-carrière. J'entends tout à fait les difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises à cet égard. Madame Puissat, j'ai demandé à l'inspection générale des affaires sociales (Igas) de réfléchir à des méthodes innovantes pour la médecine du travail, en lien avec les services de prévention et de santé au travail.

Bien sûr, madame Nédélec, c'est un travail de longue haleine. Je ne pense pas que nous puissions augmenter le taux d'activité des séniors de 26 points en moins de cinq ans. Même si le rythme est soutenu - nous avons connu une hausse de près de deux points en un an -, cela prend du temps parce que l'on continue d'évoluer, depuis quarante ans - les premières préretraites datent de Raymond Barre -, dans un imaginaire collectif français en vertu duquel, passé un certain âge, on n'a plus tout à fait sa place dans l'entreprise. Il est donc nécessaire d'avancer sur le terrain législatif, sur le terrain des pratiques et sur le terrain des regards.

À la différence du contrat de valorisation de l'expérience, le CDI senior supprimait la cotisation famille. On estimait son coût à 800 millions d'euros en raison de cette suppression, mais aussi en se fondant sur l'hypothèse que l'ensemble des seniors basculeraient dans ce contrat. Je vous rassure : le contrat de valorisation de l'expérience n'aura ni ce niveau d'ambition ni cet impact financier. Il n'exonère que de la contribution patronale sur l'indemnité de mise à la retraite. Son coût est estimé à 123 millions d'euros. En plus de l'exonération, les organisations patronales demandaient surtout de la lisibilité sur la date potentielle de départ et souhaitaient bénéficier d'une option leur permettant de se séparer du salarié une fois atteint l'âge du départ à la retraite à taux plein. C'est important et c'est une sécurité pour nos salariés.

Pour ce qui est de l'article 10, nous sommes tous conscients des limites et de la complexité des dispositifs de reconversion existants. Il existe deux types de dispositifs.

Il y a tout d'abord ceux qui sont à la main des salariés, notamment le projet de transition professionnelle, qui concerne entre 20 000 et 30 000 salariés par an, dont un tiers reste dans la même entreprise. Un nombre significatif de ces projets concerne plutôt de jeunes salariés, ayant une formation initiale développée, non nécessairement visés, d'ailleurs, par des restructurations économiques, et non nécessairement orientés vers les besoins de recrutement et les métiers en tension.

Ensuite, deux types de contrats de reconversion sont à la main des entreprises : Transco (Transitions Collectives) et Pro-A (reconversion ou promotion par alternance). Transco est l'exemple qui est pris systématiquement pour se féliciter de la reconversion des salariés de l'automobile dans le Nord, au bénéfice d'une entreprise de batteries électriques qui recrutait à proximité. Je pourrais citer également la reconversion de salariés d'entreprises du nettoyage ou de la grande distribution vers les services d'accompagnement aux personnes âgées, mais c'est à peu près tout : ce sont là les trois seuls exemples d'utilisation de ce dispositif, dont ont bénéficié environ 1 000 salariés depuis 2019, alors qu'il pourrait vraiment fonctionner à condition d'être considérablement simplifié. Il faudrait que la première entreprise, qui doit restructurer, s'engage à maintenir le salaire de ses salariés plutôt que de les faire partir par le biais d'un plan social assorti d'un chèque, tandis que la seconde entreprise, qui a besoin de recruter, s'engagerait à former ces personnes, via des formations courtes et professionnalisantes, puis à les recruter.

Nous devons considérablement simplifier Transco et Pro-A pour répondre véritablement aux besoins des syndicats, des employeurs et surtout des salariés. Le besoin est d'autant plus criant qu'il y a urgence. Les partenaires sociaux, de l'UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie) à la CGT, nous ont demandé de réunir tout le monde autour de la table. Je suis très respectueuse des débats du Parlement, et je veux trouver à cet égard la meilleure issue possible. Nous avons bien travaillé, avec les partenaires sociaux et avec les parlementaires, pour transposer l'accord national interprofessionnel relatif aux accidents du travail et aux maladies professionnelles (AT-MP) dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Dans le même esprit, je m'engage devant vous, si un accord est signé sur les reconversions professionnelles, à le transposer le plus fidèlement possible en lien avec les rapporteures du Sénat et avec tous ceux qui voudront travailler avec nous, en très bonne intelligence et dans un esprit constructif, afin que nos entreprises et nos salariés puissent en bénéficier dès septembre.

Mme Pascale Gruny. - J'apprécie le changement de regard : cela fait vingt ans que j'entends parler de l'emploi des seniors - même si le dispositif a changé de nom -, que ce soit au Parlement, au Parlement européen ou dans mon entreprise, où l'on devait remplir des documents qui ne servaient à rien... Avec René-Paul Savary, j'avais dit aux organisations patronales qu'à défaut d'un vrai changement de leur part en matière d'emploi des seniors notre loi sur les retraites ne servirait pas, ou ne servirait que peu.

Le rapport de la Cour des comptes démontre la persistance d'une réelle faiblesse sur l'emploi en général, tant chez les jeunes que chez les seniors,...

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Tout à fait.

Mme Pascale Gruny. - ... même si l'on note, pour ce qui est de ces derniers, une certaine amélioration.

L'article 1er prévoit une obligation de négocier sur l'emploi et le travail des salariés expérimentés ; mais comment justifier que l'accès à la formation ne fasse pas partie des thèmes obligatoires de la négociation ? La formation permet le maintien dans l'emploi, avant même de parler d'embauche de personnes expérimentées.

On observe un léger ressaut d'entrée au chômage trois ans avant l'âge légal de départ à la retraite. Ce sujet pourrait s'expliquer, selon la Cour des comptes, par un comportement stratégique visant à utiliser la filière senior de l'assurance chômage, qui prévoyait une durée maximale d'indemnisation allongée à trois ans avant le 1er février 2023, comme un sas avant le départ à la retraite. Cet allongement de la durée maximale d'indemnisation est ouvert à partir de 55 ans, contre 53 ans auparavant. Le contrat de valorisation de l'expérience proposé à l'article 4, quant à lui, est ouvert pour les demandeurs d'emploi de 60 ans et plus, voire de 57 ans et plus si un accord de branche le prévoit. Pourquoi ne pas ouvrir l'accès à ce contrat dès 55 ans, soit l'âge minimal d'accès à la filière senior de l'assurance chômage, pour mettre fin à ce phénomène de sas ?

Mme Corinne Bourcier. - Une des mesures prévues concerne l'accès au temps partiel en fin de carrière, dès 60 ans, avec possibilité d'un maintien total ou partiel de la rémunération par l'affectation de l'indemnité de départ à la retraite. Pourriez-vous nous donner davantage de précisions à ce sujet ? Tous les salariés ne bénéficient pas d'une prime de départ à la retraite et son versement est de toute façon soumis à conditions, ce qui peut se traduire par des sommes peu importantes.

M. Daniel Chasseing. - Je me réjouis des propositions faites par les partenaires sociaux et par Michel Barnier quand il était Premier ministre. Il était anormal qu'en France 38 % seulement des 60-64 ans soient en activité, contre 68 % en Allemagne ou en Suède. L'augmentation sensible de leur taux d'activité va dans le bon sens ; elle répond au souhait des seniors. Si un travail approfondi sur le sujet avait été réalisé avec les partenaires sociaux et avec le Sénat avant la réforme sur les retraites, il y aurait peut-être eu moins de mobilisation contre cette réforme.

La possibilité de bénéficier à partir de 60 ans d'un temps partiel ou d'une retraite progressive va également dans le bon sens, comme tous les dispositifs de fin de carrière. Je me réjouis aussi de la valorisation de l'expérience, bien que le dispositif proposé soit non pas un véritable CDI senior, mais une simple exonération de la contribution patronale sur l'indemnité de mise à la retraite.

L'article 5 est important : les entreprises seront obligées de motiver leur refus d'un passage à temps partiel.

Je m'interroge sur un sujet qui ne figure pas dans ce projet de loi : certaines personnes veulent partir à la retraite tout en continuant à travailler, mais elles se voient imposer un temps de carence de six mois, voire de plus d'un an dans le secteur des transports, avant de pouvoir reprendre une activité.

Mme Raymonde Poncet Monge. - En tant que parlementaires, nous allons voter sur un paquet global, c'est-à-dire sur un ensemble d'accords. J'aurais préféré des votes séparés sur chaque transposition d'ANI - comme la démocratie sociale le permettait -, pour le cas où nous aurions des désaccords. Nous devons nous prononcer sur un regroupement de dispositions assorti même dans ce paquet cadeau... d'une surprise : l'article 10. C'est insatisfaisant.

Faut-il s'effacer devant la démocratie sociale ? Certaines organisations n'ont pas signé les accords. Tous les syndicats étaient d'accord pour transposer l'accord AT-MP, mais c'est l'intervention d'un autre tiers, à savoir les associations, qui a fait que nous avons repris, à juste titre, cette transposition : voilà une expérience où la démocratie politique, parlementaire, a résolu un problème en faisant intervenir des acteurs non invités à la négociation. Je suis attachée aux organisations syndicales, mais celles-ci ont un biais : elles représentent ceux qui travaillent, mais elles défendent très mal l'intérêt des chômeurs. Or le contrat dont il est question concerne les demandeurs d'emploi. Nous aurions pu entendre les associations qui représentent ces derniers, afin de bénéficier d'un point de vue différent, comme cela fut le cas lors des débats sur les prestations AT-MP en cas d'invalidité.

Chaque accord a des aspects positifs : ainsi, dans l'ANI relatif au dialogue social, le fait de renoncer à limiter les mandats dans le temps. Je suis favorable à la limitation dans le temps des mandats politiques ; mais, en l'espèce, les syndicats seuls se voyaient imposer une telle limitation, ce qui n'était pas juste au regard du temps nécessaire pour s'approprier des notions que la partie patronale connaît par définition.

Tant mieux qu'il y ait désormais l'obligation de négocier de nouveau à intervalles réguliers sur l'emploi des salariés expérimentés ! Nous rétablissons ce qui a été supprimé par les ordonnances de 2017.

Idem pour le passage de six mois à cinq mois de la durée minimale d'affiliation à l'assurance chômage, qui avait été auparavant réduite à quatre mois. Nous avons fait deux pas en arrière et un pas en avant. À l'époque, nous avions alerté sur les saisonniers. Il faut mieux entendre les syndicats et, au Parlement, mieux entendre l'opposition. Y compris lors du débat sur les retraites, nous avions dit que nous préférions la retraite progressive, dispositif mis en sommeil, au cumul emploi-retraite, qui accroît le volume de travail.

Il ne s'agit pas que d'une affaire de regard ou d'imaginaire : en France, nous avons un problème de sous-performance en matière de conditions de travail - c'est le « mal-travail ». Comparons-nous avec nos voisins européens : l'Allemagne emploie davantage de seniors, mais qu'en est-il de leurs conditions de travail ?

La direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) estime que, de 1984 à 2016, la proportion d'ouvriers exposés à au moins trois contraintes physiques dans leur travail est passée de 21 % à 64 %. Il en est de même pour les contraintes liées aux rythmes, à l'intensification ou à l'absence d'autonomie dans nos organisations.

Les personnes partent parce qu'on n'améliore pas les conditions de vie au travail ; l'inaptitude est la voie de sortie. Quand signera-t-on un accord sur la pénibilité ? Quand débattrons-nous des quatre critères de pénibilité qui ont été supprimés ? Quand mesurerons-nous les conséquences de la suppression des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ?

Vous estimez que le nouveau contrat de valorisation de l'expérience coûtera 123 millions d'euros d'exonérations à la sécurité sociale. Le Gouvernement s'engage-t-il à compenser ce manque à gagner ou s'agira-t-il d'une niche sociale non compensée ? À supposer qu'elle soit compensée, je vous rappelle que vous atteignez d'ores et déjà le ratio maximal prévu par la loi de programmation des finances publiques. Le rapport entre le montant des niches sociales et le total des recettes des régimes devant rester inférieur à ce ratio, vous ne pourrez plus augmenter les exonérations sans en supprimer...

Nous disposons déjà de dispositifs performants - Territoires zéro chômeur de longue durée, parcours emploi compétences - qui permettent l'embauche, plus qu'ailleurs, de personnes de plus de 50 ans ; mais ces programmes sont menacés par les restrictions budgétaires. Ne les fragilisons pas ! Le contrat de génération, qui résolvait d'un même mouvement les problèmes du maintien en emploi des seniors et du taux d'emploi des jeunes, a été supprimé. Pourquoi ne pas le rétablir ?

Mme Laurence Muller-Bronn. - Vous avez évoqué une croissance de 1,9 point du taux d'emploi des seniors en CDI, confirmé par l'Insee. Les chiffres par genre sont-ils disponibles ? Souvent, les femmes ont des carrières incomplètes et sont obligées de reprendre un emploi pour travailler, in fine, plus longtemps que les hommes. Elles sont souvent à temps partiel : j'irai presque jusqu'à parler de misère féminine...

On observe, en Suède, en Norvège ou en Allemagne, qu'à partir du moment où l'on a retardé l'âge de départ à la retraite le montant des pensions a baissé, car les reprises sont partielles ; ce montant est en moyenne très inférieur à celui des pensions françaises.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Je salue votre regard pragmatique et votre volonté d'avancer sur des sujets importants. On peut toujours dire que ce n'est pas assez, mais je préfère voir le verre à moitié plein, sans naïveté aucune...

Quelles sont les principales causes expliquant que les salariés expérimentés soient mis à l'écart du marché du travail ? Comment le Gouvernement évaluera-t-il l'efficacité de ce texte sur le long terme ? Une clause de revoyure est-elle prévue ?

La transposition des ANI dans la loi constitue une reconnaissance forte du rôle des partenaires sociaux. Cette méthode doit-elle devenir la norme dans la fabrique du droit social ?

Quelle articulation est prévue avec France Travail ?

Mme Annie Le Houerou. - Je me félicite du travail des partenaires sociaux : nous sommes attachés au dialogue social.

La progression de 1,9 point du taux d'emploi des seniors est une augmentation en trompe-l'oeil, car elle n'est que la hausse mécanique de l'emploi liée au report de l'âge de départ à la retraite : elle n'est pas due à des mesures spécifiques relatives à l'emploi des seniors. Si le taux d'emploi des seniors augmente, la proportion de seniors qui sont sans emploi ou en arrêt maladie ou de longue maladie augmente également...

L'article 10 nous pose quelques difficultés : il prévoit de légiférer par ordonnance, sans, donc, que le Parlement soit saisi.

Vous parlez de faire le pari de l'expérience. Quelle serait la définition du salarié expérimenté ?

Quelles mesures prévoyez-vous pour l'emploi des seniors dans les entreprises de moins de 300 salariés et dans les TPE, et avec quel accompagnement ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Merci de vos réponses. Même si ce texte ne nous satisfait pas pleinement, nous devons trouver des solutions qui ne soient pas au détriment des salariés. Vous connaissez notre attachement à ce que les salariés travaillent dans de bonnes conditions.

Je suis inquiète : l'Insee, dans son rapport de 2024 sur la situation des seniors sur le marché du travail, estime qu'un tiers des 55-61 ans sont privés d'emploi et que 21 % d'entre eux ne sont ni à la retraite ni en emploi, en grande partie pour des raisons de santé.

On ne parle pas de la même chose selon que l'on considère la situation d'un employé de banque ou d'un égoutier, même si le premier peut faire un burn-out... Les conditions de travail ne sont pas les mêmes et la pénibilité est beaucoup plus lourde à supporter chez le second.

L'article 10 me pose problème : je ne comprends pas que l'on puisse demander à légiférer par ordonnance en cette matière - ce n'est pas la solution. Nous, parlementaires, devons être associés aux décisions. Ne peut-on pas revenir sur cet article 10 ?

Les salariés des petites entreprises pourraient être exclus de ces avancées : il n'y a pas assez de mesures contraignantes pour les petites entreprises. Comment faire évoluer les choses ?

Je regrette par ailleurs l'absence d'objectifs quantitatifs relatifs au maintien dans l'emploi des seniors ; il faudrait en prévoir.

M. Olivier Henno. - Je ne reviens pas sur l'article 10 : je partage les remarques qui ont été faites par mes collègues à ce propos.

Je salue l'importance du paritarisme et du dialogue social, qui fonctionnent et qui participent à l'apaisement du pays - nous en avons la preuve aujourd'hui. Cela veut dire, pour les parlementaires et pour les pouvoirs publics, qu'il faut savoir lâcher prise. Si le dialogue social connaît une issue favorable, c'est une bonne chose ! Ainsi fonctionne le modèle rhénan.

Nous vivons une révolution culturelle tranquille dans les entreprises. Durant les années 1990-2000, les seniors étaient toujours la variable d'ajustement, avec les fameuses conventions FNE (Fonds national de l'emploi). Cela arrivait très vite, à 55 ans, voire à 50 ans. Les choses évoluent profondément, peut-être sous l'effet de la robotisation : des métiers sont devenus moins pénibles physiquement. Pour l'avenir, on peut s'interroger sur le temps partiel, mais aussi sur la multiactivité. Qu'en pensez-vous ?

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Madame Gruny, un certain nombre d'entreprises s'engagent à publier des indicateurs sur le recrutement, la formation, la promotion et les mobilités internes. À la faveur de cette initiative lancée par le Club Landoy, à l'origine un club de grandes entreprises, et relayée par « Les entreprises s'engagent » ou par le club de l'ANDRH, on compte désormais 600 entreprises, dans tous les territoires, qui s'engagent à mesurer ces critères.

La formation ne fait pas partie des sujets de discussion au niveau des entreprises ou des branches, conformément à la décision prise par les partenaires sociaux. On peut le regretter, mais tel est l'équilibre qui a été trouvé.

Les partenaires sociaux ont négocié, pour l'assurance chômage, un décalage de deux ans des bornes d'âge des mesures seniors : nous sommes passés de 53-55 ans à 55-57 ans. Le contrat de valorisation n'est ouvert qu'à partir de 57 ans : lorsqu'on entre au chômage à 55 ans, on peut bénéficier de vingt-quatre mois d'allocation, ce qui permet ensuite d'accéder, éventuellement, à un contrat de valorisation. Je comprends votre question, car on pourrait tout à fait éviter de passer par cette case « chômage » pour basculer directement dans le contrat de valorisation, mais voilà ce qui a été négocié entre les partenaires sociaux.

Pour ce qui concerne les retraites progressives et le temps partiel, madame Bourcier, nous voulons permettre aux salariés de travailler entre deux et quatre jours par semaine tout en commençant à toucher leurs droits à la retraite. Ce dispositif est très concret : c'est ainsi que les choses fonctionnent dans de nombreux pays d'Europe du Nord, lesquels ont une longueur d'avance sur nous en matière de taux d'activité des seniors. Cette mesure correspond également à une demande forte d'une partie de nos travailleurs de plus de 60 ans ; je pense notamment aux aidants familiaux, sujet sur lequel votre commission a travaillé. Il s'agit de stabiliser le pouvoir d'achat en permettant le cumul des deux types de revenus, tout en gagnant en flexibilité.

Monsieur Henno, les révolutions les plus durables sont souvent celles qui se font à bas bruit. Il est beaucoup question du taux d'activité des seniors, mais l'idée est aussi d'imaginer la fin de carrière comme un continuum d'activité. Certains ont envie de poursuivre une activité et s'y épanouissent ; d'autres veulent être dans la transmission ; d'autres encore ne peuvent pas, en raison notamment de problèmes de santé. Il faut donc pouvoir imaginer les fins de carrière de manière hétérogène.

Monsieur Chasseing, le délai de carence de six mois s'applique lorsque les salariés restent sur un poste identique, afin d'éviter un effet d'aubaine consistant pour les employeurs à inciter des salariés qui auraient pu continuer de travailler à passer en cumul emploi-retraite... Ce délai de carence est souvent mal compris. Des réflexions sont en cours au sein de la délégation paritaire permanente sur les retraites pour voir comment limiter cet effet d'aubaine.

Madame Poncet Monge, il n'y a pas de pochette surprise ! Les accords ont été signés par de nombreuses organisations syndicales. Et je me suis engagée à transposer l'accord qui serait conclu sur le sujet visé à l'article 10. On le voit avec le travail réalisé dans le PLFSS sur les AT-MP comme avec le présent projet de loi : nous voulons une transposition législative fidèle des accords nationaux interprofessionnels, réalisée en lien avec les partenaires sociaux et avec les parlementaires.

Je suis tout à fait d'accord avec vous : la santé et les conditions de travail sont au coeur du maintien en emploi des seniors. Une étude de France Stratégie montre que 35 % des ouvriers non qualifiés de la manutention du BTP partent entre 51 et 59 ans en retraite anticipée pour inaptitude professionnelle. Tel est le cas aussi de 25 % de nos aides à domicile et de 18 % de nos aides-soignantes. Il est donc nécessaire d'anticiper en milieu de carrière : il est des métiers usants qu'il n'est pas raisonnable d'exercer toute une vie. Il est indispensable à la fois de dresser un bilan de santé, d'aménager les postes et d'envisager les reconversions. Si les reconversions étaient facilitées - tel est précisément l'objet du fameux article 10 -, on pourrait envisager plus sereinement les deuxièmes parties de carrière.

Les partenaires sociaux vont justement commencer à négocier sur la pénibilité dans le cadre de la délégation paritaire permanente, sous la houlette de M. Marette. Nous quittons une vision individualisée de ce sujet pour aller vers une meilleure prise en compte des pénibilités ergonomiques qui touchent notamment les métiers des services et les métiers féminisés.

La Dares va réaliser au mois de septembre une évaluation du dispositif Territoires zéro chômeur de longue durée - je sais, madame Poncet Monge, combien vous appréciez ces évaluations. Nous pourrons, si vous le voulez, discuter des contrats de génération, des parcours de contrats aidés, et de l'impact du chômage sur les seniors. Les résultats n'ont pas nécessairement été à la hauteur des attentes, et le temps nous est compté : nous pourrons en reparler.

Madame Muller-Bronn, le sujet des femmes est essentiel, mais nous manquons de données. Le rapport sur les seniors distingue le taux d'activité des hommes de celui des femmes, mais sans précision par tranche d'âge. Or les femmes, après 50 ans, sont davantage « invisibilisées » sur le marché du travail.

Je précise que le taux de chômage des plus de 50 ans a baissé d'un point depuis 2019, et est quasiment stable depuis un an. Sur la même période, on observe une augmentation de 1,9 point du taux d'emploi des plus de 50 ans. « Le réel, c'est quand on se cogne », disait Lacan. En l'occurrence, les choses sont un peu différentes de ce que l'on pourrait imaginer : on assiste actuellement à un maintien en emploi et à une stabilité, et non à une augmentation, du taux de chômage des plus de 50 ans.

Madame Romagny, nous avons débattu des causes : santé, préjugés... Comment évaluer l'efficacité ? Je vois un seul indicateur : le taux d'emploi. On peut penser également au taux d'activité et au taux de départ pour inaptitude.

Mme Raymonde Poncet Monge. - C'est un très bon indicateur !

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Cette dernière donnée me semble en effet un bon indicateur pour mesurer la prise en compte des conditions de travail, des métiers exposés et des sujets de santé.

Je crois au dialogue social, surtout dans un contexte politique fracturé qui épargne le Sénat, mais qui touche beaucoup l'Assemblée nationale. Ce dialogue social donne une légitimité et une force qui permettront, je l'espère, des discussions plus apaisées.

Merci de m'avoir posé une question sur France Travail, qui est en train de s'organiser pour mieux appréhender les demandeurs d'emploi expérimentés, selon une approche différente de celle qui s'applique aux demandeurs d'emploi plus jeunes. Ces personnes doivent souvent faire le deuil, parfois en raison d'une inaptitude professionnelle, d'une tâche qu'elles ont longtemps exercée. Notre approche est à la fois individuelle et collective : la personne doit prendre conscience qu'elle n'est pas seule dans cette recherche d'emploi qui peut durer deux fois plus longtemps que pour les 21-49 ans. Il faut ne pas se décourager, conserver de l'estime de soi, faire le deuil de ce que l'on a pu connaître pour envisager le champ des possibles, définir ensuite un projet beaucoup plus personnalisé.

C'est précisément ce sur quoi est en train de travailler France Travail : une expérimentation déployée en Île-de-France, « Atout Senior », sera élargie à partir de janvier 2026. Elle vise à définir d'abord, lors d'entretiens collectifs ou individuels, un projet personnalisé. Ensuite, la personne suit une formation théorique courte, de quatre mois intensifs, trente-cinq heures par semaine avec des devoirs à la maison le week-end, en vue d'occuper un poste dans un métier en tension - je pense aux métiers de la rénovation énergétique, à ceux de la tech pour les femmes de plus de 50 ans, ou encore à certains métiers du tertiaire, gestionnaire de paie, comptable, pour lesquels la demande est forte. S'ensuivent deux à quatre mois d'application pratique en entreprise. Ce dispositif permet un taux de réinsertion dans l'emploi à six mois de 85 %.

M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie, madame la ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page