Chapitre II : Encourager l'émergence de médecins
en combattant la fuite des cerveaux

Article 2
Réintégrer dans les études de médecine les étudiants français inscrits dans la même filière dans un autre État de l'Union européenne

Cet article propose que soient définies par un décret en Conseil d'État les conditions d'accès à la formation de médecine des étudiants français inscrits dans la même filière, avant la promulgation de la loi, dans un autre État membre de l'Union européenne, un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, la Confédération suisse ou la Principauté d'Andorre.

La commission a adopté cet article sans modification.

I - Le dispositif proposé

A. Une expatriation problématique d'une partie des étudiants français suivant une formation de médecine en Europe

1. Un phénomène difficile à quantifier, motivé par la forte sélectivité de l'accès au premier cycle des études de médecine

En France, l'accès au premier cycle des études médiales est marqué par une forte sélectivité et un taux d'échec important. Cette situation engendre un phénomène d'expatriation d'une partie des étudiants dans d'autres pays européens pour y suivre un cursus de médecine équivalent.

· Ce phénomène, s'il est connu, demeure pourtant très mal appréhendé. L'absence de chiffres officiels sur le nombre d'étudiants concernés est, à ce titre, significatif. Si le ministère de la santé et le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche n'avancent aucune estimation41(*), des chiffres sont ponctuellement relayés par les médias ou la presse spécialisée42(*). Dans son rapport sur l'accès aux études de santé, la Cour des comptes estimait à 10 % environ la proportion des étudiants n'ayant pas accédé en France aux formations de médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie (MMOP) après leurs années d'accès aux études de santé - dont 81 % étaient passés par un parcours « accès santé spécifique » ou Pass - et poursuivant ces études à l'étranger, ce qui représente un contingent d'environ 1 600 étudiants chaque année43(*).

Le sondage réalisé par la Cour des comptes met en exergue deux motivations principales des étudiants : une plus grande facilité d'accès aux études de santé, et le sentiment d'un système plus équitable et plus lisible que le système français.

La réforme de l'accès au premier cycle des études de médecine
et la suppression du numerus clausus en 2020 n'ont pas atténué
la fuite des étudiants français hors du territoire national

En France, l'accès aux études de médecine après le baccalauréat est régi par une procédure de sélection exigeante.

Jusqu'en 2020, le système de la première année commune aux études de santé (Paces) conduisait à un taux d'échec élevé, de l'ordre de 67 %44(*) des étudiants d'une promotion. Jugé excessivement concurrentielle, la Paces a été supprimée en 2020 avec le numerus clausus.

À partir de 2020, les nouvelles modalités d'accès qui s'y sont substituées ont permis une augmentation de 11 % du nombre d'admis, entre 2020 et 2023, pour l'ensemble des filières de MMOP, et une hausse de 18 % pour la seule filière de médecine.

Pour autant, la réforme de l'accès au premier cycle des études de MMOP inscrite dans la loi dite OTSS du 24 juillet 201945(*) et mise en oeuvre dès 2020 n'a pas permis d'enrayer le phénomène d'expatriation européenne des étudiants français. La Cour des comptes relève que si « cette mobilité s'inscrit [...] dans le contexte de la reconnaissance des qualifications professionnelles au sein de l'Union européenne », « elle nuit à l'égalité des chances » en entretenant un système de double cursus qui ne profite ni aux étudiants ni au système de santé français46(*).

· L'Espagne, la Roumanie et la Belgique figurent parmi les destinations privilégiées des étudiants. Le Portugal enregistre également un nombre croissant d'étudiants en santé français expatriés. Ces pays ont opté pour un accès direct aux études de médecine après le baccalauréat, sans filtre sélectif. Certains pays, comme l'Espagne, ont même développé des filières organisées visant à accueillir les étudiants français en leur assurant l'intégralité des cours en langue française.

Le nombre d'étudiants français suivant une formation en médecine ou en odontologie en Espagne a ainsi augmenté de 30 % entre 2019 et 2022, pour atteindre un effectif de 2 436 en 2022. Cette hausse est principalement portée par la filière odontologie, qui représente 95 % de l'effectif. Ces étudiants, au nombre de 13 en 2008, étaient 2 310 en 2022.

Évolution du nombre d'étudiants français en médecine et en odontologie
en Espagne, de 2019 à 2022

Source : Commission des affaires sociales, d'après les données de la Cour des comptes47(*)

1. Un principe d'équivalence des diplômes européens qui autorise l'exercice en France des praticiens diplômés dans l'Union européenne

a) Un principe d'équivalence des diplômes européens permettant l'exercice de la médecine en France

Le principe d'équivalence des diplômes au sein de l'Union européenne est fixé par la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans un État membre de l'Union européenne, un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, la Confédération suisse ou la Principauté d'Andorre.

· En vertu du principe d'équivalence des diplômes européens, les étudiants partis suivre des études de médecine dans un autre État de l'Union européenne ont aujourd'hui la possibilité de réintégrer le cursus français à chaque étape du parcours, c'est-à-dire en premier, deuxième ou troisième cycle des études.

Ils ont ainsi la possibilité de réintégrer le cursus de médecine :

- en deuxième ou troisième année du premier cycle, en accédant aux épreuves dédiées dans le cadre d'une demande de transfert d'universités, après avoir validé l'équivalent d'un premier cycle dans un autre pays européen, ou lorsqu'ils sont titulaires de certains grades, titres ou diplômes, en application de l'article R. 631-1-4 du code de l'éducation ;

- en quatrième année c'est-à-dire au début du deuxième cycle, sous réserve d'une décision du président de l'université d'accueil, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 631-21-1 du code de l'éducation48(*) ;

- en sixième année, pour l'accomplissement du troisième cycle, sous réserve de se soumettre aux épreuves nationales correspondantes49(*).

Pour l'accès au troisième cycle des études de médecine, les épreuves nationales d'évaluation des connaissances et des compétences prennent la forme d'épreuves dématérialisées et d'examens dénommés examens cliniques objectifs structurés qui se déroulent au cours de la troisième année du deuxième cycle50(*). Pour pouvoir être affectés dans une subdivision et une spécialité, ils doivent obtenir une note minimale à ces épreuves et attester de la validation d'une formation médicale de base au sens de la directive précitée 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005.

· De même, les étudiants formés dans un autre pays européen et ayant validé un titre ou diplôme reconnu équivalent au troisième cycle des études de médecine français peuvent solliciter leur inscription à l'ordre et exercer en France.

Le nombre de médecins diplômés à l'étranger exerçant en France n'a d'ailleurs cessé de progresser ces dernières années. Il atteint 13,6 %du nombre de médecins en activité en 2025, toutes spécialités confondues. Parmi eux, 5,6 % étaient diplômés dans un pays tiers de l'Union européenne51(*), sans que ce taux ne permette d'identifier la proportion de diplômés de nationalité française. En 2023, 7 % des nouveaux inscrits à l'ordre des médecins étaient titulaires d'un diplôme obtenu dans un autre pays de l'Union européenne52(*). Selon le conseil national de l'ordre des médecins, les diplômes de ces praticiens proviendraient majoritairement de Roumanie, de Belgique et d'Italie53(*).

Répartition des médecins en activité selon l'origine du diplôme (2010, 2024, 2025)

Source : Conseil national de l'ordre des médecins, Atlas de la démographie médicale en France, situation au 1er janvier 2025

a) Des niveaux de formation néanmoins variables selon les pays européens

· Malgré les possibilités offertes par la législation en vigueur, il semble que peu d'étudiants français expatriés choisissent ou parviennent à réintégrer le cursus national en cours d'études.

Au stade du troisième cycle, la réintégration implique de se soumettre aux épreuves nationales qui visent à « établir que l'étudiant a acquis les connaissances et compétences suffisantes au regard des exigences de la formation de troisième cycle »54(*).

Or les résultats obtenus aux épreuves françaises de sixième année témoignent d'un taux d'échec élevé de ces étudiants ; en 2024, seuls 8 % des étudiants formés à l'étranger s'étant présentés au concours pour intégrer le troisième cycle de médecine ont réussi leurs épreuves55(*).

· En dépit du principe général d'équivalence des titres et diplômes, ces résultats attestent sans ambiguïté d'un niveau de formation inégal selon les pays européens. La conférence des doyens de médecine souligne ainsi que « le niveau de formation de ces étudiants n'est pas équivalent à celui des étudiants formés en France »56(*). La conférence des doyens d'odontologie partage le même constat, regrettant que ces étudiants soient formés « dans des environnements académiquement et cliniquement moins rigoureux »57(*). Le Conseil national de l'ordre des médecins admet également que l'organisation des études de médecine répond à des exigences variables selon le pays considéré.

B. Une volonté de réintégrer les étudiants français partis se former en médecine à l'étranger

1. Une mesure ponctuelle à impact immédiat

Le I du présent article propose de compléter l'article L. 631-1 du code de l'éducation pour prévoir qu'un décret en Conseil d'État définit les modalités d'accès à la formation de médecine des étudiants français inscrits dans un État membre de l'Union européenne, un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, la Confédération suisse ou la Principauté d'Andorre.

· Seules les études de médecine sont visées.

· En outre, seuls seraient concernés les étudiants inscrits dans une telle filière avant la promulgation de la loi portant la mesure, quel que soit leur niveau d'avancement dans le cursus. La mesure vise donc à réintégrer, selon des modalités adaptées et facilitées, l'ensemble des étudiants en cours d'études, que ce soit au stade du premier, du deuxième ou du troisième cycle.

· Pour ne pas organiser une voie de contournement permanente du système français, il n'est pas prévu de pérenniser le dispositif.

2. Une mesure d'attente accompagnée d'un travail d'analyse plus précis des parcours des étudiants partis se former à l'étranger

Compte tenu de l'absence d'estimation fiable du nombre d'étudiants partis se former dans un pays tiers européen, le II du présent article propose qu'un rapport soit remis au Parlement portant sur les parcours et les évolutions de carrières des praticiens français provisoirement expatriés à l'étranger, notamment en Europe.

II - Les modifications apportées par l'Assemblée nationale

En commission des affaires sociales, les députés ont adopté un amendement ayant pour objet de conditionner l'admission des étudiants français à la formation de médecine à un engagement d'exercice, salarié ou libéral, d'une durée minimale de deux ans dans des régions caractérisées par une offre de soins déficitaire (amendement n° AS36). Cette modification a toutefois été supprimée en séance publique (amendements n° 49 et n° 58), considérant que ce dispositif serait susceptible de réduire l'attractivité des passerelles vers les études de médecine.

En séance publique, les députés ont également adopté deux amendements de modification rédactionnelle concernant l'objet du rapport à remettre au Parlement (amendements n° 60 et n° 64).

L'Assemblée nationale a adopté cet article ainsi modifié.

III - La position de la commission

· La commission a tout d'abord exprimé sa préoccupation quant au nombre croissant d'étudiants choisissant de s'expatrier à l'étranger pour poursuivre leurs études de médecine. Cette situation lui semble être symptomatique d'un système élitiste qui échoue à intégrer de nombreux étudiants pourtant brillants, auxquels la réglementation reconnaît le droit de venir exercer en France après obtention de leur diplôme dans un autre État de l'Union européenne. Dans le contexte de pénurie de professionnels de santé que connaît la France, cette situation lui apparaît particulièrement regrettable.

Sans remettre en cause la nécessité d'un système exigeant ni le principe de sélection à l'entrée dans les études, la commission juge nécessaire de conduire une réflexion approfondie sur les conditions permettant d'accompagner un maximum d'étudiants vers et dans les études de santé.

Elle a par ailleurs relevé que cette mesure figurait dans le pacte de lutte contre les déserts médicaux annoncé par le Premier ministre le 25 avril 2025.

Sur la base de ces considérations, la commission s'est exprimée en faveur de la réintégration précoce dans le système universitaire et hospitalier français des étudiants français en médecine expatriés.

· Elle a considéré qu'une mesure de réintégration précoce des étudiants français en cours d'études à l'étranger, outre qu'elle constitue un gage de qualité de la formation des futurs praticiens, ne peut être analysée comme créant une rupture de l'égalité à l'égard des étudiants admis à poursuivre l'entièreté de leur cursus en France.

En effet, dès lors que la mesure est limitée dans le temps, le dispositif ne conduit pas à créer une voie de contournement pour l'avenir qui permettrait de s'exonérer perpétuellement de la réussite aux examens français.

La commission relève que la rupture d'égalité est d'autant moins caractérisée que des étudiants poursuivant la totalité de leurs études dans un État tiers de l'Union européenne ont, à l'issue de leur formation, la possibilité de revenir en France s'inscrire au conseil de l'ordre pour exercer la médecine dans les mêmes conditions que les praticiens formés en France.

· Enfin, la commission souligne l'importance d'accompagner les universités dans l'accueil de nouvelles cohortes d'étudiants. Si elle souscrit à l'objectif d'augmenter le nombre d'étudiants en médecine, elle préconise d'associer au plus tôt les universités aux conditions de mise en oeuvre de cette mesure.

Consciente des tensions budgétaires auxquelles sont confrontées les universités, la commission a tenu à souligner que la hausse du nombre d'étudiants accueillis ne devrait pas se traduire par une dégradation de la qualité de l'accompagnement pédagogique au sein des unités de formation et de recherche. Elle a, en conséquence, préconisé un appui du Gouvernement au déploiement de la mesure, pour que des moyens adaptés permettant notamment que des dispositifs d'évaluation et de mise à niveau dans chaque université soient prévus.

· Plus globalement, la commission a considéré qu'une réflexion plus globale et structurelle devait être menée pour renforcer l'attractivité et l'équité du système de formation français. Elle appelle à une refondation rapide de l'accès au premier cycle des études de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique.

À ce titre, elle a notamment rappelé que la Cour des comptes a recommandé d'expérimenter un accès direct pour les filières de pharmacie et de maïeutique, en complément d'un accès classique via la première année d'études de santé, dans un contexte où ces filières souffrent d'un recul du nombre d'étudiants formés depuis 2020.

La commission a adopté cet article sans modification.


* 41 La direction générale de l'offre de soins et la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle ont confirmé au rapporteur qu'il n'existe pas de statistiques sur le nombre d'étudiants en santé partis se former à l'étranger.

* 42 Le chiffre de 5 000 jeunes Français étudiant la médecine dans un autre pays de l'Union européenne a parfois été communiqué (Le Quotidien du médecin, « Plus de 5000 carabins français à l'étranger : on fait quoi ? », 17 mai 2024).

* 43 Cour des comptes, L'accès aux études de santé : quatre ans après la réforme, une simplification indispensable, communication à la commission des affaires sociales du Sénat, décembre 2024, p. 58.

* 44 Étude d'impact du projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé, février 2019.

* 45 Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé.

* 46 Ibid.

* 47 Ibid.

* 48 Ces étudiants doivent justifier de grades, titres ou diplômes validés dans un État membre de l'Union européenne, un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, la Confédération suisse ou la Principauté d'Andorre, permettant d'attester de l'acquisition de compétences et connaissances comparables à celles acquises en premier cycle des formations MMOP en France. Ils peuvent être admis à poursuivre leurs études en deuxième cycle de ces mêmes formations sur décision du président de l'université d'accueil après avis du directeur de l'unité de formation et de recherche concernée.

* 49 Article L. 632-2 du code de l'éducation pour le troisième cycle des études de médecine.

* 50 Article R. 632-2 du code de l'éducation.

* 51 Conseil national de l'ordre des médecins, Atlas de la démographie médicale en France, situation au 1er janvier 2025, p. 73.

* 52 Cour des comptes, L'accès aux études de santé : Quatre ans après la réforme, une simplification indispensable, communication à la commission des affaires sociales du Sénat, décembre 2024, p. 58.

* 53 Conseil national de l'ordre des médecins, Atlas de la démographie médicale en France, situation au 1er janvier 2025, p. 73.

* 54 Article L. 632-2 du code de l'éducation, I.

* 55 Réponse de la conférence des doyens de médecine au questionnaire transmis par le rapporteur.

* 56 Ibid.

* 57 Réponse de la conférence des doyens d'odontologie au questionnaire transmis par le rapporteur.

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