B. LA PORTÉE DU SUIVI DE LA PERFORMANCE DE LA DÉPENSE PUBLIQUE EST LARGEMENT RÉDUITE PAR LE NOMBRE IMPORTANT D'INDICATEURS INEXPLOITABLES
Pour l'exercice 2024, le dispositif de suivi de la performance des dépenses de l'État reposait sur 88166(*) indicateurs et 1 970 sous-indicateurs recensés dans les rapports annuels de performances (RAP) du budget général et des budgets annexes de l'État. Cependant, un nombre important de ces sous-indicateurs sont neutralisés soit par l'absence de fixation de cible quantitative avant le début de l'exercice, soit par l'absence de données à jour pour exploiter les cibles fixer et confronter les objectifs fixés aux résultats obtenus. Sur les 1 970 sous-indicateurs pour l'exercice 2024, seul 1 513, soit 77 % se sont vus fixer une cible quantitative. Sur ces 1 513 sous-indicateurs avec une cible quantitative, 1 331 sont exploitables aux regards des données disponibles. Par conséquent, seulement 1 331 sous-indicateurs disposent de cibles exploitables pour 2024, soit 68 % du nombre total de sous-indicateurs figurant dans les rapports annuels de performances (RAP) présentés avec le projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024. Il s'agit d'une statistique en diminution par rapport à 2023, où le nombre de sous-indicateurs exploitables était de 1 354 et le taux de 70 %.
En premier lieu, pour qu'un sous-indicateur puisse mesurer la performance des dépenses de l'État, il est nécessaire qu'au moment de l'élaboration du budget une cible soit fixée au responsable de programme. En effet, le dispositif des indicateurs de performance ne peut servir de support à des décisions stratégiques d'allocation des ressources que dans la mesure où le gouvernement et le Parlement peuvent mettre en regard les objectifs fixés à un service public et les résultats qu'il a atteint. Il est par conséquent nécessaire que la documentation budgétaire annexée au projet de loi de finances fixe, pour chaque sous-indicateur de performance, une cible au risque de neutraliser toute utilité de l'indicateur et de priver de tout effet le travail effectuer pour élaborer cet indicateur et suivre ses données d'exécution. Il est également nécessaire que cette cible soit définie avec clarté et précision, c'est-à-dire qu'il s'agisse d'une cible quantitative.
Si, pour certaines, cibles il est compréhensible de fixer un intervalle, ce qui continue de constituer une cible quantitative claire et précise sous réserve d'une amplitude raisonnable de l'intervalle, la fixation d'une cible non quantitative constituée par des mentions imprécises comme « hausse » ou « stabilité » ne répond pas aux exigences d'un dispositif de suivi effectif de la performance de la dépense publique.
Sur l'ensemble du dispositif de suivi de la performance de la dépense de l'État en 2024, le rapporteur général relève que 457 sous-indicateurs ne disposent pas d'une cible quantitative, en nette hausse par rapport à 2023 où ce nombre atteignait 392. Partant, ce défaut de conception neutralise la portée de 23 % des sous-indicateurs, soit près d'un sur quatre.
Par exemple, dans le cadre du programme 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi » de la mission « Travail et emploi », l'indicateur 4.4 « taux de sorties positives six mois après la fin de la formation » ne s'est vu fixer aucune cible ni pour 2024, ni pour 2025. Le rapporteur relève que la justification mise en avant par l'administration relative à la complexité du dispositif de suivi ne suffit pas à expliquer qu'aucun suivi statistique ne soit proposé pour cet indicateur depuis 2021. Au regard de l'importance des dépenses de l'État dans ce domaine - le programme représente un montant de crédits de paiement consommés de 13 569 millions d'euros en 2024 - il est incompréhensible que le gouvernement et les parlementaires ne puissent pas s'appuyer sur des données précises pour éclairer le choix fait au moment du vote annuel des crédits.
Part des sous-indicateurs dotés d'une cible quantitative fixée en 2024
Source : commission des finances, d'après les données de la direction du budget
En second lieu, tous les indicateurs avec une cible quantitative ne peuvent pas être exploités dans le cadre du suivi de la performance de la dépense de l'État. En effet, l'appréciation des résultats des politiques publiques concernées suppose de disposer en temps utile des données nécessaires à l'exploitation de ces sous-indicateurs.
Il est à relever à cet égard que la disponibilité des données et la difficulté éventuelle à les recueillir dans les temps fait partie des contraintes dont l'administration doit tenir compte dès le stade de l'élaboration des indicateurs de performance inscrits dans la documentation budgétaire. À ce titre, l'existence d'un nombre important d'indicateurs avec une cible quantitative inexploitable du fait du manque de disponibilité des données ne reflète pas uniquement la difficulté à recueillir ou à tenir à jour des données d'exécution mais également un défaut de conception de ces indicateurs. Celle-ci aurait dû tenir compte de cette difficulté au moment de leur inscription dans la maquette de performance des programmes concernés.
En 2024, sur les 1 513 sous-indicateurs dotés d'une cible quantitative, 1 331 sont exploitables. Les 182 autres ne le sont pas du fait de l'indisponibilité des données.
Par exemple, dans le cadre du programme 174 « Énergie, climat et après-mines » de la mission « Écologie, développement et mobilités durables », l'indicateur 3.1 « Émissions de gaz à effet de serre par habitant » ne dispose pas d'une donnée de réalisation pour 2024. Le rapport annuel de performances (RAP) du programme ne prend même pas la peine d'indiquer pourquoi les données 2024 ne sont pas connues. Dans le cas où il serait récurrent et prévisible qu'il soit difficile d'actualiser les données de l'année précédente avant la publication des rapports annuel de performances, l'administration devrait prendre les mesures nécessaires pour que cet indicateur ne soit pas systématiquement neutralisé. Il pourrait s'agit d'une réforme dans la procédure de collecte des données pour permettre une consolidation en temps utile avant le dépôt du projet de loi relatif aux résultats de la gestion, ou bien plus encore d'une modification de l'indicateur.
Part des sous-indicateurs dotés d'une
donnée d'exécution
parmi ceux dotés d'une cible
quantitative en 2024
Source : commission des finances, d'après les données de la direction du budget
En conclusion, sur les 1 970 sous-indicateurs de performance du dispositif, 32,4 % d'entre eux ont été privés de portée en 2024 soit parce qu'aucune cible quantitative n'avait été fixé préalablement à la dépense soit parce que les données disponibles ne permettent pas de confronter les objectifs fixés et les résultats atteints.
Le rapporteur général relève que ces 639 sous-indicateurs neutralisés dans le cadre de l'exercice 2024 constituent un exemple préoccupant du risque de transformation de l'exercice de suivi de la performance en « bureaucratie de la performance », ces indicateurs ayant nécessité des travaux importants d'élaboration et de suivi sans résultat concret pour le pilotage de la dépense de l'État.
Le rapporteur général relève en outre une hausse préoccupante du nombre des indicateurs inexploitables : ces derniers n'étaient que 587 en 2023. L'instabilité gouvernementale ne saurait être la seule explication de cette hausse de 9 % de ces indicateurs inutilisables : il convient par conséquent au gouvernement de reprendre un suivi plus sérieux de la performance de son action, ou de réviser et supprimer les indicateurs mal calibrés.
* 66 852 en 2023.