B. LIÉE À UNE FORTE RÉGULATION EN COURS D'ANNÉE, CETTE SOUS-EXÉCUTION S'ÉLOIGNE DE LA PROGRAMMATION PLURIANNUELLE
L'exercice 2024 a été marqué par un important décret d'annulation de crédits, pris le 21 février afin de pallier la dégradation des prévisions de finances publiques et notamment de recettes2(*).
La mission « Justice » n'a pas été épargnée avec une annulation de crédits de 327,9 millions d'euros, en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, dont 23,6 millions d'euros de titre 2, portant sur l'ensemble des programmes à l'exception du programme 101 « Accès au droit et à la justice ».
Répartition des annulations de crédits par le décret du 21 février 2024
(en millions d'euros)
Source : commission des finances, à partir du décret précité du 21 février 2024. N'apparaît pas le programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature » (annulation de crédits de 0,2 million d'euros).
Après cette annulation, les crédits restants ont fait l'objet d'un gel supplémentaire le 11 juillet 2024 à hauteur de 46,7 millions d'euros. Tous les programmes ont été concernés, à l'exception des programmes 101 « Accès au droit et à la justice » et 335 « Conseil supérieur de la magistrature ».
L'exécution de certaines actions a subi les effets de ces à-coups budgétaires. La direction de la protection judiciaire de la jeunesse a ainsi renoncé en milieu d'année à renouveler 480 contrats infra-annuels, suscitant un mouvement social. La Cour des comptes indique toutefois que cette décision ne découlait pas seulement des mesures de régulation budgétaire, mais également d'une politique de recrutement trop volontariste au premier semestre, qui aurait limité la capacité de pilotage des crédits. Un plan d'action est actuellement en cours d'élaboration afin d'éviter qu'une telle situation survienne de nouveau.
Enfin, la loi de finances de fin de gestion a annulé 697,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et 61,0 millions d'euros en crédits de paiement.
Mouvements intervenus en cours de gestion 2024
sur la mission « Justice »
(en millions d'euros)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
Ces mesures ont contribué à ralentir les projets immobiliers et informatiques et, de fait, la mission Justice ne respecte plus la progression des crédits prévue par la loi de programmation3(*).
Cette évolution montre que, contrairement aux années précédant 2023, où l'exécution avait même été supérieure à la trajectoire prévue par la loi de programmation antérieure4(*), l'existence d'une loi de programmation, pourtant promulguée quelques semaines à peine avant le début de l'exercice 2024, ne constitue pas une garantie pour le maintien des crédits, dans une situation où le Gouvernement cherche à réduire la dépense face à l'urgence budgétaire.
Crédits exécutés et prévus par la loi de programmation
(en millions d'euros)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires. Crédits de paiement hors contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions ».
Le projet de loi de finances pour 2025 prévoyait des crédits de 12 459 millions d'euros, dont 10 242 millions d'euros hors CAS Pensions. Les crédits ayant été rehaussés de 223,8 millions d'euros au cours des débats, le montant des crédits résultants, hors CAS Pensions, est de l'ordre de 10 466 millions d'euros. Si la loi de finances pour 2025 était respectée, l'écart avec la loi de programmation serait dont partiellement résorbé en rythme annuel, à condition de maintenir un haut niveau de dépenses pendant les années ultérieures pour combler le manque d'investissement résultant de la sous-exécution en 2023 et 2024.
Toutefois, la contrainte budgétaire étant plus forte que jamais, le Gouvernement a pris un nouveau décret, le 25 avril dernier, qui a annulé 116,7 millions d'euros en autorisations d'engagement et 139,1 millions d'euros en crédits de paiement sur la mission « Justice ». Il est donc permis de prévoir que le décalage ne sera pas rattrapé alors que la « marche » 2025 était la plus importante de la loi de programmation.
Il n'en reste pas moins que, depuis 2018, la justice a connu une augmentation notable de ses moyens de + 41,8 %, soit + 22,8 % hors inflation (dont + 16,1 %, hors inflation, par rapport à 2020).
Tout en comprenant la contrainte budgétaire qui s'impose à l'État, le rapporteur spécial souligne que les besoins en investissement et en personnel, pour une politique de la justice historiquement sous-dotée et touchée de plein fouet par l'inflation, peuvent conduire à décaler quelque peu, mais non à annuler la réalisation des objectifs d'investissement (revalorisation des personnels, finalisation des grands programmes immobiliers, déploiement de la seconde phase du plan de transformation numérique de la justice) comme de recrutements (10 000 équivalents temps plein supplémentaires entre 2023 et 2027).
Il est nécessaire, à cet égard, que le Gouvernement remette dès que possible le rapport annuel d'avancement de la loi de programmation, qui était prévu pour le 30 avril5(*).
* 2 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
* 3 Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
* 4 Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
* 5 Article 1er de la loi précitée du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice.