II. UNE ANALYSE DÉTAILLÉE DES CRÉDITS DE LA MISSION : LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

A. ALORS QUE LES CRÉDITS ALLOUÉS À L'AIDE MÉDICALE D'ÉTAT NE CESSENT D'AUGMENTER, UNE ANNULATION DE CRÉDITS EN COURS D'EXERCICE

1. Des facteurs de l'augmentation des dépenses d'AME à expliciter

Entamée au sortir de la crise sanitaire, la hausse de l'exécution des crédits de l'aide médicale d'État (AME) se poursuit entre 2023 et 2024. L'exécution des crédits s'élève à 1 159 millions d'euros en 2024, soit 1,1 % de plus qu'en 2023, dont 1 088 millions d'euros pour l'AME de droit commun et 70 millions d'euros pour l'AME pour soins urgents. Les dépenses liées à l'AME avaient progressé de 13 % entre 2022 et 2023.

Évolution des montants versés au titre de l'aide médicale d'État depuis 2012

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Toutefois, en incluant le supplément de dépenses d'AME financé par la sécurité sociale en 2024, les dépenses d'AME de droit commun s'élèvent en réalité à 1,255 milliard d'euros, soit une hausse de 15 % des dépenses par rapport à 2023, représentant 181 millions d'euros.

De plus, l'État ne prend en charge qu'une partie de l'AME pour soins urgents, à hauteur d'une dotation de 70 millions d'euros, le reste du coût de l'AME pour soins urgents (61,8 millions d'euros) étant pris en charge par l'Assurance maladie.

Enfin, le coût de l'AME humanitaire et des autres dépenses, qui correspondent au remboursement des frais pharmaceutiques et des dépenses de soins infirmiers des personnes gardées à vue, ainsi qu'à la prise en charge sanitaire exceptionnelle pour les personnes françaises ou étrangères non résidentes décidée par le ministère de l'action sociale, s'est élevé à 592 940 euros.

Le coût total réel de l'AME, toutes AME incluses, est de 1 386,8 millions d'euros, en hausse de 15 % par rapport à 2023.

La hausse des dépenses de l'AME est notamment liée à la progression du nombre de bénéficiaires en 2023. Ils étaient 465 744 bénéficiaires au 30 septembre 2024 (dernière donnée transmise), soit une hausse de 2 % par rapport à 2023 et de 13,2 % par rapport à 2022. Malgré une réforme limitée en 2020, le nombre de bénéficiaires de l'AME poursuit donc sa progression, même si elle semble se ralentir. D'autres facteurs peuvent expliquer cette tendance, notamment la hausse du taux de personnes consommant des soins, qui est de 7 % entre 2023 et 2024.

Les éléments d'explication paraissent toutefois insuffisants pour expliciter la hausse tendancielle des dépenses d'AME. Les effets de rattrapage liés à la sortie de la crise sanitaire ne permettent pas de justifier à eux seuls la hausse des dépenses liées à l'AME, qui ont largement dépassé en 2023 les niveaux atteints avant la crise sanitaire.

Le rapporteur spécial relève également qu'il est particulièrement dommageable de prévoir des baisses de crédits sans y associer de réforme structurelle de l'AME, nécessaire pour maitriser le niveau réel des dépenses. Une réforme avait été annoncée par voie réglementaire par le précédent Gouvernement, conformément aux préconisations du rapport Evin-Stefanini8(*).

Les réformes menées et envisagées de l'aide médicale d'État

À l'initiative du Gouvernement, une réforme limitée de l'aide médicale de l'État a été adoptée à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, avec pour objectif notamment de maîtriser les dépenses du dispositif. Trois dispositions ont été prises essentiellement : le renforcement des conditions pour bénéficier de l'aide (avec une ouverture du droit à l'AME effective après un délai de trois mois en situation irrégulière), le conditionnement de la prise en charge de certaines prestations à un délai d'ancienneté de bénéfice de cette aide de 9 mois maximum et la limitation des possibilités de dépôt de demande d'AME à une comparution physique en caisse primaire d'assurance-maladie.

Une nouvelle réforme de l'aide médicale d'État avait été annoncée par le Gouvernement en 2023, à l'occasion du vote par le Sénat de la transformation de l'AME en Aide médicale d'urgence le 14 novembre 2023 au cours de l'exmen du projet de loi immigration9(*). Cette réforme devrait être réglementaire.

Le rapport Evin-Stefanini, publié le 4 décembre 2023, estime que l'Aide médicale d'État est un dispositif « utile, maîtrisé pour l'essentiel mais exposé à l'augmentation récente du nombre de ses bénéficiaires ». Il recommande toutefois notamment de renforcer le suivi des pathologies qui engagent la collectivité dans des soins chroniques et lourds et de compléter les mesures prises en matière de contrôle.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le rapporteur spécial proposera donc dans un rapport d'information à venir des éléments de réforme structurelle de l'AME, dans une optique de maitrise des dépenses.

2. La création d'une dette à l'égard de la Sécurité sociale, au titre des dépenses d'aide médicale d'État

L'aide médicale d'État (AME) est une dépense de guichet. Les remboursements versés aux bénéficiaires de l'AME sont ainsi effectués quel que soit le niveau de crédits budgétaires provisionnés par le gouvernement, qui doit rembourser la Sécurité sociale des frais qu'elle a avancés aux professionnels médicaux.

En effet, comme le relève également la Cour des comptes, le décret d'annulation précité a supprimé près de 50 millions d'euros de crédits au titre de l'aide médicale d'État (AME), alors que la direction de la sécurité sociale avait déjà indiqué qu'elle prévoyait une dépense d'AME supérieure à celle qui a été budgétée en loi de finances initiale pour 2024.

En conséquence, les crédits ouverts en 2024 au titre de l'AME sont largement inférieurs aux dépenses effectives à la charge de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). L'État a ainsi contracté une dette particulièrement élevée à l'égard de la CNAM, d'un montant de total de 185,1 millions d'euros en 2024.

Montant annuel et cumulé de dette de l'État vis-à-vis de la CNAM
au titre de l'aide médicale d'État

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La dette de l'État vis-à-vis de la CNAM a été multipliée par presque 10 entre 2023 et 2024, soit une hausse de 167,8 millions d'euros. Une telle insincérité dans la prévision budgétaire est injustifiée et conduit à un manque inacceptable de transparence des dépenses de l'État.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que sur les 167,8 millions d'euros non financés par l'État de dépenses d'aide médicale d'État, seuls 50 millions d'euros sont liés à une annulation par voie décrétale. Ainsi, près de 117,8 millions d'euros ont été dépensés sans avoir été budgétés, en raison d'une erreur de prévision. Il serait souhaitable qu'une amélioration de la méthodologie de prévision soit mise en oeuvre, afin d'éviter de telles erreurs à l'avenir. La Cour des comptes10(*) recommande ainsi de « revoir la méthode de prévision des dépenses d'AME dans un but de transparence budgétaire et afin de faciliter le pilotage des crédits », recommandation à laquelle le rapporteur spécial s'associe.

La direction de la sécurité sociale a mis en oeuvre une nouvelle méthode de calcul fondée sur une périodicité mensuelle des dépenses d'AME. Il sera intéressant de vérifier si cette méthode fait ses preuves et permet d'éviter de trop grandes erreurs de prévisions.


* 8 Rapport sur l'Aide médicale d'État, 4 décembre 2023, Claude Evin et Patrick Stefanini.

* 9 Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.

* 10 Note d'exécution budgétaire, mission « Santé » du budget général de l'État, avril 2024.

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