EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 18 juin 2025, sous la présidence de M. Pascal Allizard, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Guillaume Gontard sur le projet de loi 629 (2024-2025) autorisant l'approbation d'un avenant à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale signée le 28 mai 1996 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil.
M. Pascal Allizard, président. - Nous passons à l'examen du rapport de notre collègue Guillaume Gontard sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale du 28 mai 1996 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Pour commencer, je vous présenterai brièvement un panorama du pays, qui a vu depuis un peu plus de deux ans le retour du président Lula da Silva, puis le contexte qui, dans notre relation bilatérale, a présidé à la rédaction de cet avenant.
Avec une superficie de 8,5 millions de kilomètres carrés, soit quinze fois la France, le Brésil est le pays le plus vaste d'Amérique du Sud. Poids lourd économique, avec un secteur primaire bénéficiant de ressources naturelles exceptionnelles, notamment le bois, le fer, le bauxite, l'or et le pétrole, le pays jouit en outre d'un secteur tertiaire particulièrement dynamique, qui représente 69 % de son PIB.
Le Brésil demeure cependant confronté à un triple défi. Le premier défi est celui de l'endettement, qui, à hauteur de 76 % du PIB, apparaît difficilement soutenable et compromet les perspectives d'investissement dans le pays.
Le deuxième défi est constitué par les menaces pesant sur la forêt amazonienne, qui occupe 60 % de son territoire, au premier rang desquelles figure la déforestation. Sous la présidence de Jair Bolsonaro, les problématiques environnementales ne constituaient clairement pas une priorité et sa mandature a été marquée par une recrudescence du phénomène. Le président Lula semble en revanche avoir pris la mesure du problème et a engagé des actions volontaristes contre ces pratiques.
La forêt amazonienne est également régulièrement agressée par des incendies dévastateurs, comme ceux de 2019 et 2024. Ces foyers, provoqués à 95 % par l'action humaine, sont une pratique courante à fins de défrichage, dite « brûlis ». Mais l'évolution du climat facilite la propagation des feux, qui deviennent rapidement incontrôlables. Enfin, la forêt amazonienne est confrontée à des épisodes de plus en plus fréquents et intenses de sécheresse, qui entraînent un ralentissement critique et une perte de résilience de son écosystème, au point que les scientifiques s'inquiètent à présent de l'imminence d'un point de non-retour, à partir duquel la forêt s'assécherait jusqu'à devenir une savane. La triste évolution du poumon vert de la planète, pour utiliser la formule consacrée, au cours des cinquante dernières années, peut ainsi se résumer à la disparition de près de 20 % de sa forêt, la fragilisation de 64 % de ses espèces animales et végétales, et le constat paradoxal que du fait de la perte d'une part importante de sa biomasse, l'Amazonie présente désormais un bilan carbone négatif. Dans le cadre de la future COP30, le Brésil aura la lourde tâche d'essayer d'inverser cette trajectoire délétère.
La criminalité est le troisième défi majeur pour le Brésil. Elle est, pour l'essentiel, le fait de factions structurées et hiérarchisées, telles que la Familia Terror do Amapa (FTA) ou le Primeiro Comando Da Capital. Le narcotrafic constitue leur activité de prédilection, déversant de par le monde les quelque 2 000 tonnes de cocaïne pure produites annuellement en Colombie. Ils profitent pour cela de l'efficace réseau logistique brésilien, transitant soit par voie aéroportuaire, au moyen de mules qui transportent les stupéfiants le plus souvent in corpore, soit par voie maritime, via des conteneurs échappant aux contrôles à la faveur de complicités.
Les fléaux connexes accompagnant le narcotrafic sont, sans surprise, une criminalité élevée - un crime de sang sur cinq commis dans le monde est perpétré au Brésil -, un trafic d'armes préoccupant et une corruption endémique.
On déplore par ailleurs l'ampleur prise au cours des dernières années par l'orpaillage illégal, avec des conséquences dévastatrices de pollution des cours d'eau, de déforestation, de destruction de la biodiversité et d'impact sur les populations autochtones. Contrairement à son prédécesseur, cependant, le président Lula affiche une volonté manifeste de combattre ce fléau, qui constituera un défi pour la future coopération transfrontalière franco-brésilienne.
Enfin, l'Amazonie est le théâtre de lucratifs trafics d'espèces sauvages, tels que les oiseaux, les singes et les reptiles, très recherchés par les collectionneurs. On estime ainsi que 38 millions d'animaux sont exportés illégalement chaque année, pour un montant de près de 2 milliards de dollars. Les réseaux sociaux, qui en facilitent la vente en ligne, sont devenus les plaques tournantes de ces réseaux de contrebande.
Le texte que nous examinons aujourd'hui devrait constituer un outil précieux pour combattre ces différentes formes de criminalité.
S'agissant de notre relation bilatérale, ce texte intervient dans un contexte privilégié. Si, sous la présidence de Jair Bolsonaro, celle-ci s'est parfois avérée difficile, notamment sur les problématiques environnementales, le retour au pouvoir du président Lula en 2023 a relancé le dialogue franco-brésilien. Les deux pays célèbrent cette année le bicentenaire de leurs relations diplomatiques, sur fond d'échanges particulièrement denses et dynamiques, avec notamment la visite d'État du président Macron au Brésil en mars 2024, et celle, toute récente, du président Lula en France. La relation est notamment structurée autour d'un partenariat stratégique, dans le cadre duquel d'importants contrats ont pu être conclus.
Surtout, depuis le retour au pouvoir du président Lula, la France et le Brésil partagent largement une vision commune des enjeux planétaires. Le plan d'action signé en mars 2024 réaffirme la volonté conjointe d'une coopération dans tous les domaines, en énonçant comme priorités le renforcement du multilatéralisme, la résolution pacifique des conflits, la non-prolifération, le désarmement, la lutte contre la pauvreté, la protection de la planète et la lutte contre le changement climatique. Plusieurs initiatives en ce sens témoignent de leur volonté commune d'envoyer des signaux forts. Ainsi, dernièrement, les deux présidents ont lancé, dans la perspective de la COP30 qui sera présidée par le Brésil, « l'appel Brésil-France à l'ambition climatique de Paris à Belém, et au-delà ».
Récemment, les deux pays ont oeuvré conjointement pour faire aboutir l'accord dit BBNJ, qui a été récemment rapporté par notre collègue André Guiol, sur la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale.
Le seul point irritant de cette relation particulièrement constructive est constitué par le blocage sur l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur. Ce débat n'entrant pas dans le périmètre du présent projet de loi, on se bornera à constater que ce différend n'a pas fait obstacle à la relance de la relation franco-brésilienne.
Après ces rappels contextuels, je vais à présent vous présenter les enjeux et le contenu de l'avenant.
La signature en 1996 de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale a inauguré entre la France et le Brésil une collaboration précieuse, qui a permis l'aboutissement d'un flux de demandes d'entraides équilibré et nourri. Environ 140 demandes actives, c'est-à-dire émises par les autorités françaises, et 180 demandes passives, c'est-à-dire transmises par la partie brésilienne, ont été traitées, concernant pour l'essentiel des faits de narcotrafic, de criminalité organisée et de blanchiment de capitaux.
Il apparaît cependant qu'en comparaison d'accords de même nature plus récents, ce texte, vieux de près de 30 ans, pâtit d'un périmètre limité, qui ne prend pas en compte certaines techniques d'investigation aujourd'hui courantes ; par ailleurs, il prévoit actuellement diverses procédures inutilement lentes ; certaines de ses clauses nécessitent une mise à jour juridique.
En conséquence, le présent avenant complète le périmètre initial du texte par un certain nombre de techniques d'enquête modernes : la possibilité d'auditions par vidéo-conférence, d'interceptions téléphoniques, l'organisation de perquisitions, saisies et confiscations, la réalisation d'infiltrations, de livraisons surveillées, d'observations ou de poursuites transfrontalières, ainsi que la mise en place d'équipes communes d'enquêtes, qui permettront à la coopération transfrontalière de gagner en efficacité. Il intègre les infractions fiscales et exclut toute invocation du secret bancaire, ce qui facilitera les enquêtes en matière de blanchiment. Par ailleurs, le texte comporte diverses mesures de simplification procédurale, qui conféreront au traitement des demandes d'entraide une meilleure fluidité. Enfin, l'avenant procède à une mise à jour jurisprudentielle sur les données à caractère personnel.
Le contenu du texte tel que modifié par le présent avenant, qui a été rédigé par les services français, correspond aux standards nationaux et internationaux en matière d'entraide judiciaire et pénale. Son entrée en vigueur est très attendue tant par les autorités judiciaires françaises que par leurs homologues brésiliens.
C'est pourquoi je vous propose d'approuver cet avenant, qui, en modernisant une convention vieille de près de trente ans, permettra d'améliorer significativement notre partenariat avec la République fédérative du Brésil, dans le contexte d'une montée en puissance alarmante de la criminalité organisée.
Son examen en séance publique est prévu le 23 juin, selon une procédure simplifiée, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.
M. Ronan Le Gleut. - Le Premier commando de la capitale (PCC) a été évoqué. Cette organisation mafieuse brésilienne tire principalement sa puissance du milieu carcéral. Or le garde des sceaux a annoncé la création d'une prison de haute sécurité en Guyane, là où nous avons notre plus grande frontière avec un pays étranger : le Brésil. Lors d'un déplacement à Brasilia, il y a deux semaines, a été évoquée l'inquiétude d'une infiltration par le PCC de cette future prison de haute sécurité dédiée au narcotrafic. Est-ce un sujet d'inquiétude partagé ?
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - J'entends cette inquiétude. Nous n'en avons pas entendu parler en audition. Effectivement, la frontière entre le Brésil et la France est très large et la construction de cette prison est un élément nouveau.
Les différentes mesures de coopération et d'entraide facilitées par cette convention permettront de gérer au mieux cette difficulté.
M. Roger Karoutchi. - Le rapporteur souligne que, enfin, Lula prend en compte l'Amazonie. Selon l'Institut national de recherches spatiales brésilien, l'année 2024 a été l'année de la plus grande destruction de la forêt amazonienne depuis 2007, avec une hausse de 38 % par rapport à 2023. N'est-ce pas le climat, plus que l'action des gouvernements, qui nuit à la forêt amazonienne ?
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - C'est ce que j'ai dit. Nous sommes dans une situation dramatique, avec des incendies de plus en plus importants et un recul très préoccupant de la forêt amazonienne, accéléré par l'activité humaine. On ne peut pas dire que les politiques de Jair Bolsonaro luttaient contre. En revanche, les orientations de Lula prennent en compte ce risque, qui pèse tant sur le Brésil que sur l'ensemble de la planète.
Mme Michelle Gréaume. - Je reconnais l'intérêt de cet avenant, mais la justice brésilienne est très marquée par la corruption et les inégalités sociales et raciales. Même si Lula essaie de changer le cap, je pense qu'il faudra un contrôle rigoureux. Nous, parlementaires, ne pourrions-nous pas assurer ce contrôle ?
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - En effet, dès qu'il y a un accord avec un pays dont les fonctionnements sont différents, cette problématique se pose. Nos auditions montrent que toutes les alertes, notamment sur la corruption, ont été prises en compte.
Une évaluation des différents accords me paraît essentielle.
M. Olivier Cadic. - Le Brésil, ce n'est pas les États-Unis. On peut être recherché pour crime dans un État, et pas dans un autre. Avec qui cette convention d'entraide est-elle signée ? Est-ce avec l'État fédéral ? Comment cela se passe-t-il avec les États ? J'ai observé à São Paulo le nouveau système Smart Sampa, doté de 20 000 caméras interconnectées avec 11 000 caméras privées, soit 31 000 caméras, avec reconnaissance faciale. Aura-t-on accès à ces techniques pour retrouver des criminels que nous recherchons parfois nous-mêmes ?
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Nous aurons accès sous certaines conditions à un certain nombre de données de surveillance. A priori, Smart Sampa est dans le périmètre de la convention.
L'accord est signé avec l'État fédéral. Il est sûr qu'une difficulté demeure entre État fédéral et États fédérés. Si l'application de la convention n'est pas effective dans l'ensemble du pays, il faudra s'interroger.
M. Pascal Allizard, président. - Cette asymétrie entre le fonctionnement de notre État centralisé et celui de ces États fédéraux est toujours intéressante.
Une délégation de la commission est sur le départ pour le Brésil. Une autre se rendra prochainement en Guyane et au Guyana, et dans quelques semaines, nous aurons à examiner une convention similaire avec le Panama.
examen de l'article unique
L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - ...
Le projet de loi est adopté sans modification.