IV. LE CONTENU DE LA CONVENTION
Le projet de loi faisant l'objet du présent rapport concerne un avenant à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale signée le 28 mai 1996 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil (voir en annexe 2). Les clauses proposées, dont la rédaction correspond globalement aux clauses standard habituellement adoptées pour ce type d'accord, ont pour objectif l'indispensable mise à jour juridique et technique d'un texte datant d'une trentaine d'années et comportant un certain nombre de lourdeurs et de lacunes, dans le contexte d'une montée en puissance de la criminalité organisée et des narcotrafics.
Saisi du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant faisant l'objet du présent rapport, le Conseil d'État (section des finances) lui a donné un avis favorable.
L'avenant modifie 11 articles de la convention initiale, et y insère 12 nouveaux articles.
Après une précision formelle apportée par l'article 1er, l'article 2 complète l'article 2 de la convention, relatif aux restrictions à l'entraide, en précisant explicitement que l'entraide ne peut être rejetée au seul motif que la demande se rapporte à une infraction que l'État requis qualifie d'infraction fiscale, ou que les législations en matière de taxes, d'impôts, de douane et de change seraient différentes. Il spécifie en outre que le secret bancaire ne peut être invoqué. Ces nouvelles clauses seront notamment précieuses pour faciliter les enquêtes financières, qui constituent bien souvent un levier important dans la lutte contre le crime organisé.
L'article 3 supprime la disposition de l'accord initial fixant l'exigence d'une infraction punissable pour que soit donné suite à une demande de perquisition ou de saisie. Il s'agit d'une suppression de cohérence, par rapport au nouvel article 22 qui prévoit que chaque État applique son droit s'agissant des perquisitions.
Ainsi, si une perquisition est demandée pour une infraction n'existant pas dans le droit de l'État requis, celui-ci pourra la refuser sur le fondement de l'article 2. Si la perquisition est demandée pour une infraction existante dans l'État requis mais pour laquelle ce dernier ne pourrait pas procéder à cette perquisition selon son droit interne, l'article 22 permet de ne pas y faire droit.
Les articles 4 à 6 sont rédactionnels.
L'article 7 insère à l'article 13 de la convention un paragraphe additionnel précisant que la demande d'entraide peut être faite « par écrit ou par tout moyen permettant d'en obtenir une trace écrite dans des conditions permettant à l'État requis d'en vérifier l'authenticité. » Cette disposition, essentielle aujourd'hui, permet notamment la transmission par voie électronique, améliorant ainsi la réactivité et la fluidité des échanges.
L'article 8, relatif au contenu et à la forme des demandes d'entraide, est une mesure de simplification supprimant l'obligation de l'agrément du traducteur pour effectuer la traduction des demandes, prévue à l'article 15 de la convention initiale. Cette disposition vise elle aussi à améliorer la célérité de la transmission des pièces essentielles, tout en garantissant leur compréhension par l'État requis.
Dans le même esprit, l'article 9 modifie l'article 16 de la convention, supprimant l'obligation d'authentification des signatures, la procédure apparaissant suffisamment sécurisée par ailleurs. Cette modification est cohérente avec la nouvelle rédaction de l'article 13 de la convention (voir article 7 supra). De même, cet article permettra une plus grande rapidité dans la transmission des demandes, sans compromettre l'exigence d'authentification de l'émetteur.
L'article 10 insère dans la convention un nouvel article 16-1 relatif au respect des questions de confidentialité et de spécialité. Il garantit notamment que la personne visée par un acte d'enquête (comme par exemple des réquisitions téléphoniques) ne soit pas avisée de cet acte. Cette disposition essentielle, qui était absente de la convention initiale, permet de garantir le secret de l'enquête.
Les articles 11 à 13 sont rédactionnels ou de précision.
L'article 14 introduit un nouvel article 19-1 dans la convention, permettant l'échange spontané d'informations. Il donne un cadre aux pratiques d'échanges entre les autorités judiciaires des deux Parties, permettant de renforcer leur coopération sur certaines problématiques particulières, notamment en matière de traite des êtres humains.
L'article 15 est rédactionnel.
L'article 16 crée un nouveau chapitre VII intitulé « Mesures particulières d'entraide », comportant 9 nouveaux articles :
- Un article 20 relatif aux demandes d'informations en matière bancaire, ayant pour objectif de faciliter l'identification des flux financiers, qui constituent un enjeu majeur en matière de lutte contre la criminalité organisée ;
- Un article 21 relatif à l'audition par vidéoconférence, autorisant l'utilisation de cette technologie au service de l'autorité judiciaire. Concrètement, il permettra d'éviter un certain nombre de remises de personnes.
- Un article 22 relatif aux demandes de perquisition, saisie, confiscation, prévoyant que celles-ci sont exécutées selon les règles de l'État requis (voir article 3 supra).
- Un article 23 définissant les biens susceptibles d'être saisis et confisqués et les modalités de ces saisies et confiscations.
Cet article, par ailleurs conforme aux canons français, n'a pas pour ambition de régler de façon générale et statique les questions de frais, de disposition des biens et de répartition des bénéfices éventuels. Par souci de souplesse et d'efficacité, il privilégie le recours à des accords ponctuels entre autorités judiciaires. Il propose toutefois des règles applicables par défaut, si les parties n'ont pu s'accorder, disposant que les biens en question « sont dévolus pour moitié à l'État requis et pour moitié à l'État requérant ».
- Un article 24 relatif aux livraisons surveillées. Ces opérations, introduites par la Convention d'application de l'Accord de Schengen37(*), impliquent l'intervention d'agents de l'État requérant sur le territoire de la Partie requise ; sur le sol français, conformément au droit national, elles seront conduites en présence et sous le contrôle des autorités françaises.38(*)
- Un article 25 relatif aux observations transfrontalières par les agents des deux États : cette disposition permet de continuer une filature commencée sur le territoire de l'État poursuivant afin de ne pas perdre de vue les personnes soupçonnées de participer à une infraction. Compte tenu du risque important de franchissement de la frontière terrestre, cette clause est particulièrement importante pour l'aboutissement des enquêtes conduites par les deux pays.
- Un article 26 relatif aux équipes communes d'enquête : de tels dispositifs39(*), créés dans un objectif précis et pour une durée limitée, permettent une coopération dynamique, et s'avèrent particulièrement utiles dans des zones transfrontalières.
- Un article 27 relatif aux infiltrations, permet le recours à cette technique d'enquête, particulièrement utile en matière de criminalité organisée, tout en laissant un important regard du ministère de la justice et des autorités judiciaires sur leur mise en oeuvre, conformément au droit français en la matière40(*).
- Un article 28 traitant des questions de responsabilité civile et pénale des fonctionnaires au cours des opérations de livraisons surveillées, d'observations et de poursuites transfrontalières, d'équipes communes d'enquête, et d'infiltrations - corolaire des nouvelles possibilités ouvertes par l'avenant.
L'article 17 crée un article 29 relatif à la protection des données à caractère personnel, intégrant la jurisprudence du Conseil d'État.
Le considérant 108 du règlement général de protection des données (RGPD) prévoit en effet qu'un transfert de données à caractère personnel ne peut être envisagé qu'en présence de « garanties appropriées », de nature à « compenser l'insuffisance de la protection des données dans le pays tiers » de façon à « assurer le respect des exigences en matière de protection des données et des droits des personnes concernées d'une manière appropriée au traitement au sein de l'Union ».
En l'espèce, c'est le cas de l'article 29 de l'accord avec le Brésil qui contient un ensemble de « garanties appropriées » :
- Le principe de limitation des finalités et de spécialité (paragraphe 1, 3),
- Le principe de minimisation des données (paragraphe 2),
- Le principe de limitation de la durée de la conservation (paragraphe 6),
- Les principes d'exactitude, d'intégrité, de confidentialité (paragraphe 8),
- Les principes de droits d'accès, de rectification, d'effacement aux personnes concernées (paragraphe 4),
- Le principe de voies de recours juridictionnelles effectives des personnes concernées en cas de méconnaissance des garanties ci-dessus décrites (paragraphe 4).
L'article 18 comporte les habituelles dispositions finales relatives à l'entrée en vigueur de l'avenant.
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L'entrée en vigueur de l'avenant faisant l'objet du présent rapport est très attendue tant par les autorités judiciaires françaises que par leurs homologues brésiliens. En modernisant une convention vieille de près de trente ans, il permettra de renforcer, simplifier et fluidifier notre partenariat avec la république fédérative du Brésil dans le domaine de la lutte contre la criminalité, dans le contexte d'une progression exponentielle du narcotrafic d'origine sud-américain.
* 37 Ces trois paragraphes sont inspirés :
- de l'article 73 de la convention d'application de l'accord de Schengen ;
- de l'article 12 de la convention du 29 mai 2000 qui a repris le texte de la convention d'application de l'accord de Schengen (ouverte aux seuls États membres de l'Union européenne) ;
- de l'article 18 du deuxième Protocole additionnel à la convention européenne d'entraide judiciaire (qui met en oeuvre les mêmes règles entre un plus grand nombre d'États).
* 38 L'article 706-80-2 du code de procédure pénale fixe le cadre national permettant le recours à cette technique d'enquête (qui sera appliqué lorsque la France est partie requise). Cet article prévoit ainsi que : « Dans le cadre d'une opération de surveillance de l'acheminement ou du transport des objets, biens ou produits tirés de la commission de l'une des infractions entrant dans le champ d'application des articles 706-73, 706-73-1 ou 706-74 [criminalité et délinquance organisée et crimes] ou servant à les commettre, et lorsque les nécessités de l'enquête ou de l'instruction l'exigent, les officiers de police judiciaire et, sous leur autorité, les agents de police judiciaire en charge des investigations peuvent, avec l'autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction saisi des faits, qui en avise préalablement le parquet, livrer ou délivrer à la place des prestataires de services postaux et des opérateurs de fret ces objets, biens ou produits, sans être pénalement responsables. A peine de nullité, l'autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction est écrite et motivée. Cette autorisation est versée au dossier de la procédure et les actes autorisés ne peuvent constituer une incitation à commettre une infraction. »
* 39 Selon l'article 695-10 du code de procédure pénale, des équipes communes d'enquête peuvent être mises en oeuvre avec des États tiers à l'Union Européenne, à la condition que ces derniers soient Parties à toute convention comportant des dispositions similaires à celles de la Convention relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les États membres de l'Union européenne du 29 mai 2000, ce qui est le cas en l'espèce.
* 40 L'article 694-7 du code de procédure pénale stipule : « Avec l'accord préalable du ministre de la justice saisi d'une demande d'entraide judiciaire à cette fin, des agents de police étrangers peuvent poursuivre sur le territoire de la République, sous la direction d'officiers de police judiciaire français, des opérations d'infiltration conformément aux dispositions des articles 706-81 à 706-87. L'accord du ministre de la justice peut être assorti de conditions. L'opération doit ensuite être autorisée par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris ou le juge d'instruction du même ressort dans les conditions prévues par l'article 706-81. Le ministre de la justice ne peut donner son accord que si les agents étrangers sont affectés dans leur pays à un service spécialisé et exercent des missions de police similaires à celles des agents nationaux spécialement habilités mentionnés à l'article 706-81. »