N° 776

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 juin 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi visant
à
permettre aux salariés de certains établissements et services
de travailler le 1er mai (procédure accélérée),

Par M. Olivier HENNO,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Mouiller, président ; Mme Élisabeth Doineau,
rapporteure générale ;
Mme Pascale Gruny, M. Jean Sol, Mme Annie Le Houerou, MM. Bernard Jomier, Olivier Henno, Dominique Théophile, Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, Corinne Imbert, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ;
Mmes Marie-Do Aeschlimann, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Bourcier, Céline Brulin, M. Laurent Burgoa,
Mmes Marion Canalès, Maryse Carrère, Catherine Conconne, Patricia Demas, Chantal Deseyne, Brigitte Devésa,
M. Jean-Luc Fichet, Mme Frédérique Gerbaud, MM. Xavier Iacovelli, Khalifé Khalifé, Mmes Florence Lassarade,
Marie-Claude Lermytte, Monique Lubin, Brigitte Micouleau, M. Alain Milon, Mmes Laurence Muller-Bronn, Solanges Nadille, Anne-Marie Nédélec, Guylène Pantel, M. François Patriat, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Anne-Sophie Romagny, Laurence Rossignol, Silvana Silvani, Nadia Sollogoub, Anne Souyris, M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

Voir les numéros :

Sénat :

550 et 777 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

Face à une insécurité juridique sur la portée exacte de la dérogation au caractère chômé du 1er mai, le texte vise à autoriser le travail des salariés ce jour pour tous les secteurs d'activité disposant d'une dérogation permanente au repos dominical.

La commission a adopté le texte en ciblant davantage les établissements concernés et en prévoyant le respect du volontariat de leurs salariés.

I. LA FÊTE DU 1ER MAI : UN JOUR LÉGALEMENT CHÔMÉ ET ASSORTI D'UNE DÉROGATION À LA PORTÉE INCERTAINE

A. DEPUIS 1947, LE 1ER MAI EST CHÔMÉ EN VERTU DE LA LOI AVEC, TOUTEFOIS, UNE DÉROGATION PRÉVUE PAR LE CODE DU TRAVAIL

Parmi les onze jours fériés, énumérés par le code du travail, le 1er mai est le seul jour chômé en vertu de la loi, les autres fêtes étant chômées en cas d'accord collectif le prévoyant ou par décision de l'employeur. En principe, les salariés ne travaillent donc pas ce jour, sans que leur rémunération soit amputée pour autant. Cette particularité du 1er mai s'explique par la symbolique de la « Fête du travail » et par son histoire faite de mouvements sociaux.

L'histoire du 1er mai : une fête aux multiples appropriations

En 1889, lors du congrès de la IIe Internationale socialiste à Paris, le 1er mai est choisi comme journée de lutte internationale en faveur de la journée de huit heures, et est célébré pour la première fois le 1er mai 1890. La manifestation du 1er mai 1891 dégénère à Fourmies (59) et une fusillade conduit à neuf morts parmi les ouvriers, avec un fort retentissement national, et ancre cette date dans la mémoire collective.

Une fois la journée de huit heures obtenue en 1919, les manifestations continuent à cette date, et le Front Populaire envisage d'en faire un jour légalement chômé. C'est finalement sous le régime de Vichy que cette journée devient « Fête du Travail et de la concorde sociale », avant qu'à la Libération, elle soit décrétée jour chômé pour la seule année 1946. Les lois du 30 avril 1947 et du 29 avril 1948 pérennisent finalement le caractère chômé de ce jour, encore en vigueur aujourd'hui.

Depuis la consécration législative du jour chômé du 1er mai, en 1947, une dérogation est cependant applicable aux établissements et services « qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail »1(*). Les salariés occupés ont alors le droit, en plus de leur salaire, à une indemnité, à la charge de l'employeur, égale au montant du salaire.

La liste des catégories d'établissement pouvant occuper des salariés le jour du 1er mai n'a pas été fixée par décret. Certains secteurs - les transports publics, les hôpitaux, les hôtels, les services de gardiennage... - remplissent naturellement la condition légale. Pour d'autres, il est revanche plus complexe de déterminer s'ils peuvent ou non se prévaloir de la dérogation.

B. EN MATIÈRE DE DÉROGATION AU CARACTÈRE CHÔMÉ DU 1ER MAI, UNE INTERPRÉTATION TRADITIONNELLE REMISE EN CAUSE PAR LA COUR DE CASSATION

Selon une position ministérielle ancienne, bénéficiaient de cette dérogation les employeurs qui pouvaient donner le repos hebdomadaire par roulement un autre jour que le dimanche, en vertu d'une dérogation permanente de droit prévue par le code du travail2(*). Cette assimilation était particulièrement utile puisqu'une liste précise de secteurs concernés était fixée par décret. La position fut par exemple réaffirmée, dans un courrier du 23 mai 1986, de Martine Aubry, alors directrice des relations du travail, adressé au président de la confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française.

Extrait du courrier du 23 mai 1986

« Par courrier du 10 janvier 1986 vous avez appelé mon attention sur la procédure engagée à l'encontre d'un de vos adhérents (...)

Je vous confirme que les établissements qui bénéficient d'une dérogation en vertu des articles L. 221-6 et L. 221-9 du code du travail relatifs au repos dominical peuvent être, selon une position administrative déjà ancienne, considérés comme répondant à la définition de l'article L. 222-7 [relatif aux établissements et service pouvant employer du personnel le 1er mai].

Il m'apparaît donc que la situation que vous évoquez n'était pas répréhensible ».

Toutefois, la Cour de cassation, notamment par un arrêt de 20063(*) a retenu une autre interprétation de la loi. Elle a ainsi jugé que les établissements et services admis à déroger au repos dominical n'ont pas, pour autant, le droit, par principe, d'occuper des salariés le 1er mai. Il appartient à l'employeur de démontrer que la nature de l'activité qu'il exerce ne permet pas effectivement d'interrompre le travail. Chaque situation doit donc être analysée au cas par cas.

II. UNE INSÉCURITÉ JURIDIQUE POUR CERTAINS SECTEURS QUI TRAVAILLENT LE 1ER MAI

A. DES SECTEURS QUI, TRADITIONNELLEMENT, TRAVAILLENT LE 1ER MAI

Dans certains secteurs d'activité, tels que la boulangerie-pâtisserie, les fleuristes, les jardineries ainsi que les théâtres et cinémas, l'ouverture des établissements et le travail des salariés le 1er mai ne soulevaient d'ordinaire pas de question. Cette pratique traditionnelle, conjuguée à la majoration salariale de 100 % expliquaient cette absence de difficulté dans les entreprises, comme les organisations d'employeurs de ces secteurs l'ont fait valoir au rapporteur.

Les employeurs pensaient d'autant plus être dans leur bon droit qu'une position ministérielle ancienne les assurait de la légalité de leurs activités le 1er mai.

Ce jour revêt en outre une importance majeure pour ces établissements et, notamment, pour les fleuristes. Le 1er mai représente ainsi une des toutes premières fêtes en termes de chiffre d'affaires selon l'Union nationale des fleuristes, la vente de muguet le 1er mai engendrant un chiffre d'affaires d'un montant de 19,4 millions d'euros selon la Fédération française des artisans fleuristes.

B. CES DERNIÈRES ANNÉES, DES VERBALISATIONS LOURDES DE CONSÉQUENCE

Ce statu quo a été remis en cause par des contrôles et des verbalisations dressées par certains services de l'inspection du travail en 2023, 2024 et 2025. La sanction applicable en cas de manquement à la législation sur le 1er mai est une amende de 750 euros, au plus, appliquée autant de fois qu'il y a de salariés indûment employés. Pour des très petites entreprises (TPE) comme le sont, souvent, les commerces de proximité, ces sommes ne sont pas négligeables.

Ces verbalisations ont été très localisées et marginales - en Vendée, en Charente, à Paris ou à Lyon notamment. En particulier, cinq boulangers ont été verbalisés en Vendée par l'inspection du travail pour avoir occupé leurs salariés le 1er mai 2024. Après avoir pu démontrer que leur situation et la nature de leur activité ne permettaient pas d'interrompre le travail le 1er mai, ces employeurs ont finalement été relaxés par des jugements du 25 avril 2025 du tribunal de police de la Roche-sur-Yon.

La fédération de la jardinerie a aussi fait état de contrôles, menés en 2023, de l'inspection du travail en Charente, qui ont conduit à un rappel à la loi d'une jardinerie indépendante et d'une boutique de fleuriste. De même, une procédure pénale a également été ouverte suite à l'ouverture d'un commerce le 1er mai 2024.

Bien que peu nombreuses, et sans aboutir nécessairement à une condamnation pénale, ces verbalisations ont suffi à révéler l'insécurité juridique du cadre légal existant et à susciter l'inquiétude des professionnels.

Dès lors, une majorité de boulangeries ont décidé de rester fermées le 1er mai 2025. Parmi les boulangeries ayant ouvert ce jour-là, une vingtaine auraient été verbalisées selon la confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française. Cette organisation souligne que cette situation a fait naître, parmi la profession, « un sentiment de surprise, de confusion et d'incompréhension ». Une réaction identique est relevée par les représentants des fleuristes, couplée à un sentiment d'injustice de ne pouvoir exercer correctement son métier, le jour où la vente du muguet par les particuliers est tolérée. L'inadaptation du régime juridique du 1er mai est d'autant plus grande qu'il est proscrit aux vendeurs non professionnels de muguet « de s'installer à proximité d'un fleuriste... qui, désormais, restera fermé ! », selon les propos du président de l'Union nationale des fleuristes.

III. RESPECTER LES USAGES EN REMÉDIANT À L'INCERTITUDE JURIDIQUE SANS PORTER ATTEINTE À LA FÊTE DU 1ER MAI

A. LE TEXTE INITIAL PRÉVOYAIT D'OUVRIR LA DÉROGATION À TOUS LES SECTEURS ADMIS À DÉROGER AU REPOS DOMINICAL

La proposition de loi visait à préciser que les établissements bénéficiaires de l'exception au caractère chômé du 1er mai seraient les mêmes que ceux concernés par la dérogation au repos dominical en raison de leur « fonctionnement ou de leur ouverture rendue nécessaire par les contraintes de la production, de l'activité ou les besoins du public ». Ces derniers sont énumérés par un décret en Conseil d'État qui comprend de nombreux items et qui est régulièrement mis à jour. La liste a par exemple été étendue aux établissements à caractère religieux en 2022, aux entreprises de gestion, d'exploitation ou de maintenance des lignes et installations fixes d'infrastructures ferroviaires en 2016, aux commerces de bricolage en 2014.

En vertu de l'article R. 3132-5 du code du travail, de nombreux établissements sont concernés par la dérogation permanente de droit au repos dominical, accordée en raison des « contraintes de la production, de l'activité ou les besoins du public ». Il s'agit, par exemple, des jardineries, des commerces d'ameublement, des commerces de bricolage, des débits de tabac, des magasins de fleurs naturelles, des commerces fabriquant des produits alimentaires destinés à la consommation immédiate, des hôtels, cafés et restaurants, des promoteurs et agences immobilières, des établissements de location de DVD et de cassettes vidéo, des casinos, des entreprises de pompes funèbres, etc.

B. LA COMMISSION A SOUHAITÉ RESTREINDRE LA LISTE DES SECTEURS ÉLIGIBLES ET CONSACRER LE VOLONTARIAT DES SALARIÉS

À l'initiative d'un amendement du rapporteur, la commission a souhaité redéfinir le périmètre des établissements qui bénéficieraient, par principe, d'une dérogation au principe de la journée chômée du 1er mai. Ces établissements sont ceux qui, traditionnellement, ouvraient ce jour-là et dont l'activité justifie l'inscription d'une dérogation de droit dans la loi :

- les commerces de bouche de proximité - dont les boulangeries, pâtisseries, boucheries, poissonneries, etc. - qui permettent la continuité de la vie sociale ;

- les commerces - fleuristes et jardineries - liés à un usage traditionnel du 1er mai, à savoir s'offrir du muguet ;

- les établissements du secteur culturel - cinémas et théâtres notamment - dont l'activité répond à une demande naturelle du public un jour chômé.

Ce même amendement du rapporteur a également prévu que ces établissements ne pourront employer des salariés le 1er mai que sous réserve de leur volontariat. Cette consécration législative, qui ne s'appliquait à aucun secteur jusqu'à présent, paraît être la condition légitime de cette dérogation afin de ne pas porter une atteinte disproportionnée à la fête du 1er mai.

Enfin, la rédaction retenue par la commission maintient, en parallèle, le régime existant de dérogation. Le 1er mai, les employeurs, dont l'activité ne peut être interrompue, pourront continuer d'occuper des salariés, volontaires ou non, à la condition de pouvoir démontrer que leur activité et les circonstances de l'espèce répondent au critère légal.

Réunie le mercredi 25 juin 2025 sous la présidence de Philippe Mouiller, la commission des affaires sociales a adopté la présente proposition de loi modifiée par un amendement du rapporteur visant à cibler davantage les établissements concernés et en prévoyant le respect du volontariat de leurs salariés.

EXAMEN DES ARTICLES

Article unique
Dérogation à l'interdiction d'occuper des salariés la journée du 1er mai

Cet article propose de modifier les dispositions existantes permettant de déroger au caractère chômé du 1er mai afin de préciser que les établissements concernés sont les mêmes que ceux bénéficiant d'une dérogation permanente de droit au repos dominical.

La commission a adopté cet article en adoptant un amendement de rédaction globale afin de restreindre la liste des secteurs d'activité concernés et de prévoir, pour ces seuls secteurs, le principe du volontariat des salariés.

I - L'insécurité juridique née de la dérogation possible au caractère chômé du 1er mai

A. La fête du 1er mai : des racines historiques qui remontent au moins au XIXe siècle

Lors de son audition par le rapporteur, Danielle Tartakowski, historienne, professeure émérite d'histoire contemporaine à l'Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, ayant notamment publié un ouvrage intitulé La Part du rêve, Histoire du 1er mai en France, a retracé l'histoire de cette fête légale.

1. L'invention du 1er mai4(*) : une histoire méconnue

En parallèle de l'Exposition universelle de 1889, dédiée à la Révolution française, la IIe Internationale socialiste se déroule également à Paris au mois de juillet. Le 20 juillet, les guesdistes Raymond Lavigne et Jean Dormoy proposent d'organiser une grande manifestation « à date fixe dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois » pour que « les travailleurs mettent les pouvoirs publics en demeure de réduire légalement à huit heure la journée de travail ». Cette revendication fait figure « d'horizon d'attente »5(*), dans la mesure où les journées s'étendent encore sur plus de dix heures à cette époque.

Du fait de sa visée internationaliste et simultanéiste, la IIe Internationale retient la date du 1er mai dans le sillage des ouvriers de Chicago, qui avaient déjà manifesté le 1er mai 1867 en faveur de la journée de huit heures. Lors de son audition, Danielle Tartakowski a insisté sur la multiplicité des influences ayant convergé vers le début du mois de mai, y voyant même un fondement anthropologique. Symbole de renouveau, le 1er mai est également dans la tradition anglo-saxonne la date du « moving day », c'est-à-dire la date où les baux et contrats prennent fin.

La mystique folklorique du mois de mai en Europe

Dans un texte contemporain de la naissance du 1er mai, et souvent reproduit et distribué dans les cortèges depuis, le député belge du Parti ouvrier Emile Vandervelde donne un témoignage lyrique des origines folkloriques du 1er mai :

« Ne faut-il pas admettre que ces noirs bataillons d'hommes obéissaient à une mystérieuse et irrésistible impulsion qui a toujours poussé les peuples à fêter le renouveau, à célébrer la fête des germes quand mai fait monter les rêves et ramène la saison d'amour. Car ce jour-là, il y a fête dans toutes les religions et dans tous les pays. Pendant que ces travailleurs industriels quittent les usines et les charbonnages [...] et se promènent en longs cortèges [...] ne voyons-nous pas les jeunes filles parer les autels de la vierge et les paysans planter des arbres de mai ou allumer des feux de joie sur le sommet des collines. Et ces coutumes même ne sont que des survivances d'un passé plus lointain, des temps ou nos ancêtres, celtes ou germains, célébraient la fête de l'amour ou des arbres [...] nous fêtons, non seulement avec les vivants mais avec les morts, l'humanité tout entière ».

Postérieurement, des évènements tragiques vont contribuer à inscrire la date du 1er mai dans la mémoire collective et dans la culture des luttes sociales. D'abord aux États-Unis, où le massacre de Haymarket Square intervient le 4 mai 1886, toujours dans le sillage de la lutte pour la journée de huit heures. Mais surtout en France, où le 1er mai 1891 à Fourmies, dans le Nord, où la répression d'une manifestation analogue fait neuf morts - dont deux enfants - et trente blessés.

Par ailleurs, le 1er mai n'étant pas férié à cette époque, prendre part à un cortège supposait d'être en grève, la journée devient mécaniquement une figure de la grève générale. Cette tendance s'est encore renforcée lorsque, en 1905, la section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) s'est retirée de l'organisation du 1er mai, laissant de fait la confédération générale du travail (CGT) dans une position hégémonique dans les cortèges.

2. Vers la reconnaissance légale du 1er mai

Des tentatives d'ériger le 1er mai en fête légale apparaissent très tôt, mais c'est paradoxalement en 1920 - alors que la journée de huit heures vient d'être inscrite dans la loi6(*) - qu'une initiative d'ampleur apparaît. À la veille du 1er mai, plus de quarante députés du Bloc national proposent en effet, sans succès, que « l'Union sacrée qui a permis de gagner la guerre se cimente à jamais par l'idée humanitaire et la féconde du travail ».

Le Front populaire envisage de reconnaître cette date parmi les jours fériés, mais le calendrier n'y est pas favorable puisque les 1er mai des années 1937 et 1938 tombent respectivement un samedi et un dimanche. À défaut, des instructions sont prises pour que les manifestations se voient reconnaître la nature de « cortège traditionnel » et ne nécessitent donc pas de déclaration en préfecture.

Par la suite, le régime de Vichy, en recherche de traditions et de légitimation, décrète en 1941 le 1er mai « Fête du Travail et de la concorde sociale ». Cette date coïncide en outre avec le saint patron correspondant au prénom de Philippe. C'est aussi sous son invitation que le brin de muguet supplante l'églantine rouge, considérée par le régime comme trop associée au communisme. En 1942, le 1er mai est donc chômé sans diminution de salaire.

Parallèlement à cette appropriation, les résistants se reconnaissent également dans la date du 1er mai, le général de Gaulle considérant en 1943 que « la Fête du Travail est un jour solennel de la Résistance nationale. »

La Libération confirme cet attachement à cette date de concorde nationale, en faisant du 1er mai 19467(*) un jour chômé et payé. Par la suite, ce sont les lois du 30 avril 19478(*) et du 29 avril 19489(*) qui pérennisent le caractère chômé de ce jour, encore en vigueur aujourd'hui.

B. Le droit existant : le 1er mai, jour légalement chômé, assorti d'une dérogation très limitée

1. Un jour légalement chômé

Parmi les onze « fêtes légales » énumérées à l'article L. 3133-1 du code du travail et consacrées comme des jours fériés10(*), le 1er mai suit un régime particulier. Il s'agit du seul jour chômé en vertu de la loi11(*) : les salariés ne le travaillent donc pas, en continuant de percevoir une rémunération. Les autres fêtes sont en effet chômées en cas d'accord collectif le prévoyant, au niveau de l'entreprise, ou, à défaut, au niveau de la branche12(*). Dans le cas contraire, c'est une décision unilatérale de l'employeur qui détermine les jours chômés13(*).

L'article L. 3133-5 du code du travail garantit que le chômage du 1er mai ne peut être une cause de réduction de salaire, tandis que les salariés rémunérés à l'heure, à la journée ou au rendement ont droit à une indemnité, à la charge de l'employeur, égale au salaire perdu du fait de ce chômage.

2. L'exception applicable aux employeurs « qui ne peuvent interrompre le travail », avec les difficultés d'interprétation qu'elle comporte

Reprenant les dispositions de l'article 3 de la loi du 30 avril 194714(*) et de l'ancien article L. 222-7 du code du travail, l'article L. 3133-6 du code du travail prévoit toutefois une exception en autorisant le travail le 1er mai « dans les établissements et services qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail ». Les salariés occupés ont alors le droit, en plus de leur salaire, à une indemnité, à la charge de l'employeur, égale au montant du salaire.

Cette dérogation légale, qui ne prévoit pas de conditions d'application comme le volontariat des salariés, peut toutefois être précisée par les conventions ou accords collectifs de travail. Ces derniers peuvent notamment exclure l'application de cette dérogation.

Il convient de noter enfin que l'interdiction de faire travailler les jours de fête les jeunes travailleurs âgés de moins de 18 ans15(*) s'applique également aux entreprises bénéficiant de la dérogation pour fonctionner ou ouvrir le 1er mai avec, là encore, des dérogations possibles16(*).

a) Une interprétation ministérielle traditionnelle

La liste des catégories d'établissement pouvant occuper des salariés le jour du 1er mai n'a pas été fixée par décret. Comme le confirme la direction générale du travail (DGT), certains secteurs (les transports publics, les hôpitaux, les hôtels, les services de gardiennage...) remplissent naturellement la condition légale prévue à l'article L. 3133-6 précité. Pour d'autres établissement, il est revanche plus complexe de déterminer s'ils peuvent ou non se prévaloir de la dérogation.

Une position ministérielle ancienne considérait que bénéficiaient de cette dérogation les employeurs qui pouvaient donner le repos hebdomadaire par roulement un autre jour que le dimanche, notamment en vertu d'une dérogation permanente de droit prévue à l'article L. 3132-12 du code du travail, depuis la recodification de 2008. Cette assimilation était particulièrement utile puisque le code du travail - soit au niveau législatif17(*) soit au niveau règlementaire18(*) - fixait une liste précise de secteurs concernés.

Le repos dominical et ses dérogations prévues dans le code du travail

Les articles L. 3132-1 et suivants du code du travail interdisent de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine. Il en découle un repos hebdomadaire, d'une durée minimale de vingt-quatre heures, qui doit être donné, dans l'intérêt des salariés, le dimanche19(*). Le législateur a toutefois prévu des dérogations au sein du code du travail.

• En vertu de l'article L. 3132-12 du code du travail, une dérogation permanente de droit est accordée aux établissements « dont le fonctionnement ou l'ouverture est rendu nécessaire par les contraintes de la production, de l'activité ou les besoins du public ».

• En outre, en application des articles L. 3132-20 et suivants du code du travail, le préfet peut exceptionnellement accorder des dérogations au repos dominical s'il est établi que ce repos donné à tous les salariés d'un établissement serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de l'établissement.

Le préfet peut autoriser l'établissement à accorder le repos des salariés, soit toute l'année, soit à certaines époques de l'année, suivant l'une de ces modalités :

- un autre jour que le dimanche à tous les salariés de l'établissement ;

- du dimanche midi au lundi midi ;

- le dimanche après-midi avec un repos compensateur d'une journée par roulement et par quinzaine ;

- par roulement à tout ou partie des salariés.

L'autorisation préfectorale est donnée pour une durée qui ne peut excéder trois ans, après avis du conseil municipal et, le cas échéant, de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI) dont la commune est membre, de la chambre de commerce et d'industrie, de la chambre de métiers et de l'artisanat, ainsi que des organisations professionnelles d'employeurs et des organisations syndicales de salariés intéressées de la commune.

L'application de cette dérogation est également soumise au volontariat des salariés concernés. Les salariés acceptant de travailler le dimanche bénéficient de contreparties déterminées par accord collectif. En l'absence d'accord collectif applicable, une décision unilatérale de l'employeur approuvée par référendum auprès du personnel concerné fixe les contreparties applicables, qui doivent prévoir le doublement de la rémunération et des repos compensateurs20(*). Cette autorisation peut être étendue à plusieurs ou à la totalité des établissements de la même localité exerçant la même activité, s'adressant à la même clientèle.

Cette position ministérielle fut par exemple rappelée dans un courrier du 23 mai 198621(*) de Martine Aubry, alors directrice des relations du travail, adressé au président de la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française. Ce courrier, transmis au rapporteur par cette confédération, donnait suite à une procédure engagée par l'inspection du travail à l'encontre d'un boulanger ayant occupé une salariée un 1er mai.

MINISTÈRE DES AFFAIRES SOCIALES

ET DE L'EMPLOI

DIRECTION DES RELATIONS DU TRAVAIL

Sous-direction de la négociation collective

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Paris, le 23 mai 1986

Monsieur le Président,

Par courrier du 10 janvier 1986 vous avez appelé mon attention sur la procédure engagée à l'encontre d'un de vos adhérents du Tarn et Garonne qui a occupé une de ses vendeuses le jour du 1er mai.

J'ai l'honneur de vous apporter les précisions suivantes dont j'informe les services de l'Inspection du travail concernée.

L'article L. 222-7 du Code du travail traite, sous l'aspect de la rémunération des salariés, des établissements et services qui, en raison de leur activité, ne peuvent interrompre le travail et de ce fait emploient du personnel le 1er mai.

Je vous confirme que les établissements qui bénéficient d'une dérogation en vertu des articles L. 221-622(*) et L. 221-923(*) du Code du travail relatifs au repos dominical peuvent être, selon une position administrative déjà ancienne, considérés comme répondant à la définition de l'article L. 222-7.

Il m'apparaît donc que la situation que vous évoquez n'était pas répréhensible.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de ma considération distinguée.

Le Directeur des relations du travail

b) Une remise en cause de cette interprétation

Toutefois, la Cour de cassation par plusieurs arrêts en 200024(*) et 200625(*) a déjugé le ministère du travail sur cette lecture de la loi. En 2006, la Cour a estimé que les établissements et services admis à donner le repos hebdomadaire par roulement n'ont pas, pour autant, le droit, par principe, de déroger au caractère chômé du jour du 1er mai pour les salariés. Il appartient à l'employeur se prévalant de l'article L. 3132-12 du code du travail de démontrer que la nature de l'activité exercée ne permet pas d'interrompre le travail.

Dès lors, comme le note le ministère du travail dans une réponse à une question parlementaire, « il convient d'analyser au cas par cas chaque situation de fait afin de déterminer si, en raison de la nature de l'activité (au regard de circonstances ou de besoins particuliers avérés, des impératifs de sécurité ou de l'intérêt général), l'interruption du fonctionnement de l'entreprise le 1er mai est ou non possible »26(*).

3. Des contrôles opérés pour certains commerces ces dernières années et des verbalisations

Ainsi les fédérations d'employeurs des branches des boulangeries pâtisseries artisanales, de la boulangerie et pâtisserie industrielle, des jardineries et graineteries et des fleuristes et animaux familiers, entendues en audition, considéraient-elles que leur secteur respectif bénéficiait d'une tolérance ministérielle pour employer des salariés le 1er mai.

Cette pratique de longue date a cependant été remise en cause par des contrôles et des verbalisations dressées localement par des inspecteurs du travail en 2023, 2024 et 2025. Le fait d'occuper un salarié le 1er mai, en méconnaissance du code du travail, est en effet passible d'une amende de 750 euros par salarié.

Les sanctions applicables en cas de manquement aux règles du 1er mai

L'article R. 3135-3 du code du travail prévoit que le fait de méconnaître les dispositions législatives relatives au 1er mai est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, soit 750 euros au plus27(*). Cette amende est appliquée autant de fois qu'il y a de salariés indûment employés ou rémunérés.

La fédération de la jardinerie a ainsi fait état de contrôles, menés en 2023, de l'inspection du travail en Charente qui ont conduit à un rappel à la loi d'une jardinerie indépendante et d'un fleuriste. De même, une procédure pénale à l'encontre de la société Jardiland a été ouverte du fait d'une ouverture le 1er mai 2024.

S'agissant des boulangeries-pâtisseries, cinq employeurs ont été verbalisés en Vendée pour avoir occupé leurs salariés le 1er mai 2024. Après avoir pu démontrer que leur situation et la nature de leur activité ne permettaient pas d'interrompre le travail le 1er mai, ils ont été relaxés par des jugements du 25 avril 2025 du tribunal de police de la Roche-sur-Yon. Les boulangers mis en cause ont notamment fait valoir qu'ils devaient assurer l'approvisionnement en pain d'établissements médico-sociaux qui ne fermaient pas le 1er mai.

C. Le dispositif proposé : redéfinir la portée de la dérogation

Le présent article vise à modifier l'article L. 3133-6 du code du travail afin de remplacer la définition existante des établissements et services pouvant occuper leurs salariés le 1er mai par une mention aux établissements concernés par la dérogation au repos dominical en vertu de l'article L. 3132-12 du même code.

Ainsi, les établissements et services admis à déroger au caractère chômé du 1er mai seraient ceux dont le « fonctionnement ou de leur ouverture rendue nécessaire par les contraintes de la production, de l'activité ou les besoins du public ». Or, en application du même article L. 3132-12, les catégories d'établissements concernés sont déterminées par un décret en Conseil d'État. L'article R. 3132-5 du code du travail énumère ainsi les différents secteurs bénéficiaires de cette dérogation

Les secteurs concernés par la dérogation permanente au repos dominical

En vertu de l'article R. 3132-5 du code du travail, de nombreux établissements sont concernés par la dérogation permanente de droit au repos dominical. Il s'agit, par exemple, des jardineries, des commerces d'ameublement, des commerces de bricolage, des débits de tabac, des magasins de fleurs naturelles, des commerces fabriquant des produits alimentaires destinés à la consommation immédiate, des hôtels, cafés et restaurants, des promoteurs et agences immobilières, des établissements de location de DVD et de cassettes vidéo, des casinos, des entreprises de pompes funèbres, etc.

Cette liste est d'ailleurs régulièrement mise à jour. Elle a par exemple été étendue aux établissements à caractère religieux en 2022, aux entreprises de gestion, d'exploitation ou de maintenance des lignes et installations fixes d'infrastructures ferroviaires en 2016, aux commerces de bricolage en 2014.

II - La position de la commission : un article bienvenu dans son principe mais qu'il convient de préciser

A. L'inadéquation du droit existant

Le rapporteur relève que le cadre légal existant est source d'insécurité juridique pour les professions, comme les boulangers, les fleuristes et les autres commerçants de proximité, qui traditionnellement ouvrent et occupent des salariés le 1er mai, en pensant être dans leur bon droit.

Les verbalisations dressées en 2023 et 2024, quand bien même elles ont abouti à des relaxes, suscitent l'inquiétude des professionnels. La nécessité de devoir motiver devant le juge leurs décisions de faire travailler leurs salariés induit une part risque que, généralement, ces derniers préfèrent ne pas prendre. Une majorité de boulangeries ont ainsi décidé de rester fermées le 1er mai 2025.

Parmi les boulangeries ayant tout de même ouvert, une vingtaine auraient été verbalisées, selon la confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française. Cette dernière indique au rapporteur que cette situation a fait naître, parmi la profession, « un sentiment de surprise, de confusion et d'incompréhension ».

En audition, les représentants des fleuristes ont mentionné la même inquiétude, doublée d'un sentiment d'injustice de ne pouvoir exercer correctement son métier, le jour où la vente du muguet par les particuliers est tolérée. L'inadaptation du régime juridique du 1er mai est d'autant plus grande qu'il est généralement proscrit aux particuliers, au sein des arrêtés municipaux, « de s'installer à proximité d'un fleuriste... qui, désormais, restera fermé ! », selon les propos de Pascal Mutel, président de l'Union nationale des fleuristes. Le 1er mai représente une des journées où le chiffre d'affaires des fleuristes est le plus important.

Le rapporteur regrette qu'il faille légiférer sur une situation qui, en dépit des imprécisions du droit, s'était toujours réglée sans difficulté dans la pratique. Toutefois, la législation sur le chômage le 1er mai étant d'ordre public, l'incertitude juridique ne peut être levée par la voie de la négociation collective. En outre, il convient bien sûr de respecter l'indépendance des inspecteurs du travail, consacrée par la convention internationale du travail n° 81 concernant l'inspection du travail dans l'industrie et le commerce28(*).

La voie législative paraît donc la seule option et le rapporteur accueille donc favorablement la proposition de loi.

B. Trouver le juste cadre législatif

L'importance singulière et la symbolique de la journée du 1er mai en droit du travail, que les organisations syndicales entendues par le rapporteur ont rappelées en audition, exigent que la dérogation légale au chômage de ce jour soit strictement proportionnée à la continuité minimale de la vie sociale.

Or, en faisant référence au régime juridique du repos dominical, le présent article traite, par les mêmes dispositions, deux situations qui ne sont pas identiques. Cet article renvoie à une liste, déjà déterminée par le pouvoir réglementaire, comportant de nombreux secteurs d'activité dont certains ne paraissent pas devoir bénéficier d'une dérogation de principe à l'interdiction d'occuper des salariés le 1er mai.

C'est pourquoi à l'initiative du rapporteur, la commission a adopté un amendement n° COM-4 qui redéfinit le périmètre des établissements qui bénéficieraient, par principe, d'une dérogation. Ces établissements sont ceux qui, traditionnellement, ouvraient ce jour et dont l'activité justifie l'inscription d'une dérogation de droit dans la loi. Cela concerne :

- les commerces de bouche de proximité29(*) - dont les boulangeries, pâtisseries, boucheries, poissonneries, etc. - qui permettent la continuité de la vie sociale ;

- les commerces - fleuristes et jardineries - liés à un usage traditionnel du 1er mai, à savoir s'offrir du muguet ;

- les établissements du secteur culturel - cinémas et théâtres notamment - dont l'activité répond à une demande naturelle du public un jour chômé.

Ce même amendement du rapporteur prévoit également que ces établissements ne pourront employer des salariés le 1er mai que sous réserve de leur volontariat. Cette consécration législative, qui ne s'appliquait à aucun secteur jusqu'à présent, paraît être la condition légitime de cette dérogation afin de ne pas porter une atteinte disproportionnée à la fête du 1er mai.

Enfin, la rédaction retenue par la commission maintient, en parallèle, le régime existant de dérogation. Le 1er mai, les employeurs, dont l'activité ne peut être interrompue, pourront continuer d'occuper des salariés, volontaires ou non, à la condition de pouvoir démontrer que leur activité et les circonstances de l'espèce répondent au critère légal.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 25 juin 2025, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de M. Olivier Henno, rapporteur, sur la proposition de loi (n° 550, 2024-2025) visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai.

M. Philippe Mouiller, président. - Nous commençons nos travaux par l'examen du rapport de notre collègue Olivier Henno sur la proposition de loi visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai, présentée par Mme Annick Billon, M. Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues.

Cette proposition de loi est inscrite à l'ordre du jour des travaux du Sénat du jeudi 3 juillet.

Je vous indique que quatre amendements ont été déposés sur ce texte. Après le retrait de l'un d'entre eux, trois restent soumis à notre examen.

M. Olivier Henno, rapporteur. - Nous examinons ce matin la proposition de loi de nos collègues Annick Billon et Hervé Marseille au sujet des motifs de dérogation à l'interdiction de travailler le 1er mai, inscrite par le Gouvernement à l'ordre du jour de la session extraordinaire de juillet et qui, j'en suis sûr, ne manquera pas de faire débat. Mais ce débat est louable, et peut-être même nécessaire. J'aime souvent à rappeler que Montesquieu invitait le législateur à ne modifier la loi « que d'une main tremblante ». C'est plus que jamais cette prudence et la recherche d'un équilibre qui m'ont guidé et m'ont finalement conduit à proposer une nouvelle rédaction de l'article unique de cette proposition de loi.

Je parle de prudence et d'équilibre, car il n'y a pas beaucoup de domaines au sein du code du travail qui soient aussi symboliques que le 1er mai.

En effet, le 1er mai n'est pas une date fériée comme les autres. Parmi les onze jours fériés reconnus par le code du travail, il est le seul à être chômé en vertu de la loi. En principe, les salariés ne travaillent donc pas ce jour-là, sans que leur rémunération soit amputée pour autant. Cette particularité s'explique par la symbolique de la fête du travail et son histoire faite de mouvements sociaux, que je ne résiste pas à vous rappeler brièvement.

En 1889, lors du congrès de la IIe Internationale socialiste à Paris, le 1er mai est choisi comme journée de lutte internationale en faveur de la journée de huit heures - à une époque où le travail pouvait s'étendre sur plus de douze heures. Célébré pour la première fois le 1er mai 1890, c'est le drame de Fourmies, le 1er mai 1891, qui a inscrit durablement cette date dans la mémoire collective. Il faut cependant attendre la Libération et les lois du 30 avril 1947 et du 29 avril 1948 pour voir ce jour chômé pérennisé.

Depuis, le jour du 1er mai est donc férié et chômé en vertu de la loi. L'employeur indélicat, qui ne respecterait pas cette journée de concorde sociale émaillée de cortèges, risque une amende de quatrième classe, soit 750 euros par salarié employé. Ce point n'est pas anecdotique, puisque, j'y reviendrai, certains employeurs se sont vu adresser des procès-verbaux de l'inspection du travail assortis d'amende allant jusqu'à 70 000 euros pour une chaîne de boulangerie parisienne.

À ce principe légal est assortie une dérogation applicable aux établissements et services « qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail ». Les salariés occupés ont alors droit à une rémunération majorée de 100 %.

La liste des catégories d'établissements pouvant occuper des salariés le 1er mai n'a pas été fixée par décret et, dès lors, le périmètre exact de la dérogation est sujet à interprétation depuis 1947. Certains secteurs, comme les transports publics, les hôpitaux, les hôtels, les services de gardiennage, paraissent naturellement ne pas pouvoir interrompre leur activité. Pour d'autres secteurs, l'application de la dérogation suscite plus de discussions.

Selon une position ministérielle ancienne, tous les employeurs qui sont admis à donner le repos hebdomadaire un autre jour que le dimanche, en vertu d'une dérogation permanente prévue par le code du travail, bénéficiaient aussi de la dérogation au caractère chômé du 1er mai. Cette identité entre les deux régimes juridiques s'avérait utile puisqu'une liste précise de secteurs concernés par la dérogation au repos dominical est fixée par décret. Cette position fut, par exemple, réaffirmée, dans un courrier du 23 mai 1986, de Martine Aubry, alors directrice des relations du travail. La lecture de ce courrier est instructive puisqu'on y apprend qu'en 1986 cette pratique administrative était déjà ancienne et que le ministère du travail considérait que le boulanger ayant ouvert le 1er mai n'avait pas commis de fait répréhensible.

Toutefois, la Cour de cassation, notamment par un arrêt de 2006, a retenu une autre interprétation de la loi. Elle a ainsi jugé que les établissements et services admis à déroger au repos dominical n'ont pas pour autant le droit, par principe, d'occuper des salariés le 1er mai. Il appartient à l'employeur de démontrer que la nature de l'activité qu'il exerce ne permet pas effectivement d'interrompre le travail. Chaque situation doit donc être analysée au cas par cas.

S'agissant du droit, la portée exacte de la dérogation n'a donc jamais fait l'objet de définition.

Pour ce qui est de la pratique, les choses étaient beaucoup plus claires.

Dans certains secteurs d'activité, tels que la boulangerie-pâtisserie, les fleuristes, les jardineries ainsi que les théâtres et cinémas, l'ouverture des établissements et le travail des salariés le 1er mai ne soulevaient d'ordinaire pas de question. Cette pratique était naturelle dans les entreprises et les salariés étaient volontaires en raison de la majoration salariale de 100 %, comme les organisations d'employeurs que j'ai rencontrées l'ont fait valoir en audition.

Pour les fleuristes, en particulier, le 1er mai a toujours revêtu une importance majeure puisque le chiffre d'affaires réalisé est l'un des plus importants de l'année. La vente de muguet le 1er mai représente une somme de 19,4 millions d'euros, selon la Fédération française des artisans fleuristes.

Cette situation a été remise en cause par des contrôles et des verbalisations dressées par certains services de l'inspection du travail ces dernières années.

Ces verbalisations ont été localisées et marginales - en Vendée, en Charente, à Paris ou à Lyon notamment. La Fédération nationale des métiers de la jardinerie a aussi fait état de contrôles, menés en 2023, de l'inspection du travail en Charente, qui ont conduit à un rappel à la loi d'une jardinerie indépendante et d'une fleuristerie. De même, une procédure pénale a également été ouverte à la suite de l'ouverture d'un commerce le 1er mai 2024.

En particulier, cinq boulangers ont été verbalisés en Vendée pour avoir occupé leurs salariés le 1er mai 2024. Certains pourraient se saisir de cet exemple pour démontrer que le travail le 1er mai dans ce secteur était contra legem et que, dès lors, légiférer sur ce point reviendrait à régulariser des « hors-la-loi ».

Toutefois, ce raisonnement, qui repose sur un raccourci juridique, n'est pas fondé. Les employeurs incriminés ont démontré au juge que la nature de leur activité ne permettait pas d'interrompre le travail. Le tribunal de police leur a donné raison, contre la position de l'inspection du travail, et ils ont finalement été relaxés par des jugements du 25 avril 2025. C'est bien là que réside la subtilité du droit existant. En cas de contrôle et de poursuite pénale, les employeurs doivent démontrer, dans les circonstances de l'espèce, que leur situation est légale. Or, cette incertitude juridique et le risque financier encouru ne sont pas satisfaisants pour les employeurs de ces commerces, souvent des très petites entreprises (TPE).

Dès lors, une majorité de boulangeries ont décidé de rester fermées le 1er mai 2025, et cette situation a fait naître, parmi la profession, « un sentiment de surprise, de confusion et d'incompréhension », selon les mots de la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française.

En audition, les représentants des fleuristes ont exprimé la même inquiétude, doublée d'un sentiment d'injustice, celle de ne pouvoir exercer correctement son métier le seul jour où la vente du muguet par les particuliers est tolérée. Pour reprendre la formule du président de l'Union nationale des fleuristes, qui illustre cette situation ubuesque, les arrêtés municipaux interdisent le plus souvent aux vendeurs particuliers de « s'installer à proximité d'un fleuriste, qui, désormais, restera fermé ! »

J'en viens enfin au dispositif prévu par la proposition de loi. Dans sa version initiale, il raccrochait les établissements bénéficiaires de l'exception au caractère chômé du 1er mai aux critères retenus pour la dérogation au repos dominical en raison de leur « fonctionnement ou de leur ouverture rendue nécessaire par les contraintes de la production, de l'activité ou les besoins du public ». Cette rédaction a l'avantage de renvoyer à un décret en Conseil d'État qui existe déjà, et de correspondre à la position historique de l'administration en la matière.

Cependant, il m'est apparu au cours de mes travaux que cette liste comprend de nombreux items, et a tendance à s'allonger chroniquement. Depuis 2014, ont, par exemple, été ajoutés les services d'infrastructures ferroviaires et les commerces de bricolage. Cette liste comprend également des activités telles que les agences immobilières ou les établissements de location de DVD, ce qui se justifie concernant le travail le dimanche, mais pas le 1er mai.

Plus généralement, c'est cette dernière réflexion qui m'a conduit à vous proposer une nouvelle rédaction de l'article unique : si le 1er mai n'est pas un jour férié comme un autre, il ne peut pas voir son régime calqué sur celui du dimanche.

Ainsi, je vous proposerai de redéfinir le périmètre des établissements qui bénéficieraient, par principe, d'une dérogation pour le 1er mai, en renvoyant à un nouveau décret. Celui-ci correspondrait aux établissements qui, traditionnellement, ouvrent ce jour, et dont l'activité justifie la dérogation : les commerces de bouche de proximité - dont les boulangeries, pâtisseries, boucheries, poissonneries, etc. -, qui permettent la continuité de la vie sociale ; les commerces liés à un usage traditionnel du 1er mai, à savoir s'offrir du muguet ; les établissements du secteur culturel - cinémas et théâtres notamment -, dont l'activité répond à une demande naturelle du public un jour chômé.

Par ailleurs, l'amendement prévoit également que, pour ces seuls établissements, l'activité des salariés n'est possible que sous réserve de leur volontariat. Cette précision me semble garantir le respect de la volonté des travailleurs, et permettre pour autant l'activité des entreprises concernées.

Enfin, la rédaction proposée maintient, en parallèle, le régime existant de dérogation, afin de tenir compte de la spécificité de certaines activités telles que les hôpitaux ou les services de transport, pour lesquelles la condition de volontariat ne paraît pas souhaitable.

Au terme de mes travaux, je ne doute pas que nous aurons des désaccords sur le dispositif retenu. J'espère néanmoins qu'au regard de l'évolution proposée et de la philosophie que j'ai partagée avec vous, vous comprendrez que notre intention n'est pas de banaliser le 1er mai, loin s'en faut. Je vous inviterai donc à adopter ce texte dans la version issue de l'amendement de rédaction globale que je vais vous proposer.

Auparavant, il m'appartient de vous soumettre un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je vous propose de considérer que cette proposition de loi comprend des dispositions relatives au repos et à la rémunération des salariés les jours fériés.

Il en est ainsi décidé.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Monsieur le rapporteur, j'entends bien la modification de la rédaction de l'article unique que vous proposez. Au préalable, permettez-moi de dire que cette proposition de loi est mal intitulée. En effet, il s'agit non pas de permettre aux salariés de travailler le 1er mai - c'est ce que l'on en comprend implicitement -, mais de permettre aux employeurs de faire travailler leurs salariés le 1er mai. Ce texte émane d'une demande des employeurs, et tous les représentants des salariés sont vent debout contre cette évolution. Aussi, il convient de modifier l'intitulé de la proposition de loi, car il ne correspond pas à cette réalité.

Le 1er mai n'est pas un jour férié comme un autre, et vous l'avez d'ailleurs souligné ; c'est un jour férié international, célébré dans la quasi-totalité des pays du monde. Il est né d'une revendication de réduction du temps de travail : huit heures de travail, huit heures de repos et huit heures pour les loisirs - une revendication d'émancipation.

Ce sont certains employeurs qui demandent à bénéficier d'une dérogation pour faire travailler les salariés. Or, sur le plan symbolique, c'est une remise en cause du 1er mai. D'ailleurs, l'historienne, Danielle Tartakowsky, a même évoqué, lors de son audition, la dimension anthropologique du 1er mai, une position que je partage.

Jusqu'à présent, seule la nature de l'activité, qui implique que les établissements et services ne peuvent interrompre le travail, peut conduire ces derniers à demander une dérogation. Ne mettons pas un pied dans la porte. D'ailleurs, il est faux de dire que la rémunération est majorée de 100 % ! Depuis 1947, le 1er mai est obligatoirement chômé et payé ! Le salarié est payé parce qu'il travaille.

J'ajoute que la notion de volontariat n'existe pas pour le 1er mai. Ceux qui travaillent ne sont pas volontaires. Dans certains services, comme les services de soins, par exemple, c'est un jour comme les autres, obligatoire. Introduire la notion de volontariat dans la définition est donc une aberration.

Vous l'avez bien compris, on ne peut pas calquer le régime des dérogations sur celui qui prévaut pour le travail dominical. Vous avez pris en compte la spécificité du 1er mai en restreignant la portée du texte à certains secteurs. Mais cette liste s'élargira, comme ce fut le cas pour la liste des dérogations autorisées le dimanche. Dès lors qu'il s'agit de répondre aux besoins du public, vous ouvrez grand la porte. Le décret du Conseil d'État sera restrictif au départ, mais chaque année, des employeurs demanderont à bénéficier de cette dérogation, car les besoins du public vont croissant.

En 1986, Martine Aubry faisait référence dans le courrier que vous avez évoqué à un roulement des personnels pour le repos dominical, qui était très encadré. Les dérogations du travail dominical n'ont plus rien à voir avec les dérogations d'alors. S'est ensuivie une dérégulation constante du travail du dimanche : aujourd'hui, le travail du dimanche est banalisé.

Je le redis, il est essentiel de modifier l'intitulé de la proposition de loi. Adopter ce texte revient à mettre un pied dans la porte ! La liste des dérogations va exploser, comme ce fut le cas pour la dérogation du dimanche. C'est la spécificité même du 1er mai qui est ici en cause, avec la revendication d'émancipation qu'elle porte.

M. Daniel Chasseing. - Monsieur le rapporteur, vous avez bien expliqué la symbolique du 1er mai, ainsi que la catégorie des établissements et services qui peuvent bénéficier d'une dérogation, car la nature de leur activité ne permet pas d'interrompre le travail, comme les hôpitaux, les transports, les métiers de bouche, etc. Il est ubuesque que les fleuristes, les métiers de bouche ne puissent pas travailler le 1er mai. Les particuliers pourront vendre du muguet, mais pas les fleuristes !

Vous proposez de redéfinir le périmètre des établissements qui bénéficieraient d'une dérogation, et j'en suis d'accord. En effet, certaines entreprises, notamment rurales, ne peuvent fonctionner qu'avec leurs employés. Il s'agit donc ici non pas de remettre en cause le 1er mai, qui est chômé et payé, sauf pour les établissements et services qui bénéficient d'une dérogation, mais de déterminer ceux pour lesquels l'activité justifie une dérogation. Je suis favorable à ce texte.

Mme Céline Brulin. - Je suis surprise que vous considériez comme légitime le fait d'assouplir la loi parce qu'elle n'a pas été respectée par certains. Si l'on appliquait cette logique dans d'autres domaines, certains d'entre vous se trouveraient enferrés dans leurs propres contradictions.

Certes, le rapporteur a l'intention de circonscrire la portée de la proposition de loi, qui calque le régime des dérogations sur celui des dérogations du travail dominical, mais celle-ci suscite l'opposition unanime des organisations syndicales. Or je ne suis pas sûre qu'il soit pertinent de légiférer sur un tel sujet dans le contexte actuel.

Je vous entends affirmer régulièrement les uns et les autres qu'il faut accorder la plus grande place possible à la négociation collective. Certaines organisations syndicales nous ont expliqué que des négociations de branche dans certains métiers de bouche sont possibles pour répondre à des situations très identifiées - elles sont d'ailleurs très peu nombreuses. D'autres encore ont souligné qu'une simple remise à jour de la position ministérielle suffirait. Mais vous avez choisi d'en passer par la loi, ce qui est clairement une atteinte au 1er mai, qui ne représente pas uniquement la fête du travail, comme je l'ai entendu.

En effet, c'est une journée de lutte pour les droits des travailleurs. Restreindre ces droits, c'est toute une symbolique assez inquiétante.

Vous parlez de volontariat, mais c'est ignorer le lien de subordination entre le salarié et l'employeur. D'ailleurs, le travail du dimanche était au départ basé sur le volontariat, mais il est aujourd'hui parfois inscrit dans certains contrats que le salarié doit travailler du lundi au dimanche.

Je veux vous rendre attentifs aux effets de cette loi sur l'artisanat et le petit commerce. Les grandes surfaces vendent aussi du pain, des fleurs... Rien ne justifie réellement l'ouverture dominicale des grandes surfaces, mais elles vont pouvoir se prévaloir de cette dérogation le 1er mai, à l'instar de ce qu'il s'est passé lors de la crise sanitaire du covid. Nous allons vers une société sans pause pour les salariés, ni pause sociale ni pause pour défendre leurs droits. Sans surprise, nous voterons donc contre ce texte.

Mme Monique Lubin. - Cette proposition de loi est totalement incongrue. Je remercie notre rapporteur d'avoir pris la mesure du danger qu'elle pouvait présenter, en restreignant sa portée. Toutefois, il est dangereux d'ouvrir la brèche. Si l'on autorise les commerces absolument utiles et indispensables à ouvrir le 1er mai, tous les commerces deviendront indispensables dans quelques années.

On se félicite du travail des partenaires sociaux, mais ici vous n'en avez pas grand-chose à faire !

Nous voterons contre cette proposition de loi ; j'espère que le débat sera nourri en séance.

M. Alain Milon. - Je suis d'accord avec le rapport d'Olivier Henno et je le remercie de son travail.

Toutefois, je rejoins notre collègue Raymonde Poncet Monge sur un point : quand on met un pied dans la porte, on l'ouvre complètement. Nous pourrons vous opposer cet argument en octobre prochain lors de l'examen d'une autre proposition de loi...

Mme Laurence Muller-Bronn. - Je tiens à remercier le rapporteur.

En Alsace, le droit local relatif à l'ouverture des commerces est très rigoureux. Ainsi, il est absolument interdit d'ouvrir le dimanche et le 1er mai. Sur dérogation municipale exceptionnelle, seules les boulangeries peuvent ouvrir. Or les Alsaciens peuvent se nourrir et s'offrir des fleurs ! Aussi, mon approche est quelque peu différente.

Il faut respecter le repos le dimanche - mais ce n'est pas l'objet de notre discussion - et le 1er mai, un jour férié international dans la quasi-totalité des pays du monde. Ce pied dans la porte peut conduire à tous les excès. D'où ma prudence.

Au demeurant, il est anormal que les boulangers verbalisés soient traités comme des criminels et qu'ils doivent payer des amendes excessives. Dans le même temps, on a toujours vu des particuliers vendre du muguet, et les fleuristes n'ont pas mis la clé sous la porte pour autant.

Soyons raisonnables et très prudents sur ce changement fondamental. Quoi qu'il en soit, l'Alsace ne sera pas concernée.

Mme Laurence Rossignol. - Permettez-moi de considérer ce texte sous un autre angle. Souvent, sont évoquées au sein de notre commission la question du rôle des familles, celle de la place de la famille, l'analyse du délitement et de l'atomisation des familles, la question de la responsabilité parentale et la manière dont la structure familiale doit vivre avec des rites, pour vivre des moments protégés du monde extérieur.

Le 1er mai est quasiment le seul jour où la quasi-totalité des salariés ne travaille pas et où les enfants ne vont pas à l'école. Je vous ferai remarquer que les employés des commerces dont on parle sont majoritairement des femmes.

Vous proposez donc que, le 1er mai, des femmes soient obligées de travailler, laissant leurs enfants seuls une journée de plus dans l'année. Voilà qui n'est pas cohérent avec vos positions, le plus souvent, sur le rôle, la responsabilité de la famille et le lien parent-enfant.

Mme Frédérique Puissat. - Je tiens à remercier les auteurs de ce texte, que j'ai cosigné, et le rapporteur. Au-delà des caricatures que nous avons entendues, les parlementaires ont pour missions de sécuriser le droit et de simplifier son application sur le terrain. Le rapport montre bien des besoins en termes de sécurisation du droit, car, localement, certains inspecteurs du travail ont une autre interprétation du droit. Cela a été rappelé, l'ensemble des employeurs incriminés ont été relaxés.

Le rapporteur l'a rappelé, nous ne touchons pas au 1er mai dans le code du travail, qui reste un jour chômé. Nous ne faisons que sécuriser et simplifier la dérogation. Je remercie le rapporteur d'avoir clarifié le texte, car la rédaction retenue pouvait prêter à interprétation. J'espère que l'amendement proposé sera adopté.

De toute façon, comme l'a souligné notre collègue Alain Milon, nous aurons à un moment donné des discussions sur la durée du travail et sur le rapport au travail. Ne caricaturons pas, certains salariés travaillent peut-être sous contrainte, mais il y en a d'autres qui aiment leur travail, qui sont passionnés ; ...

Mme Raymonde Poncet Monge et Mme Monique Lubin. - Les salariés sous contrainte sont aussi des passionnés.

Mme Frédérique Puissat. - ... et d'autres encore qui ont besoin de travailler. Il ne faut pas méconnaître cette situation. Il importe de considérer le rapport au travail dans sa globalité. Notre groupe votera ce texte modifié par l'amendement du rapporteur.

M. Olivier Henno, rapporteur. - Ce qui fait la spécificité du 1er mai, c'est cette double dimension de fête du travail et de fête des salariés.

Notre objectif n'est pas de changer les règles - Frédéric Puissat l'a rappelé, nous ne touchons pas au principe du 1er mai chômé dans le code du travail. Les inspecteurs du travail sont certes libres de leur interprétation, mais, en tant que législateurs, nous pouvons aussi considérer qu'ils se sont livrés à une lecture autonome et abusive des textes. Nulle part, il n'est inscrit que le 1er mai devrait être une journée « ville morte ».

Je partage l'idée que le 1er mai n'est pas un jour férié comme un autre. C'est aussi pourquoi nous avons voulu le dissocier du dimanche. La notion de volontariat me semble également très importante et, par ailleurs, nous fixons dans la loi les critères du décret afin d'éviter la perspective pointée de voir s'ajouter successivement des secteurs concernés par la dérogation.

Le risque évoqué par Céline Brulin à propos des grandes surfaces peut être écarté, car le critère proposé retient une activité de vente de produits alimentaires exercée à titre exclusif.

L'objet de cette proposition de loi est simplement de revenir à la situation équilibrée qui existait lorsque la directrice des relations du travail a adressé la lettre évoquée en 1986, ni plus ni moins.

Les organisations syndicales ont certes réagi vivement, en particulier sur l'analogie entre le 1er mai et le dimanche, mais nous avons fait évoluer le texte après leurs auditions.

Quant aux négociations de branche, elles ne permettraient pas à elles seules de régler la situation ; nous devons obligatoirement passer au préalable par la loi pour ne pas créer une situation d'insécurité juridique.

Je comprends bien évidemment les problèmes posés pour les familles, mais, encore une fois, il ne s'agit pas d'assimiler le 1er mai au dimanche, mais simplement de permettre aux quelques commerces qui étaient ouverts avant cette interprétation excessive de le rester.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

M. Olivier Henno, rapporteur. - L'amendement de suppression COM-3 vise à revenir sur l'objet même de la proposition de loi.

Le nombre de procès-verbaux dressés par les services de l'inspection du travail a augmenté de manière inexplicable cette année, avec des conséquences réelles pour les commerces concernés, puisque l'amende encourue est de 750 euros par salarié.

Par ailleurs, il ne me semble pas que les organisations patronales demandent de remettre en question le régime spécifique du 1er mai, mais elles souhaitent précisément revenir à une souplesse qui a longtemps été prônée par l'administration elle-même.

Quant à la question du volontariat, elle sera intégrée dans la rédaction que je vous proposerai d'adopter. Mon avis est défavorable.

L'amendement COM-3 n'est pas adopté.

M. Olivier Henno, rapporteur. - L'amendement COM-4 rectifié vise à réaffirmer la spécificité du 1er mai, tout en permettant aux établissements visés par le texte de 1986 d'ouvrir. Il intègre aussi la notion de volontariat.

L'amendement COM-4 rectifié est adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est ainsi rédigé.

Intitulé de la proposition de loi

M. Olivier Henno, rapporteur. - La modification de l'intitulé de la proposition de loi prévue par l'amendement COM-2 ne me semble pas souhaitable, dans la mesure où celle-ci permet plutôt qu'elle n'oblige aux salariés de travailler le 1er mai. En effet, la rédaction que je vous ai proposée met en place un système de volontariat, qui laisse donc une faculté de choix aux salariés.

L'amendement COM-2 n'est pas adopté.

TABLEAU DES SORTS

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique :
Dérogation au caractère chômé du 1er mai

Mme LUBIN

3

Suppression d'article

Rejeté

M. HENNO, rapporteur

4 rect.

Mise en place d'une exception au caractère chômé du 1er mai pour une liste limitative de secteurs

Adopté

Mme PONCET MONGE

2

Modification de l'intitulé

Rejeté

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS, ALINÉA 3,
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie »30(*).

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie31(*).

Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte32(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial33(*).

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des affaires sociales a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 25 juin 2025, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 550 (2024-2025) visant à permettre aux salariés de certains établissements et services de travailler le 1er mai.

Elle a considéré que ce périmètre incluait des dispositions relatives au repos et à la rémunération des salariés les jours fériés.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Auditions

· Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française

Xavier Casalini, secrétaire général

Delphine Mau, directrice juridique de la confédération

· Fédération des entreprises de boulangerie (FEB)

Paul Boivin, délégué général

· Fédération française des artisans fleuristes

Farell Legendre, président

Yves Jacob, délégué général

· Union nationale des fleuristes

Pascal Mutel, président

Lili Tisseyre, directrice générale

· Jardineries et animaleries de France

Thomas Le Rudulier, délégué général

· Danielle Tartakowsky, historienne, professeure émérite d'histoire contemporaine à l'Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, spécialiste des mouvements sociaux

· Confédération générale du travail (CGT)

Thomas Vacheron, membre de la direction confédérale

Anaïs Ferrer, conseillère confédérale

· Confédération Force ouvrière (FO)

Karen Gournay, secrétaire confédérale en charge de la négociation collective et de la représentativité

Didier Pieux, secrétaire fédéral - Fédération générale des travailleurs de l'agriculture de l'alimentation et des services connexes (FGTA-FO)

· Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)

Arnaud Marchat, secrétaire national chargé du commerce CFTC-CSFV

Enes Kefelioglu, juriste

· Direction générale du travail (DGT)

Sacha Reingewirtz, sous-directeur adjoint des relations du travail

Aurélie Baquié, cheffe du bureau de la durée et des revenus du travail

Alexandre Salle, adjoint à la cheffe du bureau de la durée et des revenus du travail

Contributions écrites

· Mouvement des entreprises de France (Medef)

· Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

· Union des entreprises de proximité (U2P)

· Confédération française de l'encadrement-confédération générale des cadres (CFE-CGC)

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-550.html


* 1 Article L. 3133-6 du code du travail.

* 2 Article L. 3132-12 du code du travail.

* 3 Cass. crim., 14 mars 2006, no 05-83.436.

* 4 Eric Hobsbawm et Terence Ranger (dir.), The Invention of Tradition, Cambridge, 1983.

* 5 Michèle Perrot, in The Power of the Past. Essays for Eric Hobsbawm, Cambridge, 1984.

* 6 Loi du 23 avril 1919 sur la journée de huit heures.

* 7 Loi n° 46-828 du 28 avril 1946 relative à la journée du 1er mai 1946.

* 8 Loi n° 47-773 du 30 avril 1947 relative à la journée du 1er mai.

* 9 Loi n° 48-746 du 29 avril 1948 modifiant et complétant la loi n° 47-778 du 30 avril 1947 relative à la journée du 1er mai.

* 10 1° Le 1er janvier ; 2° le lundi de Pâques ; 3° le 1er mai ; 4° le 8 mai ; 5° l'Ascension ; 6° le lundi de Pentecôte ; 7° le 14 juillet ; 8° l'Assomption ; 9° la Toussaint ; 10° le 11 novembre ; 11° le jour de Noël.

* 11 Article L. 3133-4 du code du travail.

* 12 Article L. 3133-3-1 du code du travail.

* 13 Article L. 3133-3-2 du code du travail.

* 14 Loi n° 47-778 du 30 avril 1947 relative à la journée du 1er mai.

* 15 Article L. 3164-6 du code du travail.

* 16 Article L. 3164-8 du code du travail.

* 17 En application de l'ancien article L. 221-9 du code du travail.

* 18 Par le décret d'application de l'article L. 221-9 du code du travail ou du nouvel article L. 3132-12 du code du travail.

* 19 Art. L. 3132-3 du code du travail.

* 20 I de l'article L. 3132-25-3 et article L. 3132-25-4 du code du travail.

* 21 Lettre de Martine Aubry, directrice des relations du travail, du 23 mai 1986.

* 22 Devenu, peu ou prou, les articles L. 3132-20 et suivants du code du travail.

* 23 Dont les dispositions sont aujourd'hui comprises à L. l'article L. 3132-12 du code du travail.

* 24 Cass. crim. 8 février 2000, no 99-82.118.

* 25 Cass. crim. 14 mars 2006, no 05-83.436.

* 26 Réponse à la question écrite du député Jérôme Nury (n° 5508, 17e législature).

* 27 Article 131-13 du code pénal.

* 28 Dont le Conseil d'État assure la garantie juridictionnelle : CE, 9 octobre 1996, Union nationale C.G.T. des affaires sociales et autres, n° 167511, publié au recueil Lebon.

* 29 Il s'agit des établissements assurant, à titre principal, la fabrication ou la préparation de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate ou les autres établissements dont l'activité exclusive est la vente de produits alimentaires au détail.

* 30 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 31 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 32 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 33 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

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