N° 784
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 juin 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi relative à la protection sociale complémentaire des agents publics territoriaux,
Par Mme Catherine DI FOLCO,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Sénat : |
300 et 785 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Moins de la moitié des agents de la fonction publique territoriale sont aujourd'hui couverts par une protection sociale complémentaire au titre de la prévoyance, c'est-à-dire contre les risques d'incapacité de travail, d'invalidité, d'inaptitude ou de décès1(*).
Or, l'absence de couverture complémentaire en matière de prévoyance peut avoir de lourdes conséquences financières et sociales pour les agents publics, qui, en cas d'arrêt de travail, ne bénéficient que des garanties statutaires, c'est-à-dire d'un demi-traitement au bout de trois mois d'arrêt dans le cas d'un congé de maladie. Ce risque de précarité est d'autant plus élevé dans la fonction publique territoriale que le salaire médian y est plus faible que dans les autres versants de la fonction publique (en raison de la forte proportion d'agents de catégorie « C »), que la moyenne d'âge y est plus élevée, et que la sinistralité y est plus importante, en raison de métiers davantage exposés à l'usure et à la pénibilité. Les insuffisances en matière de protection sociale complémentaire ne sont pas non plus sans conséquence pour les employeurs publics au regard des enjeux de continuité du service public et d'attractivité du secteur public.
Dans ce contexte, l'accord collectif national du 11 juillet 2023, signé à l'échelle du versant territorial par les membres de la coordination des employeurs territoriaux et les organisations syndicales représentatives, a entendu approfondir la réforme de la protection sociale complémentaire mise en oeuvre par l'ordonnance n° 2021-175 du 17 février 2021. Il a ainsi posé le principe de la généralisation des contrats collectifs à adhésion obligatoire en matière de protection sociale complémentaire au titre de la prévoyance, et a fixé le montant de la participation minimale de l'employeur au financement de la protection sociale complémentaire en prévoyance à la moitié de la cotisation individuelle prévue au contrat ouvrant droit aux garanties minimales.
Déposée le 3 février 2025 par Isabelle Florennes, la proposition de loi n° 300 (2024-2025) relative à la protection sociale complémentaire des agents territoriaux entend apporter une traduction législative aux dispositions de l'accord collectif national du 11 juillet 2023.
Soucieuse de permettre la mise en oeuvre de l'accord collectif national, qui représente une avancée sociale majeure pour les agents de la fonction publique territoriale, la commission a salué cette proposition de loi, attendue depuis 2023 par les signataires de l'accord.
Dans un objectif de sécurité juridique, elle a par ailleurs jugé nécessaire de préciser la disposition relative aux successions de contrats afin de garantir dans tous les cas la prise en charge des agents, ainsi que le régime dérogatoire à l'attention des agents se trouvant en arrêt de travail lors de l'entrée en vigueur du contrat collectif à adhésion obligatoire.
Enfin, au regard du calendrier d'examen de la proposition de loi, d'une part, et de la nécessité de laisser aux employeurs et aux organisations syndicales le temps de préparer la mise en oeuvre des dispositions relatives à la généralisation des contrats collectifs à adhésion obligatoire, d'autre part, la commission a reporté au 1er janvier 2029 l'entrée en vigueur des principales dispositions du texte aux collectivités qui ne disposent pas, à l'heure actuelle, de contrat collectif en complémentaire prévoyance.
À ces fins, la commission a adopté la proposition de loi modifiée par six amendements du rapporteur.
I. À LA SUITE DE L'ORDONNANCE DU 17 FÉVRIER 2021 DE RÉFORME DE LA PROTECTION SOCIALE COMPLÉMENTAIRE, L'ACCORD COLLECTIF NATIONAL DU 11 JUILLET 2023 S'EST PRONONCÉ EN FAVEUR DE LA GÉNÉRALISATION DES CONTRATS COLLECTIFS À ADHÉSION OBLIGATOIRE
A. LA COUVERTURE EN PRÉVOYANCE DES AGENTS DE LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE N'EST PAS À LA HAUTEUR DES ENJEUX
1. Les agents de la fonction publique territoriale sont particulièrement exposés aux risques de prévoyance
Fort de 1,94 million d'agents2(*), le versant territorial de la fonction publique comporte des spécificités qui sont à l'origine d'une exposition plus forte non seulement aux risques d'incapacité de travail, d'invalidité, d'inaptitude ou de décès, mais également aux situations de précarité en cas d'arrêt de travail.
Les agents publics territoriaux exercent en effet des métiers marqués par une forte pénibilité, 45 % d'entre eux occupant des emplois dans la filière technique (entretien des espaces verts, collecte d'ordures, exécution de travaux publics). De plus, la moyenne d'âge dans le versant territorial (46 ans) est plus élevée que dans les autres versants, et la pyramide des âges présente un profil inversé, 44 % des agents étant âgés de 50 ans et plus.
En outre, la forte proportion d'agents de catégorie « C » (72 %) ainsi que le faible salaire médian qui en découle (1 947 euros) sont à l'origine d'un risque de précarité accru dans le cas où l'agent doit s'arrêter de travailler pour des raisons de santé : s'il ne dispose pas d'une couverture complémentaire en matière de prévoyance, il ne bénéficie alors que des garanties de rémunération statutaires, soit un demi-traitement au bout de trois mois d'arrêt dans le cas d'un congé de maladie3(*).
Principales caractéristiques des agents de la fonction publique territoriale
Âge moyen des agents |
Part des agents de catégorie « C » |
Part des agents de la filière technique |
Salaire mensuel médian (en €) |
2. En dépit des dispositifs mis en place à l'échelle locale, la couverture des agents publics territoriaux en prévoyance est limitée
Depuis 2012, les collectivités territoriales peuvent participer, par le versement d'une aide financière, à la protection sociale complémentaire de leurs agents4(*) qui souscrivent ou adhèrent à des contrats ou règlements de protection sociale complémentaire5(*), qu'il s'agisse d'un contrat collectif qui a fait l'objet d'une convention entre la collectivité et un organisme d'assurance, ou bien d'un contrat individuel labellisé.
Au 31 décembre 2022, 18 600 collectivités ayant au moins un agent (soit 46 % des collectivités) participent au financement de la protection sociale complémentaire de leurs agents au titre de la prévoyance6(*). Plus des trois quarts des régions, départements et EPCI à fiscalité propre sont concernés, et environ les deux tiers des communes de plus de 2 000 habitants.
Part des collectivités participant aux frais de protection sociale complémentaire de leurs agents pour la prévoyance |
||||
Régions |
Départements |
Communes |
Établissements communaux |
EPCI à fiscalité propre |
Source : commission des lois à partir de DGCL (synthèse des rapports sociaux uniques de 2022)
Au total, plus de la moitié des agents dont la collectivité finance la protection sociale complémentaire au titre de la prévoyance en bénéficient, pour un montant annuel moyen de 202 euros par agent, soit 16 euros mensuels.
Le fait que de nombreux agents territoriaux ne soient pas couverts par une protection sociale complémentaire au titre de la prévoyance7(*), tient à plusieurs facteurs :
· Le caractère facultatif, jusqu'au 1er janvier 2025, de la participation de l'employeur ;
· Le caractère également facultatif de l'adhésion de l'agent aux contrats collectifs ;
· Une culture hétérogène de la prévention et une perception souvent lacunaire, y compris chez les agents eux-mêmes, des enjeux liés à la couverture du risque prévoyance ;
· Une expertise insuffisante en matière de dispositifs assurantiels et une méconnaissance des mécanismes de protection sociale complémentaire de la part des employeurs territoriaux ;
· Un marché peu attractif pour les opérateurs, du fait de l'absence de mutualisation des risques et d'un niveau élevé d'« antisélection »8(*), qui conduit à des niveaux élevés de cotisation9(*).
* 1 D'après la synthèse nationale des rapports sociaux uniques de 2022 publiée en novembre 2024 par la direction générale des collectivités locales (DGCL).
* 2 Soit 34 % de l'emploi public (5,7 millions en tout) au 31 décembre 2022, répartis à 71 % dans les régions, départements et communes, et à 29 % dans les établissements publics administratifs locaux (source : direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), fonction publique - chiffres clés, novembre 2024).
* 3 Article L. 822-3 du code général de la fonction publique.
* 4 Fonctionnaires, contractuels de droit public ou privé.
* 5 En application du décret n° 2011-1474 du 8 novembre 2011 relatif à la participation des collectivités territoriales et de leurs établissements publics au financement de la protection sociale complémentaire de leurs agents.
* 6 Contre 18 200 fin 2021 (source : DGCL, synthèse des rapports sociaux uniques de 2022, novembre 2024).
* 7 Selon les derniers bilans disponibles, en 2021, environ 40 % des agents territoriaux étaient couverts en prévoyance ; la DGCL a évoqué auprès du rapporteur « l'hypothèse » d'une couverture de près de 70 % des agents territoriaux au 1er janvier 2025.
* 8 Phénomène en vertu duquel les agents jeunes et/ou peu exposés aux risques d'invalidité et d'incapacité renoncent à adhérer.
* 9 Les taux des contrats collectifs à adhésion facultative s'élèvent aujourd'hui à 2 %, et ceux des contrats individuels labellisés s'établissent entre 3 % et 5 % (source : fédération nationale des centres de gestion, 2025).