N° 56
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026
Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 octobre 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur la
proposition de loi
visant à la
nationalisation des actifs
stratégiques
d'ArcelorMittal
situés sur le
territoire
national,
Par M. Arnaud BAZIN,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
Voir les numéros :
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Sénat : |
626 (2024-2025) et 57 (2025-2026) |
L'ESSENTIEL
Déposée le 14 mai 2025 par la présidente Cécile Cukierman et plusieurs de ses collègues, la proposition de loi n° 626 (2024-2025) visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national a pour objet de procéder à la nationalisation des sites industriels détenus en France par le groupe ArcelorMittal.
Réunie le 22 octobre 2025, sous la présidence du sénateur Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport du sénateur Arnaud Bazin sur cette proposition de loi.
Le rapporteur, qui partage avec les auteurs de la proposition le constat de l'importance de garantir la pérennité sur le territoire national d'une filière sidérurgique prospère, relève que la décision de nationalisation qui est proposée ne résoudrait aucun des problèmes structurels rencontrés actuellement par le secteur de la production d'acier en Europe.
En dépit de l'importance de protéger la filière sidérurgique qui présente un caractère stratégique pour notre souveraineté industrielle, la commission n'a pas adopté cette proposition de loi au regard de son coût massif et du fait que la solution proposée serait inefficace pour rétablir la compétitivité de cette filière.
I. LE SECTEUR DE LA PRODUCTION D'ACIER EN EUROPE TRAVERSE UNE CRISE STRUCTURELLE LIÉE AU DÉSÉQUILIBRE DU MARCHÉ MONDIAL DE L'ACIER ET AUX COÛTS ASSOCIÉS À LA DÉCARBONATION DES PROCESSUS DE PRODUCTION
A. LE MARCHÉ EUROPÉEN DE L'ACIER EST DURABLEMENT DÉSÉQUILIBRÉ PAR LA DÉSINDUSTRIALISATION DES ÉCONOMIES DE L'UNION EUROPÉENNE ET PAR LES SURCAPACITÉS MONDIALES DE PRODUCTION
Le secteur sidérurgique européen traverse actuellement une crise aigue liée au déséquilibre économique du marché de l'acier, sous l'effet conjugué d'une demande en baisse du fait de la désindustrialisation des économies de l'Union européenne et d'une offre en hausse du fait de l'existence d'importantes surcapacités de production à l'échelle mondiale.
En premier lieu, le secteur sidérurgique au sein de l'Union européenne, dont les clients se trouvent principalement sur le continent européen, doit affronter une contraction de la demande d'acier liée au recul de la production industrielle en Europe. Cette contraction de la demande aboutit à une réduction du taux d'utilisation des capacités de production en France et en Europe, qui fragilise directement les industriels du secteur en raison des coûts fixes élevés associé à la production d'acier.
En second lieu, le marché de l'acier dans son ensemble est actuellement perturbé par le déséquilibre, constaté au niveau mondial, entre l'offre et la demande. L'excès d'offre d'acier, qualifié de « surcapacité », a été estimé par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à 602 millions de tonnes en 20241(*) et cette surcapacité devrait perdurer à moyen terme du fait de la dynamique de création de nouvelles capacités de production en particulier en Asie.
Surcapacités mondiales d'acier
(en millions de tonnes produites)
Note : La surcapacité correspond à la différence positive entre l'offre mondiale et la demande mondiale.
Source : commission des finances, d'après les données de la World Steel Association
B. LA CRISE DU SECTEUR DE L'ACIER EN EUROPE EST AGGRAVÉE PAR L'OBLIGATION DE DÉCARBONER RAPIDEMENT LE PROCESSUS DE PRODUCTION ET PAR LES INCERTITUDES SUR LE PRIX DE L'ÉNERGIE
À court terme, le déséquilibre économique de la filière de production d'acier en Europe est aggravé par la réforme du « marché du carbone » européen2(*) qui prévoit, pour tenir compte de l'entrée en vigueur du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), une trajectoire de réduction progressive des attributions gratuites de quotas d'émission dans le secteur de l'acier jusqu'à leur extinction en 2034.
À moyen et long terme, la rentabilité de l'activité de production d'acier sur le territoire de l'Union européenne repose sur la capacité des acteurs industriels à décarboner leurs processus de production. Dans ce contexte, la hausse des prix de l'énergie depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 a renforcé les contraintes pesant sur les aciéristes dans le cadre de la construction de plans d'affaires robustes et décarbonés.
Le coût de l'hydrogène vert est actuellement deux fois trop élevé pour permettre d'assurer la production décarbonée de minerai de fer pré-réduit à un prix compétitif.
II. LA NATIONALISATION NE PERMET DE RÉSOUDRE AUCUN DES PROBLÈMES RENCONTRÉS PAR LES ACIÉRISTES EN FRANCE DONT LA PÉRENNITÉ PEUT ÊTRE SOUTENUE PAR DES MESURES ALTERNATIVES À L'ÉCHELLE FRANÇAISE ET EUROPÉENNE
A. LA NATIONALISATION DES SITES INDUSTRIELS D'ARCELORMITTAL EN FRANCE EST UNE MESURE TRÈS COÛTEUSE ET SANS EFFET SUR LA CRISE TRAVERSÉE PAR LE SECTEUR
L'objet de la proposition de loi est de procéder à la nationalisation, c'est-à-dire au transfert contraint de la propriété vers l'État, des sites industriels détenus par le groupe ArcelorMittal en France.
Le périmètre de cette nationalisation, qui inclut les deux principaux pôles de production d'acier en France qui sont les sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer, recouvre un appareil productif structurant dans le paysage industriel qui emploie 15 000 salariés et qui a annoncé en avril 2025, dans le contexte de la crise de l'acier européen, un plan de restructuration prévoyant la suppression de 636 postes en France.
Le rapporteur relève, sans contester le caractère stratégique de la filière sidérurgique pour notre souveraineté industrielle, que la décision de nationalisation restera sans effet sur les causes du déséquilibre économique actuelle.
Le changement d'actionnariat n'aura de conséquence ni sur la baisse de la demande, ni sur les surcapacités mondiales ni sur la hausse du prix de l'énergie. En revanche, le fait d'isoler les sites de production français du groupe ArcelorMittal pourrait avoir des conséquences directes et préjudiciables sur le plan commercial en privant ces sites du flux de commande géré à l'échelle européenne par le groupe ArcelorMittal.
Évolution de la demande d'acier plat en Europe
(en millions de tonne)
Source : commission des finances, d'après les données d'Eurofer
Le rapporteur relève par surcroît que la décision de nationalisation aurait un coût immédiat dont l'ordre de grandeur atteint plusieurs milliards d'euros. Au regard de la dégradation aigue des comptes publics, cette décision risquerait de provoquer un effet contreproductif d'éviction de l'investissement privé par la dépense publique, en immobilisant des sommes qui seraient mieux employées en soutien de la décarbonation des sites très émetteurs situés sur le territoire national.
B. LA DÉFENSE DES SITES DE PRODUCTION D'ACIER SUR LE TERRITOIRE NATIONAL PEUT ÊTRE ASSURÉE EFFICACEMENT PAR DES MESURES DE POLITIQUE INDUSTRIELLE ET DE POLITIQUE COMMERCIALE
En premier lieu, à l'échelle nationale, le rapporteur souligne que la première alternative crédible à la nationalisation est la poursuite du soutien à la décarbonation des sites industriels. Il sera attentif à cet égard à ce que l'enveloppe pluriannuelle de 6 milliards d'euros d'aides publiques à la décarbonation permette de soutenir efficacement la transition du secteur sidérurgique français et notamment des sites de production détenus en France par le groupe ArcelorMittal.
En second lieu à l'échelle européenne, le rapporteur note que la Commission européenne s'est récemment saisie de l'impératif de rééquilibrage face aux surcapacités mondiales d'acier en proposant au début du mois d'octobre 2025 un mécanisme de protection pérenne qui repose à la fois sur la réduction des quotas d'importation en franchise de douane et sur le rehaussement à 50 % des droits hors quotas.
Compte tenu de ces éléments, la proposition de loi n'a pas été adoptée par la commission.
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Une réduction de |
Un niveau de droit hors quotas réhaussé à |
... Pour assurer la protection des |
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des quotas d'importation en franchise de douane par rapport à 2024 |
contre 25 % dans le cadre de la mesure de sauvegarde... |
emplois directs dans le secteur sidérurgique en Europe |
La proposition de loi sera examinée en séance publique le 30 octobre 2025.
* 1 OCDE, mai 2025, Perspectives de l'acier.
* 2 Système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (SEQE-UE).




