EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 22 octobre 2025 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Arnaud Bazin, rapporteur, élaboré le texte de la commission sur la proposition de loi n° 626 (2024-2025) visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national.

M. Claude Raynal, président. - Nous passons à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi (PPL) visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national.

M. Arnaud Bazin, rapporteur. - Nous examinons ce matin la proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d'ArcelorMittal situés sur le territoire national, déposée sur le Bureau du Sénat le 14 mai dernier par la présidente Cécile Cukierman et plusieurs de ses collègues.

Sans surprise au regard de la position constante de la majorité sénatoriale sur ce sujet, je vous propose de rejeter cette proposition de loi, qui présente le double inconvénient d'être coûteuse et surtout de ne pas apporter de solution durable aux problèmes rencontrés par les sites de production d'ArcelorMittal en France.

Mais avant d'en venir à l'examen de chacun des articles de la proposition de loi, qui concourent tous au même objectif - c'est-à-dire la nationalisation des sites industriels d'ArcelorMittal en France -, je vous propose de rappeler le contexte dans lequel intervient cette proposition de nationalisation. Ce propos liminaire s'articulera en trois points : premièrement, les causes structurelles de la crise traversée actuellement par le secteur de l'acier en Europe, qui dépassent largement le cas d'ArcelorMittal ; deuxièmement, le caractère inadapté de la nationalisation qui, en plus d'être coûteuse, ne permettrait pas de protéger la production d'acier en France ; troisièmement les mesures alternatives à la nationalisation qui sont en train d'être prises pour protéger le secteur sidérurgique en France et en Europe.

En premier lieu, je veux insister sur le fait que la filière de production d'acier en Europe traverse depuis plusieurs années une crise structurelle qui dépasse largement le cas des sites de production d'ArcelorMittal en France.

Pour ne prendre que quelques illustrations, je rappelle que le secteur sidérurgique européen a vu la suppression de 100 000 emplois entre 2007 et 2024.

Pour la seule année 2024, le nombre d'emplois supprimés s'élève à 18 000 et j'ajoute que le groupe sidérurgique allemand ThyssenKrupp a annoncé il y a un an qu'il envisageait de supprimer 11 000 emplois à horizon 2030 dans ses filiales de production d'acier.

La filière de production d'acier européenne, qui utilise actuellement ses capacités de production à hauteur de 67 % seulement, traverse donc une crise grave et structurelle. Il serait par conséquent illusoire de nier le caractère global de cette crise en rejetant la faute sur un acteur unique, fût-il l'actionnariat du groupe ArcelorMittal.

Pour comprendre les causes structurelles de cette crise, il faut distinguer quatre facteurs qui se conjuguent pour dégrader l'équilibre économique de l'activité de production d'acier en Europe.

Le premier facteur est celui de la baisse de la demande d'acier en Europe. Il n'est en effet un secret pour personne que notre continent subit depuis plusieurs décennies, dans le cadre de la mondialisation des chaînes de valeur, un processus de désindustrialisation. Ce processus a comme effet indirect, mais mécanique, de réduire la demande en acier qui est largement portée par l'industrie automobile, ainsi que par le secteur de la construction. La réduction de 11 % de la demande d'acier plat en Europe au cours des cinq dernières années est à ce titre l'un des facteurs d'explication du recul de l'activité.

Le deuxième facteur est celui, plus déstabilisant encore, de l'existence sur le marché mondial actuel de l'acier d'une surcapacité massive de production d'acier.

Pour dire les choses concrètement, les usines mondiales de production d'acier ont produit en 2024 un surplus de 602 millions de tonnes d'acier par rapport à la demande mondiale. Or ce surplus, qui représente à lui seul plus de cinq fois la consommation en acier de l'Union européenne, vient perturber le marché européen en créant un excès d'offre, qui est aggravé par la fermeture des autres marchés par l'adoption de mesures protectionnistes dont la plus emblématique est l'application par l'administration américaine, depuis juin dernier, de droits de douane de 50 % sur leurs importations d'acier dès la première tonne importée.

Le troisième facteur est lié à la réforme récente du marché du carbone européen. En effet, les grands sites sidérurgiques européens sont assujettis depuis 2005 à une obligation de détenir des quotas d'émission équivalents à leurs rejets de gaz à effet de serre. Mais alors que ce marché prévoyait un mécanisme d'allocation gratuite de quotas d'émission pour tenir compte des risques de fuite de carbone, la mise en place récente du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) a eu pour conséquence indirecte de déclencher une trajectoire de réduction, à partir de l'exercice 2026, des quotas d'émission gratuits alloués aux aciéristes.

Enfin, le quatrième facteur, qui a un effet de perturbation indirecte sur la trajectoire de décarbonation de la filière sidérurgique, est la hausse substantielle des coûts de l'énergie observée en Europe depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022.

En effet, les processus décarbonés de production d'acier reposent non seulement sur l'électrification de certaines étapes de production, mais également sur l'usage de gaz naturel ou d'hydrogène comme énergie primaire. Par conséquent, les incertitudes actuelles sur le prix de l'électricité à long terme obstruent la visibilité des industriels sur leurs projets d'investissements. À titre d'illustration, ArcelorMittal estime que le prix de l'hydrogène vert devrait être divisé par deux pour que ce groupe puisse envisager de produire du minerai de fer pré-réduit décarboné à un prix compétitif.

En deuxième lieu, après vous avoir présenté ce contexte de crise structurelle du secteur de production d'acier en Europe, j'aimerais vous expliquer pour quelle raison la décision de nationalisation d'ArcelorMittal serait inefficace, fragiliserait les sites de production concernés et serait coûteuse pour les finances publiques.

Pour situer les termes du débat, je rappelle brièvement que le groupe ArcelorMittal, deuxième producteur d'acier au monde, est une multinationale née en 2006 de l'offre publique d'achat (OPA) menée à son terme par le groupe indien Mittal Steel sur le groupe européen Arcelor, lui-même né de la fusion de plusieurs acteurs européens, dont le français Usinor.

Le groupe ArcelorMittal emploie 15 000 personnes en France dans plus de 40 sites de production, au rang desquels les deux principaux pôles de la production d'acier en France : Dunkerque au Nord et Fos-sur-Mer au Sud.

Dans le contexte de crise européenne que je viens de décrire, les sites de production du groupe ArcelorMittal affrontent une dégradation de leur équilibre économique en conséquence de laquelle la direction du groupe a annoncé en avril dernier un plan de restructuration conduisant à la suppression de 636 postes, soit environ 4 % des effectifs en France.

Premièrement, je veux insister sur une raison fondamentale d'opposition à cette mesure qui est qu'elle ne résoudrait aucun des problèmes structurels que rencontre la filière sidérurgique européenne. La nationalisation d'ArcelorMittal n'aurait aucun effet sur la baisse de la demande d'acier en Europe ; elle n'aurait aucun effet non plus sur l'existence d'une surcapacité mondiale d'acier de plus 600 millions de tonnes par an.

Enfin, la nationalisation d'ArcelorMittal n'aurait pas plus d'effet sur les conséquences de la réduction des quotas gratuits d'émission et de la hausse du prix de l'énergie en Europe.

Force est donc de constater que la crise structurelle de la production d'acier en Europe est une crise globale que le changement d'actionnariat des sites français d'ArcelorMittal ne permettrait pas de résoudre.

Deuxièmement, je veux également insister sur le risque économique majeur auquel les sites français de production d'acier, au premier rang desquels Dunkerque et Fos-sur-Mer, seraient exposés en cas de détachement du groupe ArcelorMittal pour se trouver dans une entreprise isolée à capitaux publics.

En effet, comme nous l'ont expliqué les responsables d'ArcelorMittal et comme nous l'ont confirmé les services du ministère de l'industrie, les sites français de production d'acier bénéficient très largement du carnet de commandes du groupe ArcelorMittal, qui est géré à l'échelle européenne.

Concrètement, cela signifie que l'acier produit à Fos-sur-Mer ou à Dunkerque est souvent exporté vers des clients du groupe ArcelorMittal qui sont situés hors du territoire français.

Par conséquent, il existe un risque commercial majeur que des sites de production isolés, privés de l'apport de clientèle assuré par la gestion consolidée du groupe ArcelorMittal, se trouvent fragilisés et contraints de réduire encore le taux d'utilisation de leur capacité, ce qui aurait pour conséquence directe de dégrader encore la rentabilité de ces sites en raison des coûts fixes très importants dans le secteur sidérurgique.

J'ajoute, sur ce point, que l'option de la nationalisation ne fait pas l'unanimité parmi les représentants syndicaux du groupe ArcelorMittal que j'ai interrogés pour préparer l'examen de ce texte. Si la CGT soutient le projet de nationalisation, la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) - le deuxième syndicat le plus représentatif avec 25 % des voix aux élections professionnelles - s'est opposée à une nationalisation des sites français. En effet, la CFE-CGC rejoint l'analyse selon laquelle ArcelorMittal Europe est géré comme un groupe intégré : par conséquent, une nationalisation isolée des sites français risquerait de les fragiliser.

Enfin, j'aimerais évoquer le coût massif pour les finances publiques que représenterait une telle décision.

Les auditions menées dans le cadre de cette proposition de loi ne m'ont pas permis d'obtenir un chiffrage robuste quant à la valorisation des sites industriels d'ArcelorMittal en France.

En tout état de cause, les sources existantes et les travaux menés par les organisations syndicales font état d'un prix d'achat dont l'ordre de grandeur avoisine au minimum 1 milliard d'euros. En ajoutant les investissements massifs de décarbonation nécessaires à la pérennité des sites, le coût global de l'opération doit être estimé à plusieurs milliards d'euros.

Notre commission a fréquemment l'occasion de travailler sur la dégradation préoccupante de nos finances publiques et je n'insiste donc pas sur le caractère inopportun d'alourdir nos dépenses publiques de plusieurs milliards d'euros.

J'ajoute seulement que cette dépense massive aurait un effet contreproductif d'éviction de l'investissement privé par la dépense publique, alors même que le bon usage des deniers publics doit être particulièrement recherché dans la période actuelle.

En troisième lieu, je conclurai en soulignant qu'il existe des mesures alternatives à la nationalisation qui sont plus efficaces pour défendre la pérennité de la filière sidérurgique, dont il n'est pas question de nier le caractère stratégique, tant pour la France que pour l'Europe.

À l'échelle nationale, je rappelle qu'il existe une enveloppe pluriannuelle de 6 milliards d'euros pour soutenir les investissements des acteurs industriels privés dans la décarbonation des processus de production. Ces aides, qui ont un effet de levier important dans la mesure où elles entraînent des investissements privés, constituent un soutien vital pour assurer la transition de nos usines sidérurgiques, qui est la condition sine qua non de leur pérennité.

À l'échelle européenne, je tiens également à souligner les annonces particulièrement encourageantes qui ont été faites par la Commission européenne au début du mois d'octobre.

En effet, dans le sillage de la publication en mars 2025 d'un « plan d'action pour l'acier et les métaux », la Commission européenne a proposé le 7 octobre dernier la création d'un mécanisme de protection pérenne du marché de l'acier en Europe en application duquel les importations d'acier, au-delà d'un quota d'importations en franchise de droits, seront taxées à hauteur de 50 %.

L'annonce de ce mécanisme était particulièrement attendue par les industriels du secteur, dont notamment le groupe ArcelorMittal qui a salué les annonces faites par la Commission en affirmant que les aciéristes européens pouvaient « pousser un soupir de soulagement » après cette prise de conscience par les autorités européennes de l'urgence de prendre des mesures d'ampleur pour lutter contre les déséquilibres du marché mondial de l'acier, en particulier la surcapacité mondiale massive que j'ai évoquée.

En conclusion, je veux remercier nos collègues du groupe communiste d'avoir attiré l'attention du Gouvernement et celle du Sénat sur cette crise de l'acier européen, qui est un enjeu majeur pour notre souveraineté industrielle.

Pour autant, pour les diverses raisons que j'ai exposées, la nationalisation resterait sans effet sur cette crise structurelle et son effet principal serait d'immobiliser inutilement plusieurs milliards d'euros, en faisant courir aux sites concernés un risque de fragilisation commerciale supplémentaire.

Je propose donc à la commission de ne pas adopter cette proposition de loi, ce qui aura pour conséquence que le débat en séance publique portera sur le texte initial déposé sur le Bureau du Sénat.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de son travail, les nombreuses auditions qu'il a conduites lui permettant de rendre un avis étayé. Il faut éviter de répéter les erreurs du passé et de croire que des difficultés industrielles peuvent être résolues par le sauveur providentiel que serait l'État.

Une nationalisation reviendrait à prendre des risques supplémentaires et durables, ce qui pourrait contribuer à dégrader davantage la situation de l'entreprise et l'état de nos finances publiques, dont le dérapage est encore loin d'être contrôlé.

La nationalisation ne me semble pas être une mesure appropriée et je souscris donc pleinement à l'avis du rapporteur dans ce dossier, hélas ! encore sensible.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Les auteurs de la proposition de loi ont souhaité souligner le caractère absolument stratégique de la production d'acier, qui doit être présente sur le sol français - et pas seulement à l'échelle européenne -, tant pour la défense que pour l'aéronautique et le secteur automobile.

Cela étant, le rapporteur a mille fois raison de souligner que la nationalisation est une fausse bonne idée : il me semble d'ailleurs que Force ouvrière s'y est également opposée.

En revanche, les pouvoirs publics doivent tout mettre en oeuvre pour conserver cette production en France, notamment par le biais des aides à la décarbonation. Il conviendra sans doute de passer en revue les normes qui entravent la compétitivité du secteur sidérurgique en France et en Europe, la Commission européenne semblant opérer un virage en ce sens.

Quoi qu'il en soit, il importe d'agir rapidement compte tenu de l'urgence des enjeux, en particulier pour notre industrie de défense.

M. Pascal Savoldelli. - Malgré l'amabilité et le respect dont il a fait preuve à notre égard, notre collègue Arnaud Bazin s'est livré à un véritable réquisitoire, avec quelques omissions, sans doute involontaires.

Quitte à vous étonner, j'estime que le président de la région des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, qui n'est pas de la même sensibilité politique que moi, a raison lorsqu'il résume le débat sur la stratégie du secteur sidérurgique à « produire en Europe ou ailleurs ».

L'objectif poursuivi avec cette proposition de loi est de lancer l'alerte : il faut avoir conscience du fait qu'il n'y aura pas de métal avec Mittal, ce qui pose des questions essentielles pour notre souveraineté économique et industrielle.

Je note d'ailleurs que des sites de production sidérurgiques ont été nationalisés au Royaume-Uni et en Italie, point que vous n'avez pas abordé, sans que l'on puisse accuser leurs dirigeants respectifs d'être des nostalgiques des nationalisations et de l'étatisation des entreprises.

En outre, je rappelle qu'ArcelorMittal, c'est 12 milliards d'euros de rachats d'actions en l'espace de quatre ans, sujet sur lequel nous nous pencherons dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances (PLF). Si mes souvenirs sont exacts, les lignes de partage politiques à l'occasion des débats passés sur ce sujet n'épousait pas nécessairement les contours classiques de la minorité et de la majorité de notre assemblée, ce qui laisse penser que les amendements pourront provenir de différents groupes.

Je prends donc note de votre avis négatif sur cette proposition de nationalisation, mais je vous appelle à agir dans ce dossier qui soulève de sérieux enjeux en termes d'emplois et de souveraineté.

M. Thomas Dossus. - J'ai l'impression que le rapporteur a regardé ce texte avec les lunettes d'un monde qui n'existe plus ou qui est en train de changer très rapidement. En effet, la croyance selon laquelle le libre-échange et la concurrence libre et non faussée permettraient de réguler les marchés de façon optimale est en train de disparaître complètement, la Chine et les États-Unis subventionnant massivement leurs industries et inondant les marchés par leur surproduction, tandis que l'Union européenne n'est pas armée pour faire face à ce nouvel ordre économique.

Il importe donc de changer les règles. Comme l'a rappelé Pascal Savoldelli, le Royaume-Uni et l'Italie ont engagé des nationalisations pour des secteurs stratégiques et le débat consiste bien à savoir si nous décidons de laisser mourir cette filière d'acier française pour des motifs idéologiques qui n'ont plus lieu d'être face aux bouleversements de l'ordre économique.

Dans le cadre de cette discussion, il faut rappeler que les normes ne sont pas à l'origine des difficultés des sites de production : au contraire, elles permettent, conjuguées aux objectifs de décarbonation, de construire des avantages compétitifs qui doivent être renforcés pour éviter d'être inondés par l'acier bas de gamme et de fermer les hauts fourneaux français.

M. Victorin Lurel. - Je remercie les membres du groupe CRCE-K de nous permettre d'avoir un débat sur l'avenir de la filière sidérurgique. Il existe certes une pluralité de solutions face à ses difficultés, mais il est en tout état de cause hors de question de rester l'arme au pied. Si la nationalisation est rejetée à cause d'oeillères idéologiques, quelle mesure faut-il envisager ? La mise sous tutelle, ou une prise de participation de l'État, sans pour autant peser sur les orientations stratégiques de ce groupe ? Il faut, selon nous, agir.

Quid, cependant, des actifs non stratégiques qui ont sans doute bénéficié des aides publiques ? Aussi, nous soutenons les amendements déposés par M. Savoldelli et son groupe pour préciser la notion de « sites d'intérêt général ». Sous cette réserve, et même si nous aurons besoin de précisions sur la valorisation des actifs pour arrêter notre position, nous soutiendrons cette proposition de loi.

M. Claude Raynal, président. - Le texte permet en effet de lancer l'alerte sur la place de la production d'acier dans notre pays. Un point du rapport me semble appeler des précisions, à savoir la valeur de l'entreprise, en fonction de si elle est rentable ou non

Plus globalement, conserver une fabrication d'acier nationale - et non pas simplement à l'échelle européenne - semble indispensable dans la période que nous vivons.

M. Arnaud Bazin, rapporteur. - Nous convergeons tous sur la nécessité de disposer de capacités nationales de production d'acier, indispensables au développement des filières industrielles. Les déséquilibres actuels sont liés à la très forte montée en puissance des filières sidérurgiques de plusieurs pays émergents dont la Chine et aujourd'hui l'Inde. Or le ralentissement de la consommation intérieure chinoise alimente l'afflux de surplus de production sur le marché mondial, ce qui laisse penser que l'excédent d'acier sera probablement supérieur à 600 millions de tonnes dans quelques années.

Si nous partageons ce constat quant au caractère stratégique de la filière de l'acier, nous divergeons sur les moyens. Je ne pense pas avoir dressé un réquisitoire, monsieur Savoldelli, mais j'ai simplement rappelé des faits, à commencer par le fait que la production d'acier est intégrée à l'échelle européenne et que la production française répond aux besoins d'autres pays. De facto, ArcelorMittal Europe a la main sur le carnet de commande du groupe à l'échelle continentale : isoler la production française aboutirait à la mettre immédiatement en péril puisque la sous-utilisation des moyens de production entraînerait des pertes et soulèverait une réelle problématique en termes de débouchés.

Comment résoudre ces difficultés de manière pertinente ? Encore une fois, c'est à l'échelon européen que les mesures ont du sens, à la fois par le biais des tarifs douaniers qui viennent d'être revus à la hausse, mais également via une stabilisation des prix de l'énergie, afin de fournir de la visibilité aux industriels. La filière mobilise en effet énormément de capitaux, tout en ayant des besoins énergétiques extrêmement importants, qu'il s'agisse de gaz ou d'électricité.

En outre, le marché de l'acier doit être protégé du dumping chinois, indien ou américain : ce marché est d'ailleurs protégé aux États-Unis. Là réside le coeur du défi : nous avons besoin de produire de l'acier en Europe, dans des conditions de rémunération convenables pour les entreprises, ce qui implique des mesures de protection.

Même si l'on peut regretter son caractère tardif, la prise de conscience européenne au travers du plan pour l'acier et les métaux et de l'imposition de droits de douane constitue une nouveauté.

En ce qui concerne les nationalisations lancées au Royaume-Uni et en Italie, elles se sont révélées être des impasses, ces deux pays se retrouvant contraints de financer les déficits de ces entreprises et cherchant désormais à s'en défaire. Cette solution a donc été expérimentée ailleurs et a manifestement échoué.

Par ailleurs, monsieur Dossus, il est tout à fait exact de constater que le libre-échange est remis en cause, notamment du fait du comportement des États-Unis, mais il nous faut répondre au niveau européen afin de maintenir nos productions sur le continent et notamment en France.

Monsieur Lurel, une prise de participation ou une nationalisation ne change rien à la nécessité de garantir la compétitivité de l'acier européen, ce qui implique de le protéger.

Monsieur le président, j'ai rappelé que la valorisation d'une telle entreprise était une oeuvre complexe, avec une estimation basse à hauteur de 1 milliard d'euros. N'oublions pas que les actifs considérés sont éventuellement réutilisables, démontables et transportables ; surtout, tout dépend de l'avenir : si ces actifs sont aujourd'hui peu compétitifs, ils pourraient le redevenir à la faveur de l'instauration d'un prix de l'acier européen suffisant.

Une entreprise peut accepter de perdre de l'argent pendant quelques années si elle dispose de perspectives. En l'occurrence, l'Union européenne vient de lui en fournir avec des tarifs douaniers protecteurs, mais il faudra également garantir la stabilité et la prévisibilité des prix de l'énergie. Les investissements de modernisation dans ce type de production, notamment dans les fours électriques qui permettent la décarbonation, sont en effet extrêmement lourds et ne seront amortis qu'en l'espace de quinze à vingt-cinq ans : si la seconde composante du prix qu'est l'énergie n'est pas connue, il devient très difficile pour les industriels de prendre des décisions qui puissent être acceptées par les actionnaires.

M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, le périmètre de la proposition de loi comprend les dispositions relatives à la nationalisation d'entreprises dans le secteur sidérurgique et aux conditions de réalisation de cette nationalisation ; les dispositions relatives à la création d'une entreprise publique chargée de l'exploitation d'installations industrielles dans le secteur sidérurgique.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Arnaud Bazin, rapporteur. - L'article 1er a pour objet de procéder à la nationalisation des sites industriels détenus par ArcelorMittal sur le territoire français. Pour les motifs évoqués plus tôt, cette décision serait à la fois coûteuse et sans portée sur la crise sectorielle traversée par la filière sidérurgique. Je vous propose donc de rejeter cet article.

L'article 1er n'est pas adopté.

Article 2

M. Arnaud Bazin, rapporteur. - L'article 2 fixe le périmètre de nationalisation qui inclut toutes les installations détenues par ArcelorMittal en France dès lors qu'elles sont regardées comme stratégiques pour l'industrie sidérurgique. L'amendement COM-1 est un amendement de précision que je vous propose de rejeter, ainsi que l'article du fait du rejet de la décision de nationalisation.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

L'article 2 n'est pas adopté.

Article 3

M. Arnaud Bazin, rapporteur. - L'article 3 fixe les modalités d'indemnisation des propriétaires des sites nationalisés du fait de leur expropriation. Dans sa rédaction actuelle, le mécanisme de sous-indemnisation qu'il prévoit comporte un risque majeur d'inconstitutionnalité au regard du principe de juste indemnisation qui s'applique en cas de nationalisation et qui a été consacré par le juge constitutionnel.

L'amendement COM-2 vise à préciser les modalités d'expropriation des installations actuellement détenues par ArcelorMittal, dont la propriété serait transférée de manière coercitive à l'État en cas de nationalisation.

Dans la mesure où je vous propose de ne pas adopter cet article, je vous propose également de rejeter cet amendement.

L'amendement COM-2 n'est pas adopté.

L'article 3 n'est pas adopté.

Article 4 et 5

Les articles 4 et 5 ne sont pas adoptés.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article 2

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. BARROS

1

Précision sur le périmètre des installations nationalisées

Rejeté

Article 3

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. BARROS

2

Précisions sur les modalités d'expropriation

Rejeté

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