III. UNE MESURE NÉCESSAIRE MAIS SANS DOUTE NON SUFFISANTE

A. DES EFFETS DE BORD NÉGLIGEABLES OU SURMONTABLES

Le risque est parfois soulevé que le dispositif encourage d'autres demandes analogues, dont certaines sont bien connues - le cas du « maréchal escamoté »22(*) Castelnau est fréquemment évoqué -, certaines probablement légitimes - il sera sans doute aisé de documenter le retard à l'avancement de certaines femmes - et beaucoup d'autres qui le seront moins mais qui seront perçues ainsi par les familles. Le caractère en tout point exceptionnel de l'Affaire Dreyfus permet toutefois d'écarter raisonnablement ce risque.

Telle est aussi la conclusion du président de la République dans le propos rapporté récemment par la presse : « Appartient-il au président de la République de faire de Dreyfus un général, aujourd'hui ? Ma réponse de principe serait non [...] on ouvrirait alors une possibilité au président de la République de restaurer ou dégrader quiconque en fonction des temps. Parce que j'aurais demain des demandes de tel ou tel pour dégrader des généraux qui ont participé à la colonisation ou à telle ou telle guerre [...] Le grand risque, c'est de revisiter la hiérarchie militaire ou l'histoire, avec le regard d'aujourd'hui [...] La difficulté avec le cas Dreyfus, c'est que vous appuyez votre propos sur une réalité irréfutable qui est de reconstituer la carrière qu'on a suspendue [...] »23(*).

Un autre effet de bord parfois soulevé est relatif à la confusion qui serait introduite dans la vie collective - enseignement scolaire, mémoire, toponymie, etc. Alfred Dreyfus est connu comme « le capitaine Dreyfus », et peu savent d'ailleurs qu'il a terminé sa carrière comme lieutenant-colonel. Ce deuxième risque peut aussi être écarté si l'on s'efforce de distinguer la connaissance de l'Histoire de l'exercice de mémoire collective. Que Jean Moulin ne soit pas usuellement nommé par son grade de général de division attribué à titre posthume ne diminue ni son action, ni sa légitimité à le détenir.

Enfin, il est parfois redouté que l'attribution à Dreyfus du plus petit grade de général ne le réinsère pas assez haut dans l'échelle de valeurs relatives qui est celle de la hiérarchie militaire. Pourquoi ne pas le nommer général d'armée ? On peut répondre que ce serait confondre l'entretien de la mémoire de ce que fut réellement Dreyfus - un exemple d'Humanité - et la volonté de créer de toutes pièces un héros.


* 22 Voir Jean-Louis Thiériot, Le maréchal escamoté, Paris, Tallandier, 2024.

* 23 Propos rapporté dans « Selon Emmanuel Macron, c'est à l'institution militaire de nommer le capitaine Dreyfus général à titre posthume », dans Le Monde avec AFP, le 27 octobre 2021.

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