III. LA BAISSE DES CRÉDITS DE LA MISSION EN 2026 PORTE SUR UNE MULTITUDE DE DISPOSITIFS D'AMPLEUR BUDGÉTAIRE VARIÉE

Le plan France très haut débit, les compensations des missions de service public au groupe La Poste et la compensation carbone des sites très électro-intensifs représentent à eux seuls plus de trois quarts (74 %, soit 1,89 milliards d'euros) des dépenses hors titre 2 de la mission. Ces trois éléments sont déterminants pour l'évolution des crédits et constituent, outre les missions des administrations et opérateurs mentionnées supra, les politiques publiques les plus coûteuses portées par la mission.

Par ailleurs, la mission « Économie » porte depuis l'année une enveloppe consacrée à la décarbonation de l'industrie, dotée d'1,6 milliard d'euros en AE en 2025, et de 500 millions d'euros, toujours en AE, en 2026. Ce dispositif, n'a encore fait l'objet d'aucun décaissement de CP.

A. UNE EXCEPTION : LA HAUSSE DES CRÉDITS DU PLAN FRANCE TRÈS HAUT DÉBIT POUR RÉPONDRE AU PIC DE BESOIN DE DÉCAISSEMENT POUR LE DÉPLOIEMENT DES RÉSEAUX D'INITIATIVE PUBLIQUE

1. Le PFTHD : un taux de déploiement important qui masque toutefois de fortes disparités territoriales et des difficultés de raccordements pour certains locaux
a) La mise en oeuvre du plan France très haut débit repose sur un découpage zonal complexe

Le plan « France très haut débit » (PFTHD), annoncé en 2013, porte l'objectif d'une couverture totale du territoire par la fibre optique à l'horizon 2025. Il s'appuie sur l'articulation entre initiatives privées et publiques au sein de catégories de zones dont le découpage est relativement complexe :

- les zones très denses relèvent de l'initiative privée. Aucun engagement contraignant ne s'impose aux opérateurs dans ces zones, les pouvoirs publics ayant anticipé que la libre concurrence devait permettre d'y garantir le déploiement de la fibre. Elles comptent 106 communes et représentent près de 6,5 millions de locaux.

- les zones dites « moins denses » (ZMD) sont les zones dans lesquelles l'initiative privée n'est pas réputée rentable pour les opérateurs privés. Ces derniers peuvent néanmoins y mener également des projets sans financement public, et prennent dans ce cadre des engagements contraignants. Définies « en creux » par rapport aux zones très denses, elles représentent environ 30,7 millions de locaux.

La ZMD se décompose donc elle-même en une ZMD d'initiative privée et une ZMD d'initiative publique :

- dans la ZMD d'initiative privée, le déploiement de la fibre optique est effectué aux frais des opérateurs sur la base d'engagements pris avec l'État. Il s'agit des zones d'appel à manifestation d'intentions d'investissement (AMII) ;

- dans la ZMD d'initiative publique, les collectivités doivent s'associer dans leur projet de déploiement à l'échelle au moins départementale pour bénéficier d'un soutien de l'État, dans le cadre de réseaux d'initiative publique (RIP). Il existe par ailleurs des zones pour lesquelles le Gouvernement a autorisé, à compter de 2018, les collectivités territoriales à accélérer les déploiements de la fibre optique via des appels à manifestation d'engagement local (AMEL) afin que des opérateurs privés déploient, sur leurs fonds propres, la fibre optique, dans le cadre d'engagements qui leur sont opposables, sur le modèle des engagements en zones AMII. Sans la création des zones AMEL, les déploiements en question auraient dû être à la charge des collectivités, via la création d'un RIP.

b) Un déploiement rapide mais qui tend à s'essouffler

Le taux de couverture du territoire par la fibre optique s'élève en 2024 à près de 90 %, ce qui conduit la Cour des comptes, dans un rapport présenté à la commission des finances du Sénat en avril 202511(*), à présenter le PFHDT comme un succès. Les rapporteurs se félicitent de cette large couverture, qui place aujourd'hui la France comme le premier pays européen en termes de taux de couverture, alors qu'un juin 2015, elle se positionnait au 26ème rang avec seulement 45 % des foyers couverts en très haut débit fixe.

Par ailleurs le nombre d'abonnements à la fibre optique s'établit désormais à 23,7 millions, alors que les juridictions financières relevaient, dans un premier bilan du PFTHD réalisé en janvier 2017, que les bénéficiaires finaux, qui s'élevaient à l'époque à 4,8 millions, restaient très peu nombreux12(*).

Le haut niveau de couverture masque toutefois de fortes disparités en fonction des territoires. En zone dense, le déploiement atteint, à la fin du premier semestre 2024, un niveau de 93 %, légèrement supérieur à celui de la zone AMII, qui s'élève à 92 %. Le taux de déploiement en zone d'initiative privé dépasse donc substantiellement celui des zones AMEL qui s'élève à 80 %, et celui des RIP, qui atteint 84 %.

c) Les difficultés spécifiques liées aux raccordements dits « complexes »

L'existence de raccordements dits « complexes » est également, dans toutes les zones, un facteur de ralentissement du déploiement. L'effectivité de l'accès à la fibre se heurte parfois à des lacunes des infrastructures rendant difficile voire impossible le raccordement à la fibre de certains usagers. D'après la Cour des comptes, ces raccordements complexes ont pour principaux points communs l'absence de traitement aisé et industrialisable, en raison d'anomalies sur le génie civil, les difficultés à coordonner des travaux entre le domaine public et le domaine privé, ou encore le refus de tiers privés ou publics.

Les raccordements complexes sont par essence particulièrement couteux puisqu'ils nécessitent souvent des travaux de génie civil importants, que les opérateurs sont peu enclins à réaliser. La Cour des comptes considère qu'une « estimation du nombre et du coût total de ces raccordements est délicate en l'absence de recensement systématique par les opérateurs commerciaux13(*) ». Toutefois, le Conseil général de l'économie a estimé le coût des raccordements complexes en domaine privé entre 758 à 991 millions d'euros. En ce qui concerne le domaine public, la Banque des territoires évalue le coût de ces raccordements entre 600 millions et 2 milliards d'euros.

Une enveloppe de 16,1 millions d'euros en AE - modeste au regard des montants évoqués supra - a été votée dans la loi de finances initiale pour 2025 sur le programme 343 « Plan France très haut débit » afin de financer un dispositif expérimental de soutien budgétaire aux travaux de génie civil relatifs aux raccordements complexes dans le domaine privé. Le PLF pour 2026 prévoit le décaissement de 13,5 millions d'euros en CP.

2. Le montant des crédits inscrits dans ce PLF pour le financement des réseaux d'initiative publique devrait être suffisant pour couvrir les besoins de décaissements pour l'année 2026
a) Les besoins de décaissement des RIP devraient être couverts en 2026 à la fois par les crédits inscrits en PLF et par des reports de l'année 2025

Les rapporteurs spéciaux ont alerté, lors de l'examen du PLF pour 2025, et dans de cadre de leurs travaux de contrôle sur le déploiement de la fibre14(*), quant aux coupes budgétaires successivement réalisées depuis plus d'un an sur le programme 343 « Plan France Très Haut débit » qui soulevaient des interrogations sur les perspectives de soutien financier de l'État à ce projet, dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint.

Le PLF 2026 prévoit une enveloppe de 258 millions d'euros sur l'action 1 du programme 343 consacrée au financement des RIP. Or, la Cour des comptes indiquait, dans un rapport remis à la commission des finances en avril dernier sur les soutiens publics au déploiement de la fibre optique, que l'année 2026 serait marquée par un pic des besoins de crédits en faveur des RIP, qui étaient estimés à près de 343 millions d'euros.

Besoins prévisionnels de versements des crédits du PFTHD
aux porteurs des projets de RIP anticipés par l'ANCT

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après le rapport de la Cour des comptes

Interrogé sur l'écart de 85 millions d'euros entre les estimations de la Cour et les crédits finalement inscrits, le DGE a affirmé aux rapporteurs spéciaux que les besoins de décaissements seraient couverts par des reports de crédits de l'année 2025. Les rapporteurs spéciaux seront particulièrement vigilant, notamment dans le cadre de l'examen du prochain projet de loi de finances de fin de gestion, sur la disponibilité suffisante des crédits nécessaire pour le financement des besoins de déploiement des RIP.

b) Le modèle économique des RIP est aujourd'hui fragilisé

Les rapporteurs spéciaux ont mis en évidence dans son rapport une situation de déséquilibre du modèle économique des RIP. Les plans d'affaires des RIP ont été construits sur la base de lignes directrices tarifaires établies par l'Arcep en 2015. Toutefois, ces dernières, basées sur le modèle des zones denses, sont inadaptées à la réalité des coûts que doivent supporter les RIP. D'après la Cour des comptes, « 9 RIP sur 10 indiquent avoir constaté des surcoûts par rapport au plan d'affaires initial, concernant pour la plupart tant l'exploitation du réseau que le niveau des investissements ». Les coûts d'exploitation sont en effet significativement plus élevés en zone publique qu'en zone dense, et plusieurs auditionnés ont indiqué que les tarifs d'accès à la fibre sur le marché de gros ne leur permettrait pas de les compenser.

Face à ce constat, les collectivités territoriales, les opérateurs d'infrastructures, mais aussi les opérateurs commerciaux, attendent de la part de l'Arcep un travail d'objectivation des coûts supportés par le RIP, afin d'établir les écarts de coûts constatés entre les modèles initiaux et la réalité. Ce travail permettra, d'après la Cour des comptes, d'envisager d'éventuelles révisions des modèles d'affaires des RIP, voire une mobilisation supplémentaire de fonds publics pour les soutenir. Pourtant, l'Arcep tarde à faire évoluer ses lignes directrices et refuse pour le moment des hausses tarifaires demandées par certaines collectivités locales, qui doivent dès lors compenser le déficit d'exploitation par des subventions.

La Cour des comptes, dans son enquête remise à la commission des finances, et les rapporteurs spéciaux ont recommandé à l'Arcep de faire aboutir ces travaux d'objectification dès 2025. Celle-ci a lancé une consultation publique le 24 juillet 2025, ouverte jusqu'au 10 octobre 2025, qui doit lui permettre d'acquérir une compréhension objective des coûts de maintien en conditions opérationnelles supportés par les RIP.

Les rapporteurs spéciaux seront particulièrement vigilants sur les suites qui seront données à ces travaux.


* 11 Les soutiens publics en faveur du déploiement de la fibre optique, rapport de la Cour des comptes remis en application de l'article 58°2 de la loi organique relative aux lois de finances, le 2 avril 2025.

* 12 Cour et chambres régionales des comptes, Les réseaux fixes de haut et très haut débit : un premier bilan, rapport public thématique, janvier 2017.

* 13 Les soutiens publics en faveur du déploiement de la fibre optique, rapport de la Cour des comptes remis en application de l'article 58°2 de la loi organique relative aux lois de finances, le 2 avril 2025.

* 14 Déploiement de la fibre optique : une ambition à renouveler pour relancer un projet qui s'essouffle, rapport d'information n° 510 (2024-2025), déposé le 2 avril 2025.

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