B. MALGRÉ « L'ANNÉE BLANCHE », L'AAH CONNAITRAIT UNE AUGMENTATION SOUTENUE, NOTAMMENT DU FAIT DE LA PROGRESSION DE L'AAH-2
1. Une dépense structurellement dynamique
L'allocation aux adultes handicapés (AAH) est un minimum social versé, sous conditions de ressources, aux personnes handicapées de plus de vingt ans7(*). Elle est subsidiaire par rapport à d'autres prestations, comme les pensions d'invalidité, les rentes d'accident du travail ou les avantages vieillesse. Elle peut se cumuler avec des ressources personnelles, y compris des revenus d'activité8(*), dans la limite d'un plafond annuel, fixé à 12 192,6 euros pour une personne seule sans enfant depuis le 1er avril 20249(*) (soit 1 016,05 euros par mois). Son montant est revalorisé automatiquement au 1er avril de chaque année en application de l'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale.
Afin de bénéficier de cette allocation, la personne handicapée doit être atteinte, soit d'un taux d'incapacité permanente d'au moins 80 % (« AAH- 1 »), soit d'un taux d'incapacité compris entre 50 % et 80 %, et présenter une restriction substantielle et durable10(*) pour l'accès à l'emploi (RSDAE) ne pouvant être compensée par des mesures d'aménagement du poste du travail (« AAH- 2 »).
Ces conditions sont appréciées par les commissions départementales des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) après instruction par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).
Les dépenses d'AAH sont structurellement orientées à la hausse. Depuis 2019, la dépense aurait ainsi connu une progression de 44 % pour s'établir à 14,6 milliards d'euros en 2026 selon les dernières estimations de la CNAF, avec un taux de croissance annuelle moyen de 5,3 % (soit + 1,7 % par rapport à 2024).
Cette tendance haussière structurelle résulte principalement :
- des évolutions démographiques, avec le vieillissement de la population. Le risque de survenance d'un handicap et le taux de prévalence de l'AAH augmentent avec l'âge ;
- du faible taux de sortie du dispositif pour l'AAH ;
- de l'extension du champ et de la reconnaissance du handicap, qui a joué un rôle non négligeable dans l'augmentation des dépenses d'AAH.
Croissance de la dépense d'AAH depuis 2019
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
2. Malgré un coût de la déconjugalisation plus faible qu'attendu, une augmentation des crédits tirée par l'effectif des bénéficiaires
a) Un impact relativement faible de la déconjugalisation sur la hausse des dépenses d'AAH
L'impact de la « déconjugalisation » de l'AAH sur les crédits de la mission est plus faible qu'attendu. Cette mesure implique d'exclure les revenus du conjoint des ressources prises en compte pour déterminer l'éligibilité et le cas échéant le montant de l'AAH.
Demandée de longue date par les associations de défense des droits des personnes en situation de handicap, la déconjugalisation « [permet] de clarifier la nature du dispositif en faisant de l'AAH une véritable prestation de compensation de l'éloignement de l'emploi provoqué par le handicap, et d'accès à l'autonomie. »11(*).
La déconjugalisation de l'AAH
L'AAH est une allocation individuelle, toutefois son calcul prenait en compte les éventuels revenus du conjoint du bénéficiaire, une situation que déploraient de nombreuses associations de défense des personnes handicapées.
Depuis le 1er janvier 2022, un abattement forfaitaire de 5 000 euros par an, majoré de 1 400 euros par enfant à charge, s'applique sur les revenus du conjoint du bénéficiaire de l'AAH pris en compte pour le calcul du montant de l'allocation. Cet abattement forfaitaire est venu remplacer l'abattement proportionnel de 20 % qui s'appliquait auparavant, et s'applique sur les mêmes revenus, avec un impact en année pleine de 185 millions d'euros.
Cependant, l'article 10 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat est venu modifier en profondeur ce dispositif en prévoyant une mesure de déconjugalisation de l'AAH, avec une entrée en vigueur au 1er octobre 2023. La déconjugalisation correspond à la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint et à l'application du plafond applicable aux personnes seules pour le calcul de la prestation des bénéficiaires en couple.
Toutefois, le décret n° 2022-1694 du 28 décembre 2022 prévoit un maintien du calcul conjugalisé de la prestation pour les bénéficiaires qui seraient perdants à la déconjugalisation.
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Le coût de la mesure, initialement estimée par la CNAF à 83,3 millions d'euros en 2023 et 500 millions d'euros par an à partir de 2024, a été révisée, et s'établit en année pleine à hauteur de « seulement » 280 millions d'euros par an, ce qui est plutôt une bonne surprise pour nos finances publiques.
b) Plusieurs mesures sont proposées par le Gouvernement pour maîtriser la hausse tendancielle de la dépense d'AAH
D'autres mesures ont un impact - plus ou moins important- sur le niveau des dépenses d'AAH :
- l'effectif de bénéficiaires de l'AAH en constitue le principe facteur d'évolution, l'effet volume étant la première cause de l'augmentation des dépenses. En 2026, le nombre de bénéficiaires induirait une évolution des dépenses de + 2,6 % par an sur la période 2026-2028 - dans le détail, c'est surtout le nombre des bénéficiaires de l'AAH-2 qui augmente ;
- l'effet prix induit par la revalorisation légale intervenue au 1er avril 2025 (+ 1,3 % en 2025) ;
- plus marginalement, le non-recouvrement des indus, qui induit une « dépense » supplémentaire de 30 millions d'euros.
L'évolution tendancielle prévisionnelle du coût de la prestation est ainsi de + 4,2 % en 2026.
Pour maîtriser l'évolution tendanciellement haussière des dépenses d'AAH, le Gouvernement propose de mobiliser plusieurs leviers, dont l'impact combiné serait d'environ 150 millions d'euros en 2026 :
- l'harmonisation de la temporalité de la base-ressources pour les allocataires de l'AAH travaillant en ESAT (annuelle) avec la base-ressources applicable au travail en milieu ordinaire (mensuelle), ce qui pourrait générer 20,4 millions de moindres dépenses ;
- la suppression de l'AAH pour les personnes détenues, qui devrait engendrer 10 millions d'euros de moindres dépenses ;
- la mise en oeuvre d'une « année blanche » proposée par le Gouvernement, le V de l'article 44 du PLFSS pour 2026 prévoyant que la revalorisation légale12(*) des prestations sociales n'aurait pas lieu, à titre exceptionnel, en 2026 - pour un montant d'économies attendu de 122,4 millions d'euros.
Enfin, le Gouvernement a annoncé mettre en place des « mesures de juste droit », notamment un entretien d'évaluation par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) pour toutes les personnes susceptibles d'ouvrir un droit à l'AAH-2, afin notamment d'améliorer l'appréciation de la restriction subtantielle et durable d'accès à l'emploi (RSDAE).
Cette mesure n'est pas illogique dès lors que la forte progression des bénéficiaires, qui est elle-même responsable de la hausse des dépenses d'AAH, résulte principalement de l'AAH-2 et de l'extension du champ et de la reconnaissance du handicap, qui permet à certaines personnes de bénéficier aujourd'hui de l'AAH alors qu'elles auraient été considérées comme non-éligibles - car non porteuses d'un handicap - dans le passé.
Si chacun est libre de considérer ou non ces « mesures de juste droit » comme vertueuses, les rapporteurs spéciaux rappellent que la progression du nombre de bénéficiaires de l'AAH est la résultante d'une meilleure compréhension et d'un meilleur repérage du handicap. Il s'agit donc, en dernière analyse, d'un progrès.
De même, les rapporteurs spéciaux relèvent que ces « mesures de juste droit » implique que le programme 157 porte, à l'avenir, des emplois à destination des MDPH afin de réaliser les entretiens envisagés. Dans l'immédiat, cette initiative ne devrait donc pas s'accompagner d'économies, mais de dépenses supplémentaires.
Les rapporteurs spéciaux prennent acte de cette orientation du Gouvernement.
* 7 Ou plus de 16 ans pour un jeune qui n'est plus considéré à la charge des parents pour le bénéfice des prestations familiales.
* 8 Les modalités de cumul de l'allocation avec des revenus d'activité sont précisées par le décret n° 2010-1403 du 12 novembre 2010, et visent à encourager l'accès durable à l'emploi : pendant six mois au maximum à compter de la reprise d'un emploi, puis partiel sans limite dans le temps.
* 9 Ce plafond est multiplié par 1,81 pour un couple et majoré de 50 % par enfant à charge.
* 10 Elle est durable dès lors qu'elle est d'une durée prévisible d'au moins un an à partir du dépôt de la demande.
* 11 MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, Annexe n° 30 « Solidarité, insertion et égalité des chances » au Rapport général n° 163 (2021-2022) - 18 novembre 2021.
* 12 Prévue par l'article L. 161-25 du CSS.
