C. LE SERVICE NATIONAL UNIVERSEL : CHRONIQUE D'UNE FIN ANNONCÉE
Le 19 septembre dernier, le Gouvernement a annoncé la « mise en extinction du service national universel », qui devrait être remplacé par un « service militaire volontaire », dont les contours restent encore à définir. Ainsi, six ans après sa mise en oeuvre, l'expérimentation du service national universel (SNU) est abandonnée. En conséquence, plus aucun crédit n'est inscrit pour ce dispositif sur la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».
Organisation du service national universel
Le service national universel était organisé en trois phases :
- une première phase qui correspond à un séjour de cohésion en hébergement collectif. Pendant la durée de ce séjour, les jeunes participent à des activités collectives, et bénéficient de formations sur des sujets divers ;
- une deuxième phase d'engagement dans une mission d'intérêt général, qui doit durer un minimum de 12 jours consécutifs ou 84 heures réparties au cours des 12 mois suivant l'accomplissement de la première phase. Les conditions d'accueil du volontaire dans une structure sont cadrées par un contrat d'engagement ;
- une troisième phase d'engagement volontaire, qui dure au minimum trois mois, et qui s'articule avec d'autres dispositifs de volontariat, comme les réserves opérationnelles des armées et de la gendarmerie nationale, et surtout le service civique.
La première et la seconde phase avaient vocation à devenir obligatoires une fois le SNU généralisé à l'ensemble d'une classe d'âge, tandis que la troisième devait restée facultative.
Durant la première phase de l'expérimentation, les séjours de cohésion étaient toujours organisés pendant les vacances scolaires. Tous les jeunes âgés de 15 à 17 ans possédant la nationalité française pouvait décider de s'y inscrire.
Depuis 2024, le séjour de cohésion pouvait également être organisé sur le temps scolaire, dans le cadre de la labellisation « Classes et lycées engagées ». Elle ne concernait que les classes de seconde et de CAP. La participation des établissements scolaires était entièrement sur la base du volontariat.
Source : commission des finances
La fin de l'expérimentation du service national universel n'est en réalité pas une surprise. Sur les dernières années, plusieurs rapports ont été publiés mettant en doute la faisabilité de la généralisation du dispositif à l'ensemble d'une classe d'âge (850 000 jeunes). Le plus récent est celui de la mission d'information de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale sur les conditions d'accueil et d'encadrement des séjours de cohésion du service national universel, publié le 17 septembre 2025 et rapporté par les députés Idir Boumertit et Maxime Michelet, qui préconisait sa suppression.
Le rapporteur spécial avait lui-même présenté un rapport de contrôle sur le SNU en mars 2023, dans lequel il soulignait que l'objectif de généralisation ne serait, selon toute vraisemblance, pas atteint. Le nombre d'hébergements et d'encadrants requis pour un séjour de cohésion étendu à l'ensemble d'une classe d'âge était en effet très au-delà des moyens disponibles. Il est révélateur que, alors que seulement quelques dizaines de milliers de jeunes accomplissaient le séjour de cohésion, il était déjà extrêmement difficile de trouver suffisamment de centres pour accueillir l'ensemble des jeunes accomplissant un séjour de cohésion.
Les deux scénarios de
généralisation du service national universel :
principaux chiffres
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Scénario 1 : généralisation hors temps scolaire |
Scénario 2 : généralisation sur le temps scolaire |
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Nombre de séjours |
3 ou 4 |
Entre 13 et 15 |
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Nombre de jeunes par séjour |
Entre 210 000 et 280 000 |
Entre 56 000 et 64 615 |
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Nombre de centres d'hébergement requis par séjour |
Entre 1 400 et 1 867 |
Entre 374 et 431 |
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Nombre de centres d'hébergement requis au total |
Entre 2 100 et 2 800 |
Entre 748 et 862 |
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Nombre d'encadrants requis par séjour |
Entre 26 250 et 35 000 |
Entre 7 000 et 8 076 |
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Nombre d'encadrants requis au total |
Entre 39 375 et 52 500 |
Entre 14 000 et 16 153 |
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Nombre de jours de travail moyen par encadrant |
Entre 30 et 45 |
Entre 90 et 120 |
Note : « séjour » désigne ici une période où les jeunes partent en même temps effectuer le séjour de cohésion. Les chiffres donnés « par séjour » indiquent donc le nombre de centres et d'encadrants requis en simultané sur toute la France à une période donnée. Les hypothèses retenues pour la construction de ce tableau sont détaillées dans le rapport de mission d'information fait au nom de la commission des finances du Sénat sur le service national universel d'Éric Jeansannetas.
Source : commission des finances
Les difficultés d'hébergement d'un service national universel généralisé
L'organisation des séjours de cohésion sur le temps scolaire soulève des difficultés spécifiques. Les internats ne seraient plus disponibles, à l'exception du mois de juin, et l'organisation du service national universel reposerait donc très majoritairement sur les centres de vacances. Les divers établissements de formation devraient également être écartés. Or, les établissements de formation et les établissements scolaires représentent aujourd'hui entre le tiers et la moitié des bâtiments utilisés pour accueillir les séjours de cohésion. À l'heure actuelle, il est difficile de concevoir comment le service national universel pourrait être généralisé en se privant de l'essentiel de ces lieux.
Il faut aussi rappeler que tous les centres de vacances ne sont pas « vides » hors de la période estivale. Des vacanciers partent régulièrement en séjour hors saison, et certains centres sont utilisés, au même titre que les internats, pour l'hébergement de travailleurs ou de publics fragiles. En outre, la répartition des centres de vacances sur le territoire est inégale, et leur accessibilité en transport peut fortement différer.
Surtout, les centres de vacances sont loin de de tous avoir la taille requise pour accueillir des séjours de cohésion. À ce sujet, le rapport de l'IGESR relatif au bâti nécessaire à l'organisation des séjours de cohésion indique qu'il sera difficile de trouver des sites d'une taille supérieure à 150 places.
Éric Jeansannetas, rapport n° 406 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances, « Service national universel : la généralisation introuvable », 8 mars 2023
Le coût d'un service national universel généralisé à l'ensemble d'une classe d'âge aurait été en outre extrêmement élevé.
Le coût prévisionnel par jeune en 2025 est estimé à 1 863 euros, ce qui est le plus faible depuis 2020. Cette diminution des coûts peut s'expliquer par plusieurs facteurs : les efforts de rationalisation de la part de l'administration, la possibilité d'organiser le séjour de cohésion sur le temps scolaire, et la diminution des ambitions du SNU cette année, ce qui a permis pour la première fois d'avoir un nombre de jeunes réalisant le séjour de cohésion proche de la cible indiquée.
Coûts effectifs et prévisionnels du service national universel
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Année |
Coût du SNU dans la loi de finances initiale (en millions d'euros) |
Coût du SNU en exécution (en millions d'euros) |
Rapport cible de jeunes/ coût prévisionnel (en euros) |
Rapport réalisation en nombre de jeunes/ coût en exécution (en euros) |
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2020 |
29,8 |
- |
1 490 |
- |
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2021 |
62,3 |
39,9 |
2 492 |
2 723 |
|
2022 |
110,0 |
75,2 |
2 200 |
2 324 |
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2023 |
140,0 |
96,3 |
2 187,5 |
2 475 |
|
2024 |
160,0 |
121,2 |
2 000 |
2 130 |
|
2025 |
61,1 |
59,8 |
1 845 |
1 863 |
Note : le coût de l'exécution du SNU et de la réalisation en termes de séjours de cohésion pour 2025 sont prévisionnels.
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
Cibles et nombre de jeunes ayant effectivement réalisé le séjour de cohésion
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Année |
Objectif |
Réalisation |
Taux de réalisation |
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2020 |
20 000 |
037(*) |
- |
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2021 |
25 000 |
14 653 |
58,6 % |
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2022 |
50 000 |
32 416 |
64,4 % |
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2023 |
64 000 |
40 135 |
62,7 % |
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2024 |
80 000 |
56 812 |
71 % |
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2025 |
33 102 |
32 115 |
97 % |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
Cependant, le coût par jeune constaté en 2025, ou les années précédentes, ne sont aucunement représentatif du coût réel d'un SNU qui aurait été généralisé à l'ensemble d'une classe d'âge.
Le passage à une cible de 840 000 jeunes aurait impliqué une réorganisation complète de la logistique et de l'administration du service national universel. De plus, les centres d'hébergement disponibles seraient devenus plus chers à mesure qu'il devient difficile d'en trouver d'une taille suffisante pour accueillir un séjour de cohésion. Enfin, le passage d'un public de volontaires à un régime obligatoire aurait ajouté également de nombreuses contraintes en termes d'encadrement. Les éventuelles économies d'échelle n'auraient été sans doute pas suffisantes pour compenser les surcoûts.
Par conséquent, la Cour des comptes avait estimé les coûts de fonctionnement du service national entre 3,5 milliards et 5 milliards d'euros38(*).
Au-delà de la question du coût, on peut aussi se demander si le service national universel correspond bien au modèle d'engagement que nous voulons pour nos jeunes.
Les hésitations sur la nature du séjour de cohésion, entre engagement civique et retour à une forme de « service militaire », ont été particulièrement dommageables à l'image et à la clarté du dispositif. Le service national universel s'est ainsi révélé être un dispositif hybride, voire contradictoire, mêlant obligation et engagement civique. Si le séjour de cohésion peut se tenir tant que le SNU est dans sa phase expérimentale, dans la mesure où seuls les jeunes volontaires y participent, un séjour de cohésion généralisé à l'ensemble d'une classe d'âge, et donc obligatoire, pourrait créer l'effet inverse de celui qui est recherché.
L'idée d'un engagement « obligatoire » est paradoxale. Il apparaît au rapporteur spécial préférable de faire confiance aux jeunes, dont l'engagement n'est pas à prouver.
Il faut reconnaître néanmoins que les jeunes les plus défavorisés peuvent également être ceux qui connaissent le plus de difficultés à s'engager. Toutefois, un service national universel obligatoire n'est pas la bonne solution. Il est préférable de rester sur un dispositif basé sur le volontariat, mais assorti d'une communication efficace, et qui permette aux jeunes d'être rémunéré en contrepartie de leur engagement.
Le service civique répond à toutes ces conditions. Il permet aux jeunes de s'engager réellement, sachant que les missions de service civique sont prévues pour durer au minimum 6 mois, ce qui est le temps nécessaire pour qu'ils puissent développer les compétences nécessaires utiles aux associations. En outre, les jeunes sont rémunérés dans le cadre du service civique.
* 37 La pandémie a conduit à l'annulation du séjour de cohésion. En revanche, 7 000 jeunes ont participé au service national universel au titre de la seule mission d'intérêt général.
* 38 Le service national universel, Cour des comptes, Septembre 2024, page 14