DEUXIÈME
PARTIE
ANALYSE PAR PROGRAMME
I. LE PROGRAMME 131 « CRÉATION » : UNE RELATIVE STABILITÉ DES CRÉDITS DÉDIÉS AU SPECTACLE VIVANT
Les crédits prévus au PLF 2026 s'élèvent au total à 1,080 milliard d'euros en AE et 1,009 milliard d'euros en CP. Ce montant correspond à une légère hausse des AE (+ 0,7 %, soit 7,7 millions d'euros) et une baisse de 3,2 % en CP (- 33,9 millions d'euros).
La délégation de gestion des personnels de Sèvres gérée par le ministère de la Culture à l'établissement public des Manufactures nationales à compter du 1er janvier 2026 engendre un transfert de 13,2 millions d'euros du programme 224 au titre de la masse salariale correspondante.
Le programme 131 « Création » se décline en trois actions :
- l'action 01 dédiée au spectacle vivant ;
- l'action 02, appelée à financer les arts visuels ;
- l'action 06, « soutien à l'emploi et la structuration des professions ».
78 % des crédits du programme sont portés par l'action 01 « Soutien à la création, à la production, à la diffusion du spectacle vivant ».
Répartition par action des crédits de paiement prévus au sein du programme 131
(en %)
Source : commission des finances du Sénat
A. UNE STABILISATION DU BUDGET EN FAVEUR DE LA CRÉATION ARTISTIQUE
1. Les moyens accordés à la création artistique continuent de dépasser le milliard d'euros dans un contexte de dynamisme de la fréquentation du spectacle vivant
Les crédits prévus en loi de finances initiale pour le programme 131 ont dépassé le milliard d'euros en 2023 et avaient continué de croître en 2024 et 2025.
Le soutien au spectacle vivant est l'action la plus en retrait du PLF pour 2026 (- 3,6 % en CP et - 3,3 en AE).
Évolution des crédits de paiement du programme 131
(en millions d'euros et en %)
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|
LFI 2023 |
LFI 2024 |
LFI 2025 |
PLF 2026 |
Variation 2025/2026 en valeur |
Variation 2025/2026 (en %) |
Variation 2023/2026 (en %) |
|
Action 01 « Soutien à la création, à la production et à la diffusion du spectacle vivant » |
801,9 |
814,4 |
819 |
789 |
- 30 |
- 3,66 % |
- 1,61 % |
|
Action 02 « Soutien à la création, à la production et à la diffusion des arts visuels » |
141,4 |
150,9 |
153 |
154 |
1 |
0,65 % |
8,91 % |
|
Action 06 « Soutien à l'emploi et structuration des professions » |
62,7 |
71,7 |
72 |
67 |
- 5 |
- 6,94 % |
6,86 % |
|
Total |
1 006 |
1 037 |
1 044 |
1 010 |
- 34 |
- 3,26 % |
0,40 % |
Source : commission des finances
Si de nombreux travaux avaient été engagés au cours des dernières années, le lancement de nouvelles opérations n'est pas prévu en 2026, à l'exception des 46 millions d'euros en AE pour les travaux de rénovation du Palais de Tokyo, dont le démarrage est prévu début 2027.
Concernant les autres chantiers, les crédits de paiement sont décaissés en fonction de l'avancement des opérations (palais de Chaillot, centre national de la danse...), mais la plupart ne sont pas dotés de nouvelles AE en 2026. Alors que l'État s'était engagé dans le COM de l'Opéra de Paris pour 2024-2026 à maintenir une subvention annuelle d'investissement de 5 millions d'euros, et à augmenter de 2 millions d'euros sa SCSP (+ 1 million d'euros en 2025 et autant en 2026), la subvention pour charges de service public de l'Opéra devrait diminuer d'1 million d'euros, sans par ailleurs que l'augmentation prévue dans le COM ne soit assurée. La subvention versée à la Philharmonie de Paris diminue également d'un million d'euros.
Montants prévus pour les grands chantiers du programme 131
(en millions d'euros)
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2025 |
2026 |
|||
|
AE |
CP |
AE |
CP |
|
|
Salle Jean Vilar à Chaillot |
2,9 |
12 |
2,9 |
8 |
|
Réfection des façades du Centre national de la danse - CND |
10 |
10 |
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|
Réhabilitation du hangar de stockage de Sèvres |
13,4 |
2,3 |
6 |
|
|
Centre national des arts plastiques - CNAP |
21 |
9,4 |
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|
Palais de Tokyo |
45,9 |
|||
Source : commission des finances
L'économie du spectacle vivant est relativement dynamique : en 2024, le nombre de représentations déclarées est stable par rapport à 2023 (près de 230 000 représentations). Le ministère dénombre, tous genres confondus, 65 millions de spectateurs et une recette de 2,4 milliards d'euros en 20242(*).
Billetterie des spectacles par genre en 2024
(en millions, millions d'euros et %)
Source : Note « Culture chiffres » n°1. Billetterie du spectacle vivant en 2024, ministère de la culture
En 2024-2025, les 9 opérateurs d'envergure nationale du programme 131 enregistrent une fréquentation de 2,2 millions de spectateurs. Alors que le nombre de représentations diminue, la fréquentation globale progresse de 7 % par rapport à la saison 2022-2023, et de 1 % par rapport à la saison 2023-2024.
Évolution de la fréquentation des grands opérateurs du programme
(en millions d'euros et en %)
|
Saison 2023-2024 |
Saison 2024-2025 |
Variation 2023-2024 et 2025-2026 (en %) |
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|
Nombre de spectateurs par saison |
Nombre moyen de spectateurs par représentation |
Nombre de spectateurs par saison |
Nombre moyen de spectateurs par représentation |
Nombre de spectateurs par saison |
Nombre moyen de spectateurs par représentation |
|||||||
|
Opéra national de Paris |
810 942 |
393 |
807 426 |
378 |
- 0,4 % |
- 3,8 % |
||||||
|
Opéra-Comique |
48 697 |
97 |
56 241 |
113 |
15,5 % |
16,5 % |
||||||
|
Philharmonie de Paris |
483 009 |
413 |
498 104 |
381 |
3,1 % |
- 7,7 % |
||||||
|
Chaillot |
53 588 |
237 |
51 812 |
181 |
- 3,3 % |
- 23,6 % |
||||||
|
Comédie Française |
363 425 |
692 |
366 328 |
713 |
0,8 % |
3,0 % |
||||||
|
Théâtre de l'Odéon |
154 999 |
274 |
142 837 |
244 |
- 7,8 % |
- 10,9 % |
||||||
|
Théâtre de la Colline |
73 061 |
247 |
99 402 |
281 |
36,1 % |
13,8 % |
||||||
|
Théâtre national de Strasbourg |
37 511 |
133 |
48 924 |
133 |
30,4 % |
0,0 % |
||||||
|
Grande Halle de la Villette |
191 385 |
312 |
159 977 |
283 |
- 16,4 % |
- 9,3 % |
||||||
La diminution de la fréquentation du Théâtre national de Chaillot découle de la fermeture de la grande salle pour travaux (salle Vilar).
Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire
S'agissant plus spécifiquement des festivals, leur fréquentation en 2023 était supérieure de 13 % par rapport à 2022. En 2024, 12 % des représentations ont été données à l'occasion d'un festival. Les crédits du fonds d'urgence pour les festivals n'ont pas été reconduits en 2026, contrairement à 2024 et 2025. Le ministère de la Culture a conduit une concertation avec les professionnels au premier semestre 2025, destinée à identifier des leviers pour améliorer la robustesse des festivals à court et moyen termes, face au constat de leur fragilisation économique et de leur exposition croissante aux aléas climatiques. Le ministère souligne en particulier qu'un « enjeu de sélectivité se pose également, au regard de la forte hausse des demandes d'aides et du contexte d'économies budgétaires qui pèse sur les crédits des DRAC comme sur les budgets culturels des collectivités territoriales ».
Le nombre de représentations par saison a considérablement diminué au cours des dernières années pour la plupart des grands opérateurs du spectacle vivant, ce qui constitue une mesure d'économies mais prive les établissements de la recette correspondante. Ainsi, pour des motifs budgétaires, l'Odéon a dû réduire son volume d'activité en 2024-2025 (- 11 %) ce qui se traduit par une baisse du nombre de spectateurs en dépit d'un taux de fréquentation extrêmement élevé (96 %).
Évolution du nombre de levers de rideaux par saison
Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire budgétaire
2. Les labels du spectacle vivant, des subventions globalement stables dans un contexte de fragilisation du fait du retrait des financements de certaines collectivités territoriales
La politique de labellisation, dont le cadre est fixé par la loi « LCAP »3(*), constitue le fer de lance de l'action du ministère en matière de soutien à la création dans les territoires, pour un montant total de 250 millions d'euros en 2024. On dénombre 11 labels de création artistique différents, chaque label regroupant un nombre très hétérogène de structures. Ainsi, il existe 95 scènes de musiques actuelles, tandis que d'autres labels ne comptent qu'une poignée d'établissements.
Le montant accordé par label est très variable. Les mieux dotés sont les centres dramatiques nationaux (68,5 millions d'euros) et les scènes nationales (66,5 millions d'euros).
Financements versés par type de label en 2025
(en milliers d'euros)
Source : commission des finances
Rapportés au nombre de structures financées, le montant moyen révèle d'importantes disparités. Ainsi, les opéras reçoivent en moyenne 4 millions d'euros en 2025, contre un financement moyen de 167 000 euros par scène de musiques actuelles (SMAC).
Par ailleurs, le montant moyen est en baisse d'un million environ pour les opéras entre 2024 et 2025, tandis qu'il évolue nettement à la hausse pour les centres nationaux de création musicale ou pour les SMAC.
Montant moyen des financements accordés aux structures labellisées en 2025
(en euros)
|
Nom du label |
Nombre de structures labellisées en 2025 |
Montant moyen accordé par structures en 2024 |
Montant moyen accordé par structures en 2025 |
|
Centre chorégraphique national |
19 |
852 784,5 |
880 007 |
|
Centre de développement chorégraphique national |
15 |
348 953,7 |
365 453 |
|
Centre dramatique national |
38 |
1 786 353,8 |
1 802 813 |
|
Centre national de création musicale |
8 |
367 779,5 |
415 502 |
|
Centre national de la marionnette |
7 |
218 428,6 |
226 286 |
|
Centres nationaux des arts de la rue et de l'espace public |
13 |
409 506,2 |
414 598 |
|
Opéra national en région, théâtre lyrique d'intérêt national ou autre opéra |
6 |
5 207 111,4 |
3 909 524 |
|
Orchestre national en région et autre orchestre |
13 |
1 449 658,7 |
1 362 560 |
|
Pôle national du cirque |
14 |
332 044,6 |
337 436 |
|
Scène de musiques actuelles |
95 |
139 598,4 |
167 635 |
|
Scène nationale |
78 |
854 856,4 |
853 013 |
Source : commission des finances
Face à la faiblesse de ces sommes, on peut s'interroger sur le risque de saupoudrage des financements, ainsi que sur le caractère résiduel, voire marginal, de ces crédits à des établissements qui sont pour la plupart largement dépendants des financements accordés par les collectivités territoriales.
La Cour des comptes évaluait dans un rapport de 2022 à 2,5 milliards d'euros les financements des collectivités territoriales au spectacle vivant en 20194(*), faisant de l'État le « financeur minoritaire d'un secteur qui lui échappe en partie ». Là encore, ce constat est d'autant plus d'actualité que, les subventions des collectivités diminuant, beaucoup de labels ont la tentation de se tourner vers l'État pour pallier ces difficultés. Du fait des tensions budgétaires sur le programme 131, il n'est pas possible de continuer à subventionner, sans sélectionner, des structures fragilisées par un retrait trop important des collectivités.
Plus inquiétant, la Cour indique que l'administration centrale ne dispose pas des outils de collecte et d'exploitation des données permettant d'éclairer utilement l'action publique. Les moyens d'action des DRAC étant encore largement limités, les subventions aux structures labellisées ont le plus souvent un caractère automatique qui ne contribue pas à une lisibilité et un pilotage réellement efficace.
Les labels ne peuvent enfin répondre à toutes les difficultés, en particulier de répartition territoriale de l'accès à la culture. Si un nombre croissant de structures sont situées dans des territoires ruraux et des petites villes, certains labels sont les héritiers d'une implantation historique résultant en une concentration des structures labellisées dans certains départements. À l'inverse, 36 départements restent dépourvus d'une scène nationale. Les opéras, qui sont les plus largement financés, sont évidemment tous situés dans des grandes métropoles.
Dans le rapport de 2022 précité, la Cour des comptes relevait en outre les résultats très limités de la politique de soutien au spectacle vivant en matière de démocratisation et de diffusion.
3. Une augmentation des moyens au plan « Mieux produire, mieux diffuser »
Plusieurs constats ont conduit le ministère de la Culture à mettre en place en 2024 un plan de refondation intitulé « Mieux produire, mieux diffuser », visant à une rationalisation et surtout une diffusion plus importante des productions en augmentant les collaborations et les mutualisations.
Le système pâtit en effet d'un excès de productions, qui sont globalement insuffisamment diffusées. Les collectivités territoriales, de leur côté, ont des difficultés à maintenir leurs financements, voire pour certaines les ont réduits. La Cour des comptes indiquait qu'en 2019, le nombre moyen de représentations pour un spectacle était de 3,7 dans un centre dramatique national et de 2,3 pour une scène nationale. De telles statistiques ne sont plus tolérables.
Les moyens prévus en 2026 au titre du plan « Mieux produire, mieux diffuser » s'élèvent à 15 millions d'euros, en hausse continue depuis 2024.
Le ministère indiquait l'année dernière qu'au vu de la situation budgétaire, il n'y aurait pas de hausse des crédits par rapport à l'année précédente : « la montée en puissance sur de nouveaux financements ne pourra être effectuée que dans le cadre de redéploiements ». Contre toute attente, la ministre de la Culture avait cependant annoncé un renfort des moyens financiers apportés par l'État de 6 millions d'euros (3 millions d'euros en fonctionnement et 3 millions d'euros en investissement), notamment en mobilisant des crédits votés par le Parlement pour créer un fonds de soutien au spectacle vivant. Le montant total mobilisé par l'État au titre du plan « Mieux produire, mieux diffuser » est donc de 14,7 millions d'euros pour 2025, contre 8,7 millions d'euros en 2024.
L'objectif est que ces crédits aient un effet levier sur la contribution des collectivités. En effet, les crédits ont été délégués aux DRAC, pour les structures labellisées ou conventionnées ou par les réseaux qui s'engagent dans la mise en oeuvre du plan, à la condition de bénéficier d'un soutien complémentaire des collectivités territoriales.
Montants accordés au plan « Mieux produire, mieux diffuser »
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après les données du ministère
Le nombre de structures labellisées était de 240 en 2024, dont un tiers en zone rurale et de 336 en 2025. En 2025, ces crédits ont été priorisés vers les salles de musiques actuelles. En conséquence, le secteur musical représente 37 % des crédits, tandis que la danse correspond à 12 %, le théâtre et les arts associés à 21 %, les arts visuels à 7 % et le secteur pluridisciplinaire à 23 %.
Sans remettre en cause l'objectif global du plan, qui semble de bonne politique, on peut s'interroger sur le caractère paradoxal de la mise en place d'un tel cadre administratif, doté de moyens spécifiques, alors que l'idée initiale est celle d'une simplification et d'une rationalisation de la production. Certains axes stratégiques, et plus encore certains sous-objectifs, laissent à ce titre songeur.
Le contenu du plan « Mieux produire, mieux diffuser »
Le plan se décline en 6 axes stratégiques, eux-mêmes déclinés en objectifs opérationnels et en actions.
- axe 1 : Soutenir toutes les formes de coopération et de mutualisation et supprimer toutes les entraves à la coopération ;
- axe 2 : Favoriser la production et la diffusion sur des temps longs, dans un souci d'irrigation artistique des territoires et de conquête des publics ;
- axe 3 : Tenir compte de l'évolution des pratiques des habitants à tous les âges de la vie dans la construction de l'offre culturelle ;
- axe 4 : Mettre en oeuvre une démarche volontariste d'accompagnement à la transition écologique du secteur de la création ;
- axe 5 : Travailler à une professionnalisation des acteurs du secteur et veiller à l'attractivité de nos métiers ;
- axe 6 : Renforcer le partenariat avec les collectivités locales.
Tous les objectifs n'ont pas le même caractère opérationnel : si certains semblent de bon sens au vu de l'idée générale du plan - par exemple « permettre un allongement des durées de diffusion des projets » - d'autres semblent nécessiter une mise en place concrète pour le moins nébuleuse : ainsi est-ce le cas de l'objectif « faire évoluer les méthodes de travail et les mentalités » ou encore « adapter les formations aux métiers de demain ».
Source : commission des finances
L'effet levier de ces financements constitue la principale vertu du plan « mieux produire, mieux diffuser ». Dans le contexte actuel de baisse des subventions des collectivités territoriales au secteur de la culture, il faut rappeler que les crédits de la mission « Culture » n'ont pas vocation à se substituer aux financements locaux, mais à les compléter. À cet égard, il faut espérer que le tassement des montants cofinancés en 2025 ne se prolonge pas en 2026.
Une interrogation demeure sur les financements fournis par les établissements eux-mêmes. Alors que le ministère estimait initialement que le plan allait entraîner un effet levier d'investissement des établissements d'environ 10 millions d'euros par an, cet aspect n'est curieusement plus mentionné dans les réponses au questionnaire budgétaire.
* 2 Note « Culture chiffres » n°1. Billetterie du spectacle vivant en 2024, ministère de la culture.
* 3 La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine.
* 4 Cour des comptes, Le soutien du ministère de la culture au spectacle vivant, Rapport public thématique, mai 2022.




