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N° 2144
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE |
N° 162
SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026 |
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Enregistré à la Présidence de
l'Assemblée nationale |
Enregistré à la Présidence du
Sénat |
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE (1) CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DU PROJET DE LOI de financement de la sécurité sociale pour 2026,
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PAR M. THIBAULT BAZIN, Député |
PAR MME ÉLISABETH DOINEAU, Sénatrice |
(1) Cette commission est composée de : M. Frédéric Valletoux, député, président ; M. Alain Milon, sénateur, vice-président ; M. Thibault Bazin, député, rapporteur, et Mme Élisabeth Doineau, sénatrice, rapporteure.
Membres titulaires : Mme Joëlle Mélin, MM. Christophe Bentz, Frédéric Valletoux, Hadrien Clouet, Jérôme Guedj et Mme Sandrine Rousseau, députés ; Mmes Corinne Imbert, Pascale Gruny, Annie Le Houérou, Solanges Nadille, MM. Bernard Jomier et M. Daniel Chasseing, sénateurs.
Membres suppléants : MM. Jean-Philippe Tanguy, Jean-François Rousset, Mmes Camille Galliard-Minier, Ségolène Amiot, Sandrine Runel, députés ; Mmes Marie-Pierre Richer, Chantal Deseyne, M. Olivier Henno, Mmes Monique Lubin, Cathy Apourceau-Poly, M. Dominique Théophile et Mme Maryse Carrère, sénateurs.
Voir les numéros :
Assemblée nationale : 1re lecture : 1907, 1999, 2057, 2049 et 2141.
Sénat : 1re lecture : 122, 131, 126 et T.A. 23 (2025-2026).
Commission mixte paritaire : 163
TRAVAUX DE LA COMMISION MIXTE PARITAIRE
Mesdames, Messieurs,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire, chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026, s'est réunie à l'Assemblée nationale le mercredi 26 novembre 2025.
Elle a procédé à la désignation de son bureau, qui a été ainsi constitué :
- M. Frédéric Valletoux, député, président ;
- M. Alain Milon, sénateur, vice-président.
Elle a également désigné :
- M. Thibault Bazin, rapporteur pour l'Assemblée nationale ;
- Mme Élisabeth Doineau, rapporteure pour le Sénat.
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La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen des dispositions du projet de loi restant en discussion.
M. Frédéric Valletoux, député, président. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) initial, tel que modifié par la lettre rectificative du 23 octobre, comptait cinquante-six articles. Le texte transmis par le Gouvernement au Sénat le 13 novembre, à l'expiration du délai de vingt jours imparti à l'Assemblée, comprenait soixante-quatorze articles additionnels et douze articles supprimés.
Le Sénat, pour sa part, a inséré trente-neuf articles et a en supprimé cinquante-cinq. En application des dispositions de l'article 47-1, alinéa 2, de la Constitution, il n'a pu adopter aucun article conforme.
Dès lors, 169 articles restent en discussion. Ce chiffre montre que dans le court délai qui leur était imparti, nos deux chambres ont beaucoup travaillé, éclairées par les avis des rapporteurs généraux et de l'ensemble des rapporteurs thématiques, que je remercie pour leur engagement constant. Nous avons travaillé sur des sujets importants pour notre pays et pour son avenir mais aussi pour le quotidien des Français, qu'il s'agisse de leur santé, de leur retraite, de leur travail ou de leur famille.
Ce nombre - 169 articles - signifie également que la tâche assignée à notre commission mixte paritaire est considérable. Nous nous trouvons face à deux textes diamétralement opposés concernant plusieurs questions importantes et sensibles, qu'il s'agisse du niveau du déficit pour 2026, de la suspension de la réforme des retraites de 2023 ou de la revalorisation des prestations sociales, entre autres exemples.
Dans ces conditions, il me semble que nous partons de trop loin pour pouvoir parvenir à un accord non seulement, d'abord, au sein de cette commission mixte paritaire, mais également, ensuite, dans nos deux assemblées. Soyons lucides : les chances de succès paraissent très compromises, ce que confirmeront sans doute nos deux rapporteurs. Cela pourrait très vite nous conduire à constater que notre commission mixte paritaire aura bien du mal à trouver un terrain d'équilibre.
M. Alain Milon, sénateur, vice-président. Le Sénat a adopté cet après-midi le PLFSS pour 2026 à l'issue d'une intense semaine d'examen. Il a abordé ce projet de loi en suivant trois grandes lignes directrices.
Premièrement, nous avons souhaité rester fidèles aux propositions que nous avons faites au Premier ministre le 8 juillet dernier. Nous souhaitons bien entendu que le Parlement adopte un PLFSS, mais le Sénat ne saurait adopter en première lecture un texte qui renie certaines de ses convictions les plus profondes - je pense en particulier au décalage d'une génération de la réforme des retraites de 2023, comme l'a exprimé Pascale Gruny, rapporteur pour la branche vieillesse.
Deuxièmement, nous avons voulu éviter d'aggraver les difficultés de financement de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). Selon le texte initial, l'Agence devait connaître en 2026 un pic de besoin de financement de près de 80 milliards d'euros, presque comme au plus fort de la crise du covid. Cela nous a amenés à défendre certaines modifications apportées par l'Assemblée nationale, mais aussi à en supprimer d'autres.
Troisièmement, le Sénat a manifesté, tout au long de l'examen du PLFSS, son attachement à la négociation conventionnelle. À l'initiative de Corinne Imbert, nous avons rejeté les mesures qui allaient à l'encontre du caractère conventionnel des évolutions de tarifs.
Enfin, comme l'année dernière, nous avons voulu inscrire dans le texte quelques jalons pour l'avenir. Je pense en particulier à l'augmentation de douze heures de la durée annuelle du travail, résultant d'un amendement d'Olivier Henno. Il nous semble en effet que le rétablissement de nos finances publiques, et plus généralement le maintien de la place de la France dans le monde, passent par une augmentation de la quantité globale de travail.
Mme Élisabeth Doineau, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. La présente commission mixte paritaire rappelle fortement celles consacrées aux PLFSS pour 2023 et 2024. Comme alors, nos deux assemblées pourraient s'entendre sur de nombreuses modifications apportées par le Sénat, mais sur d'autres sujets, les divergences sont importantes et probablement insurmontables.
En première lecture, le Sénat a apporté plusieurs modifications, que l'on peut répartir en trois groupes, selon que la convergence de nos positions semble plus ou moins aisée.
Certaines modifications apportées par le Sénat pourraient, semble-t-il, susciter sans trop de difficultés l'adhésion de l'Assemblée nationale.
Tout d'abord, le Sénat a rétabli, notamment, les articles liminaire, 1, 2 et 17, ainsi que le rapport annexé. Il s'agit là de dispositions obligatoires, dont l'absence aurait pu conduire à la censure de l'ensemble du texte.
Le Sénat a ensuite adopté, à l'article 15, deux amendements identiques de la commission et du Gouvernement transférant 15 milliards d'euros de dette de l'Acoss vers la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Ce transfert, envisagé par la Cour des comptes dans une récente communication à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, a pour objet d'éviter que l'Acoss ne subisse en 2026 ou 2027 une crise de financement analogue à celle qu'elle a connue lors de la crise du covid. Rappelons qu'à l'époque, cela avait mis en péril le paiement des prestations et obligé à recourir à la Caisse des dépôts et consignations, ainsi qu'à un pool bancaire.
Le Sénat a également inséré un article 8 bis A abaissant à 6 000 euros le plafond des exemptions de certains compléments de salaire pour les salaires supérieurs à 3 Smic. Il nous a semblé intéressant d'adopter cette mesure, proposée par notre collègue socialiste Annie Le Houerou, afin de disposer dans la suite de la navette de cette possibilité de recettes supplémentaires, quitte à en ajuster les curseurs. Selon les informations transmises par le Gouvernement, l'article 8 bis A rapporterait 400 millions d'euros à la sécurité sociale et 700 millions à l'ensemble des administrations de sécurité sociale.
Il me semble que d'autres modifications apportées par le Sénat pourraient convenir à l'Assemblée nationale : report d'un an de l'instauration d'une contribution supplémentaire sur le chiffre d'affaires des entreprises pharmaceutiques, encadrement de la médecine esthétique, déduction des indemnisations versées par les assurances et les fonds d'indemnisation dans le calcul de l'allocation personnalisée d'autonomie et de la prestation de compensation du handicap.
J'en viens à une deuxième catégorie de modifications, traduisant des divergences d'approche de nos deux assemblées qui, bien que substantielles, ne sont peut-être pas insurmontables.
À l'article 5, relatif à la protection sociale des artistes auteurs, le Sénat a supprimé les élections professionnelles et réintroduit les organismes de gestion collective dans le conseil d'administration de l'association, et prévu - sans que cela reflète nécessairement sa volonté - que les artistes-auteurs soient représentés par les seules organisations syndicales, et non également les organisations professionnelles.
À l'article 9, le Sénat a rétabli la suppression de l'exonération de cotisations sociales des apprentis.
En matière de fiscalité comportementale, le Sénat a modifié, contre l'avis de la commission et du Gouvernement, l'article 11 bis inséré par l'Assemblée nationale. Alors qu'au départ, cet article visait seulement les boissons énergisantes alcoolisées comme le Vody, il vise désormais également les alcools forts sucrés et aromatisés sans substances énergisantes. Le Sénat n'a pas adopté l'article 11 ter qui taxait les produits n'affichant pas le nutri-score. Il a inséré, avec un avis de sagesse de la commission et un avis défavorable du Gouvernement, un article 11 quinquies B instaurant une taxe sur les sucres ajoutés dans les produits alimentaires destinés aux nourrissons et aux enfants en bas âge.
À l'initiative d'Olivier Henno, et malgré l'avis défavorable de la commission, le Sénat a inséré l'article 11 nonies, qui augmente de douze heures la durée annuelle du travail. Le rendement pour la sécurité sociale provenant de l'activité économique supplémentaire était initialement estimé par la direction de la sécurité sociale à 2 milliards d'euros. Toutefois, le Gouvernement considère désormais, en s'en tenant à la lettre du dispositif plutôt qu'à son esprit, qu'il aurait un rendement à peu près nul.
Dans la partie relative aux dépenses, le Sénat a conservé l'article 20, prévoyant d'instaurer de nouvelles obligations vaccinales, en supprimant toutefois celles qui devaient concerner les résidents des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes.
Il a supprimé les dispositions de l'article 21 bis, instaurant le réseau France santé, considérant que cette mesure n'augmentait pas le nombre de structures de soins de premier recours. Il a également supprimé l'article 26 bis, inséré par l'Assemblée nationale, qui prévoyait de dérembourser les prescriptions des praticiens du secteur 3.
À l'article 24, le Sénat a supprimé les baisses de tarifs pour 2026 concernant la radiothérapie et la dialyse.
À l'article 28, il a supprimé le plafonnement de la durée des arrêts de travail prescrits par les professionnels médicaux.
À l'article 42, il est revenu sur deux modifications apportées par l'Assemblée nationale, relatives à la possibilité de fractionner le congé supplémentaire de naissance et à l'anticipation au 1er janvier 2026 de l'entrée en vigueur du dispositif.
Surtout, il me semble que nos deux assemblées peuvent parvenir à un compromis pour ne pas aggraver inutilement les difficultés de l'Acoss, dont la situation est de plus en plus critique.
Ainsi, le Sénat est très favorable à l'article 12 quinquies, inséré par l'Assemblée nationale, qui prévoit la compensation de diverses niches sociales, dont la part salariale du dispositif en faveur des heures supplémentaires, pour un montant global de 2,5 milliards d'euros.
En sens inverse, le Sénat considère que les difficultés de financement de l'Acoss impliquent de renoncer à trois dispositions insérées par l'Assemblée nationale, qu'il a donc supprimées. Il s'agit tout d'abord de l'article 12 bis, qui transfère, à partir de 2027, 1,4 milliard d'euros de contribution sociale généralisée (CSG) de la branche autonomie vers les départements. Cette disposition pose en outre un problème de principe : la CSG doit, du point de vue du Sénat, financer la seule sécurité sociale.
Le Sénat a ensuite supprimé l'article 12 septies, qui prévoit que l'Acoss compense à l'Unedic la totalité du coût des allégements généraux de cotisations patronales, sans la réduction de 4,1 milliards d'euros prévue pour 2026 par l'arrêté du 27 décembre 2023. Le Sénat avait adopté des dispositions analogues lors de l'examen des PLFSS pour 2024 et 2025. Il ne s'agit donc pas d'une divergence de principe avec l'Assemblée nationale. Toutefois, à défaut d'augmentation de la part de TVA affectée à la sécurité sociale prévue par l'article 40 du projet de loi de finances (PLF), cette disposition augmenterait le besoin de financement de l'Acoss de 4,1 milliards d'euros.
Enfin, le Sénat a supprimé l'article 16 bis, qui vise à ce que l'Acoss se finance prioritairement auprès de la Caisse des dépôts et consignations, et seulement subsidiairement sur les marchés. En effet, cette disposition priverait l'Acoss de l'indispensable filet de sécurité que constitue la Caisse des dépôts et consignations en cas de difficulté de financement sur les marchés.
Il me semble que, dès lors que nous voulons tous assurer la pérennité de notre modèle de sécurité sociale, il aurait été possible pour le Sénat de convaincre l'Assemblée nationale de la nécessité de renoncer à ces trois dispositions.
Il faut cependant distinguer une troisième catégorie de modifications, correspondant à des divergences qui semblent malheureusement insurmontables. Ces divergences étant connues de tous, je serai brève.
La plus fondamentale concerne bien entendu l'article 45 bis, qui décale d'une génération de la réforme des retraites de 2023.
Conformément aux propositions qu'il a faites au Premier ministre le 8 juillet, le Sénat considère que le rétablissement des finances sociales doit privilégier la maîtrise des dépenses par rapport à l'augmentation des prélèvements obligatoires. Aussi, il a rétabli l'article 44, relatif au gel des prestations, ainsi que son corollaire, l'article 6, qui gèle le barème de la CSG. Toutefois, à l'article 44, le Sénat a exclu du gel les retraites inférieures à 1 400 euros et l'allocation aux adultes handicapés (AAH).
Le Sénat a également rétabli l'article 7, relatif à la contribution des complémentaires santé, dans sa version initiale, pour un montant de 1 milliard d'euros.
Par ailleurs, la commission a supprimé l'article 6 bis, qui porte le taux de la CSG sur le capital de 9,2 % à 10,6 %.
Les différences d'approche entre nos deux assemblées sont donc substantielles. Je forme le voeu que, même si nos divergences semblent trop importantes pour être surmontées lors de cette commission mixte paritaire, certaines dispositions soient retenues dans la suite de la navette, notamment celles qui relèvent de la première catégorie et, dans la deuxième catégorie, celles qui ont pour objet de réduire le risque de crise de financement de l'Acoss.
M. Thibault Bazin, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. Je souhaite la bienvenue à nos collègues sénateurs, dont j'ai suivi de près les débats. Je n'irai pas par quatre chemins : les discussions que j'ai eues avec votre rapporteure générale depuis la transmission du texte issu des travaux de l'Assemblée nous ont permis de constater que, selon toute vraisemblance, la commission mixte paritaire ne pourrait pas parvenir à un accord. Le gel des prestations sociales et la suspension de la réforme des retraites ne sont pas les seuls sujets sur lesquels les divergences sont majeures.
Certes, on observe des convergences. Les sénateurs ont fait preuve de responsabilité en rétablissant certains articles de la première partie que la loi organique rend indispensables, en particulier l'article liminaire, l'article 1er et l'article 2. C'était souhaitable et nécessaire.
D'autres aspects témoignent que l'Assemblée nationale et le Sénat trouvent régulièrement des terrains d'entente, y compris sur les textes budgétaires.
S'agissant de l'équilibre général, l'Assemblée avait adopté l'article 8 septies, qui étend la déduction forfaitaire de cotisations patronales sur la rémunération des heures supplémentaires aux entreprises de plus de 250 salariés ; le Sénat l'a maintenu sans modification.
Les exonérations de cotisations sociales induisent des pertes de recettes. Le sujet est sensible. Le Sénat a également maintenu l'article 12 quinquies, adopté à mon initiative à l'Assemblée, afin d'assurer que l'État compensera pleinement les exonérations ciblées, en particulier celles relatives aux heures supplémentaires. La ministre de l'action et des comptes publics s'était engagée à inscrire les crédits correspondants dans le projet de loi de finances (PLF). Cette mesure rapporterait près de 2,5 milliards d'euros à la sécurité sociale.
À l'initiative de la rapporteure générale, le Sénat a fait un pas supplémentaire dans cette voie en amendant l'article 12, pour que la sécurité sociale puisse conserver les gains induits par la réforme des allégements généraux de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. Cela nécessitera également des coordinations dans le PLF.
Le chemin est encore long vers la pleine compensation des exonérations de cotisations sociales, mais je me réjouis que nous fassions front commun pour y parvenir.
S'agissant de l'assurance maladie, les deux chambres se sont largement exprimées contre l'article 18, qui étendait le champ des participations forfaitaires et des franchises, et contre l'article 29, qui limitait la durée d'indemnisation des arrêts de travail des assurés ne relevant pas du dispositif de l'affection de longue durée.
Enfin, nous avons voté à la quasi-unanimité l'article 45, qui améliore la retraite des femmes. En effet, il prévoit qu'une partie des majorations de durée d'assurance pour enfant sera prise en compte pour l'éligibilité à la retraite anticipée pour carrière longue et pour les bonifications de service des fonctionnaires et des militaires.
Lors de l'examen de l'article 49, le Gouvernement a rehaussé de 1 milliard d'euros l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), le portant à 271,4 milliards d'euros. Cela représente une hausse de 1,98 % au lieu de 1,6 %. Le Sénat a supprimé l'article à l'initiative de sa commission des affaires sociales, qui juge la projection de l'Ondam « intenable, incohérente et globalement insincère ». Il faudra rétablir l'Ondam. Le Sénat n'en sera pas choqué, puisque c'est un article obligatoire, mais j'appelle l'exécutif à entendre le signal ainsi envoyé.
Cependant, ces points d'accord ne masquent pas les divergences. L'article 45 bis, qui décale l'application des mesures d'âge et d'allongement de la durée d'assurance prévues par la réforme des retraites de 2023, constitue un point d'achoppement majeur. Le Sénat l'a supprimé. À titre personnel, je ne pense pas que cette mesure résoudra l'équation budgétaire que pose notre système de retraite, ni qu'elle en assurera la pérennité. Toutefois, à la différence du Sénat, l'Assemblée ne dispose pas d'une majorité : nous sommes obligés de faire des compromis, parfois sur des sujets sensibles. Or l'article 45 bis y a recueilli une majorité de votes favorables.
Le désaccord se manifeste également sur l'article 44, qui prévoyait une « année blanche ». Certes, le Sénat a adopté une version moins radicale que celle proposée par le Gouvernement. En effet, le gel des prestations ne s'appliquerait pas à l'AAH. Pour les pensions de retraite, il a supprimé la sous-indexation pluriannuelle et prévu une revalorisation différenciée pour 2026. Néanmoins, l'Assemblée avait supprimé l'article par 308 voix contre 99 : il serait illusoire d'espérer un accord.
N'oublions pas que, il y a moins d'un an, le gouvernement de Michel Barnier tombait, entre autres, sur la revalorisation des pensions de retraite. En conséquence, nous n'avions ni budget ni loi de financement de la sécurité sociale au 1er janvier, ce qui nous a coûté plusieurs dixièmes de points de produit intérieur brut. Certes, l'article 44 permettrait de faire des économies, mais l'absence de textes budgétaires serait plus préjudiciable pour la situation financière de la sécurité sociale qu'une revalorisation des prestations sociales.
Nos divergences sur ces deux articles suffiraient pour conclure qu'aucun accord d'ensemble n'est possible. Or bien d'autres sujets opposent l'Assemblée nationale et le Sénat, comme le gel du barème de la CSG sur les revenus de remplacement, prévu à l'article 6, ou la contribution supplémentaire sur les organismes supplémentaires instaurée par l'article 7.
On pourra toujours pointer du doigt l'écart entre les soldes qui résulteraient de chacun des deux textes, à savoir - 24 milliards d'euros pour la copie de l'Assemblée et - 17,5 milliards pour celle du Sénat. Toutefois, je veux croire qu'il existe des marges d'amélioration en nouvelle lecture. Nous pourrions conserver les mesures les plus significatives adoptées par l'Assemblée, tout en réduisant le déficit, estimé à 23 milliards pour 2025. Le seul maintien de la suppression de l'article 12 septies, qui prévoyait que l'Acoss compensera le coût des allégements généraux pour l'Unedic, réduirait le déficit de 4,1 milliards - il se monterait alors à 20 milliards. Ce n'est pas impossible.
S'il me semble impossible d'aboutir à un texte commun, cela n'empêchera pas les rapporteurs de l'Assemblée de veiller à conserver les améliorations apportées par le Sénat dans les domaines sur lesquels nous sommes d'accord.
Le travail accompli jusqu'ici, de qualité, ne préjuge pas du texte sur lequel nous serons finalement amenés à nous prononcer. La navette se poursuit avec de nombreux acquis - articles adoptés à l'identique, avancées obtenues par différents groupes - et des points qui restent à corriger. Je crois qu'il existe une voie vers l'adoption d'une loi de financement de la sécurité sociale avant la fin de l'année.
Mme Pascale Gruny, sénateur. Le texte voté par le Sénat diffère sensiblement de celui de l'Assemblée nationale. Rapporteur pour la branche vieillesse, je ne mentionnerai que la suppression par le Sénat de l'article 45 bis, introduit par la lettre rectificative du 23 octobre, qui suspendait la réforme des retraites de 2023.
Cette mesure avait pour seule raison d'être un accord de gouvernement. Pour la majorité sénatoriale, ce n'est pas une justification légitime. La réforme des retraites devait rapporter 8 milliards d'euros en 2028, quand la survie de notre système de retraite par répartition est menacée. Cette suspension est inique en son principe : elle permettrait seulement à chaque génération née entre 1964 et 1968 de gagner un trimestre pour l'ouverture des droits, et aux générations nées en 1964 et 1965 de gagner un trimestre sur la durée d'assurance requise pour obtenir le taux plein de pension. Dans la version amendée par l'Assemblée, elle coûterait 300 millions d'euros en 2026 et 1,9 milliard en 2027. Elle aggraverait d'autant plus les dépenses que, dans la version adoptée par le Sénat, elle ne serait plus financée par l'article 44.
La réforme Borne souffrait d'importantes lacunes. La nature financière de la loi nous a empêchés d'aborder les questions de pénibilité, de carrières longues et d'inégalités de pension entre les hommes et les femmes. Toutefois, la suspension prévue par l'article 45 bis ne constitue aucunement une solution.
M. Christophe Bentz, député. Le groupe Rassemblement National prend acte de la divergence entre les deux chambres. Les approches, les convictions et le choix de la trajectoire budgétaire sociale diffèrent. À notre sens, la copie du Sénat n'est pas acceptable. Il a réintroduit des mesures irritantes - si vous m'autorisez ce terme : le gel de certaines pensions de retraite et prestations sociales, avec l'article 44, que l'Assemblée avait supprimé quasiment à l'unanimité ; le milliard d'euros imposé aux complémentaires, que celles-ci répercuteront sur leurs adhérents, au détriment du pouvoir d'achat de ces derniers ; la suppression de l'article 45 bis, que nous avions voté.
Pour toutes ces raisons, nous constatons qu'un accord ce soir ne sera pas possible.
M. Hadrien Clouet, député. Je pensais qu'on ne pouvait pas faire pire que la version initiale, je découvre que si. Chaque chambre en a débattu : il faut faire un choix stratégique entre agir sur les dépenses et agir sur les recettes. Je fais partie de ceux qui défendent une action résolue sur les recettes plutôt que celle, très résolue, adoptée sur les dépenses - gel des pensions de retraite, du barème de la CSG, de la taxation des mutuelles. Je regrette également la suppression de quelques mesures à même d'amener de l'argent dans les caisses de la sécurité sociale, comme les surcotisations sur les dépassements d'honoraires. Sur certaines inventions, nous aurions eu plaisir à débattre, car il s'agit de choix idéologiques qui méritent d'être mis sur la table, comme l'augmentation du temps de travail de quinze minutes par semaine.
Pour toutes ces raisons, j'espère que la commission mixte paritaire ne sera pas conclusive.
Mme Sandrine Rousseau, députée. L'Assemblée a travaillé à améliorer les recettes ; le Sénat s'est attaché aux dépenses. Les deux approches étant incompatibles, le compromis est impossible. Mais le Sénat a oublié un impératif : la justice sociale. S'il en a eu le souci s'agissant du gel des pensions de retraite, en établissant un seuil de 1 400 euros, c'est une mesure bien faible au regard de toutes les autres dispositions injustes que contient le texte. Les difficultés d'accès aux soins sont tout aussi oubliées. Pourtant, elles sont un facteur de dégradation de la santé de nombre de nos concitoyens et concitoyennes.
Par ailleurs, le Sénat a augmenté deux fois le temps de travail : en supprimant le décalage de la réforme des retraites et en allongeant la durée du travail de douze heures par an. Pourtant, nous devrions nous interroger sérieusement sur l'opportunité de le réduire, pour préserver le bien-être de ceux qui travaillent, pour diminuer le chômage et pour défendre l'écologie, principal défi écologique que l'humanité devra relever dans les années à venir.
Mme Annie Le Houerou, sénatrice. La version transmise au Sénat était effectivement inacceptable en bien des points, mais le résultat de ses travaux l'est plus encore ! Il paraît donc difficile de trouver un accord, quand bien même l'Assemblée nationale reverrait certaines de ses positions.
Mme Doineau a réparti nos points de divergence en trois catégories. Il semble en effet possible de nous accorder sur le rétablissement des premiers articles du texte, qui répondrait à une obligation constitutionnelle, ainsi que sur le transfert de 15 milliards euros de dette de l'Acoss à la Cades. Nous nous réjouissons aussi de la très modeste amélioration que constitue l'adoption de l'article 8 bis A, visant à plafonner à 6 000 euros les exonérations de cotisations sur les compléments de salaire pour les salariés percevant plus de 3 Smic. Les recettes supplémentaires ainsi obtenues restent néanmoins très faibles au regard d'autres dispositifs adoptés par l'Assemblée nationale, notamment l'augmentation de la CSG.
Pour le reste, les horreurs sont encore plus nombreuses à l'issue des travaux du Sénat. Je songe à la suppression de l'élection professionnelle pour les artistes-auteurs prévue à l'article 5, à la suppression de l'exonération de cotisations sociales pour les apprentis, ou encore à la suppression des mesures de fiscalité comportementale et même de l'obligation d'affichage du nutri-score, c'est-à-dire d'une simple information des consommateurs. J'y ajoute bien sûr la question des retraites ainsi que le gel des prestations sociales et des pensions supérieures à 1 400 euros.
Ces mesures absolument inacceptables nous conduisent à constater que l'écart entre les positions de l'Assemblée nationale et celles du Sénat ne peut pas être comblé. Il apparaît donc que cette commission mixte paritaire ne peut pas être conclusive - c'est le moins qu'on puisse dire.
M. Jérôme Guedj, député. Même si chacun aura bien compris que l'exercice auquel nous nous livrons ce soir est un peu formel, cette situation me rappelle celle de l'année dernière. La commission mixte paritaire avait alors été conclusive, mais nous vous avions avertis que ce n'était pas nécessairement le gage d'une longue vie pour le texte ; les faits nous ont donné raison.
Cette commission mixte paritaire non conclusive augure-t-elle d'une autre fin ? C'est désormais à l'Assemblée nationale qu'il revient d'en décider. Compte tenu des circonstances politiques particulières qui ont présidé à cette séquence budgétaire, peut-être ce constat est-il celui d'un rendez-vous manqué : alors que l'exécutif avait desserré la bride au Parlement et lui laissait la liberté de construire un budget, le compromis entre l'Assemblée nationale et le Sénat ne sera pas possible - dont acte. Il reste maintenant à voir si nous serons capables de le trouver au sein de l'Assemblée.
À cette fin, une partie des travaux du Sénat nous seront, je l'espère, utiles ; d'autres, assurément, ne le seront pas. Le champ des possibles s'est élargi. Je pense notamment à l'amendement prévoyant une plus grande mise à contribution des compléments de salaires, car la trajectoire de réduction du déficit de la sécurité sociale à laquelle nous sommes tous attachés devra reposer de façon équilibrée sur des mesures d'économie qui ne pénalisent pas les assurés sociaux et sur des recettes nouvelles.
Même si le compromis n'est pas possible aujourd'hui - n'y voyez nul jugement de valeur, mais je note au passage que le Sénat a été punk au point de rejeter l'Ondam -, nous essaierons de trouver un chemin. Rien ne garantit que nous y parviendrons ; peut-être allons-nous au-devant des mêmes difficultés que l'année dernière. Je donne rendez-vous en commission à mes collègues députés et je remercie les sénateurs pour les éléments qu'ils nous ont transmis.
Mme Camille Galliard-Minier, députée. Indubitablement, les deux chambres ont beaucoup travaillé. Les motifs de divergence ont été rappelés ; les points de convergence que nous avons identifiés seront utiles à la suite des travaux de l'Assemblée. Je ne crois pas que nous soyons confrontés à une situation de blocage : il nous appartient désormais de continuer à chercher cette voie de passage que nous sommes plusieurs à appeler de nos voeux.
M. Frédéric Valletoux, député, président. Vous conviendrez avec moi, à l'issue de ces échanges, que nous pouvons prendre acte du fait que notre commission mixte paritaire ne sera pas en mesure d'élaborer de texte.
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La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à l'adoption d'un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026.