N° 230

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 décembre 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de résolution européenne au nom de la commission des affaires européennes,
en application de l'article 73
quinquies B du Règlement, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un système commun
en matière de retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans l'Union, et abrogeant la directive 2008/115/CE du Parlement européen
et du Conseil, la directive 2001/40/CE du Conseil et la décision 2004/191/CE
du
Conseil (COM(2025) 101 final), la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2024/1348 en ce qui concerne l'établissement d'une liste des pays d'origine sûrs au niveau de l'Union (COM(2025) 186 final) et la proposition de règlement du Parlement européen
et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2024/1348 en ce qui concerne l'application du concept de « pays tiers sûr » (COM(2025) 259 final),

Par MM. David MARGUERITTE et Olivier BITZ,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Marc-Philippe Daubresse, Mmes Laurence Harribey, Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, Lauriane Josende, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. Jean-Baptiste Blanc, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Thani Mohamed Soilihi, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Anne-Sophie Patru, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

149 et 231 (2025-2026)

L'ESSENTIEL

Le 11 mars 2025, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement tendant à réviser la directive 2008/115/CE, dite « retour », qui fixe les règles européennes communes en matière d'éloignement des étrangers en situation irrégulière.

La commission des affaires européennes du Sénat a adopté1(*), le 20 novembre 2025, la proposition de résolution européenne n° 149 (2025-2026) relative à la proposition de règlement « retour » ainsi qu'à deux propositions de règlement en matière d'asile.

En ce qui concerne la proposition de règlement « retour », la proposition de résolution européenne, dans la continuité de la résolution du 27 juin 20252(*), rappelle l'opposition du Sénat au recours à un règlement et à la reconnaissance mutuelle obligatoire des décisions de retour.

Elle approuve en revanche le principe d'une révision de la directive « retour », qui doit être l'occasion de rendre plus efficaces et opérationnelles les procédures d'éloignement. La proposition de résolution affirme le soutien du Sénat à certaines avancées, à l'instar de la prise en compte des problématiques d'ordre public, du renforcement des moyens à la disposition des autorités pour l'identification des étrangers ou encore de la possibilité d'éloigner un étranger dans un autre État que celui dont il est ressortissant. Elle émet en revanche des réserves sur certaines dispositions qui tendent à créer des contraintes supplémentaires pour les autorités, à rebours de l'objectif de simplification et d'effectivité des procédures d'éloignement.

En matière d'asile, la proposition de résolution européenne approuve la modification des règles relatives aux pays d'origine sûrs ainsi que la liste européenne de ces pays. Elle soutient également l'élargissement du concept de « pays tiers sûr », qui n'est pas appliqué par la France, tout en notant les réserves des autorités françaises quant à la suppression de l'exigence d'un « lien de connexion ».

Partageant l'orientation de la proposition de résolution, la commission des lois l'a adoptée avec neuf amendements présentés par ses rapporteurs, David Margueritte et Olivier Bitz.

I. LA RÉVISION DE LA DIRECTIVE « RETOUR » : UNE OCCASION DE RENFORCER L'EFFICACITÉ DES PROCÉDURES D'ÉLOIGNEMENT

A. UN SOUTIEN AU PRINCIPE D'UNE RÉVISION DE LA DIRECTIVE « RETOUR »

1. La directive « retour » a eu des conséquences importantes sur le droit français de l'éloignement

La directive 2008/115/CE3(*), dite « retour », a pour objet l'harmonisation des règles et des procédures en matière d'éloignement des étrangers non ressortissants d'un État de l'Union européenne en situation irrégulière.

La directive donne ainsi une définition commune de la décision de « retour » et fixe des exigences procédurales minimales, comme l'obligation de prévoir un délai de retour volontaire ou la faculté d'introduire un recours contre la décision de retour. Elle encadre également le recours aux mesures de contrainte, comme l'assignation à résidence et la rétention administrative.

La loi du 16 juin 20114(*) a procédé à la transposition des dispositions de la directive « retour ». Tel est notamment le cas du délai de départ accordé à l'étranger pour quitter volontairement le territoire européen, qui traduit la priorité donnée par la directive au « départ volontaire », sauf dans des cas limitativement énumérés5(*). Il s'en est suivi la création de l'obligation de quitter le territoire français (OQTF) avec délai de départ volontaire, qui constitue désormais la mesure d'éloignement la plus souvent prononcée.

L'interprétation de la directive faite subséquemment par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a eu des conséquences d'ampleur sur le droit français.

Après que la CJUE a jugé que la directive « retour » s'opposait à ce que le séjour irrégulier soit réprimé par une peine d'emprisonnement sans que la procédure de retour ait été menée à son terme6(*), la loi du 31 décembre 20127(*) a abrogé le délit de séjour irrégulier et créé la retenue pour vérification du droit au séjour (RVDS). La solution dégagée par la CJUE a, par la suite,


été étendue par la Cour de cassation aux délits réprimant l'absence de coopération ou l'obstruction à l'exécution d'une mesure d'éloignement8(*), privant largement ceux-ci de leur portée.

En outre, dans son arrêt ADDE de 20239(*), la CJUE a jugé que la directive « retour » était applicable à tout étranger interpellé à la frontière française, même en cas de rétablissement du contrôle aux frontières intérieures. Remettant en cause la doctrine française de contrôle aux frontières intérieures, cette décision a limité drastiquement les possibilités d'édiction de refus d'entrée, avec pour conséquence un alourdissement considérable de la charge procédurale pour les services de l'État10(*).

Un droit français plus restrictif en ce qui concerne les mineurs et la rétention

Alors que la directive « retour » permet l'éloignement et, sous certaines conditions, le placement en rétention administrative des mineurs non accompagnés, une telle faculté n'est pas prévue par le droit français : il s'agit d'un choix politique, qui ne procède pas d'une norme supérieure. Depuis la loi du 26 janvier 2024, et à l'exception de Mayotte, l'article L. 741-5 du CESEDA interdit également la rétention des mineurs accompagnant des étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement, qui demeure permise par la directive.

La durée maximale de la rétention administrative est en revanche limitée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Si la directive « retour » prévoit une durée maximale de 18 mois, sans considération de dangerosité, le droit français prévoit aujourd'hui que celle-ci n'excède pas 90 jours ou, pour les étrangers condamnés pour des activités terroristes, six mois. Le Conseil constitutionnel a jugé excessives une durée maximale de 18 mois pour ces derniers (n° 2011-631 DC du 9 juin 2011) comme son allongement à 210 jours pour les étrangers condamnés pour des infractions graves ou présentant une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public (n° 2025-895 DC du 7 août 2025).

2. Un consensus sur la nécessité d'une révision du cadre européen afin de renforcer l'effectivité des politiques d'éloignement

Au regard des difficultés persistantes d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, la révision de la directive « retour » est envisagée depuis plusieurs années par la Commission européenne et par une majorité d'États membres11(*).

En effet, le nombre d'éloignements demeure largement en deçà des objectifs, tant en France qu'à l'échelle de l'Union européenne. Cette incapacité à assurer l'éloignement des étrangers en situation irrégulière porte atteinte à la crédibilité des politiques migratoires et au pacte social, dans un contexte où la pression migratoire demeure particulièrement forte.

Nombre de décisions de retour dans l'Union européenne (en milliers)
et taux d'exécution

Source : commission des lois d'après données du Service de recherche du Parlement européen et d'Eurostat

Comme la commission des affaires européennes, la commission des lois approuve le principe de la révision de la directive « retour ». Elle considère que cette révision devrait permettre de lever certains des principaux facteurs d'échec des procédures d'éloignement que sont l'impossibilité d'identifier la nationalité des intéressés (due souvent à des comportements d'obstruction de leur part) ainsi que la coopération insuffisante de la part des États tiers en matière de réadmission de leurs ressortissants.

La commission considère comme primordiales la simplification des procédures d'éloignement ainsi que la prise en compte des étrangers présentant une menace pour l'ordre public, largement absente du droit de l'Union européenne.

Le pacte sur la migration et l'asile et la lutte contre l'immigration irrégulière

Si la proposition de règlement « retour » ne fait pas partie du pacte européen sur la migration et l'asile, elle s'inscrit dans le prolongement de l'approche globale promue par le pacte.

Ce dernier renforce notamment les contrôles aux frontières extérieures de l'Union, en instituant un dispositif de filtrage des personnes franchissant irrégulièrement ces frontières, pouvant mener à une procédure d'asile à la frontière aux délais réduits (12 semaines) au terme de laquelle, en cas de rejet, les personnes sont renvoyées dans leur pays d'origine ou un pays de transit.

En outre, le nouveau règlement « Eurodac »12(*) élargit les finalités de la base de données éponyme au contrôle de l'immigration irrégulière. Afin de faciliter leur identification, les données des étrangers en situation irrégulière y seront désormais systématiquement enregistrées en cas d'interpellation, le règlement permettant le recours à la contrainte pour le relevé de leurs données biométriques.

B. UNE OPPOSITION RÉITÉRÉE AU RECOURS À UN RÈGLEMENT ET À LA CRÉATION D'UN SYSTÈME COMMUN EN MATIÈRE DE RETOUR

Dans la continuité de la résolution portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement adoptée le 27 juin dernier, la proposition de résolution européenne rappelle l'opposition du Sénat au recours à un règlement ainsi qu'à l'institution d'un système européen commun en matière de retour, qui en constitue la justification principale.

L'intérêt de la création d'un tel système commun, dont les deux déclinaisons principales sont la création d'une décision de retour européenne ainsi que la reconnaissance et l'exécution obligatoires des décisions rendues par les autres États membres, paraît très limité et sans commune mesure avec les contraintes qu'il ferait peser sur les États membres.

Dans cette matière qui est l'expression de leur souveraineté, la commission des lois considère qu'il est nécessaire de laisser une importante marge de manoeuvre aux États membres. Or, le recours à un règlement priverait les États de la possibilité d'adapter les dispositions aux spécificités de leur législation nationale et du phénomène migratoire auquel ils font face. Le Parlement serait largement dessaisi de sa compétence en la matière, ce qui constituerait une aberration démocratique. La commission
relève enfin que le choix d'une telle réglementation européenne se traduit par un alourdissement des dispositions en cause13(*), à rebours de l'impératif de simplification du droit et de lutte contre l'inflation normative.

La commission regrette que l'orientation générale du Conseil de l'Union européenne, adoptée le 8 décembre 2025, ne revienne ni sur le choix d'un règlement ni sur la création d'un système commun en matière de retour, tout en relevant que la reconnaissance mutuelle des décisions de retour aurait, en l'état, un caractère facultatif.

C. UNE PRIORITÉ : LA SIMPLIFICATION ET LE RENFORCEMENT DE L'EFFECTIVITÉ DES PROCÉDURES D'ÉLOIGNEMENT

1. Un soutien aux dispositions de nature à faciliter l'éloignement des étrangers en situation irrégulière

a) La prise en compte des étrangers présentant une menace pour l'ordre public

La proposition de résolution européenne salue l'intégration de dispositions particulières aux étrangers qui présentent un risque pour la sécurité ou l'ordre public. Il s'agit d'une évolution particulièrement bienvenue, l'absence de telles dispositions constituant l'une des principales lacunes de la directive « retour ».

L'article 16 de la proposition de règlement prévoit, pour ces étrangers, le principe d'un éloignement forcé ainsi que des dispositions dérogatoires, s'agissant tant des interdictions d'entrée14(*) (avec une durée maximale de 20 ans) que de la rétention administrative, permettant notamment un maintien en rétention au-delà de la durée maximale de 24 mois pour le régime de droit commun (cf. infra), sans limitation de durée a priori.

b) La création d'une obligation de coopération pour les ressortissants de pays tiers

La proposition de résolution européenne approuve la création d'une obligation, pour les étrangers en situation irrégulière, de coopérer avec les autorités de l'État membre en vue de leur retour, ce qui comprend notamment la communication des documents d'identité et de leurs données biométriques. L'article 21 de la proposition de règlement permet notamment aux autorités nationales de mener des perquisitions et de procéder à la fouille de leurs effets personnels.

De même que la commission des affaires européennes, la commission des lois regarde avec satisfaction ce renversement : alors que l'ensemble des obligations prévues par la directive « retour » pèse sur les administrations, la proposition de règlement s'inscrit dans une logique de responsabilisation des étrangers en situation irrégulière.

La proposition de résolution européenne propose en outre de compléter le texte sur deux points : d'une part, en permettant expressément de procéder à l'exploitation des terminaux de communication électronique et de recourir à la contrainte pour la prise d'empreintes ; d'autre part, en permettant de sanctionner pénalement la méconnaissance de l'obligation de coopération. La commission des lois adhère à ces recommandations et se félicite qu'elles figurent dans l'orientation générale du Conseil.

c) L'élargissement de la définition du pays de retour

La proposition de résolution européenne approuve l'élargissement de la définition du pays de retour prévue par la proposition de règlement. Cette notion inclurait désormais, outre le « pays de résidence habituelle » de l'étranger, des États tiers autres que l'État d'origine ou de transit avec lesquels un État membre a conclu un accord aux fins du transfert des étrangers en situation irrégulière15(*).

La commission relève qu'une telle faculté, subordonnée à la conclusion d'un accord ou d'un arrangement entre États, pourrait permettre de surmonter l'obstacle que constitue l'absence de coopération de certains États tiers dans la réadmission de leurs ressortissants.

d) L'assouplissement du recours à la rétention administrative

La proposition de règlement apporte des modifications d'ampleur au régime de la rétention administrative. L'article 29 ne subordonne plus la rétention à une perspective raisonnable d'éloignement ni à l'insuffisance des mesures moins coercitives. Trois nouveaux motifs de rétention sont prévus : la menace à l'ordre public, la vérification de l'identité et le non-respect des mesures alternatives. La durée maximale de la rétention administrative de droit commun serait portée à 24 mois, au lieu de 18 mois dans la directive « retour ».

Considérant que la rétention demeure le moyen le plus sûr pour mener à bien l'éloignement des étrangers en situation irrégulière, puisque les autres mesures de contrainte présentent des résultats bien moindres16(*), la proposition de résolution européenne approuve ces évolutions. Les rapporteurs regrettent néanmoins qu'en raison de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la France se singularise par une durée maximale de rétention de droit commun très limitée, au détriment de la sécurité des Français.

2. Des évolutions nécessaires afin de préserver l'effectivité des procédures d'éloignement

a) Préciser le champ d'application de la réglementation européenne

La proposition de règlement ne comportant pas l'exception prévue par la directive « retour » pour les sanctions pénales « prévoyant ou ayant pour conséquence » l'éloignement d'un étranger en situation irrégulière17(*), ses dispositions procédurales (voie de recours spécifique, effet suspensif, etc.) seraient désormais applicables aux peines d'interdiction du territoire français (ITF) prononcées par le juge pénal18(*).

La commission des lois déplore la fin de cette exception, qui reviendrait à remettre en cause le régime de l'ITF. Pour ces raisons, elle soutient les dispositions de la proposition de résolution européenne demandant le rétablissement de l'exception prévue par la directive « retour » pour les sanctions pénales. Elle se félicite à cet égard que l'orientation générale du Conseil précitée prévoie un tel rétablissement.

b) Mettre fin à l'obligation de prévoir un délai de retour volontaire

La proposition de règlement (articles 12 et 13) continue de prévoir le principe d'un délai de retour volontaire. Il n'y serait fait exception que dans quatre situations : refus de coopération de l'intéressé, déplacement non autorisé dans un autre État membre, non-respect de l'obligation de départ volontaire ou lorsque l'étranger présente une menace pour la sécurité publique.

La proposition de résolution européenne demande que soit supprimé le caractère obligatoire du délai de retour volontaire, son octroi devant être laissé à l'appréciation des autorités. La commission adhère à cette disposition et considère, plus largement, que l'obligation de proposer un délai de départ volontaire est inadaptée. En effet, ce délai est souvent mis à profit par les intéressés pour se soustraire à l'éloignement : en 2024, la Cour des comptes relevait que moins de 1,5 % des personnes sous OQTF quittent volontairement le territoire19(*). La commission relève avec satisfaction que l'orientation du Conseil va dans le même sens.

c) Préserver le caractère exécutoire des décisions d'éloignement

En vertu de l'article 28 de la proposition de règlement, l'exécution de la décision d'éloignement est suspendue pendant le délai de recours, dont la durée est ramenée à quatorze jours, cette suspension faisant également obstacle au prononcé de mesures de contrainte (rétention, assignation à résidence, etc.).

La commission considère qu'une telle évolution nuirait fortement au caractère opérationnel des mécanismes d'éloignement et remettrait en cause le régime contentieux particulier en vigueur à Mayotte, à Saint-Martin et en Guyane. La proposition de résolution européenne demande par conséquent d'en rester à l'état actuel du droit, à savoir l'absence de suspension pendant le délai de recours et la possibilité d'introduire un recours juridictionnel à cet effet. Le Conseil a repris cette position dans son orientation générale du 8 décembre.

Une attention particulière à la situation des collectivités d'outre-mer

La commission s'est montrée particulièrement vigilante quant à l'absence de remise en cause des dispositions particulières à certaines collectivités territoriales d'outre-mer, à l'instar de Mayotte et de la Guyane qui connaissent une pression migratoire particulièrement forte. Ces dispositions dérogatoires comprennent notamment l'absence du caractère suspensif du recours en annulation dirigé contre une OQTF, le séquençage de la rétention ou encore la faculté, à Mayotte, de placer en rétention des familles comprenant des mineurs.

d) Limiter les contraintes nouvelles pesant sur les autorités nationales et renforcer leurs leviers d'action

Considérant que le droit des étrangers, notamment en ce qui concerne l'éloignement, se caractérise déjà par une complexité excessive, la commission considère qu'il convient de s'opposer à la création de contraintes nouvelles pesant sur les autorités compétentes des États membres, afin de préserver le caractère opérationnel de cette réglementation.

Pour ces raisons, la commission est défavorable à l'obligation de mener un examen de vulnérabilité à l'occasion de l'interpellation d'un étranger en situation irrégulière (article 6 de la proposition de règlement), qui emporterait un alourdissement procédural significatif de la RVDS20(*). Elle a, par conséquent, adopté un amendement des rapporteurs renforçant, sur ce point, la formulation de la proposition de résolution européenne.

La commission a adopté un amendement de ses rapporteurs affirmant son opposition à l'obligation faite aux États membres de se doter d'un mécanisme indépendant chargé du contrôle du respect des droits fondamentaux lors des opérations d'éloignement (article 15 de la proposition de règlement). S'interrogeant sur la conformité au principe de subsidiarité d'une telle disposition, la commission a relevé que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté exerce déjà un tel contrôle21(*).

Enfin, la commission a adopté trois amendements de ses rapporteurs ayant pour objet :

- de demander la suppression de l'exigence de proportionnalité au regard du « risque de fuite » à laquelle l'article 31 soumet l'assignation à résidence ;

- de solliciter une évaluation préalable des conséquences budgétaires de la nouvelle réglementation du point de vue des États membres et d'envisager un soutien financier de l'Union européenne aux États membres les plus actifs en matière d'éloignement ;

- d'insister sur la nécessité de mobiliser l'ensemble des leviers diplomatiques pour favoriser la réadmission par les États tiers de leurs ressortissants, notamment la conclusion d'accords de réadmission à l'échelle de l'Union et la mobilisation du « levier visa-réadmission »22(*).

II. LES PROPOSITIONS DE RÈGLEMENT RELATIVES AUX CONCEPTS DE PAYS D'ORIGINE SÛR ET DE PAYS TIERS SÛR

A. LA MODIFICATION DES RÈGLES RELATIVES AUX PAYS D'ORIGINE SÛRS ET L'ÉTABLISSEMENT D'UNE LISTE EUROPÉENNE

Issue du droit de l'Union européenne, la notion de « pays d'origine sûr » désigne des États dans lesquels le niveau de protection des droits et les conditions politiques sont jugés suffisants pour justifier le recours à la procédure accélérée pour l'examen des demandes d'asile formées par leurs ressortissants. Sous l'empire de la directive 2013/3223(*), la détermination des pays d'origine sûrs relève de chaque État membre.

En France, la liste des pays d'origine sûrs est fixée par le conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Depuis 2021, celle-ci comprend treize pays : l'Albanie, l'Arménie, la Bosnie-Herzégovine, le Cap-Vert, la Géorgie, l'Inde, le Kosovo, la Macédoine du Nord, Maurice, la Moldavie, la Mongolie, le Monténégro et la Serbie.

L'article 61 du nouveau règlement 2024/1348, dit « Procédure », applicable à partir du 12 juin 2026, modifie les critères pour la définition des pays d'origine sûrs, en permettant de l'assortir d'exceptions pour certaines régions ou catégories de personnes24(*). Son article 62 prévoit également qu'une liste de pays d'origine sûrs est dressée au niveau de l'Union, qui s'ajouterait à celle établie par les États membres et s'imposerait à ces derniers.

La proposition de règlement COM(2025) 186 a pour objet :

- de prévoir la désignation comme pays d'origine sûrs des États ayant obtenu le statut de pays candidat à l'adhésion, sous réserve d'exceptions qui excluraient, en pratique, l'Ukraine ;

- de désigner sept pays d'origine sûrs au niveau de l'Union européenne : le Bangladesh, la Colombie, l'Égypte, l'Inde, le Kosovo, le Maroc et la Tunisie ;

- de permettre l'application accélérée - dès l'adoption de ce règlement au lieu du 12 juin 2026 - de deux dispositions du règlement « Procédure » : la désignation de pays d'origine sûrs avec exceptions (cf. supra) et la mise en oeuvre de la procédure accélérée et de la procédure d'asile à la frontière lorsque le demandeur est ressortissant d'un pays tiers dont le taux de protection, à l'échelle de l'Union, est inférieur à 20 %.

La proposition de résolution européenne approuve l'ensemble de ces dispositions, en prenant acte de l'exclusion de facto de l'Ukraine des pays d'origine sûrs.

B. L'ÉLARGISSEMENT DES RÈGLES RELATIVES AUX PAYS TIERS SÛRS : UNE ÉVOLUTION PROMETTEUSE À LA PORTÉE LIMITÉE POUR LA FRANCE

Comme la directive 2013/32 qu'il remplace, le règlement « Procédure » 2024/1348 permet aux États membres de déclarer irrecevable une demande d'asile lorsqu'elle émane d'une personne pouvant séjourner dans un État désigné comme pays tiers sûr. La France n'a pas fait usage de cette possibilité25(*).

La proposition de règlement COM(2025) 259 permettrait d'appliquer le concept de pays tiers sûr lorsque l'une des trois conditions suivantes est remplie : l'existence d'un « lien de connexion » entre le demandeur et l'État en question, « sur la base duquel il serait raisonnable qu'il se rende dans ce pays » ; en cas de transit du demandeur par cet État ; la conclusion avec cet État d'un accord ou d'un arrangement imposant l'examen, par celui-ci, des demandes de protection présentées par les demandeurs, le « lien de connexion » n'étant pas exigé dans ce cas de figure.

Quand bien même ces dispositions ne sont pas applicables en France à ce jour, la proposition de résolution européenne approuve l'extension proposée du concept de « pays tiers sûr ». À l'initiative de ses rapporteurs, la commission a adopté un amendement prenant acte des réserves, tant juridiques qu'opérationnelles, formulées par la France au sujet de la suppression de l'exigence d'un « lien de connexion » entre le demandeur et le « pays tiers sûr ».

*

* *

Réunie le 17 décembre 2025, la commission a adopté la proposition de résolution européenne ainsi modifiée.


* 1 Sur le fondement de l'article 73 quinquies B du règlement du Sénat.

* 2 Résolution n° 159 (2024-2025), devenue résolution du Sénat le 27 juin 2025.

* 3 Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

* 4 Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité.

* 5 Les États membres peuvent s'abstenir d'accorder le délai de départ volontaire s'il existe un risque de fuite, si la personne constitue un danger pour la sécurité publique, l'ordre public ou la sécurité nationale, ou si elle a fait l'objet d'un refus de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse.

* 6 CJUE, 28 avril 2011, El Dridi, n° C-61/11 PPU ; CJUE, 6 décembre 2011, Achughbabian, n° C-329/11.

* 7 Loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées.

* 8 La Cour a ainsi jugé que l'infraction prévue par le troisième alinéa de l'article L. 824-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), qui réprime le fait de refuser de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution de la mesure d'éloignement, « ne peut être poursuivie que si cet étranger a fait l'objet d'une mesure régulière de placement en rétention ou d'assignation à résidence ayant pris fin [...], sans qu'il ait pu être procédé à son éloignement » (Cass. crim., 13 avril 2023, n° 22-81.676, Bull). Même solution pour le délit prévu à l'article L. 824-1 du même code (Cass. crim., 13 avril 2023, n° 22-85.816, Bull.).

* 9 CJUE, 21 septembre 2023, n° C-143/22 ; CE, 2 février 2024, n° 450285, Rec.

* 10 Au nombre de 71 000 en 2023, seuls 574 refus d'entrée ont été prononcés du 1er janvier au 31 juillet 2025. Sur la même période, le nombre de réadmissions simplifiées s'est élevé à 11 650, contre 2 000 en 2023, ne permettant pas de compenser la baisse du nombre de refus d'entrée.

* 11 Une précédente tentative de révision de la directive « retour » avait échoué en 2018, faute d'accord entre le Conseil et le Parlement européen.

* 12 Règlement (UE) 2024/1358 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 relatif à la création d'«Eurodac» pour la comparaison des données biométriques aux fins de l'application efficace des règlements (UE) 2024/1351 et (UE) 2024/1350 du Parlement européen et du Conseil et de la directive 2001/55/CE du Conseil et aux fins de l'identification des ressortissants de pays tiers et apatrides en séjour irrégulier, et relatif aux demandes de comparaison avec les données d'Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et par Europol à des fins répressives, modifiant les règlements (UE) 2018/1240 et (UE) 2019/818 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant le règlement (UE) no 603/2013 du Parlement européen et du Conseil.

* 13 La proposition initiale de règlement compte 52 articles et 42 pages, contre 22 articles et 10 pages pour la directive.

* 14 L'article 10 de la proposition de règlement prévoit également un allongement de la durée maximale de l'interdiction d'entrée de droit commun, qui serait portée de cinq à dix ans, avec possibilité de prolongations ultérieures par échéances successives de cinq ans.

* 15 L'article 17 subordonne cet éloignement au respect, par l'État d'accueil, des normes du droit international relatives aux droits de l'homme. Il exclut d'y recourir pour les familles avec enfants et les mineurs non accompagnés.

* 16 Dans son rapport La politique de lutte contre l'immigration irrégulière (février 2024), la Cour des comptes relevait que « L'assignation à résidence n'offre que peu de résultats, car ces populations souvent précaires et dépourvues de documents d'identité ne disposent pas toujours d'une adresse fiable. Le cadre juridique de la visite domiciliaire (...) est complexe et celle-ci doit être autorisée par le juge des libertés et de la détention. Sur les quatre dernières années, seuls 18 % des étrangers assignés à résidence ont quitté le territoire français » (p. 79). Le taux d'éloignement à l'issue d'un placement en rétention en France métropolitaine s'élevait à 38,8 % en 2024.

* 17 b) du paragraphe 2 de l'article 2 de la directive 2008/115/CE.

* 18 En vertu de l'article 131-30 du code pénal, cette peine « entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion. »

* 19 Cour des comptes, La politique de lutte contre l'immigration irrégulière, février 2024, p. 79.

* 20 L'article L. 813-5 du CESEDA garantit déjà le droit, à la demande de l'étranger retenu, d'être examiné par un médecin.

* 21 Aux termes de l'article 1er de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007, le CGLPL exerce, afin de s'assurer du respect de leurs droits fondamentaux, « le contrôle de l'exécution par l'administration des mesures d'éloignement prononcées à l'encontre d'étrangers jusqu'à leur remise aux autorités de l'État de destination ».

* 22 Depuis 2019, l'article 25 bis du code communautaire des visas permet au Conseil, en cas de forte dégradation de la coopération d'un État tiers en matière de réadmission de ses ressortissants, de prendre des mesures restrictives en ce qui concerne la délivrance des visas de court séjour.

* 23 Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale.

* 24 Sous l'empire de la directive 2013/32, la CJUE a jugé que la désignation d'un pays tiers comme pays d'origine sûr doit s'étendre à l'ensemble de son territoire (CJUE, 4 octobre 2024, n° C-406/22) et ne peut être assortie d'exceptions pour certaines catégories de personnes (CJUE, 1er août 2025, n° C-758/24 et C-759/24).

* 25 Le Conseil constitutionnel tire du quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République », l'obligation, pour les autorités compétentes, de procéder à l'examen de la situation du demandeur qui affirme être persécuté pour son action en faveur de la liberté et le droit pour ce dernier de se maintenir sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993).

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