B. LA MISE EN ÉVIDENCE D'INFLEXIONS

1. Le choix d'une référence

Pour mesurer l'évolution du budget de l'État d'une année sur l'autre, il convient de prendre un certain nombre de précautions méthodologiques -rendues cette année plus nécessaires encore par le vote d'un collectif, la loi de finances rectificative du 4 août 1995, qui a modifié très sensiblement l'architecture de la loi de finances initiale pour 1995 :

Équilibre du collectif

Il est donc opportun, comme votre commission des finances l'avait estimé nécessaire en 1993, de prendre ce collectif ( ( * )1) comme base de comparaison des évolutions même si la loi de finances initiale pour 1995 n'a que peu de rapports avec le "budget virtuel" que représentait la loi de finances pour 1993.

Il convient toutefois de ne pas choisir -pour les besoins de la démonstration- alternativement l'une ou l'autre référence.

Du bon usage d'une référence

Les quatre pages de l'exposé général des motifs du PLF 1996 illustrent à leur manière les délices sans cesse renouvelées de l'analyse budgétaire. On peut notamment y découvrir d'intéressantes variations sur le choix d'une référence :

2. L'évolution des dépenses

L'évolution des charges peut être ainsi retracée :

PLF 96

% LFR 95

% LF1 95

Dépenses nettes du budget général

Total des charges (1)

Total des charges définitives et du solde des opérations temporaires (2)

Charges définitives - dépenses d'ordre + solde des opérations temporaires

1.557,93

1.551.86

1.613,36

1.596,48

+ 1,7 % + 1,8%

+ 0,3 %

+ 0,7 %

+ 4,3 % + 4 %

+ 4,9 %

+ 5%

(1) Le total des charges correspond aux dépenses nettes du budget général diminuées des dépenses d'ordre et augmentées du solde des comptes spéciaux du Trésor (opérations temporaires. Les opérations des comptes d'affectation spéciale et celles des budgets annexes n'y figurent pas. En présentation 1995, compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 1994, les chiffres respectifs seraient de (hors BAPSA) : + 1.4 % et + 4,4 % contre 1,8 % et + 4 %. Ce concept de " total des charges" est traditionnellement retenu en présentation du PLF.

(2) Dépenses nettes du budget général augmentées des dépenses des C.A.S. et du solde des C.S.T. (opérations temporaires).

Ces quatre indicateurs possèdent chacun leur "part de vérité". Si l'on cherche à "solliciter" les chiffres, il est possible d'opposer un scénario gris (+1,8 %) à un scénario rose (+ 0,3 %). Le projet de loi de finances retient d'ailleurs le pourcentage gris. L'indicateur "total des charges" est en effet traditionnellement retenu par le gouvernement. Il fait apparaître une progression de 1,8 % -inférieure à la hausse prévisible des prix soit 2 %-, ce qui constitue une inflexion remarquable. D'autant plus remarquable que la charge de la dette connaît une forte croissance (+ 17,3 milliards de francs).

Cette inflexion apparaît plus clairement à l'examen des derniers exercices clos 1 ( * ) .

Charges définitives nettes +

PIB aux prix courants

solde des opérations

temporaires

- recettes d'ordre

1988

+ 7,5

-4,5

1989

+ 7,4

+ 6,0

1990

+ 5,7

+ 4,1

1991

+ 4,1

+ 5,4

1992

+ 3,5

+ 6,2

1993

+ 1,0

+ 7,0

1994

+ 4,1

+ 3,0

Ce tableau retrace, à grands traits, les épisodes récents de notre histoire budgétaire :

- les "années cigale" de 1989-1992 où la croissance est utilisée à financer de nouvelles dépenses publiques "réhabilitées" et qui lancent une dynamique difficilement maîtrisable ;

- la crise de 1993 qui contraint les finances publiques à jouer un rôle contracyclique et qui met crûment en évidence la dynamique ainsi enclenchée ;

- l'amorce d'une sagesse retrouvée en 1994.

Dépenses 1996 : un véritable effort de maîtrise

1. Fonction publique

La non revalorisation du "point" pour 1996, qui ne pourra pas être reconduite à identique les années suivantes, exerce un effet très sensible sur la progression des dépenses. Une majoration de 1 % du point représente, en effet, un coût de l'ordre de 6 milliards de francs en année pleine pour la fonction publique de l'État et 11 à 12 milliards de francs pour 1'ensemble des fonctions publiques de l'État, des collectivités locales et du secteur hospitalier ( ( * )1)

En revanche l'accroissement de 0,17% des effectifs (3.557 créations nettes hors personnels appelés) mérite d'être souligné. Il exerce un effet psychologique des plus fâcheux. En Allemagne, les effectifs de l'administration fédérale doivent décroître de 1 % par an jusqu'en 1998.

2. "Train de vie de l'État"

Les dépenses de fonctionnement courant du titre III progressent de 1,4 milliard de francs pour atteindre 43,95 milliards de francs. Compte tenu des régulations qui perturbent la bonne marche des services et de nombreuses dépenses qui n'ont rien de somptuaires (dépenses de santé des détenus, modernisation des moyens d'action de la police, fonctionnement des juridictions), cette augmentation ne saurait susciter de passion excessive. D'autant moins que cette dotation est stable en francs constants depuis deux ans. Il convient donc de trouver un juste milieu entre la thèse de la paupérisation de l'État, brillamment défendue par le nouveau commissaire général au plan, et celle de la "chasse au gaspi" qui ne devrait pas apparaître comme une politique d'économies de bouts de chandelle, fortement médiatisée.

3. Défense nationale

Le gouvernement a décidé de ne pas appliquer la loi de programmation qui prévoyait 105 milliards de francs d'investissements. Les 89 milliards de francs retenus Permettent une économie de 2,3 milliards de francs par rapport à la LFR 1995 et de 4 milliards de francs par rapport à la LFI 1995. Selon les industriels du secteur, descendre au-dessous de 90 milliards de francs de crédits d'équipement aurait des conséquences graves sur les industries d'armement dont la situation n'est guère brillante en ce moment de notre histoire.

4. UNEDIC

La prise en compte du redressement financier de l'UNEDIC permet à l'État une réduction de dépenses de 5 milliards de francs par rapport à 1995, alors qu'il s'était engagé à lui verser 10 milliards de francs par an jusqu'en 1996. La somme des versements atteint 19,3 milliards de francs à ce titre, soit à peu près la dette contractée par cet organisme en février 1994 (22 milliards de francs). Les excédents de l'UNEDIC en 1994 (+ 8,7 milliards de francs) et 1995 (+ 19 milliards de francs) justifient cette décision.

5. Révision des services votés

Elle s'établit à 36,6 milliards de francs (par rapport à la LF1 1995) dont une part provient de la consolidation de la régulation budgétaire 1995 (1,9 milliard de francs). Est considérée comme révision de services votés la prise en charge par le FSV de certaines dépenses du BAPSA à hauteur de 1,943 milliard de francs, ce qui ne constitue pourtant qu'un jeu d'écritures au sein de l'ensemble des dépenses publiques. La prise en compte de la suppression de la "balladurette" est un peu curieuse puisque, mesure non reconductible, elle aurait dû figurer en ajustement aux besoins. En sens inverse, les effets de la baisse des dépenses liée à la réduction de la rémunération de la créance TVA des entreprises n'est pas considérée comme une mesure de réduction des services votés.

Au total, les principales mesures des services votés sont les suivantes :

(en milliards de francs)

. Economie UNEDIC 5 (voir ci-dessus)

. Fusion de la réduction dégressive et de l'exonération

de cotisations d'allocations familiales sur les bas salaires ... 14,132

. Modification du barème de l'aide au logement 2,3

. Réaménagements de divers dispositifs de formation
et de soutien à l'emploi 5,603

6. Pacte de stabilité entre l'État et les collectivités locales

La limitation au niveau des prix de la progression, en 1996 et sur les deux années suivantes, des concours de l'État aux collectivités locales, dans le cadre d'un pacte de stabilité financière, conduit à ce que les subventions de l'État aux collectivités locales bénéficieront pour les trois années à venir d'une garantie de maintien de pouvoir d'achat, et évolueront selon la même norme que les dépenses de l'État dans leur ensemble. Excellent dans son principe, ce pacte contient toutefois des dispositions que l'on peut soumettre à la critique (voir chapitre IV et Tome II - Commentaire des articles).

L'effort de maîtrise des dépenses peut se décliner en cinq priorités :- réduction des dépenses militaires

- annulation de la subvention à l'Unedic

- gel des traitements des fonctionnaires

- stabilisation des transferts aux collectivités locales

- arrêt de la montée en puissance de la budgétisation des cotisations familiales.

3. La progression des ressources

Part des différents impôts dans les recettes

fiscales totales

TVA

45,3 %

I.R.

22,0 %

TIPP

10.6%

I.S.

9,4 %

Autres

12,7%

Les catégories de recettes sont fort diverses (recettes fiscales, revenus du patrimoine, ressources de privatisation, prélèvements sur organismes publics, part "agents" des cotisations sociales,...) et font l'objet d'évolutions contrastées. Elles pourraient faire l'objet de longs commentaires poste par poste. Elles seront analysées au chapitre II (révision de la base 1995) et au chapitre IV (évolution à moyen terme). A cette étape de l'analyse, trois observations appellent toutefois un développement spécifique.

a) Une croissance "pauvre en impôt"

L'exposé général des motifs du projet de loi de finances précise que "l'essentiel du redressement en recettes ayant été effectué en collectif 1995, le PLF 1996 ne retient que quelques mesures nouvelles, à la fois limitées et ciblées".

En effet, l'impact sur les recettes fiscales des mesures contenues dans le PLF 1996 n'est que de 9,7 milliards de francs alors que l'effet total des mesures du collectif est de 70,1 milliards de francs. Sans ces mesures de "redressement", le produit des recettes fiscales s'établirait à 1.322 milliards de francs environ.

Le contenu en impôts de la croissance s'étiole. Pour 1995, par rapport aux estimations de la loi de finances rectificative du 4 août, les moins-values fiscales s'établiraient, selon les estimations révisées de septembre, à près de 25 milliards de francs.

b) Une loi de finances "modeste" en termes de mesures fiscales.


• S'agissant des recettes fiscales, le produit supplémentaire attendu résulte des mouvements suivants :

Les décisions prises par l'Assemblée nationale ont modifié les prévisions de recettes fiscales en les majorant de 625 millions de francs.


• Les prélèvements sur recettes, présentation comptable peu satisfaisante (qui appelle des observations récurrentes de la Cour des Comptes), atteignent 252,66 milliards de francs. En forte croissance globale (+ 5 %), ces prélèvements atteignent 89 milliards de francs au profit de l'Union européenne (+ 7,2%) et 163,66 milliards de francs en faveur des collectivités locales (+ 4,1 %).


• Les comptes spéciaux du Trésor connaissent des évolutions contrastées en raison des modifications d'imputation des recettes de privatisation et de leur baisse sensible. Les comptes d'affectation spéciale sont dotés de 44,621 milliards de francs en prévision de ressources, soit 22,621 hors recettes de privatisation (en hausse sensible de 8,3 %).

L'augmentation importante de la taxe sur les concessionnaires d'autoroutes (+ 1,13 milliard de francs) au profit du fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables ainsi que la reconduction du fonds pour 1'accession à la propriété (0,9 milliard de francs), créés tous les deux cette année ne sauraient être hâtivement assimilées à des débudgétisations. Toutefois, cette tendance un peu fréquente à la "spécialisation" est contraire au principe d'unité du budget et a pour effet de minorer les présentations traditionnelles du total des ressources et du total des dépenses (seul le solde apparaît).

c) Un retour à la "normale " ?

Si l'on prend en considération, comme le Rapporteur général de l'Assemblée nationale, les ressources brutes 2 ( * ) , il est possible de mettre en évidence deux phénomènes :

- la croissance concomitante du PIB (4,9 %) et des ressources (+ 6,3%) pour 1996 ;

- le retour à un écart positif entre les ressources et le PIB après trois années d'écart négatif.

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994 (1)

1995 (2)

1996 (3)

Ressources brutes

+ 7,8

+ 8,1

+ 6,2

+ 5,9

+ 4,1

- 1,1

+ 3,9

+ 0,1

+ 6,3

PIB marchand (valeur)

+ 8

+ 7,8

+ 5,7

+ 3,5

+ 2,9

+ 0,5

+ 4,1

+ 5,1

+ 4,9

Écart (en valeur absolue)

-0,2

+ 0,3

+ 0,5

+ 2

+ 1,2

- 1,6

-0,

-5 1+1,4

+ 1,4

(1) Jusqu'en 1994 en exécution

(2) Estimations révisées de septembre

(3) PLF 1996

?

Pour maintenir "en ligne" la croissance du PIB et celle des ressources globales, une aggravation de 81 milliards de francs (LFR95 + LF1 96) du produit fiscal a été ainsi nécessaire. Cette inflexion des recettes appelle une réflexion en profondeur. Le temps n'est plus, comme en 1989, quand la plus-value tendancielle des recettes fiscales s'établissait à 92 milliards de francs, avant prise en compte de 25 milliards de francs d'allégements fiscaux.

* (1) Outre l'impact des mesures d'ajustement en recettes (10 milliards de francs) et en dépenses (45,2 milliards), le collectif a pris en considération les effets d'une nouvelle présentation des recettes de privatisation qui majore le solde de la loi de finances de 47 milliards de francs et les conséquences de la décision du Conseil Constitutionnel qui a annulé l'article 34 de la LFl qui réduisait de 6,731 milliards les crédits de pension devant être pris en charge par le FSV. Par ailleurs, l'ampleur des mesures nouvelles (31 milliards en recettes et 14,5 milliards en dépenses) ainsi que la prise en compte d'ajustements traditionnellement opérés par le collectif de fin d'année ne permettent pas de comparer valablement le PLF 1996 à la LFl 1995.

* 1 C'est-à-dire notamment y compris les fonds de concours, pour environ 60 milliards de francs en 1994. L'excellent rapport de l'Assemblée nationale n° 2270 (volume II du tome I présente une analyse détaillée de ces évolutions (pages 20 et suivantes).

* (1) Assemblée nationale

* 2 Avant prélèvements et hors fonds de concours pour les exercices clos.

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