C. VERS UNE NOUVELLE TAXE PROFESSIONNELLE ?

Le présent projet de loi de finances contient deux dispositions relatives à la taxe professionnelle : l'article 10 pérennise le relèvement du plafond de la cotisation à 3,8 % ou 4 % de la valeur ajoutée pour les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 140 millions de francs ou 500 millions de francs ; l'article 11 institue une cotisation minimale de taxe professionnelle égale à 0,35 % de la valeur ajoutée produite par l'entreprise dont le chiffre d'affaires est supérieur à 50 millions de francs.

L'exploration de la "piste" de la cotisation minimale assise sur une fraction de la valeur ajoutée avait été suggérée par le Sénat lui-même qui, à l'initiative de votre commission des finances, avait inséré dans la loi de finances pour 1995 le principe d'une simulation par le gouvernement des conséquences de l'institution d'une cotisation minimale de taxe professionnelle correspondant à 0,5 %, 1 %, 1,5 % ou 2% de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, dont le chiffre d'affaires est supérieur à 50 millions de francs.

1. La cotisation minimale

L'article 11 pourrait être conçu comme l'aboutissement d'un très long processus de réflexion, qui a commencé -pour ainsi dire...- avec la mise en place de la taxe professionnelle elle-même.

En effet, la loi du 10 janvier 1980 avait, la première, posé le principe d'un changement d'assiette de la taxe professionnelle :

- s'inscrivant dans les travaux parlementaires préparatoires à cette loi, le rapport de la commission présidée par notre ancien collègue, André-Georges Voisin, avait attribué à l'assiette indiciaire la responsabilité essentielle de ce qui était considéré comme l'échec de la taxe professionnelle et il avait conclu à l'adoption de la valeur ajoutée comme nouvelle assiette de la taxe professionnelle. La loi du 10 janvier 1980 en avait retenu le principe ;

- cependant, il avait été prévu de faire précéder sa mise en oeuvre par des études et simulations. Celles-ci ayant mis en évidence l'importance des transferts de charge qui en résulteraient, le gouvernement renonça alors à appliquer la nouvelle assiette et instaura un mécanisme de plafonnement.

De l'aveu même de l'actuel gouvernement, l'objectif poursuivi n'est pourtant pas d'entamer le "grand virage" attendu depuis 15 ans mais, plus prosaïquement "de contribuer à stabiliser le coût net pour l'État des dégrèvements de taxe professionnelle" (exposé des motifs de l'article 11). Dans la version initiale du projet de loi de finances, la différence entre la cotisation de 0,35 % de la valeur ajoutée et la cotisation "normale" de taxe professionnelle telle qu'elle résulte de l'application des textes en vigueur devait, en effet, être reversée à l'État.

La cotisation minimale de taxe professionnelle aurait ainsi un statut similaire :

- à la taxe de 3,60 % du montant des impôts directs locaux prélevée par l'État en contrepartie des frais de dégrèvement et de non-valeurs qu'il prend à sa charge ;

- à la majoration de la cotisation de péréquation de la taxe professionnelle reversée par le FNPTP au budget général de l'État afin de compenser une partie du coût de l'abaissement de 5 % à 4,5 %, en 1989, du plafonnement de taxe professionnelle par rapport à la valeur ajoutée ;

- au prélèvement assis sur les bases nettes de taxe d'habitation que l'État opère en contrepartie d'une partie des dégrèvements de taxe d'habitation qu'il prend à sa charge ;

- implicitement, à la majoration de 0,4 point de la taxe pour frais d'assiette et de recouvrement des impôts directs locaux que l'article 13 du présent projet de loi de finances propose de pérenniser.

L'Assemblée nationale a certes imposé le principe d'un reversement du gain procuré par la cotisation minimale de taxe professionnelle en ressource du Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle et donc au profit des collectivités locales. Toutefois, l'État réduit à due concurrence (400 millions de francs) sa propre participation au financement du FNPTP.

La cotisation minimale de taxe professionnelle apparaît donc bien, dans ce contexte, comme une modalité, aussi minime soit-elle, de détermination de l'équilibre budgétaire de l'État.

2. Le choix d'une assiette nouvelle ?

L'inflexion de la taxe professionnelle vers une assiette "réelle" par opposition à sa composition actuelle qui laisse une large place aux éléments indiciaires (valeur locative des immobilisations) apparaît ainsi très largement étrangère aux interrogations qui l'ont précédée. Or, celles-ci méritent d'être rappelées tant il paraît souhaitable de ne pas opérer "à l'aveugle" des choix lourds de conséquences pour les collectivités locales et les entreprises.

- Du point de vue des collectivités locales : la cotisation minimale de taxe professionnelle s'inscrit dans un contexte marqué par la substitution progressive d'une ressource centralisée et redistribuée par l'État au mécanisme normal de perception immédiate par les collectivités locales de leurs quatre taxes directes. En effet :

- près du quart des quatre taxes confondues est aujourd'hui pris en charge par l'État ;

- cette proportion atteint pratiquement le tiers s'agissant de la taxe professionnelle.

Charge nette pour l'État de la fiscalité directe locale

(Compensations + coût des dégrèvements - taxe pour frais de dégrèvement, reversement d'une fraction de la cotisation de péréquation de la taxe professionnelle et prélèvement sur les valeurs locatives de la taxe d'habitation)

Jusqu'à présent, cette accentuation de la "centralisation-redistribution" de la recette fiscale par l'échelon central était justifiée par "aggravation du caractère inadapté des bases indiciaires sur lesquelles sont essentiellement assises les "quatre vieilles" ainsi que, pour la taxe professionnelle, par la concentration relative de cet impôt sur les entreprises industrielles.

Avec la cotisation minimale de taxe professionnelle s'ajoute à ces motifs l'impossibilité d'isoler la valeur ajoutée structure par structure lorsque l'entreprise comprend plusieurs établissements. La remontée de l'impôt à l'échelon central obéit alors à un impératif pour ainsi dire mécanique.

Son impact est toutefois encore renforcé par le fait que non seulement l'assiette, mais également le taux, sont déterminés par l'État seul alors que les compensations de dégrèvements ou d'exonérations reflètent encore, plus ou moins lointainement, les politiques fiscales menées, ou qui ont été menées antérieurement, par les collectivités locales.

Le dispositif de l'article 10 du projet de loi de finances n'enclenche-t-il pas la mise en place du schéma initialement envisagé par le précédent gouvernement dans le cadre du projet de loi d'orientation pour l'aménagement du territoire qui prévoyait que la taxe professionnelle serait divisée en deux tranches ? La première tranche était calculée sur la base d'un taux d'imposition fixé au niveau national et venait alimenter un fonds national de péréquation. La deuxième tranche restait calculée sur la base d'un taux d'imposition fixé librement par les collectivités territoriales.

Rappelons que les deux assemblées, voici un an, avaient rejeté la mention explicite de cette solution comme de celle tendant à faire de la taxe professionnelle toute entière un impôt national redistribué ultérieurement aux collectivités locales.

- Du point de vue des entreprises : dès le début des années 1980, l'argument positif avancé pour justifier un passage à une taxe professionnelle assise sur la valeur ajoutée, le rééquilibrage de l'assiette, était concomitamment présenté comme un inconvénient majeur dès lors qu'étaient mis en avant les transferts de charges induits par ce même rééquilibrage.

Au cas présent, le gouvernement a certes prévu deux verrous permettant d'écarter des transferts massifs de charges vers des petites et moyennes entreprises :

- en instituant un plancher de chiffre d'affaires (50 millions de francs) ;

- en plafonnant le gain de la mesure à deux fois la cotisation "normale" de taxe professionnelle qui résulterait de l'application des textes actuellement en vigueur 4 ( * ) .

Il apparaît toutefois qu'à l'instar du relèvement du plafond de taxe professionnelle par rapport à la valeur ajoutée, l'institution de la cotisation minimale devrait affecter prioritairement des secteurs soumis à la concurrence internationale ou à des prélèvements fiscaux spécifiques, notamment les entreprises de location et de crédit-bail immobilier, les sociétés d'assurance, les services marchands et les organismes financiers.

En conclusion, l'institution d'une cotisation minimale de taxe professionnelle assise sur la valeur ajoutée comme le déplafonnement de la taxe professionnelle par rapport à la valeur ajoutée sont des mesures trop lourdes de conséquences pour n'obéir qu'à des considérations liées au rétablissement de l'équilibre budgétaire de l'État, aussi indispensable ce rétablissement fût-il.

* 4 Ce plafonnement a été toutefois limité à l'exercice 1996 par l'Assemblée nationale, qui l'a relevé au triple de la cotisation "normale" pour 1997 et l'a supprimé pour les années suivantes.

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