B. LA RÉFORME DE LA DOMANIALITÉ MONTRE CERTAINES LACUNES

1. Une réforme attendue

Les règles, très contraignantes, de la domanialité publique ont souvent constitué des obstacles à une gestion dynamique des ressources foncières des ports maritimes.

En effet, ces règles (inaliénabilité. imprescriptibilité, caractère précaire et personnel des occupations, impossibilité de constituer des droits réels immobiliers), définies pour protéger le domaine public, s'opposaient de plus en plus aux besoins économiques et à la mobilisation des investissements privés indispensables au développement des ports et des emplois industriels et portuaires.

Or, selon le groupe de travail présidé par M. Querrien, seule une réforme législative pouvait, sans remettre en cause les critères et l'étendue du domaine public, reconnaître à des occupants privés du domaine public un droit de propriété sur les constructions érigées et le droit de recourir à des sûretés réelles pour garantir les emprunts nécessaires à la réalisation de ces constructions.

2. La loi du 26 juillet 1994 relative à la constitution de droits réels sur le domaine public

La loi n° 94-631 du 25 juillet 1994 modifie le code du domaine de l'État et conduit à la délivrance d'autorisations d'occupation temporaire du domaine public constitutives de droit réel. Ces dispositions sont applicables à la totalité du domaine public de l'État, à l'exception du domaine naturel. Cependant, les ports maritimes qui, tout comme les aéroports, sont susceptibles d'accueillir des entreprises industrielles ou commerciales sont particulièrement concernés.

La loi dispose que le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire, mais aussi, sous certaines conditions, le titulaire d'une concession de service public ou d'outillage public, dispose d'un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations qu'il réalise dans le cadre de cette autorisation. La durée totale de l'autorisation ne peut excéder 70 ans.

Ce droit s'analyse comme une sorte de droit de propriété, mais limité dans le temps et limité dans sa portée : cessible, mais avec l'agrément du propriétaire du domaine, hypothécable, mais uniquement pour couvrir des dettes créées par la réalisation de l'ouvrage faisant l'objet des droits.

L'occupation reste temporaire et révisable mais, en cas de résiliation anticipée, le titulaire sera indemnisé du préjudice direct, matériel et certain.

La loi prévoit aussi le recours au financement par voie de crédit-bail des équipements autres que ceux affectés à un service public ou exécutés par une personne publique dans un but d'intérêt général.

Ces dispositions sont applicables au domaine public des établissements publics de l'État, tels les ports autonomes, qu'il s'agisse du domaine de l'État dont ils assurent la gestion ou de leur domaine propre.

3. Un texte décevant par bien des aspects

Dans son récent rapport sur la filière portuaire (1 ( * )) M. Jacques Dupuydauby, président du Conseil national des communautés portuaires a porté un jugement assez critique sur la loi du 24 juillet et la façon dont elle est appliquée.

Tout d'abord, il relève le retard de publication du décret qui doit conférer les compétences nécessaires aux ports autonomes et aux concessionnaires des ports d'intérêt national enlève beaucoup d'efficacité à la parution de ces textes. Ainsi, a ce jour, ni les ports autonomes, ni les Chambres de Commerce et d'Industrie concessionnaires ne sont habilités à délivrer des autorisations constitutives de droits réels sur le domaine public de l'État dont ils ont la gestion.

Sur le fond, M. Jacques Dupuydauby relève de nombreuses difficultés ou insuffisances :

? La nécessité de publier aux hypothèques les droits réels pour qu'ils produisent des effets à l'égard des tiers entraîne l'obligation de cadastrer le domaine public maritime.

? Le recours au crédit-bail est limité aux seuls investisseurs privés et les concessionnaires ou entreprises publiques n'auront pratiquement aucune possibilité de bénéficier de ces dispositions. Au demeurant, la première mesure réglementaire prise par le Gouvernement de fixer à un seuil de 20 millions de francs seulement les investissements des concessionnaires de service public, d'outillage public ou nécessaire à la continuité du service public, qui sont soumis à un double accord ministériel, n'est pas de nature à responsabiliser les acteurs portuaires.

? Les textes ne sont pas applicables au domaine public des collectivités locales, ni au domaine de l'État mis à disposition dans le cadre des lois de décentralisation ou transféré en gestion : ceci entraîne donc une distorsion de traitement supplémentaire entre les ports maritimes relevant de l'État et les autres.

? La loi ne traite que de l'avenir et des autorisations en cours de validité dont les ouvrages autorisés font l'objet de modifications substantielles : les droits des occupants restent donc aussi ambigus qu'auparavant, alors que l'annonce de la loi avait laissé espérer la résolution de tous les problèmes.

? Enfin, se pose le problème du retour des produits de cession aux gestionnaires des ports. Les terrains et terre-pleins inclus dans le domaine de l'État, remis en jouissance aux ports autonomes, concédés ou utilisés par les Chambres de Commerce et d'Industrie concessionnaires dans les ports non autonomes, ont été en général réalisés ou mis en valeur avec une participation très significative du trafic maritime au travers des droits de port et taxes payés souvent depuis des décennies.

Lorsque, par suite de l'évolution de l'activité portuaire ou de l'urbanisme, ils ne deviennent plus utiles au port, ils pourraient être aliénés ou changés d'affectation au sein du domaine public.

Pendant longtemps, les ports ne trouvaient qu'un intérêt financier limité à ces opérations, le retour des produits de cession étant limité, dans des périmètres déterminés, au réemploi pour des acquisitions foncières. Cette situation s'est améliorée pour les ports autonomes ces dernières années. En effet, par une lettre interministérielle a été reconnu la possibilité de récupérer 90 % de ces produits pour un investissement libre par le port autonome. Par ailleurs, l'attribution au port autonome de l'indemnité de changement d'affectation a été admise dans un certain nombre de cas.

Cependant, la procédure du fonds de concours a été retenue ce qui conduit à des délais supérieurs à un an et à un passage systématique par le Ministère du Budget pour les premières opérations. En ce qui concerne les changements d'affectation, il ne s'agit que d'un usage qui est contredit par certaines dispositions du code des ports maritimes. En ce qui concerne les ports concédés, aucune disposition explicite ne prévoit le retour au gestionnaire public des produits résultant de restructuration du domaine qu'il exploite et qu'il a contribué à valoriser par les redevances perçues sur le trafic.

La loi du 24 juillet 1994 est encore trop récente pour qu'il soit possible d'en tirer un premier bilan. On peut raisonnablement espérer que de nouveaux investissements privés, créateurs d'emplois et porteurs de recettes foncières en découleront.

Il est à craindre néanmoins que les investisseurs étrangers soient peu attirés par ce nouveau régime légal, seuls les investisseurs français étant avertis que les clauses de précarité figurant dans les autorisations sont plus théoriques que réelles.

* 1 " Une volonté portuaire pour une ambition maritime" - Rapport sur la filière portuaire Jacques Dupuydauby - 50 septembre 1995

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