II. LA CHARGE DE LA DETTE

Comme on l'a déjà dit, ce n'est plus le déficit budgétaire qui alimente la dette, mais la charge de la dette qui crée le déficit budgétaire.

Pour 1996, le service de la dette inscrit dans le budget des charges communes atteint 243,3 milliards de francs, soit un montant encore jamais atteint, en augmentation de 12,6% par rapport à la loi de finances initiale pour 1995 et de 4,5 % par rapport au collectif du mois d'août.

A. LE DEUXIÈME BUDGET DE L'ÉTAT

Les crédits inscrits sur les trois premières parties du titre I, qui représentent la charge brute de la dette, progressent donc sensiblement plus que l'ensemble des dépenses du budget général qui augmentent de 1,8 %.

Si l'on compare la progression de la charge de la dette et du PIB depuis 1983, il apparaît que le différentiel d'augmentation qui allait en s'accroissant tend désormais à se stabiliser.

Le tableau ci-après fournit les principales données relatives à l'évolution de la charge de la dette depuis 1982.

Trois conclusions peuvent notamment être tirées de ce tableau :

- la croissance amplifiée de la charge de la dette à partir de 1989 ;

- le coût de la dette à partir de 1990, avec un maximum en 1993, principalement du fait du niveau élevé des taux d'intérêt réels ;

- une rupture de tendance en 1996, avec un taux de croissance et un coût de la charge de la dette légèrement moindres que ceux des exercices antérieurs.

Malgré cette première rupture dans l'évolution tendancielle de la charge de la dette, ce dont votre rapporteur ne saurait trop souligner le caractère positif, la charge de la dette représente en 1996 :

- le deuxième budget de l'État après l'Éducation nationale et avant la Défense ;

- 15,6% des dépenses nettes du budget général, alors qu'elle n'en représentait que 6,9 % en 1983, ainsi que le montre le tableau ci-dessous ;

Poids de la charge de la dette hors garanties dans le budget général (3 ( * ))

- 39,1 % des crédits bruts et 64,2 % des crédits nets (hors remboursements et dégrèvements) des charges communes ;

- plus de la moitié (54,4 %) du budget d'interventions publiques de l'État ;

- près de 80 % du produit de l'impôt sur le revenu ;

- un peu moins de 20 % des recettes fiscales nettes, au lieu de 10 % seulement de celles-ci en 1986.

Part de la charge nette de la dette dans les recettes fiscales nettes

1. L'évolution de la charge de la dette en 1996

Évolution de la charge de la dette

Comme les années précédentes, on constate une double évolution :

- Une augmentation de la charge de la dette négociable

L'augmentation prévue est de 13,6 milliards de francs par rapport à la loi de finances rectificative pour 1995, la charge de la dette négociable atteignant ainsi 230,3 milliards de francs.

Cette évolution résulte des mouvements suivants :

Service des emprunts d'État et des OAT (chapitre 11-05) : + 11,01 milliards de francs ;

Intérêts des bons du Trésor (chapitre 11-06) : + 2,62 milliards de francs.

Au total, la part de la charge de la dette négociable poursuit sa progression. Elle atteint 94,6 % du total du service de la dette, au lieu de 93,1 % en 1995 et 91,5 % en 1994.

- Un recul de la charge de la dette non négociable

La part de la charge de la dette non négociable se réduit de nouveau, passant de 6,7 % à 5,2 % du total de la charge de la dette, pour atteindre 12,7 milliards de francs.

Cette évolution résulte des mouvements suivants :

On observera que tous les chapitres regroupant les crédits du service de la dette non négociable sont en diminution en 1996.

2. La charge nette de la dette

L'analyse la plus pertinente sur le long terme de la charge de la dette doit prendre en compte la charge nette, c'est-à-dire les dépenses liées à la dette publique, diminuées des recettes liées à l'émission (recettes de coupon couru) ou à la gestion de la dette publique (comme la rémunération par la Banque de France du compte du Trésor).

La politique d'émission de la dette publique à long et moyen terme par le regroupement de titres sur une même ligne, généralisée depuis la réforme mise en oeuvre en 1986, s'est traduite par une forte majoration des recettes de coupon couru.

Les recettes de coupon couru

L'émission d'obligations assimilables du Trésor (OAT) ou de bons du Trésor à deux ans et à cinq ans (BTAN) par assimilation conduit à émettre, à des dates différentes, des titres portant le même taux nominal, la même date d'échéance et donc la même date de paiement du coupon.

Ainsi, un souscripteur de l'OAT 7,75 % 25 octobre 2005, qui achète ce titre lors de l'adjudication du 1er septembre, paiera en sus du prix du titre, lors de la souscription, une fraction de coupon couru égale à huit mois de coupon ; le 25 octobre 1995, s'il conserve ce titre, sera en effet versé à ce souscripteur un coupon plein, c'est-à-dire équivalent à douze mois de détention, alors même qu'il n'aura détenu ce titre que pendant un mois, du 25 septembre au 25 octobre.

Les recettes de coupon couru versées au moment de l'acquisition des OAT et des BTAN constituent ainsi des recettes qui viennent directement compenser une partie des charges brutes qui seront supportées par le budget de l'État.

Les recettes d'ordre

Les recettes en atténuation des charges de la dette sont aussi appelées "recettes d'ordre". Elles permettent de calculer la charge nette de la dette, en les déduisant de la charge brute, inscrite sur les trois premières parties du titre I du budget des charges communes.

Depuis la loi de finances pour 1995, les "recettes d'ordre", dont le contenu a été assez évolutif au cours des dernières années, comprennent :

- les recettes en atténuation des charges de la dette et des frais de trésorerie figurant sur la ligne 806 des ressources non fiscales qui regroupent :

. les recettes sur coupon couru,

. les intérêts créditeurs du compte du Trésor à la Banque de France,

. les intérêts des titres émis au profit du Fonds de Soutien des Rentes (FSR),

- les intérêts versés depuis 1991 par l'ACOSS en rémunération des avances de trésorerie accordées par le Trésor figurant sur la ligne 499 (sous-ligne 499-05) des ressources non fiscales ; les intérêts versés par FSR au titre des avances que lui accordent l'État figurant également sur la ligne 499 (sous-ligne 499-03) des ressources non fiscales

Le tableau ci-après retrace l'évolution des recettes en atténuation des charges de la dette depuis 1990.

En conséquence, compte tenu de la déduction de ces recettes d'ordre, la charge nette de la dette publique s'établit conformément au tableau ci-après :

(1) Hors Fonds de stabilisation des changes

B. LES FACTEUR D'ÉVOLUTION DE LA CHARGE DE LA DETTE

Les chapitres budgétaires relatifs à la charge de la dette regroupent des crédits à caractère évaluatif qui peuvent donc faire l'objet d'un dépassement jusqu'à la régularisation en loi de règlement.

Entre 1983 et 1993, ils ont fait l'objet d'une sous-évaluation systématique. On notera toutefois que l'écart, qui se situait alors en moyenne à 10 milliards de francs par an, n'a pas dépassé 1,1 milliard de francs en 1987 et 1988.

Il en a été de même en 1994 et devrait en être ainsi en 1995, après les correctifs de la loi de finances rectificative.

Trois critères doivent être pris en compte pour le calcul de la charge de la dette :

- le stock de la dette publique,

- le niveau des taux d'intérêt,

- le besoin de financement du Trésor pour l'année.

1. Le besoin de financement du Trésor

Le besoin de financement du Trésor à moyen et long terme a été réduit de 100 milliards de francs entre 1989 et 1990.

La tendance s'est inversée en 1991 avec le dérapage du déficit budgétaire, passé de 80,7 à 131,7 milliards de francs. Ce dérapage s'est considérablement amplifié en 1992 et 1993 avec un doublement des déficits initialement prévus.

- Le financement du Trésor en 1994

Le besoin de financement à moyen et long terme du Trésor en 1994 se sont élevés à 646 milliards de francs, en augmentation de 144,5 milliards de francs par rapport à 1993, notamment du fait de la reprise de la dette de l'ACOSS, soit 110 milliards de francs.

Il se décompose ainsi :

ï déficit en gestion 287,7 milliards de francs

ï amortissement des OAT 63,5 milliards de francs

ï amortissement des BTAN 95,5 milliards de francs

ï amortissement des engagements repris par l'État 139,1 milliards de francs

Sa couverture a été assurée de la manière suivante :

ï émissions d'OAT 256,3 milliards de francs

ï émissions de BTAN 239,8 milliards de francs

ï émissions nettes de BTF 50 milliards de francs

ï compte du Trésor à la Banque de France et divers 100,1 milliards de francs

- Le financement du Trésor en 1995

Le besoin de financement à moyen et long terme estimé pour 1995 atteint 520 milliards de francs, soit un montant inférieur de 126 milliards de francs par rapport à celui de 1994.

Il s'agit du retour à une situation plus normale (sans prise en compte d'éléments exceptionnels), bien que ce besoin de financement reste encore très élevé.

Celui-ci se décompose de la manière suivante :

ï déficit en gestion 322 milliards de francs

ï amortissement des OAT 53,2 milliards de francs

ï amortissement des BTAN 159,3 milliards de francs

ï amortissement des engagements repris par l'État 10,5 milliards de francs

ï affectation des recettes de privatisation au désendettement de l'État - 25,5 milliards de francs

Sa couverture pourrait être assurée selon les grandes lignes du programme indicatif de financement de l'État pour 1995, actualisé par le ministre de l'économie au cours de l'été :

ï émissions d'OAT 260 milliards de francs

ï émissions de BTAN 235 milliards de francs

ï émissions nettes de BTF 24,5 milliards de francs

- Le financement du Trésor en 1996

Pour 1996, les hypothèses associées au projet de loi de finances s'établissent ainsi :

Besoin de financement (552,8 milliards de francs) :

ï déficit en gestion 289,7 milliards de francs

ï amortissement des OAT 57,1 milliards de francs

ï amortissement des BTAN 194,9 milliards de francs

ï amortissement des engagements repris par l'État 16,6 milliards de francs

ï affectation des recettes de privatisation au désendettement de l'État - 5,5 milliards de francs

Sa couverture serait assurée de la manière suivante :

ï émissions d'OAT 250 milliards de francs

ï émissions de BTAN 240 milliards de francs

ï émissions nettes de BTF 62,8 milliards de francs

2. Le niveau des taux d'intérêt

Le niveau des taux d'intérêt pèse d'autant plus sur la charge de la dette que la part de la dette négociable est importante et s'accroît.

On rappellera que la France a connu, plus encore que ses principaux partenaires, des taux d'intérêt réels particulièrement élevés au cours des dernières années, notamment à partir de 1989 pour le court terme.

En outre, de 1990 à 1992, les prévisions de taux d'intérêt associées au projet de loi de finances initiale ont été systématiquement trop optimistes.

Depuis 1993, la baisse des taux d'intérêt a permis des économies. Le Trésor a même effectué à la fin de 1993, des émissions d'OAT à des taux inférieurs à 6 %.

Toutefois, la remontée des taux américains à la fin de 1993 a entraîné une forte hausse des taux sur les marchés européens et notamment en France. Continue du mois de février 1994 au début de l'année 1995, cette hausse des taux s'est traduite par des émissions d'OAT aux taux de 8,49 % ou 8,31 % à la fin de 1994.

Depuis le début de l'année 1995, on assiste à une progressive décrue des taux. Toutefois, les hypothèses retenues pour 1996 sont supérieures à celles de 1994 et 1995. En effet, les hypothèses retenues pour ces deux années ont été sensiblement dépassées.

Le graphique ci-après retrace l'évolution constatée depuis 1988 en moyenne annuelle du taux moyen du marché monétaire (TMM) et du taux moyen des emprunts d'État (TME).

Le tableau ci-dessous présente l'évolution de ces taux, en termes nominaux et en termes réels, également depuis 1988.

On rappellera le poids du facteur "taux d'intérêt" dans l'évaluation de la charge de la dette. De fait, un accroissement d'un point se traduit par une charge supplémentaire de l'ordre de 4,5 milliards de francs.

Comme lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1995, votre rapporteur constate que la charge de la dette prévue pour 1996 semble correctement évaluée.

Il s'en félicite tout en mesurant l'ampleur de la progression de cette charge qui obère toutes les marges de manoeuvre budgétaires.

La réduction des déficits et la stabilisation du poids de l'endettement public constituent donc une priorité. Aussi, le respect de l'objectif d'un sentier vertueux selon la règle des "5-4-3" semble plus que jamais indispensable.

* 3 Montant des intérêts en % des dépenses nettes du budget général

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