I. LA PROPOSITION ET LES PROJETS DE DIRECTIVES E-467, E-508 ET E-509 VISENT À POURSUIVRE LA LIBÉRALISATION COMMUNAUTAIRE DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

En Europe et, d'une manière plus générale, dans la quasi totalité des pays développés, les services de télécommunications ont longtemps été fournis dans le cadre d'un monopole. De nature privée aux États-Unis -où il était détenu par American Telephone and Telegraph (ATT), sous le contrôle de la Commission fédérale des communications (FCC)-, ce monopole était exercé, en Europe et au Japon, par des administrations ou des entreprises publiques.

Cette situation a considérablement évolué au cours des quinze dernières années sous l'effet conjugué des mutations technologiques qu'a connu le secteur et du processus de « dérégulation » engagé dans les pays anglo-saxons, dès le début des années 1980.

En 1982, aux États-Unis, le réseau longue distance d'ATT est ouvert à la concurrence et, en Grande-Bretagne, Mercury -filiale de Cable and Wireless ( ( * )2) - est autorisée à créer un réseau téléphonique public distinct de l'opérateur historique British Telecom (BT).

En 1984, s'opèrent, à la fois, la privatisation de British Telecom et le démantèlement d'ATT en sept compagnies régionales de téléphone. L'année 1985, quant à elle, est celle de l'ouverture à la concurrence du monopole japonais sur les communications intérieures et de celui sur les services téléphoniques internationaux.

La Communauté européenne -hors Grande-Bretagne- s'est engagée plus tardivement dans cette voie. La libéralisation s'y est effectuée plus progressivement, mais elle est entrée, depuis deux ans, dans une phase d'accélération dans le cadre de laquelle doivent s'apprécier les projets de textes visés ci-dessus.

A. UNE POLITIQUE RELATIVEMENT RÉCENTE EN VOIE D'ACCÉLÉRATION

Le Traité de Rome ignore le secteur des télécommunications. De ce fait, la Communauté s'en est longtemps désintéressée. C'est l'adoption de l'Acte unique et l'objectif de construction du grand marché intérieur qui l'a amenée à mettre en place une véritable politique en ce domaine.

La publication, en 1987, du Livre vert de la Commission sur le rôle des télécommunications dans la construction européenne et les discussions qui l'ont suivie ont amené à définir des règles d'actions largement mises en oeuvre et étoffées depuis.

1. Une mise en oeuvre progressive

a) L'ouverture du marché des terminaux

Dans le domaine des matériels de télécommunications, la Communauté s'est attachée à favoriser la constitution d'un marché intérieur unifié des équipements terminaux (postes téléphoniques, terminaux téléinformatiques, télécopieurs, répondeurs, téléphones sans fils, modems, mais aussi centraux téléphoniques d'entreprises...), c'est-à-dire des matériels permettant d'accéder aux réseaux de télécommunications.

Pour ce faire, elle a institué une procédure de reconnaissance mutuelle des agréments accordés à ces équipements dans chaque État membre. Cette procédure a été mise en oeuvre par deux directives du Conseil : la directive n° 86-361 du 24 juillet 1986 et la directive n° 91-263 du 29 juillet 1991.

Parallèlement à cette oeuvre d'harmonisation impulsée par le Conseil, la Commission a -sur le fondement de l'article 90-3 du Traité de Rome- adopté, en 1988, une directive ouvrant à la concurrence l'importation, la commercialisation, la mise en service et l'entretien de terminaux de télécommunications, sous réserve du respect d'un certain nombre d'exigences essentielles. Soulignons au passage, qu'en France, au moment de la parution de cette directive, la fourniture de tels équipements n'était déjà plus réservée au seul opérateur public.

Dans notre pays, les terminaux destinés à être connectés au réseau public doivent obtenir un agrément pris sur le fondement d'un arrêté transposant les directives communautaires intervenues en la matière. Cet agrément vise à vérifier le respect des exigences essentielles que sont, par exemple, la protection de l'intégrité du réseau ou la sécurité de l'utilisateur et des personnels travaillant sur le réseau. En outre, la publicité pour les terminaux non agréés est interdite.

b) Une libéralisation partielle des services de télécommunications

Pour ce qui concerne les services, les règles retenues ont été formulées par le compromis adopté, le 7 décembre 1989, sous présidence française, par le Conseil des ministres des Télécommunications.

Le compromis de 1989

Le compromis de 1989 repose sur l'acceptation simultanée :

- d'une séparation des fonctions de réglementation et d'exploitation, qui, en France, a conduit à transformer France Télécom -administration d'État- en exploitant autonome de droit public ;

- d'une ouverture à la concurrence de la plupart des « services de télécommunications à valeur ajoutée » ( ( * )3) , ainsi que -dans des conditions permettant d'assujettir les nouveaux opérateurs à des obligations de service public similaires à celles supportées par l'opérateur en place- les « services de transmission de données »

- d'une exclusion de ce processus de libéralisation des services par satellite, de la téléphonie mobile, de la radiomessagerie, ainsi que des services de radiodiffusion et de télédiffusion destinés au grand public ;

- d'un maintien des droits exclusifs et spéciaux reconnus aux opérateurs publics sur le service téléphonique vocal entre points fixes (qui représente entre 75 et 80 % de l'économie du secteur) et les infrastructures publiques ;

- d'une harmonisation des conditions dans lesquelles les opérateurs traditionnels doivent répondre aux demandes d'accès à leurs réseaux présentées par les nouveaux prestataires autorisés.

Ces orientations ont été mises en oeuvre par deux directives communautaires en date du 28 juin 1990. La première (n° 90-387), dite directive « ONP-cadre » (Open Network Provision ou fourniture d'un réseau ouvert) a été prise par le Conseil sur le fondement de l'article 100 A du Traité de Rome. Elle fixait les grandes règles à respecter par les détenteurs de réseau public pour garantir l'accès des prestataires autorisés à ces réseaux et assurer une harmonisation minimale en ce domaine dans toute la Communauté ( ( * )4) . La seconde (n° 90-388), dite directive « services » , prise par la Commission sur le fondement de l'article 90-3 du même Traité, organisait la concurrence sur le marché des services de télécommunications.

En application de ces textes, la France a modifié sa législation relative aux télécommunications. La loi du 29 décembre 1990 a limité le monopole de France Télécom à l'établissement des réseaux ouverts au public, ainsi qu'au service de télex et de téléphonie vocale entre points fixes.


• Plus précisément, en matière de réseaux, le régime ainsi institué reconnaît à l'exploitant public, France Télécom, des droits exclusifs pour l'établissement des réseaux ouverts au public. Par dérogation, des autorisations peuvent cependant être accordées pour certains réseaux radioélectriques ouverts au public (radiotéléphone, réseaux utilisant les capacités de satellites). Une procédure d'autorisation préalable est organisée pour l'établissement de réseaux indépendants, c'est-à-dire réservés à l'usage privé d'une entreprise ou à l'usage partagé d'un groupe fermé d'utilisateurs, sauf pour les moins importants d'entre eux qui peuvent être établis librement.


• Les règles applicables aux services sont différenciées selon les catégories instituées par le texte. Seuls sont réglementés les services fournis au public et non ceux qui sont fournis à l'intérieur d'une entreprise ou d'un groupe fermé d'utilisateurs.

Le service du téléphone entre points fixes et le service télex sont réservés à l'exploitant public. Les services de transmission de données, dits services « supports », sont soumis à un régime d'autorisation encadré par un cahier des charges. Les services de radiocommunications et les services de télécommunications sur les réseaux câblés, doivent, dans tous les cas, faire l'objet d'une autorisation préalable.

Les autres services à valeur ajoutée sont offerts en libre concurrence. Leur fourniture est soumise à une simple déclaration préalable. Pour les plus importants d'entre eux, une autorisation est exigée lorsqu'ils utilisent des liaisons louées à l'exploitant public, afin de vérifier qu'il ne s'agit pas de services de simple transport de données relevant du régime applicable aux services « supports ».

On constate, à l'analyse, que le texte français allait, à l'époque, au-delà de ce qu'exigeaient les directives communautaires puisque -contrairement à ce qu'elles autorisaient- il ne réservait pas à l'opérateur public les communications par satellite, ni la radiotéléphonie mobile.

2. La fixation d'un objectif de libéralisation générale des services téléphoniques

Le bilan de l'application des directives de 1990 précitées a été dressé, par la Commission de Bruxelles, deux ans après leur publication. Au vu de ses éléments, le Conseil des ministres des Télécommunications du 16 juin 1993 a fixé comme objectif la généralisation de la concurrence sur tous les services de télécommunication, à compter du 1er janvier 1998.²

Cette décision impliquait que, sauf exception spécifique ( ( * )5) , les États membres auraient l'obligation à cette date :

(1) de permettre l'accès des prestataires au réseau public de téléphonie vocale ;

(2) d'ouvrir la concurrence sur l'ensemble des services de téléphonie vocale publique entre points fixes.

Par ailleurs, dans la même résolution, le Conseil considérait qu'il était nécessaire de définir la politique communautaire qui serait appliquée aux communications mobiles, aux communications par satellite et aux infrastructures de télécommunications.

3. L'accélération du processus et son extension aux infrastructures

a) L'accentuation du mouvement de libéralisation des services de télécommunications


• Le principe d'un accès des prestataires de services au réseau public de téléphonie vocale supposait que les règles posées par la directive dite « ONP » (90-387) soient modifiées en conséquence. Une proposition présentée en ce sens par la Commission -sur le fondement de l'article 100 A du Traité de Rome- a été rejeté par le Parlement européen, en juillet 1994, pour des motifs sans lien direct avec le contenu du texte.

Le Parlement a d'ailleurs adopté, dès le mois de septembre suivant, une résolution appelant la Commission à présenter rapidement un texte proche du précédent. Cette dernière ayant répondu à la demande, le Conseil et le Parlement ont pu examiner le nouveau texte et aboutir à une position commune au premier semestre 1995, sous présidence française. La proposition de directive en découlant a été adoptée, par la Commission, le 14 novembre dernier.

Parallèlement, la Commission a adopté, en octobre dernier, une directive ouvrant les réseaux câblés de télédistribution à la fourniture de services de télécommunications à compter du 1er janvier 1996.


• Dans le domaine des services de télécommunications stricto sensu, une nouvelle proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux licences nécessaires à la prestation de ces services vient d'être adoptée, par la Commission, le 14 novembre 1995. Ce texte remplace les deux propositions présentées par la Commission en 1992 et 1993, relatives à la reconnaissance mutuelle des licences et des autres autorisations de services de télécommunications ou de communications par satellite, que le Conseil avait examinées en 1994.

La nouvelle proposition, basée sur l'article 100 A, prévoit les règles communes qui seront à appliquer en ce qui concerne les procédures et les conditions d'octroi des autorisations générales et des licences individuelles.


• Pour les communications par satellite, le Livre vert publié en novembre 1990, proposait de leur étendre les principes réglementaires en vigueur pour le secteur des télécommunications.

Cette orientation, approuvée par le Conseil en décembre 1991, a, suite aux décisions de 1993, fait l'objet d'une directive d'octobre 1994 -fondée sur l'article 90-3 du Traité- étendant le champ d'application de la directive dite « services » (90-388) pour ouvrir à la concurrence le marché des services de télécommunications par satellite.


• S'agissant des télécommunications mobiles, la Commission s'est appuyée sur le Livre vert relatif aux communications mobiles et personnelles publié en décembre 1994 pour adopter, en juin 1995, un projet de directive (E-509) qui est visé par la proposition de résolution soumise à votre commission des Affaires économiques. Ce projet sera examiné plus en détail ci-après.

b) L'extension aux infrastructures de télécommunications

En ce qui concerne les infrastructures, le Conseil de décembre 1993 avait confié à un groupe d'industriels de premier plan, présidé par M. Martin Bangueman, le commissaire en charge du dossier, le soin d'étudier les mesures qui pourraient être envisagées par l'Union européenne.

Le rapport de ce groupe de travail, rendu public en mai 1994, concluait que :

- l'avènement de la « société de l'information » était inéluctable et aurait des conséquences bénéfiques pour l'économie, la croissance, le progrès social et la construction européenne ;

- l'entrée de l'Europe dans cette « société de l'information » ne pouvait être conduite que par les forces du marché.

Il estimait, par ailleurs, que les technologies existantes permettraient d'effectuer cette entrée sans délai et que, le phénomène étant mondial, il convenait que l'Europe agisse vite pour ne pas se laisser distancer par ses concurrents extérieurs. Sur la base de ces analyses, il préconisait notamment un achèvement du processus de libéralisation en ouvrant la concurrence sur les infrastructures.

La Commission a repris cette orientation. Elle en a esquissé les modalités de mise en oeuvre dans son Livre vert d'octobre 1994 sur la libéralisation des infrastructures de télécommunications et des réseaux de télévision par câble.

Considérant qu'une telle libéralisation était une condition nécessaire à l'exercice d'une concurrence équitable et dynamique, la France en a soutenu le principe. Elle a toutefois fait valoir que cette ouverture à la concurrence devait s'accompagner, d'une part, de dispositions propres à assurer le partage équitable du coût des obligations de service universel entre les acteurs du marché et, d'autre part, d'une régulation économique de l'interconnexion. Elle estimait qu'à défaut, les nouveaux entrants pourraient procéder à un écrémage du marché et interdire, par là même, une rémunération satisfaisante des investissements de réseaux consentis antérieurement par les opérateurs en place.

En décembre 1994, sur la base du Livre vert précité, le Conseil des ministres a retenu le principe de la libéralisation de la fourniture d'infrastructure, de télécommunications, le 1er janvier 1998, à la même date que celle arrêtée pour les services et dans les mêmes conditions ( ( * )6) .

La France, fidèle à ses prises de position antérieures, s'est attachée à ce que la résolution traduisant cette position comporte l'engagement d'adopter les mesures d'accompagnement nécessaires.

En application de la résolution du Conseil, la Commission a adopté, en juillet 1995, deux projets de directives. La première (E-467), fondée sur l'article 100 A du Traité, propose au Conseil et au Parlement européen d'harmoniser les conditions de l'interconnexion et du financement des obligations du service universel. La seconde (E-508) vise à amender la directive « services » (90-388) pour supprimer les droits exclusifs et spéciaux au 1er janvier 1998, en ce qui concerne la téléphonie vocale publique et les infrastructures.

Ce sont, avec le projet de directive (E-509) sur les communications mobiles, ces deux textes qui sont visés par la proposition de résolution approuvée par la délégation du Sénat pour l'Union européenne.

* (2) Cable and Wirelesss, société privatisée en 1985, fournit depuis un siècle des services de télécommunications aux pays du Commonwealth et exploite, à cet effet, des réseaux internationaux.

* (3) Par « services à valeur ajoutée », on désigne tous les services nécessitant non seulement la transmission et la commutation d'un signal, comme la téléphonie, mais aussi un traitement particulier de ce signal, lui ajoutant une plus-value.

Par « services de transmission de données », on entend l'exploitation commerciale du simple transport de données, c'est-à-dire un service dont l'objet est de transmettre et d'acheminer des signaux entre les points de terminaison d'un réseau de télécommunications, sans faire subir à ces signaux de traitements autres que ceux nécessaires à leur transmission, à leur acheminement et au contrôle de ces fonctions

* (4) Cette directive « ONP » a été suivie, en juin 1992, d'une directive du Conseil (n° 92-44) sur les lignes louées, qui demandait aux États membres que les organismes de télécommunications rendent disponibles certains types de lignes louées à tous les prestataires. Cette directive « lignes louées » a été transposée en droit français par un décret du 23 juillet 1993.

* (5) Octroi de délais supplémentaires pour les pays dont les réseaux sont peu développés (5 ans) et pour les pays ayant un très petit réseau (2 ans).

* (6) A savoir l'octroi des délais supplémentaires mentionnés précédemment.

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