D. LA POLITIQUE DE L'ÉNERGIE HORS CRÉDITS BUDGÉTAIRES

La politique du Gouvernement dans le secteur de l'énergie ne se limite pas aux seuls établissements ou actions financés par des crédits budgétaires.

Elle concerne également la tutelle sur les établissements et grandes entreprises du secteur, ainsi que la participation au marché unique de l'énergie.

1. La situation des principaux opérateurs

- Électricité de France

Le contrat de plan signé le 5 janvier 1993 entre l'État et EDF pour la période 1993-1996 a défini les relations entre les pouvoirs publics et EDF.

Le double objectif de diminution du prix de l'électricité (- 1,25 % par an) et de désendettement de l'entreprise (- 40 milliards de francs en quatre ans) a pour objet de permettre à EDF de proposer un prix du Kwh durablement compétitif, ainsi que d'aborder la période de redémarrage des investissements, après l'an 2000, avec une capacité d'endettement restaurée.

Les autres objectifs fixés par le contrat de plan concernent les domaines de l'environnement, de l'international (prises de participation, conseils et services, exportations) du développement commercial et de la politique sociale.

À la fin de 1995, le désendettement cumulé a déjà atteint 55 milliards de francs, dont 17,7 milliards au titre de 1995, ce qui représente 15 milliards de plus que l'objectif du contrat de plan. Ce résultat positif s'explique notamment par des investissements en baisse par rapport aux prévisions (- 9 milliards), en raison des reports d'équipements de production et de retards dans les procédures d'autorisations de lignes de transport.

Situation financière d'Électricité de France

(en millions de francs)

1990

1991

1992

1993

1994

1995

Chiffre d'affaires

156.600

171.400

177.500

183.600

183.300

188.600

Investissements hors taxes

33.173

32.289

32.346

32.923

35.100

35.500

Endettement à long et moyen terme

243.000

231.100

211.600

192.300

176.300

160.900

Charges financières nettes (en pourcentage du chiffre d'affaires)

21.300

(13,6)

19.800

(11,5)

18.300

(10,3)

15.700

(8,5)

13.900

(7,6)

12.300

(6,5)

Résultat net ( 1 )

+ 134

+ 1.383

+ 1.851

+ 2.127

+ 1.259

+ 1.231

(1) Après prélèvement de l'État

Votre rapporteur se félicite du maintien du résultat bénéficiaire d'EDF, du désendettement continu de l'entreprise et de la très nette diminution de ses charges financières, désormais sensiblement inférieures à 10 % du chiffre d'affaires.

Toutefois, il regrette que, compte tenu de cette bonne situation, l'État ait choisi d'opérer cette année encore plusieurs prélèvements sur la trésorerie d'EDF. Il estime que de telles ponctions devraient être programmées à l'avance et, en tout état de cause, ne pas gêner EDF dans son effort de désendettement, nécessaire pour préparer le remplacement et le démantèlement des centrales nucléaires en cours de fonctionnement.

Aussi, votre rapporteur souhaite vivement que la négociation du nouveau contrat de plan entre l'État et EDF permette de clarifier la situation et de fixer les règles des relations financières entre l'État et l'entreprise.

De même, ce nouveau contrat de plan devra préciser la politique d'EDF dans le domaine international (augmentation ou non des exportations et des prises de participation) et vis-à-vis des grands industriels français (accords industriels et prises de participation). Enfin, ce contrat devra permettre à EDF de s'adapter aux évolutions européennes et mondiales du marché de l'électricité et préparer la mise à jour des textes et structures qui régissent l'entreprise depuis 1946.

EDF joue, par ailleurs, depuis sa mise en place, un rôle majeur dans la gestion de la centrale Superphénix. Or, ce prototype européen destiné au développement de la filière des réacteurs à neutrons rapides a connu un certain nombre de vicissitudes depuis son couplage au réseau au mois de janvier 1986.

Votre rapporteur a pris acte des observations faites par la Cour des Comptes dans son dernier rapport public sur le coût élevé de cet outil. Il lui paraît désormais nécessaire de bien déterminer ce que l'on attend de ce "laboratoire de recherche" en essayant d'évaluer régulièrement le coût du fonctionnement du réacteur au regard des retombées scientifiques et industrielles qu'il permet.

Résumé des observations de la Cour des comptes sur les comptes et la gestion de NERSA : la centrale nucléaire européenne à neutrons rapides (Superphénix)

Rapport public - Octobre 1996

La Cour a examiné les comptes et la gestion de la société NERSA, filiale majoritaire d'Électricité de France, créée en commun avec des sociétés italienne et allemande afin de réaliser la construction du réacteur à neutrons rapides Superphénix sur le site de Creys-Malville (Isère) et d'en assurer le fonctionnement. EDF jour un rôle prépondérant dans la gestion courante de la société et l'exploitation de la centrale.

Les incidents et défaillances qui ont marqué la centrale Superphénix depuis son démarrage ont limité à trente mois au total la durée de son fonctionnement entre 1986 et 1994, et le réacteur n'a été couplé au réseau EDF que durant environ dix mois. Bien qu'il ait recommencé à fonctionner depuis septembre 1995, des interrogations demeurent sur l'utilité et la pérennité, de cet équipement.

La Cour a relevé des choix comptables contestables et des lacunes dans la gestion de la société NERSA. Au-delà de ces observations, elle a cherché à évaluer, selon une approche comptable et à partir de trois hypothèses de production le coût prévisionnel de la centrale à la date du 31 décembre 2000, terme du protocole d'accord qui lie les actionnaires de NERSA, étant précisé toutefois que le terme prévisible du fonctionnement serait, selon EDF, le 31 décembre 2015.

Il ressort des calculs, examinés contradictoirement avec EDF et NERSA, mais qui doivent être interprétés avec prudence, que ce coût serait de l'ordre de 60 milliards de francs. Ce bilan prévisionnel ne tient toutefois pas compte des retombées attendues en termes de recherche et de solution des problèmes de retraitement des combustibles nucléaires ou d'élimination des déchets radioactifs.

- Gaz de France

Un contrat d'objectifs a également été signé avec Gaz de France pour la période 1994-1996 . Il marque la volonté de l'État et de l'établissement de poursuivre dans la voie initiée par le premier contrat d'objectifs. En ce sens, il a une double ambition ; faire de GDF l'un des premiers opérateurs mondiaux et, parallèlement, renforcer la qualité du service public en France,

Ses objectifs sont la poursuite du désendettement, à hauteur de 8,4 milliards de francs, l'amélioration de la productivité et le développement des investissements internationaux.

En 1995, le désendettement s'est poursuivi. Il a été de 2,2 milliards de francs, au lieu du montant de 2,8 milliards inscrit dans le contrat d'objectifs, principalement du fait de la baisse du chiffre d'affaires de 2 milliards enregistrée en 1994.

Depuis 1991, Gaz de France connaît un résultat bénéficiaire et, en conséquence, depuis 1992, l'État perçoit un dividende sur ce résultat. En outre, Gaz de France s'est acquitté pour la première fois en 1994 de l'impôt sur les sociétés.

Situation financière de Gaz de France

1990

1991

1992

1993

1994

1995

(Investissements (en millions de francs hors taxes)

4.540

4.732

4.891

6.000

5.700

6.200

Effectifs au 31 décembre

26.965

26.509

26.087

25.801

25.619

25.256

Dettes d'emprunts (en millions de francs)

20.231

20.007

16.400

13.200

10.600

8.400

Charges financières nettes (en millions de francs)

3.645

3.319

3.000

2.300

2.200

Charges financières nettes en pourcentage du chiffre d'affaires

8,7

6,7

6,1

4,7

4,7

Résultat d'exploitation (en millions de francs)

3.424

4.602

5.710

6.817

4.800

6300

Résultat net (en millions de francs)

- 96

+ 987

+ 1.587

+ 1.062

+ 1.354

+ 1.900

La part du gaz dans le bilan énergétique de la France a progressé lentement au cours des dernières années, s'établissant à environ 13 % aujourd'hui, soit à un niveau moindre que dans les autres pays d'Europe de l'Ouest où elle atteint en moyenne 20 %.

La poursuite de cette progression paraît souhaitable en raison, d'une part, des qualités environnementales du gaz et, d'autre part, du nécessaire rééquilibrage de la part relative de l'électricité et des autres énergies.

En outre, certains nouveaux débouchés, encore peu développés, apparaissent favorables au gaz : la cogénération, les centrales à cycles combinés et les véhicules au gaz naturel.

On observera toutefois qu'une évolution de la demande de gaz naturel se heurte à un double obstacle :

? l'incertitude qui pèse actuellement sur l'offre et notamment sur la stabilité politique et la capacité d'investissement des principaux fournisseurs (Russie et Algérie),

? la faible densité de peuplement du territoire français qui rend la desserte en gaz de certaines zones impossible à des prix compétitifs.

Votre rapporteur se félicite que, dans ce contexte, la situation financière de Gaz de France se soit sensiblement améliorée. Il constate cependant qu'elle reste en grande partie liée à révolution incertaine de ses principaux fournisseurs et des perspectives de déréglementation du marché européen.

Les prélèvements de l'État sur EDF et GDF

Les règles qui régissent la rémunération de l'État par EDF et GDF

Le décret n° 56-443 du 14 mai 1956 modifié relatif aux dotations en capital attribuées à EDF et à GDF fixe le principe du versement à l'État d'un intérêt sur les dotations en capital et d'un dividende, dont les taux et montants sont fixés par arrêté conjoint des ministres chargés de l'économie, du budget et de l'industrie.

Le montant maximal du taux d'intérêt fixé à 8 % en 1986 est déterminé chaque année par arrêté interministériel.

Le dividende est prélevé sur les bénéfices nets de chaque exercice et peut faire l'objet de versements d'acomptes sur la base des résultats prévisionnels.

Le contrat de plan signé entre EDF et l'État et le contrat d'objectifs entre GDF et l'État fixent à 5 % le taux d'intérêt sur les dotations en capital et conviennent que la rémunération complémentaire sera déterminée en fonction des résultats de l'entreprise . Le taux de cette rémunération n'est pas précisé dans les contrats. La tendance a, jusqu'à présent, conduit à se rapprocher de la pratique de la plupart des sociétés cotées qui, en France, distribuent jusqu'à 30 % du bénéfice réalisé, après impôt sur les sociétés. Toutefois ce taux peut être modulé chaque année.

Les niveaux des prélèvements pour les années 1994 et 1995 s'établissent comme indiqué dans le tableau ci-après :

EDF

GDF

1994

1995

1994

1995

Intérêt 5 % dotations en capital

1.816

1.816

289

289

Bénéfice avant impôts et dividende

3.197

2.731

2.628

Impôt sur les sociétés

303

1.100

Rémunération complémentaire au titre de l'exercice (dividende)

1.938

1.500

971

971

Ainsi, EDF et GDF sont des entreprises qui gagnent de l'argent, paient des impôts (pour l'impôt sur les sociétés, seul GDF a épuisé son report à nouveau négatif) et rémunèrent leur "actionnaire" avec des taux s'établissant entre 30 % et 60 % pour les exercices 1994 et 1995.

2. La déréglementation du marché unique de l'énergie

L'énergie est devenue un enjeu de la construction européenne à partir de 1987. Afin de tirer le meilleur parti des complémentarités des différents systèmes énergétiques européens, la Commission des communautés européennes a alors engagé des travaux visant à développer les échanges énergétiques en s'appuyant sur les opérateurs. Cette première approche a abouti à l'adoption de trois directives relatives d'une part, à la transparence des prix de l'électricité et du gaz et, d'autre part, au transit sur les grands réseaux.

À partir de 1991, la Commission a adopté une deuxième approche visant à appliquer plus fermement les règles de concurrence communautaires et donc à s'attaquer aux monopoles du secteur énergétique. C'est à cette fin qu'elle a engagé une procédure en manquement devant la Cour de Justice à rencontre des monopoles électrique et gazier français (ainsi qu'à l'encontre de ceux d'autres pays). S'agissant de la France, une décision de la Cour de Justice est attendue pour la fin de l'année 1996.

La Commission a parallèlement présenté, le 22 janvier 1992, deux propositions de directives , qui prévoyaient :

- la suppression des monopoles de production, de transport et de distribution de l'électricité et du gaz ;

- l'introduction de la séparation comptable entre ces trois activités ;

- l'accès des tiers aux réseaux électriques et gaziers (ATR). Ce système était, dans un premier temps, réservé aux grands consommateurs de gaz et d'électricité, afin de leur permettre de se fournir auprès du producteur de leur choix, à charge pour le réseau d'acheminer l'énergie moyennant péage.

Or, ce dispositif se heurtait aux grands acquis de la politique énergétique française, et notamment à la sécurité des approvisionnements, à l'obligation de fourniture, à la protection du consommateur et à l'efficacité des systèmes électriques et gaziers.

C'est pourquoi, la France a fermement manifesté son opposition à ces textes. Elle a été soutenue par l'Espagne, l'Italie et les pays du Bénélux.

Un rapport adopté par le Parlement européen à l'automne 1993 a alors conduit la Commission à modifier les directives. Toutefois, même modifiées, celles-ci restaient inacceptables.

Au premier semestre 1994, une proposition alternative au système de l'ATR a été élaborée. Elle repose sur le concept d'acheteur unique ", selon lequel l'opérateur chargé du monopole du réseau organise la concurrence pour les nouveaux producteurs d'électricité qui ne peuvent contracter directement avec les consommateurs.

Ce concept permet d'ouvrir les marchés nationaux à plus de concurrence tout en excluant l'ATR et en préservant les missions d'intérêt général que les États confient aux opérateurs du secteur électrique, telles que la sécurité d'approvisionnement, la péréquation tarifaire, l'obligation de fourniture et la protection de l'environnement.

Le Conseil des ministres de l'énergie du 1er juin 1995 a permis une avancée significative . Il a admis le principe de la coexistence de l'ATR avec le système de l'acheteur unique. Il a également reconnu la légitimité des obligations de service public et de la programmation à long terme dans le secteur électrique, dans le respect du principe de subsidiarité.

Les négociations se sont poursuivies et le Conseil des ministres de l'énergie du 20 juin 1996 a permis un accord sur la proposition de directive concernant des "règles communes pour le marché intérieur de l'électricité".

La proposition de directive comporte tout d'abord un certain nombre de dispositions obligatoires qui constituent les règles communes à tous les systèmes électriques. Il s'agit principalement de l'"unbundling" comptable, c'est-à-dire de la tenue de comptes séparés pour les activités non électriques et électriques et, pour ces dernières, des comptes séparés pour la production, le transport et la distribution d'électricité. Il s'agit également de permettre la liberté d'établissement pour de nouveaux producteurs et d'organiser une ouverture progressive des marchés nationaux, en particulier pour les grands consommateurs.

La proposition de directive comporte, par ailleurs, un certain nombre de dispositions ouvertes aux choix des États membres . Il s'agit de la possibilité d'imposer des obligations de service public, qui doivent néanmoins être clairement définies, aux entreprises du secteur électriques. Il s'agit aussi de la possibilité de prévoir une planification à long terme des investissements de production, de désigner un gestionnaire unique du réseau pour le transport ou encore d'adopter un système d'autorisation ou d'appel d'offres pour la construction de nouvelles unités de production.

Cette directive devrait en principe faire l'objet d'une transposition en droit interne à la fin de 1998 ou au début de 1999.

Votre rapporteur se félicite que cette proposition de directive soit conforme aux principes que la France a constamment défendus depuis 1990, notamment en matière de service public.

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